Recueil de recherches sur les victimes d’actes criminels, no 11

Comprendre l’évolution et l’incidence des centres d’appui aux enfants (CAE) au Canada

Cynthia Louden et Kari Glynes Elliott

Contexte

Les centres d’appui aux enfants (CAE) et les centres d’appui aux enfants et aux adolescents (CAEA)Note de bas de la page 16 sont des programmes centrés sur l’enfant et basés dans des établissements dans lesquels des représentants de nombreuses disciplines collaborent pour mener des entrevues et prendre des décisions d’équipe concernant l’enquête, le traitement et l’intervention dans des affaires de violence faite aux enfants. Les CAE fournissent une gamme de services afin d’améliorer le vécu des enfants victimes et témoins, de même que celui des membres de leur famille, tandis qu’ils naviguent dans les différents systèmes, dont le système de la protection de l’enfance et le système de justice pénale. Les CAE peuvent aussi mener des études et ils créent et offrent de la formation et des activités de vulgarisation juridique. En 2010, le gouvernement du Canada a annoncé de nouveaux fonds, dans le cadre de la Stratégie fédérale d’aide aux victimes (SFAV), pour la création et le renforcement de CAE dans tout le Canada. De 5,25 millions de dollars sur cinq ans (2010-2015) à l’origine, ce financement, a été haussé à 12,25 millions de dollars sur cinq ans (2016-2021).

Les États-Unis sont un chef de file de la création de CAE, les premiers centres y ayant été établis durant les années 1980. Les CAE cherchent à atténuer les traumatismes causés par le système de justice en offrant un milieu propice au bien-être des enfants ou des jeunes victimes ou témoins de tels actes, ainsi que de leur famille, où ils peuvent obtenir des services. On pense que les CAE peuvent réduire le nombre d’entrevues et de questions que les enfants doivent subir durant l’enquête et la préparation à la comparution.

L’U.S. National Children’s Alliance (NCA) a établi dix normes que les organisations doivent respecter pour obtenir l’accréditation de CAE. L’accréditation et l’adhésion à la NCA donnent accès à des possibilités de financement et à d’autres avantages, par exemple un logiciel commun pour la collecte de données et la mesure du rendement. Les dix normes comportent :

  1. une équipe multidisciplinaire,
  2. la compétence et la diversité en matière culturelle,
  3. l’entrevue judiciaire,
  4. le soutien et la défense des victimes,
  5. l’évaluation médicale,
  6. la santé mentale,
  7. l’examen de la cause,
  8. le suivi de la cause,
  9. la capacité organisationnelle,
  10. un milieu axé sur l’enfantNote de bas de la page 17.

Les CAE au Canada

Au Canada, le modèle de CAE est apparu plus récemment. Le premier CAE canadien a ouvert ses portes à Regina en 1997. En 2017, 18 collectivités au Canada exploitent des CAE et environ 15 autres collectivités envisagent de mettre en œuvre le modèle ou sont en voie de le faire.

Objectifs et mandat des CAE

En général, les CAE visent à corriger un manque de coordination entre les services sociaux et le système de justice pénale. Avant les CAE, les victimes étaient souvent vues plusieurs fois en entrevue par des professionnels non formés au développement de l’enfant et travaillant pour différents organismes. Les entrevues et d’autres aspects des enquêtes étaient exécutés dans des endroits, dont des postes de police, qui n’étaient pas adaptés aux enfants. Les victimes et leurs familles se plaignaient de retards, de manque d’information et d’être victimisées de nouveau par le processus.

Les CAE coordonnent les services en réunissant des professionnels au sein d’une équipe multidisciplinaire (EMD) située dans un même endroit accueillant pour les enfants. Les entrevues sont habituellement menées conjointement par des professionnels de l’application de la loi ou de la protection de l’enfance formés au développement de l’enfant et à l’entrevue judiciaire.

