L’incidence des traumatismes sur les victimes d’agressions sexuelles d’âge adulte
Partie II – L’incidence neurobiologique du traumatisme sur le cerveau
Qu’est-ce qu’un traumatisme?
Un événement qui se produit lorsqu’une personne est soumise à quelque chose d’effrayant et de bouleversant, qui provoque chez elle le sentiment de perdre le contrôle. Dans les cas de menaces extrêmes, comme le viol ou la torture, on peut avoir l’impression que nos chances de survie sont menacées. Étant donné que les événements sont perçus de façon subjective, cette définition élargie du traumatisme constitue davantage une ligne directrice. Tout le monde traite un traumatisme différemment, parce que nous les endurons tous à travers le prisme de nos expériences antérieures.
Dans son livre sur le changement de paradigme, Trauma and Recovery: The Aftermath of Violence--From Domestic Abuse to Political Terror, Judith Herman (1992) l’explique de la manière suivante :
[traduction]
Les événements traumatisants annihilent les réflexes ordinaires de protection qui procurent une impression de maîtrise, de contact et de sens. Ce sont des événements extraordinaires, non pas parce qu’ils se produisent rarement, mais parce qu’ils dépassent la capacité humaine d’adaptation à la vie. Ils confrontent les êtres humains aux limites extrêmes de l’impuissance et de la terreur, et évoquent des possibilités de catastrophe. (p. 65)
Les événements traumatisants ne sont pas nécessairement violents, même s’ils portent atteinte à l’estime de soi et à la sécurité d’une personne (Kammerer et Mazelis, 2006). Ce qui est traumatisant pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre, car la notion de trauma est subjective.
Il est utile pour les intervenants du système de justice pénale de comprendre les circuits de la défense et la neurobiologie des traumatismes afin de comprendre l’éventail de réactions que les victimes peuvent avoir dans des circonstances menaçantes, comme être agressées ou agressées sexuellement. Nous avons tous entendu des victimes dire des choses comme « j’ai juste figé » ou « j’étais juste allongée là en attendant que ça se termine » ou, encore, « je ne savais pas quoi faire, je n’avais pas l’impression de pouvoir faire quoi que ce soit ».
Pour comprendre les effets du traumatisme, il faut comprendre les éléments fondamentaux des circuits de défense du cerveau et le rôle crucial que ce mécanisme joue dans la manière dont la victime va réagir aux événements traumatisants et composer avec eux, tant au moment où ils se produisent que lorsqu’elle s’en souviendra et les racontera par la suite. C’est à ces problèmes que la prochaine partie est consacrée.
Comment les circuits de la défense du cerveau prennent-ils le contrôle en présence de menaces?
En présence de la peur et de la menace, nous réagissons de façon automatique. Ces automatismes comprennent les réactions bien connues que sont la fuite, la lutte ou l’incapacité de bouger. La plupart des gens connaissent bien ceux-ci. Ils s’enregistrent à deux niveaux : cognitif conscient et physiologique inconscient.
Le domaine des neurosciences progresse vers la compréhension de ce cadre à deux systèmes : un ensemble de réseaux génère de la peur et de l’anxiété à un niveau conscient; un deuxième ensemble contrôle les réactions comportementales et physiologiques aux menaces (Ledoux et Pine, 2016). Le deuxième ensemble fonctionne en grande partie inconsciemment, parce que le réseau est sous-cortical (Ledoux et Pine, 2016). En d’autres termes, il prend racine au plus profond du cerveau et il est déconnecté de la conscience ou du langage.
Cette distinction est importante, car les menaces peuvent se trouver au-dessous du seuil de la conscience et déclencher ainsi les circuits de la défense sans que la personne puisse reconnaître de façon consciente qu’elle ressent de la peur (Ledoux et Pine, 2016). Notre système nerveux évalue continuellement les risques et la sécurité dans l’environnement, et il surveille s’il y a un danger ou une menace.
Lorsqu’un de nos cinq sens détecte une menace grave, les circuits de la défense du cerveau sont activés, et une série de molécules chimiques liées au stress sont libérées. Lorsqu’une menace à la survie physique est imminente, le cerveau humain, à moins d’avoir été entraîné de façon spécifique, passera sous une dominance sous-corticale et adoptera les réponses de la fuite, de la lutte ou de l’incapacité de bouger. Une fois activés, les circuits de la défense dominent le fonctionnement du cerveau (Mobbs et al., 2009).
