Recueil de recherches sur les victimes d’actes criminels, no 10
Stratégie d’évaluation des répercussions de la Charte canadienne des droits des victimes - Occasions de mieux exploiter les fonds de données
Par Melanie Kowalski
Melanie Kowalski est chef d’unité au Centre canadien de la statistique juridique de Statistique Canada. Elle dirige le projet de données sur la Charte canadienne des droits des victimes.
Introduction
Au cours des dernières décennies, le rôle des victimes dans le système de justice pénale a grandi, notamment grâce à la réforme législative et à l’augmentation du financement des services. La Charte canadienne des droits des victimes (CCDV), entrée en vigueur en 2015, constitue un progrès important pour les victimes d’actes criminels.Note de bas de la page 11 La CCDV confère des droits d’origine législative aux victimes, à savoir le droit à l’information, le droit à la protection, le droit de participation et le droit de demander un dédommagement.
La CCDV établit également un processus de traitement des plaintes en cas de violation de ces droits par un ministère ou un organisme fédéral. Ces changements devraient avoir des incidences importantes sur le système de justice du Canada et les services d’aide aux victimes.
La lettre de mandat de la ministre de la Justice exige que « [...] les mesures de rendement, la présentation de preuves et la rétroaction des Canadiens soient la pierre angulaire de [son] travail ».Note de bas de la page 12 La CCDV est une occasion stratégique d’élaborer et d’harmoniser les mesures statistiques pour favoriser des politiques et des décisions fondées sur des données probantes en ce qui a trait aux victimes d’actes criminels (Johnston-Way et O’Sullivan, 2016).
Afin de déterminer les données qui pourraient être utilisées pour mesurer les incidences de la CCDV sur le système de justice, le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels, en partenariat avec le Centre canadien de la statistique juridique (CCSJ) de Statistique Canada, a entrepris une étude sur la mise en correspondance des données. L’étude visait à préciser les besoins et occasions de recherche pour recueillir de l’information à propos de la façon dont les victimes d’actes criminels interagissent avec le système de justice. Pour faciliter le projet, le CCSJ a consulté, entre octobre 2015 et février 2016, des représentants de nombreux partenaires de la justice (services de police, tribunaux, services correctionnels et services d’aide aux victimes), des représentants des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux ainsi que des représentants des organisations non gouvernementales et universitaires. L’objectif était de déterminer la faisabilité de la collecte de données à divers stades du système de justice. Les résultats de ces consultations sont clairs : même si les sources de données varient, divers partenaires recueillent déjà un large éventail de renseignements précieux. Par ailleurs, de nombreux partenaires de la justice ont indiqué qu’ils avaient commencé à prévoir la meilleure façon de restructurer les processus internes, y compris la collecte de données, pour satisfaire efficacement à la CCDV. Le présent rapport décrit des méthodes possibles d’évaluation des incidences de la CCDV, fondées sur l’exploitation des sources de données existantes.
Évaluation des incidences de la Charte canadienne des droits des victimes
Les forces de la CCDV se mesureront par la façon dont elle répond aux besoins des victimes. Pour déterminer les incidences de la CCDV, il faudra recueillir différents types de renseignements statistiques, notamment de l’information indiquant :
- si le système de justice a créé les mécanismes et processus nécessaires pour répondre aux exigences de la CCDV (p. ex. services de police distribuant des cartes d’information sur la CCDV; portail des victimes de Service correctionnel Canada fournissant aux victimes de l’information sur les délinquants détenus dans un pénitencier fédéral; nombre de formulaires de déclaration de la victime fournis aux victimes, etc.);
- si les victimes se prévalent des droits que leur confère la CCDV, et quels facteurs les influencent à cet égard;
- si les dispositions de la CCDV ont réellement produit des résultats positifs, par l’entremise de services mis à la disposition des victimes, par exemple un sentiment renforcé parmi les victimes de sécurité personnelle et de traitement équitable par le système de justice.
Occasions d'exploiter les fonds de données actuels
Grâce à ses consultations, le CCSJ a pu repérer un certain nombre d’options pour recueillir et échanger des renseignements sur les victimes afin d’évaluer les incidences de la CCDV. Ces options ont été présentées à l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels. Les options énumérées ci-après présentent différentes façons d’exploiter ou d’enrichir les fonds de données actuels afin de mieux comprendre les incidences de la CCDV. Ces options reflètent diverses méthodes ou démarches de collecte de l’information et peuvent être combinées.