Une caractéristique clé de nombreux CAE est la présence d’un défenseur des droits de la victime qui agit comme « point de contact Â» ou navigateur pour les victimes et les familles. Un défenseur des droits des victimes participe tout au long du processus en veillant à créer une atmosphère accueillante, en agissant comme principale personne-ressource pour les victimes et leurs familles, en répondant aux questions, en faisant des aiguillages et des mises à jour et en fournissant des renseignements sur les causes, en plus d’assurer la liaison avec d’autres membres de l’EMD. Dans certains cas, le défenseur des droits des victimes entretient des rapports avec les familles après le dénouement de l’affaire.

Étude des CAE par le ministère de la Justice

En 2012, le ministère de la Justice du Canada a commandé une étude quinquennale de l’évolution et du fonctionnement des CAE au Canada. L’étude visait à mesurer la satisfaction de la clientèle par rapport aux CAE et aux processus du système de justice pénale et à examiner les résultats particuliers des CAE. Proactive Information Services Inc, une entreprise indépendante, a été retenue pour créer des outils tels que des guides d’entrevue et pour mener des entrevues et collecter des données auprès de six CAE.

Les six CAE ont été sélectionnés de façon à maximiser la diversité. Ils reflètent une gamme de structures de gouvernance, notamment des organisations non gouvernementales (ONG) autonomes, des programmes au sein d’ONG établies et des entités gouvernementales; ils sont aussi présents dans différentes régions du pays et servent différentes populations. Voici les six CAE étudiés :

Comme les six CAE ont reçu une aide financière par l’entremise de la Stratégie fédérale d’aide aux victimes (SFAV), l’étude a aussi examiné leur progrès par rapport à trois objectifs clés de la Stratégie :

  1. accès élargi aux services aux victimes;
  2. capacité accrue d’offrir aux victimes des services appropriés et adaptés à leurs besoins;
  3. allègement des difficultés financières et non financières pour les victimes.

Méthodologie

Les chercheurs de Proactive Information Services Inc. ont collecté des données auprès de trois sources principales :

  1. dossiers de cas des CAE;
  2. entrevues auprès de clients (enfants/adolescents victimes et dispensateurs de soins non-agresseurs);
  3. entrevues auprès d’EMC.

Les chercheurs ont mené 111 entrevues auprès d’EMD (125 personnes) et 123 entrevues auprès de 26 enfants victimes (âgés de 5 à 11 ans), 17 adolescents victimes (âgés de 12 à 19 ans), 5 adultes qui avaient été victimes dans l’enfance (c.-à-d. des causes passées) et 75 dispensateurs de soins non-agresseurs.

Clients et causes

Les chercheurs ont étudié 1 804 dossiers de cas et constaté que :

Constatations

Durant les cinq ans de l’étude, les CAE ont évolué et changé. Dans bien des cas, les membres des EMD ont fait état d’une amélioration de la communication.

L’étude a permis de conclure que les structures de gouvernance diverses des six CAE ne semblaient pas influer sur la prestation de services tant que la communication était ouverte et que le conseil de gestion était bien informé et coopératif. L’étude a révélé que la documentation précise et claire des ententes entre les partenaires (par exemple au moyen de protocoles d’entente) facilitait de meilleures relations de travail. Ces résultats mettent en évidence la souplesse du modèle du CAE.

L’étude a porté sur les CAE installés dans différents lieux physiques. Un CAE était installé dans un hôpital, deux partageaient leurs locaux avec d’autres organismes et deux avaient leurs propres installations. Un CAE était un site virtuel, ce qui signifie qu’il n’avait pas de lieu physique à proprement dit, les membres de son EMD utilisant différentes méthodes pour communiquer.

Un lieu physique dédié, accueillant pour les enfants, est un élément fondamental du modèle de CAE et l’étude a confirmé qu’un CAE a besoin d’un lieu physique pour bien fonctionner. Le CAE virtuel était conçu pour servir le plus de personnes possible dans une région où les clients potentiels sont très dispersés. Toutefois, malgré l’existence d’un solide programme de défense des droits des victimes et une intervention robuste de l’EMD, tant les clients que les membres de l’EMD ont exprimé une préférence pour un seul lieu physique accueillant pour les enfants. Depuis la conclusion de l’étude, le projet Lynx a apporté des améliorations adaptées aux enfants dans certaines collectivités en trouvant des lieux appropriés pour mener des entrevues et en ajoutant un ameublement confortable et des éléments de décor.