Comment le cerveau réagit à la menace traumatisante : les hormones et l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien
Lorsque le cerveau humain détecte un événement mettant la vie en danger, certaines informations sensorielles contournent le cortex et sont directement transmises aux circuits de la défense. Celui-ci comprend l’amygdale, qui fait partie du système limbique du cerveau, qui prédit les stimuli dangereux et déclenche les réactions physiologiques appropriées au danger et à la menace. Ce processus est automatique et souvent en grande partie inconscient. Dans ces circonstances, l’amygdale peut être informée de quelque chose d’effrayant ou de menaçant avant même que le cortex ne sache ce qui se passe (Sapolsky, 2017). « L’amygdale n’est pas elle‑même responsable de l’expérience de la peur. Son travail est mieux décrit sous l’angle de la détection et de la réponse aux menaces présentes ou imminentes. » [traduction] (Ledoux et Pine, 2016, p. 1 086)
L’amygdale envoie un message à une autre partie du cerveau appelée l’hypothalamus, qui transmet elle aussi un message dans le cerveau à la glande pituitaire, laquelle envoie un message aux glandes surrénales. Il s’agit de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien, ou axe HHS. Lorsque le signal atteint les glandes surrénales, celles-ci libèrent deux types d’hormones, soit l’adrénaline et le cortisol. L’adrénaline renforce la réaction de « lutte ou de fuite » en resserrant les vaisseaux sanguins et en faisant battre le cÅ“ur plus rapidement afin d’envoyer le sang vers le corps et le cerveau. Le cortisol est une autre hormone du stress qui est libérée par les glandes surrénales en période de stress. Celle-ci inhibe les réactions corporelles non essentielles, comme la digestion ou les processus cognitifs supérieurs. Cela permet au cerveau et au corps de concentrer toutes leurs ressources afin d’être en mesure de faire face à la menace. Les circuits de la défense prennent rapidement le contrôle du fonctionnement du cerveau, activant une multitude de réactions cérébrales et corporelles.
L’activation des circuits de la défense est un moment crucial, parce qu’à partir de ce moment, le cerveau, le corps, l’attention, la pensée, le comportement et les processus de mémoire sont tous radicalement modifiés de façons spécifiques (Hopper, 2018). Le premier réflexe du cerveau est de figer. La victime fige lorsque l’amygdale détecte une menace et indique au tronc cérébral de bloquer les mouvements. Elle intervient en moins d’une seconde, de façon automatique et au‑delà du contrôle conscient. Cette réaction fait entrer une personne dans un état de vigilance pour anticiper les agressions à venir, alors que le cerveau scrute l’environnement pour évaluer le danger tout en cherchant des façons de s’échapper.
Il est donc faux de penser que, lorsqu’ils se retrouvent dans une situation menaçante ou effrayante, les gens font une évaluation calculée ou rationnelle des événements de ce qu’ils doivent faire : devraient-ils « figer », ou devraient-ils « s’enfuir », ou encore, « se défendre »? Le processus est beaucoup plus rapide et plus automatique que cela. Cela se produit presque subconsciemment. Lorsqu’elle est menacée, notre capacité de réflexion rationnelle et consciente, qui est présente lors de circonstances normales, est réduite au minimum ou affaiblie.
L’activation des circuits de la défense nuit à la fonction du cortex préfrontal
Le cortex préfrontal est le centre des fonctions exécutives du cerveau. Il intervient dans la gestion de processus cérébraux complexes, comme la raison, la logique, la résolution de problèmes, la planification et la mémoire. Les hormones de stress qui inondent le cerveau peuvent causer une perte rapide et dramatique des capacités cognitives préfrontales, limitant notre capacité de penser, de planifier et de raisonner en présence d’une menace (Arnsten, 2009).