Option A : Enquête globale sur les exigences de données nationales des services d’aide aux victimes
Il incombe aux provinces et aux territoires de fournir la plupart des services d’aide aux victimes. Ils disposent par conséquent d’une grande quantité de renseignements sur les personnes à qui ils fournissent ces services. Par contre, il n’existe pas de méthode systématique ou standard pour définir, recueillir, déclarer et publier ces données précieuses. Les données administratives issues des organismes d’aide aux victimes dans l’ensemble du Canada doivent être normalisées afin de permettre une analyse efficace. Pour examiner, comparer et analyser les données sur les services fournis dans différents ressorts, il faut recueillir des données similaires selon des procédures et des normes similaires. En collaboration avec les organismes d’aide aux victimes, le CCSJ doit déterminer :
- la portée de l’analyse (quels services d’aide aux victimes il faut examiner);
- les données à recueillir (p. ex. le nombre et les caractéristiques des victimes et des services, etc.);
- la façon de normaliser l’information et de la rendre comparable d’un ressort à un autre (ou d’un type de service à un autre);
- la fréquence à laquelle il faut recueillir et mettre à jour ces renseignements;
- la meilleure méthode de collecte des renseignements;
- la manière de publier ou de diffuser ces renseignements.
Option B : Améliorer la qualité de l’information dans les ensembles de données administratives existants et ajouter des questions à l’Enquête sociale générale sur la victimisation
Plusieurs programmes de Statistique Canada recueillent des données sur les victimes, qui pourraient être exploitées et améliorées pour combler les lacunes actuelles. Le CCSJ s’emploie actuellement à restructurer ses enquêtes en vue d’améliorer les renseignements recueillis auprès de la police, des services correctionnels et des tribunaux. Il apparaît donc opportun d’examiner la qualité des données actuellement recueillies et de gérer toute lacune repérée. À titre d’exemple, l’Enquête sur l’administration policière recueille des renseignements de base sur le personnel de la police et les dépenses des services de police partout au Canada. Cette enquête pourrait également servir à mesurer la façon dont les services de police du pays fournissent de l’information aux victimes sur leurs droits et les services mis à leur disposition. Cela aiderait également à mesurer le rendement en ce qui a trait au droit à l’information conféré par la CCDV.
L’Enquête intégrée sur les tribunaux de juridiction criminelle (EITJC) recueille des renseignements détaillés sur le nombre d’affaires, le traitement des dossiers et la détermination de la peine pour toutes les accusations portées en vertu du Code criminel et d’autres lois fédérales et jugées dans un tribunal pénal au Canada. L’EITJC est en cours de remaniement, et les consultations initiales ont déterminé que l’information aux victimes était un besoin majeur. Par conséquent, dans le cadre de ses activités de restructuration, le CCSJ passera en revue l’EITJC avec ses partenaires nationaux et examinera la manière d’améliorer la saisie de renseignements sur les victimes, plus précisément, des renseignements sur :
- les peines comportant une ordonnance de dédommagement (droit de demander un dédommagement conféré par la CCDV);
- le type de conditions imposées dans le cadre des ordonnances incluant un dédommagement (droit de demander un dédommagement conféré par la CCDV);
- la question de savoir si une déclaration de la victime a été déposée ou non auprès du tribunal (droit de participation conféré par la CCDV).
L’analyse des données actuelles de l’EITJC et des données qui suivront la restructuration peut aider à déterminer si certains types d’infractions ont plus de chance de conduire à des peines comportant une ordonnance de dédommagement. Cette analyse peut également permettre d’établir un lien entre la présentation de déclarations de la victime et des résultats et types d’infractions particuliers.
Le CCSJ commencera bientôt à recueillir de nouvelles données par l’entremise de l’Enquête canadienne sur les services correctionnels (ECSC), version remaniée de l’Enquête intégrée sur les services correctionnels. L’ECSC continuera de recueillir des données auprès des programmes des services correctionnels destinés aux adultes et aux jeunes, par exemple des données sur la surveillance en détention et la surveillance dans la collectivité. Des renseignements sur le dédommagement seront recueillis dans quasiment tous les ressorts, dédommagement assuré soit par des ordonnances de dédommagement indépendantes pour les jeunes, soit comme condition d’ordonnances de probation ou de sursis (pour les adultes et les jeunes). L’ECSC recueillera également des données sur les montants des dédommagements ordonnés (droit de demander un dédommagement conféré par la CCDV).