L’étude a confirmé que la coinstallation des membres de l’EMD est aussi importante. Les membres de l’EMD font état d’une meilleure communication lorsqu’ils travaillent en présence du personnel du CAE au même endroit. Même si des EMD hors site peuvent tout de même bien fonctionner, elles doivent établir des liens de confiance, élaborer des protocoles bien négociés et bien compris et organiser des réunions régulières d’examen des dossiers.

L’étude a également révélé que le rôle du défenseur des droits des victimes est un élément essentiel du modèle du CAE. Ces défenseurs aident les clients tout au long du processus et ils sont l’élément rassembleur des membres de l’EMD. D’après les dispensateurs de soins, le défenseur des droits de la victime est le service le plus important qu’offre le CAE pour eux et pour leurs enfants. L’incidence du défenseur des droits de la victime sur les clients était évidente :

L’intervenante des services d’aide aux victimes est notre roche tout au long du processus. Je ne sais pas ce que nous aurions fait sans elle.

– Dispensateur de soins

L’entrevue judiciaire est un service important du CAE. Une entrevue judiciaire est une entrevue non directive et non suggestive qui vise à cerner les faits d’un dossier comportant des allégations de violence faite à un enfant. Les intervieweurs (des policiers et des intervenants de la protection de l’enfance spécialement formés) mènent idéalement des entrevues conjointes afin de réunir des renseignements aux fins des enquêtes criminelles, d’évaluer la sécurité des modalités de vie de l’enfant et de déterminer le besoin de soins médicaux ou psychologiques. La plupart des CAE utilisent la technique d’entrevue Step-WiseNote de bas de la page 18, bien qu’un site dans l’étude utilise la technique Rapport, Anatomy Identification, Touch Inquiry, Abuse Scenario and Closure (RATAC : Rapport, identification de l’anatomie, questions sur les attouchements, scénario d’agression et clôture)Note de bas de la page 19.

Deux sites offrent des chiens thérapeutes à titre de service supplémentaire, bien que cela ne fasse pas partie du modèle des CAE. Les chiens aident à calmer les jeunes victimes avant l’entrevue judiciaire et durant la préparation à la comparution. Dans au moins un cas, un chien thérapeute a fourni du soutien à un jeune client du CAE en attendant le début de la poursuite judiciaire au palais de justice.

Parmi les 36 victimes qui ont fourni une cote globale des CAE, 83 % ont jugé leur expérience « bonne Â» ou « excellente Â». Les deux victimes qui ont jugé leur expérience « mauvaise Â» ne provenaient pas du même site. Une n’a pas voulu être enregistrée sur vidéo durant l’entrevue judiciaire et l’autre craignait le délinquant soit présent. Aucune victime n’a donné une cote « terrible Â».

Les CAE et les objectifs de la SFAV

L’étude a conclu que les CAE ont réussi à combler des lacunes importantes du système. Les CAE ont amélioré l’accès aux services pour les victimes, notamment à des examens médicaux. Ils ont offert de la formation sur la façon d’intervenir auprès d’enfants victimes, ils ont mis à disposition des environnements accueillants pour les enfants aux fins des entrevues judiciaires, ils ont augmenté la coordination et la collaboration entre les partenaires qui répondent au signalement de violence faite aux enfants et ils ont fourni une personne de confiance stable pour les enfants, les adolescents et leurs familles tout au long de leurs rapports avec le système de justice pénale.