Lorsqu’une personne est menacée, que sa réaction de stress est enclenchée et qu’elle perd temporairement l’usage de ses fonctions d’exécution, cette réaction nuit non seulement aux capacités du cerveau à planifier et à prendre des décisions, mais aussi à sa capacité à organiser les expériences en séquences logiques. Cela signifie que lorsque les gens font face à une menace ou à une agression grave, des régions cérébrales sont activées afin de les aider à survivre à l’expérience, en augmentant les réactions intenses, comme l’hyperexcitation et l’altération de la concentration, tout en diminuant l’activité des structures cérébrales intervenant dans la planification et la stratégie. Ces changements neurologiques expliquent pourquoi les pilotes, les alpinistes, les ambulanciers paramédicaux et le personnel d’urgence des hôpitaux pratiquent de façon répétitive les procédures d’urgence, et qu’ils passent tout de même attentivement en revue les listes des mesures à prendre en cas de crise. Il faut que cela devienne un automatisme pour eux pour qu’ils puissent gérer une situation de crise.
Ces changements dans la prise de décisions et les capacités à développer des stratégies aident à expliquer les raisons pour lesquelles il n’est pas raisonnable de demander à une victime d’expliquer les décisions qu’elle a prises dans le cadre d’une agression sexuelle traumatisante; cela peut être perçu et vécu comme un rejet du blâme sur la victime. La plupart des gens ayant vécu un événement traumatisant et bouleversant ne sont pas au courant des modifications complexes cérébrales et corporelles qu’ils subissent. Ils ne sont pas capables de comprendre leurs propres comportements, qui sont bien souvent déroutants et contre-intuitifs, que ce soit pendant l’événement ou immédiatement après.
Par exemple, une femme a signalé à la police une agression sexuelle perpétrée par un colocataire de sexe masculin qui avait bu et qui était retourné à son appartement en état d’ébriété. Mais celui-ci ayant oublié sa clé s’est mis à frapper à la porte en demandant qu’on le laisse entrer. Lorsqu’elle a été interrogée plus tard par un inspecteur, cette femme a reconnu avoir déverrouillé la porte à ce colocataire qu’elle disait craindre et qui l’avait déjà agressée. Au cours de l’audience préliminaire, l’avocat de la défense lui a demandé pourquoi, si elle avait si peur de cette personne, elle lui avait ouvert la porte plutôt que de simplement appeler le 911. La femme a répondu qu’elle ne savait pas pourquoi elle avait ouvert la porte. Cette réponse a été ridiculisée et contestée par l’avocat de la défense, qui s’en est servi pour miner sa crédibilité.
Le problème, bien sûr, c’est que la victime n’était pas en mesure d’expliquer que son cerveau était gorgé d’hormones de stress et qu’elle était donc incapable de choisir la meilleure façon d’agir. Si la victime avait été interrogée par un détective tenant davantage compte des traumatismes, on lui aurait peut-être posé des questions qui auraient rendu ses altérations neurobiologiques explicites et, par conséquent, qui auraient contribué à expliquer cette réaction contre-intuitive.
Demander aux victimes d’agression sexuelle de justifier et d’expliquer leur comportement peut remettre leur crédibilité en question, parce qu’elles peuvent alors tenter d’expliquer leur comportement qui, lorsqu’il est contesté par la défense, peut exposer des sentiments de honte et de vulnérabilité, exacerbés par un contexte social rejetant le blâme sur la victime. Elles peuvent également faire des déclarations qui semblent incohérentes au sujet de ce qu’elles avaient l’intention de faire. Ce genre de difficultés liées à la preuve peuvent être évitées grâce à des interrogatoires policiers et des poursuites tenant davantage compte des traumatismes.
Modification des fonctions du cerveau et changement des réflexes et des habitudes
À la suite de la réaction immédiate et initiale du cerveau qui fige complètement la personne, cette dernière doit rapidement évaluer d’autres façons de réagir à la menace. Encore une fois, cette appréciation ne se fait pas de manière calme et rationnelle comme on le ferait lorsqu’on soupèse soigneusement tous les facteurs pertinents à l’intérieur d’un choix normal de vie ou de circonstances habituelles. Il s’agit plutôt d’une réaction se produisant en une fraction de seconde, tout juste après l’immobilité forcée; la personne choisit la façon dont elle réagit parmi toutes les autres réponses typiques, fondées sur l’habitude, à des circonstances extrêmes.