Dépendant du moment où les ressorts ont commencé à recueillir ces données, il pourrait être possible de mesurer certaines incidences de la CCDV.
Victimisation autodéclarée : Enquête sociale générale (ESG) sur la sécurité des Canadiens (Victimisation) Comme beaucoup d’actes criminels ne sont pas signalés à la police pour diverses raisons, les données sur la victimisation autodéclarée constituent un complément essentiel aux statistiques sur le système judiciaire. Pour obtenir un aperçu complet de l’activité criminelle et de la victimisation criminelle au Canada, et pour élaborer une politique de justice solide, il faut tenir compte des points de vue de la police et des victimes.
Les données recueillies par l’entremise de l’ESG sur la sécurité des Canadiens (Victimisation) sont axées sur les victimes d’actes criminels et leurs expériences. Contrairement au Programme de déclaration uniforme de la criminalité (DUC), l’ESG (Victimisation) recueille des données sur les crimes signalés et non signalés (limités à huit types de crimes). Statistique Canada réalise actuellement l’ESG (Victimisation) tous les cinq ans. La plus récente enquête remonte à 2014. Le CCSJ pourrait dynamiser l’édition de 2019 pour permettre l’évaluation des incidences de la CCDV.
Le nouveau contenu pourrait inclure des questions plus détaillées sur les victimes d’actes criminels, leur perception du système de justice et l’incidence globale des services auxquels elles ont eu accès. Des questions permettant de savoir si les victimes se sont senties impliquées dans le processus de justice, si leur sécurité a été prise en compte tout au long des procédures devant les tribunaux et si elles ont été informées de leurs droits lorsqu’elles ont signalé le crime à la police, contribueraient toutes à l’évaluation des incidences de la CCDV. On pourrait aussi envisager de poser des questions complémentaires sur la raison pour laquelle les victimes n’ont pas utilisé les services, le cas échéant.
Tandis que certaines lacunes dans les données pourraient être comblées par des modifications aux enquêtes de Statistique Canada, d’autres lacunes seraient peut-être plus faciles à combler grâce à d’autres méthodes de collecte des données ou grâce à des données administratives recueillies par d’autres ministères ou organisations. Parmi ces ministères et organisations, notons la Commission des libérations conditionnelles du Canada, Service correctionnel Canada et divers organismes d’aide aux victimes dans l’ensemble du Canada.
Option C : Mesure des résultats
La CCDV vise essentiellement à s’assurer que le système de justice répond de façon appropriée aux besoins des victimes d’actes criminels, non seulement en fournissant des services, mais également en veillant à ce que ces services répondent à leurs besoins et génèrent des résultats positifs. À cet égard, la mesure des résultats découlant des services serait extrêmement utile pour les partenaires de la justice. Toutefois, la mesure de ces résultats présente de nombreux défis. Les besoins des victimes et les services offerts varient considérablement d’un ressort à un autre. Les contextes, les objectifs et les résultats des programmes liés au counseling, aux refuges, à la perception du dédommagement et à la justice réparatrice sont tous différents. C’est pour cela qu’il n’existe pas de moyen unique de mesurer les résultats. Pour mesurer correctement les résultats des services offerts aux victimes, il faut élaborer des questions précises sur les répercussions possibles et les résultats en fonction du type de service particulier offert.
Statistique Canada, en collaboration avec les directeurs provinciaux et territoriaux des organismes d’aide aux victimes, pourrait élaborer une série de mesures des résultats fondée sur les types de services particuliers. Ces mesures pourraient faire partie d’une enquête menée auprès des personnes qui ont reçu des services et être administrées par les organismes d’aide aux victimes. Statistique Canada pourrait collaborer avec les partenaires de la justice afin de déterminer les services sur lesquels il faut se concentrer, les meilleurs moyens de recueillir l’information et d’uniformiser les questions, la fréquence de la collecte de données et la meilleure façon de publier ou de diffuser les résultats. En raison de la variété des services fournis aux victimes, il est vivement recommandé de commencer par un projet pilote dans un seul ressort avant de chercher à mettre cette option en œuvre à l’échelle nationale.
De plus, Statistique Canada pourrait appuyer l’élaboration d’un ensemble de questions de base sur les niveaux de satisfaction, lequel pourrait être utilisé par tous les organismes d’aide aux victimes. La notion de satisfaction est complexe; il est donc essentiel qu’elle soit clairement définie par les partenaires de la justice. Cela permettra de s’assurer que l’information recueillie est en rapport avec les questions de politique pertinentes, qu’il s’agit d’une mesure fiable de l’expérience des victimes, et qu’elle est suffisamment normalisée pour aider à établir des comparaisons entre les ressorts et les types de service. L’ensemble de questions de base sur la satisfaction serait testé et utilisé dans les ressorts, et les données seraient recueillies dans le cadre de l’enquête globale proposée (option A).
