Préface

Le Centre de la politique concernant les victimes (CPCV) a été créé en 2000 dans le cadre de l’Initiative sur les victimes d’actes criminels du gouvernement du Canada. La même année, j’ai rédigé un rapport pour le ministère de la Justice du Canada intitulé « Le rôle de la victime au sein du processus judiciaire : une analyse bibliographique 1989 à 1999. » On m’a récemment demandé de fournir une mise à jour du présent rapport et, bien que j’aie pris ma retraite de la pratique et de l’enseignement du droit en 2018, j’ai été honoré d’être invité à accomplir cette tâche.

Je me suis senti honoré par la demande de mise à jour de mon rapport, car une grande partie de ma vie professionnelle a été consacrée au travail concernant le mouvement des droits des victimes. En tant que jeune avocat criminaliste et professeur de droit au milieu des années 1980, mes amis, ma famille et des inconnus me posaient constamment deux questions : comment pouvais-je défendre des personnes que je savais coupables et pourquoi le système ne semble-t-il pas se soucier des victimes d’actes criminels? J’avais une réponse standard et institutionnelle à la question sur la défense des coupables, mais je n’avais pas de véritable réponse à la question sur le mauvais traitement envers les victimes. Bien qu’ayant été formé et travaillant comme avocat de la défense, je me suis senti obligé de réorienter mes recherches en tant qu’universitaire pour trouver une réponse à cette question.

Depuis lors, j’ai représenté des groupes de victimes ainsi que des victimes individuelles devant les tribunaux et les décideurs politiques, en plaidant pour un meilleur traitement et une participation accrue au processus pénal. En tant qu’universitaire, j’ai écrit de nombreux articles de revues juridiques et des rapports pour le ministère de la Justice du Canada sur les droits des victimes, et j’ai également organisé des conférences pour que les victimes d’actes criminels racontent leurs histoires. En 2010, après deux décennies de travail dans ce domaine, je me suis retiré de ce secteur particulier de pratique et de recherche. Malgré les aspects gratifiants de l’aide apportée aux victimes pour surmonter l’indifférence des représentants de l’État, ce travail peut avoir des répercussions sur le plan émotionnel. Les droits des victimes peuvent être discutés et débattus de manière abstraite et académique mais, en fin de compte, ce sont les difficultés et les souffrances personnelles des victimes d’actes criminels qui ont alimenté le mouvement de réforme juridique et, en 2010, j’étais saturé d’histoires tristes.

Au début de ce mouvement, j’ai souvent semblé faire cavalier seul parmi les avocats et les universitaires canadiens. J’étais surpris par l’attention portée à cette question au sud de la frontière, alors qu’au Canada, elle était largement ignorée par la communauté universitaire. Cela était d’autant plus surprenant si l’on considère que, lors de la première Conférence nationale des victimes d’actes criminels (tenue à Toronto en 1985), le mouvement des victimes a été qualifié d’«industrie en croissance rapide» de la décennie et qu’au Royaume-Uni il a été considéré comme le mouvement bénévole qui se développait le plus rapidement. Les groupes et associations de victimes poussaient comme des champignons partout en Amérique du Nord et en Europe.

Dans les années 1990, on a assisté à une explosion des études et des recherches, et le rapport que j’ai rédigé en 2000 (qui a été publié en 2001) a été conçu comme une analyse documentaire complète. La documentation était volumineuse et le rapport dépassait les 160 000 mots. Malgré la longueur du rapport, j’avais l’impression de ne traiter que de la pointe de l’iceberg. Même si le rapport de 2001 montrait clairement que beaucoup de temps, d’efforts et d’argent étaient consacrés à la promotion des intérêts des victimes, j’ai toujours craint que cet intérêt pour la promotion des droits des victimes ne finisse par s’estomper et que les droits des victimes ne soient relégués au rang de saveur de la décennie.

Le fait de travailler sur cette brève mise à jour du rapport de 2001 m’a rapidement montré que mes inquiétudes n’étaient pas fondées et que l’intérêt et l’activité liés aux droits des victimes continuent de croître à un rythme sans précédent. Ma co-auteure du présent rapport, une jeune avocate talentueuse, Kanchan Dhanjal, a passé beaucoup de temps à examiner une grande variété d’index de périodiques et de sites Web gouvernementaux et, lorsque la poussière est retombée, elle m’a présenté 22 livres, 418 articles et 147 rapports gouvernementaux à examiner pour le présent rapport. Même cette vaste collection de documents était incomplète, car un rapport de cette brièveté nous a obligés à exclure de la considération un grand nombre de documents portant sur des questions spéciales ou uniques liées aux victimes (comme les victimes du terrorisme, la violence envers les personnes âgées, les questions propres aux victimes autochtones, la traite des personnes, les victimes de crimes haineux, etc.)

Pour ce bref rapport, il n’a pas non plus été possible de consacrer autant de temps aux développements internationaux que dans le rapport initial. Comme certains développements récents en Europe et aux États-Unis sont d’une importance cruciale, nous ferons quelques mises à jour sur ces changements internationaux; cependant, il est devenu moins nécessaire de prendre le temps de faire la revue de la documentation et des réformes dans d’autres parties du monde, car, au Canada, dans les vingt dernières années, nous avons vu une croissance significative des études et des recherches. Dans le premier rapport, vous pouviez trouver quelques universitaires canadiens écrivant dans ce domaine, mais maintenant vous avez de nombreux universitaires et chercheurs canadiens, comme M. Manikis, J. Roberts, S. McDonald, M. Northcott et J. Wemmers pour n’en citer que quelques-uns, qui apportent des contributions significatives et prolifiques à la documentation.