Pourquoi il est rare que les victimes d’agression sexuelle se défendent ou prennent la fuite
Ces réactions réflexes, fondées sur l’habitude, dont la « fuite » ou le « combat », sont celles que la plupart des victimes d’agression sexuelle sont les moins susceptibles d’avoir. La plupart des femmes ne sont pas préparées à se défendre efficacement. La plupart des renseignements sur la prévention de la violence sexuelle sont cognitifs et ne comprennent rien sur la façon de se défendre physiquement. Sans cette formation, le cerveau soumis à un grand stress adoptera par défaut un comportement habituel. Les forces policières et les forces armées connaissent l’importance d’une formation soutenue et répétitive pour empêcher les policiers et les soldats de figer en présence d’une menace et pour promouvoir la capacité de prendre des mesures soigneusement planifiées pour une intervention efficace.
En ce qui concerne la plupart des femmes, un autre obstacle à la résistance ou à la défense stratégique et efficace est que les agresseurs sont souvent des hommes qu’elles connaissent (Conroy et Cotter, 2017), des personnes auxquelles elles sont censées faire confiance. Par conséquent, l’expérience est non seulement inquiétante et menaçante, mais aussi profondément troublante et déstabilisante. Dans ces circonstances, les femmes font souvent état d’un éventail varié de réactions émotionnelles et psychologiques intenses, particulièrement au sein de situations où elles sont agressées sexuellement par des hommes qu’elles connaissent.
Comprendre ces réactions psychologiques et neurologiques complexes, mais courantes, à des expériences traumatisantes et menaçantes comme l’agression sexuelle aide à expliquer pourquoi certaines victimes d’agression sexuelle ne vont pas se « défendre », « crier », « s’enfuir » ou passer autrement à l’action de façon attendue, des actions pour lesquelles elles sont jugées ou blâmées par la suite.
Réponses de survie extrêmes : comment réagissent les femmes quand elles constatent qu’il n’y aucune issue
Qu’arrive-t-il à une victime d’agression sexuelle lorsque sa réaction passive consistant à tenter d’apaiser l’agresseur ou à donner des prétextes pour l’éviter ne fonctionne pas? Dans ces circonstances, elle ne consent pas à l’expérience sexuelle non désirée qui s’intensifie, et elle est incapable d’offrir de la résistance parce qu’elle a peur et qu’elle est dépassée par les événements. Ces longues périodes de tension inondent encore plus son cerveau d’hormones de stress et son cortex préfrontal fonctionnel est altéré, de sorte qu’elle est incapable d’établir des stratégies ou de planifier une évasion. Lorsque s’enfuir semble impossible et qu’être agressée, inévitable, les réponses de survie extrêmes prendront la relève (Hopper, 2017).
Ces réactions extrêmes comprennent la dissociation, l’immobilité tonique (paralysie temporaire) et l’immobilité hypotonique (p. ex. s’évanouir). Ces réactions courantes à la menace traumatisante, déclenchées après l’incapacité de bouger initiale, sont décrites ci-dessous.
Dissociation
La dissociation décrit la façon dont le cerveau se protège de la surabondance de stimuli en détachant certains aspects de l’expérience de la conscience. Cela peut comprendre l’oubli de certaines périodes de temps, d’événements, de personnes et de réactions physiques personnelles (à la fois physiques et émotionnelles). Les personnes en état de dissociation mentale ont l’impression d’être coupées d’elles-mêmes et de leurs émotions. Elles ont souvent l’impression que les choses ne sont pas réelles et qu’elles sont incapables de comprendre ce qui se passe. La dissociation peut être un automatisme pour les gens qui ont été traumatisés en bas âge. Les victimes décrivent leur expérience en disant avoir le sentiment d’être sur le pilote automatique. D’autres disent se sentir en transe, dans le brouillard ou dans un rêve, et ne ressentent plus leur corps.
Immobilité tonique
Une personne en état d’immobilité tonique est en état de paralysie involontaire et elle est incapable de bouger ou de parler. Les femmes disent avoir froid et éprouver une rigidité musculaire. Même si elle est paralysée, la personne est pleinement consciente de ce qui lui arrive. Les humains ne peuvent pas contrôler ce mécanisme de défense. Selon une étude récente menée en Scandinavie, les victimes d’agression sexuelle qui ont connu un état d’immobilité tonique extrême étaient deux fois plus susceptibles de souffrir d’un ESPT et trois fois plus susceptibles de souffrir de troubles dépressifs graves à la suite de l’agression (Moller, Sondergaard et Helstrom, 2017). Cette réaction amène souvent les victimes à exprimer leur détresse de ne pas avoir pu bouger ou appeler au secours. De même, certaines victimes peuvent rapidement entrer dans cet état et en sortir, se trouvant paralysées un moment et capables de bouger juste après (Kozlowska et al., 2015).