Prochaines étapes
Pour évaluer correctement les incidences de la CCDV et le rendement des différentes composantes du système de justice, il faudrait utiliser une combinaison des trois options. Un financement adéquat serait également nécessaire.
Au mois de mai 2016, le Centre de la politique concernant les victimes a alloué des fonds au CCJS afin qu’il collabore avec les directeurs provinciaux et territoriaux des organismes d’aide aux victimes en vue d’élaborer des indicateurs normalisés du nombre et du type de services auxquels les victimes se prévalent (option A). Les données administratives des organismes d’aide aux victimes au Canada sont actuellement soumises à un processus de normalisation en vue d’appuyer la collecte et la diffusion de ces données. Le CCJS s’emploie actuellement à élaborer les exigences nationales de l’enquête globale sur les services offerts aux victimes afin de contribuer à mesurer dans quelle mesure le système de justice fournit de bons services d’aide aux victimes et à déterminer si les victimes se prévalent de ces services.
L’objectif consiste à publier des renseignements sur le rendement à l’échelle nationale, provinciale et territoriale, y compris sur le nombre de victimes servies et leurs caractéristiques, le recours aux services par les victimes et leur expérience à cet égard, par exemple en ce qui a trait aux services d’aide à la préparation de déclarations de la victime ou de déclarations au nom de la collectivité.
La plupart de ces données pourraient être accessibles pour la période qui précède la mise en œuvre de la CCDV et peuvent être utilisées pour examiner l’incidence de cette dernière sur les services d’aide aux victimes. Les indicateurs nationaux amélioreront la capacité d’élaborer des politiques, des lois et des initiatives pertinentes. En plus de fournir des outils pour mesurer les incidences de la CCDV, ces données pourraient également aider à établir les priorités en matière de financement. Les données permettraient également de renseigner les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux sur la façon dont les différentes composantes du système de justice ont répondu à la CCDV – c’est-à-dire dans quelle mesure la police, les tribunaux et le système correctionnel font participer les victimes dans le système de justice, et si les victimes participent activement aux processus de la justice pénale.
Résumé
Le secteur de la justice recueille un vaste éventail de données qui pourraient aider à examiner les incidences des services offerts aux victimes avant et depuis la mise en œuvre de la CCDV. Ce rapport décrit les approches possibles pour faire fond sur les enquêtes administratives et par sondage menées actuellement par Statistique Canada en améliorant la qualité des données recueillies ou en ajoutant du contenu pour combler les lacunes, et en exploitant les sources de données existantes (obtenues au moyen des données administratives sur les services d’aide aux victimes) pour élaborer les indicateurs nationaux. Enfin, une autre option consisterait à concevoir une nouvelle enquête qui permettrait d’évaluer et de mesurer les résultats obtenus par les victimes qui se prévalent de ces services. Il est important de souligner qu’il faudrait utiliser une combinaison des trois options pour évaluer les nombreuses facettes de la CCDV. La meilleure approche consisterait probablement à lier les ensembles de données, à ajouter de nouvelles variables aux enquêtes existantes ou à accroître la qualité des données et la portée de l’information déjà recueillie. En collaboration avec les partenaires de la justice et avec l’aide des organismes d’aide aux victimes de partout au Canada, les indicateurs nationaux des enjeux relatifs aux victimes peuvent être normalisés et recueillis à différentes étapes du système de justice pénale à l’échelle fédérale, provinciale et territoriale afin d’évaluer les incidences de la CCDV et de répondre aux questions essentielles, comme celles qui suivent : Comment les victimes exercent- elles leurs droits? La CCDV fait-elle changer les choses?
Références
- JOHNSTON-WAY, Sarah et Sue O’SULLIVAN. « Reconnaissance du rôle du soutien aux victimes dans l’établissement et le maintien de collectivités saines et sécuritaires », Journal de la sécurité et du bien-être des collectivités, vol. 1, no 2, 2016, p. 12-15.
- Projet de loi C-32, Loi édictant la Charte canadienne des droits des victimes et modifiant certaines lois, 2e session, 41e législature, 2015 (sanctionné le 23 avril 2015) (« projet de loi C-32 »).
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