Le soutien financier de la SFAV a permis à ces CAE de renforcer leur capacité d’offrir des services adaptés et sensibles aux besoins des victimes en favorisant la coordination des services destinés aux enfants, aux adolescents et à leurs familles; en embauchant des experts; et en formant les membres des EMD. À mesure que les équipes ont travaillé ensemble, ses membres ont mis en commun leur savoir-faire et affiné leurs techniques et leurs connaissances. Des CAE ont offert de la formation sur l’entrevue judiciaire ou sur la violence et les mauvais traitements faits aux enfants. Des membres d’EMD ont suivi une formation sur la compétence et la diversité culturelles.

Dans l’ensemble, les CAE ont allégé le fardeau financier et non financier pour les clients. Ils ont réduit le stress et la revictimisation en fournissant un endroit unique, sûr et adapté aux enfants pour que les victimes et leur famille puissent obtenir de l’information et du soutien. Certains sites ont fourni des téléphones cellulaires d’urgence, des billets d’autobus, des bons de taxi ou des bons d’alimentation. Le personnel a aussi aidé des clients à remplir des demandes d’aide gouvernementale (p. ex. logement, services d’orientation).

Des sites ont aussi allégé les difficultés non financières en désignant une seule personne – le défenseur des droits de la victime – qui offre un soutien affectif, des renseignements, des aiguillages vers des services ou de l’aide pour naviguer dans des systèmes intimidants. Ce service a permis de réduire le stress et de gagner du temps puisque les familles n’avaient pas à traiter avec plusieurs personnes. Comme un dispensateur de soins l’a expliqué : « C’était ma bouée de sauvetage. J’aurais perdu la raison sans eux Â».

Leçons à retenir

Voici les leçons à retenir :

Innovations

La souplesse du modèle des CAE permet la mise en Å“uvre de leurs services novateurs. Voici des services dignes de mention dans les sites étudiés :

Défis du système de justice pénale

Bien que les CAE soulagent de nombreux problèmes, ils ne sont pas conçus pour régler la plus importante plainte des clients : les délais dans le système de justice pénale. Les clients se sont plaints des fréquents ajournements des comparutions et des problèmes de recoupement des compétences. Pour de nombreux clients, des règlements plus rapides allégeraient l’épreuve. Toutefois, bien que les CAE prêtent leur concours aux enquêtes et à la préparation aux comparutions, ils n’exercent aucune influence sur les délais judiciaires ni sur le dénouement des causes. Comme un dispensateur de soins l’a fait remarquer : « [le CAE] est excellent, mais au bout du compte, c’est un problème de ressources humaines, c’est un problème systémique Â».

Orientations de la recherche future

Il convient de souligner que les constatations de l’étude s’appliquent aux CAE étudiés et ne s’appliquent peut-être pas à d’autres CAE actifs au Canada. Dans le cadre de l’étude, il a été difficile de suivre des clients tout au long du cheminement de leur dossier. En outre, il a été difficile de recruter des victimes et des membres de la famille pour participer aux sondages et aux entrevues. Des clients ont été jugés trop vulnérables; on comprendra que d’autres étaient réticents à parler de tout ce qui se rapportait au traumatisme qu’ils avaient vécu.

Des recherches futures pourraient comparer les résultats à long terme de clients de CAE canadiens avec ceux de victimes qui sont passées au travers du processus judiciaire sans avoir accès aux services d’un CAE. Il est difficile de déterminer si les CAE allègent effectivement les traumatismes pour leurs clients, bien que cela soit l’un de leurs objectifs. D’autres études pourraient évaluer l’efficacité de différentes stratégies d’atténuation des traumatismes mises en Å“uvre dans les CAE, par exemple le recours à des chiens thérapeutes et d’autres initiatives.

L’étude est la première du genre dans des CAE au Canada et elle contribue grandement à notre connaissance et à notre compréhension de leur création et de leur croissance. Il sera possible de se procurer le rapport intégral, Comprendre l’évolution et l’incidence des centres d’appui aux enfants (CAE), auprès du ministère de la Justice du Canada en 2018.

Cynthia Louden est étudiante en droit au sein du Programme de common law de l’Université d’Ottawa.

Kari Glynes Elliott est chercheuse à la Division de la recherche et de la statistique au ministère de la Justice du Canada.