Malgré l’activité intense de ces dernières décennies, il reste difficile de tirer une conclusion définitive quant au succès global de cette entreprise de réforme de la justice pénale. Les changements fragmentaires se sont multipliés, mais il subsiste des désaccords et des débats entre les spécialistes et dans la communauté sur des questions fondamentales telles que les besoins des victimes d’actes criminels, leur rôle et leur fonction au sein d’un système judiciaire hautement professionnalisé, et ce que recouvre réellement le concept de droits des victimes. La victime d’un acte criminel est peut-être devenue un acteur accepté et respecté dans le paysage politique mais, dans le domaine juridique, nombreux sont ceux qui la considèrent encore comme un intrus indésirable.

Le présent rapport sera principalement un rapport descriptif et non un rapport prescriptif. Bien que j’aie travaillé dans le domaine des droits des victimes depuis le milieu des années 1990 et que j’ai de fortes opinions sur ce qui doit être fait pour soutenir et améliorer les droits des victimes, le présent rapport ne fera pas de suggestions ni de recommandations pour des changements futurs. L’objectif de la rédaction du présent rapport est de fournir un aperçu précis et actuel des nouveaux développements en matière de législation et de programmes depuis 2000, accompagné d’un résumé des études d’évaluation et des études empiriques qui tentent de mesurer le succès des nouvelles lois, des nouvelles politiques et des nouveaux programmes. Le succès étant souvent mesuré par le niveau de satisfaction ou d’insatisfaction des victimes, le présent rapport se concentre sur les études qui tentent de mesurer ce niveau de succès.

Alors que le rapport de 2001 était en grande partie structuré comme une revue de la documentation dans laquelle plusieurs centaines d’articles ont été examinés, la présente étude n’est pas un résumé exhaustif de la documentation académique actuelle. Un rapport aussi court ne saurait couvrir et saisir l’ensemble de la documentation des vingt dernières années. En outre, un grand nombre, sinon la plupart, des articles examinés en 2001 étaient des perspectives théoriques prescrivant le rôle de la victime dans un processus pénal contradictoire, et de nombreux articles de l’échantillon du présent rapport étaient également de nature philosophique ou théorique. Bien qu’elles soient importantes et intéressantes, les perspectives théoriques sous-jacentes n’ont pas changé au cours des deux dernières décennies et il existe de nombreux chevauchements et répétitions dans cette partie de la documentation.

Le présent rapport ne revisitera pas de manière significative le territoire bien connu de la théorie et de la philosophie; cependant, la partie I du présent rapport étudiera la relation entre la théorie et le changement pratique afin de fournir un contexte et un cadre pour le reste du rapport. La partie II examinera les changements significatifs, et les études qui ont évalué ces changements, en ce qui concerne les droits des victimes à participer au procès au cours des vingt dernières années et relativement aux dispositions légales conçues pour protéger la vie privée et la dignité de la victime en tant que témoin au procès. Les parties III et IV présenteront des explorations similaires, quoique plus brièvement, concernant les droits au bien-être et à la protection des victimes, ainsi que les développements relatifs à la justice réparatrice. Même si nous ferons certains renvois aux conclusions du rapport de 2001, il peut être utile de lire le rapport de 2001, plus long, parallèlement à cette mise à jour condensée, pour avoir une idée claire de ce qui a changé au cours des vingt dernières années et de la manière dont cette entreprise continue d’évoluer.

Bien que le présent rapport soit descriptif, et non prescriptif, et que j’évite de tirer de fortes conclusions sur les progrès réels réalisés au cours des deux dernières décennies, je tiens à dire que l’examen de la documentation des vingt dernières années m’a permis de confirmer personnellement qu’il n’y a pas eu de de recul du mouvement pour les droits des victimes. Les droits des victimes n’étaient pas seulement la saveur de la dernière décennie du 20e siècle. Cependant, il est important de ne pas se laisser tromper par la vague de réformes législatives et d’activités universitaires et de ne pas en conclure simplement que de réels progrès ont été réalisés pour améliorer le sort des victimes de crimes. Bien qu’il y ait eu une effervescence similaire au cours des dernières décennies du 20e siècle, nombreux étaient ceux qui croyaient que les victimes étaient tout simplement « habillées avec nulle part où aller » (Elias, 1993, p. 26).

Ainsi, alors que le lecteur du présent rapport se fraye un chemin à travers tous les développements du début du 21e siècle qui sont présentés dans le présent rapport, une question critique que chaque lecteur doit considérer est de savoir si la question posée par le professeur Elias à la fin du siècle dernier a la même pertinence au début de ce siècle :

[traduction]

En ce qui concerne toutes les nouvelles initiatives, les victimes ont obtenu beaucoup moins que ce qui leur avait été promis. Des droits ont été rendus non exécutoires ou non exécutables, la participation a été sporadique ou mal avisée, les services ont été précaires et sous-financés, les besoins des victimes sont demeurés insatisfaits ou ont même été menacés et la victimisation s’est accrue, sinon au tribunal, certainement dans les rues. Compte tenu de l’immense attention accordée aux victimes au cours des dernières années, comment cela a-t-il pu se produire? (Elias, 1993, p. 45)

Alan N. Young
28 septembre 2020