Immobilité hypotonique
Une personne dans l’état d’immobilité hypotonique subit une chute brusque et radicale de sa fréquence cardiaque et de sa tension artérielle, au point où elle peut se sentir mal ou s’évanouir complètement. Elle perd souvent son tonus musculaire et peut décrire l’impression d’être molle et sans force.
En conclusion, la dissociation, l’immobilité tonique et l’immobilité hypotonique peuvent toutes être le résultat d’une peur extrême et d’une perception de défaite. Pourtant, dans le contexte d’une agression sexuelle, il peut sembler à un observateur non informé que la victime qui a été victime d’immobilité tonique ou hypotonique n’a pas du tout résisté à l’agression. Même s’il est vrai que la victime peut ne pas avoir résisté, c’est peut-être parce qu’elle était incapable d’agir en raison d’une limitation extrême de sa réflexion, de ses mouvements ou de ses actions. Les victimes qui réagissent à ces réactions extrêmes ressentent souvent de la honte et de la confusion et se reprochent d’avoir « échoué » à résister.
Le consentement affirmatif aide à contrer le mythe du viol le plus persistant
Une femme n’a pas besoin de se défendre ou de résister pour prouver qu’elle n’a pas consenti à des relations sexuelles non désirées. La loi canadienne sur les agressions sexuelles n’exige pas de preuve de résistance pour démontrer l’absence de consentement. Néanmoins, dans l’imagination populaire, on attend souvent des femmes qu’elles résistent afin d’avoir la preuve qu’elles ont véritablement été de « réelles » victimes d’agression sexuelle. C’est l’un des mythes les plus courants à propos du viol qu’une « vraie » victime d’agression sexuelle se défendra et criera, et que si elle ne l’a pas fait, elle doit avoir donné son consentement à la relation sexuelle. Cette idée erronée ne comprend tout simplement pas les réactions typiques en présence de la menace sexuelle, de la coercition, de l’intrusion ou de la peur.
Trop souvent, on demande aux victimes d’agression sexuelle « Pourquoi n’avez-vous pas simplement riposté, crié, lutté ou fui? » Celles qui ont figé (immobilité tonique) lors d’une agression sexuelle pourraient alors être bien plus enclines à se blâmer (« Pourquoi suis-je juste restée étendue là ? »). Ces réactions en apparence passives de la part de certaines victimes d’agression sexuelle peuvent rendre perplexes ceux qui ne comprennent pas la neurobiologie du traumatisme ou de la socialisation sexuelle. En fait, les circuits de la défense du cerveau font souvent en sorte que l’être humain ne puisse pas bouger en présence de danger. Il s’agit d’une réaction normale à une menace. C’est la façon qu’a le cerveau de nous préparer aux prochaines étapes de l’action guidée par les réflexes.
Nous avons tous été pris au dépourvu par une situation troublante ou traumatisante. Imaginez cette même expérience en y incluant une personne plus forte, une situation qui suscite aussi la peur et le danger et le sentiment d’une menace imminente, combinée à un sentiment de vulnérabilité et d’impuissance.
Les personnes possédant un sentiment d’auto-efficacité, de pouvoir personnel et d’autorité ont de la difficulté à imaginer de telles circonstances. Mais les femmes qui se trouvent dans des situations intimes avec des hommes qu’elles croient dignes de confiance exactement le genre de situations dans lesquelles les recherchesNote de bas de page 6 ont démontré que la plupart des agressions sexuelles ont lieu peuvent se sentir impuissantes parce qu’elles sont déstabilisées par la trahison inattendue, ou qu’elles sont intellectuellement restreintes en raison d’une capacité cognitive altérée, ou physiquement restreintes en raison de réactions neurobiologiques. Ces réactions complexes sont souvent caractéristiques du contexte.
Conclusion : nécessité d’une formation spécialisée pour comprendre la neurobiologie du traumatisme
Le grand public, le système de justice pénale et même les victimes comprennent souvent mal les réactions neurobiologiques dans les cas de menace et d’événements traumatisants. Les victimes ne peuvent pas expliquer bon nombre des réactions qu’elles ont ressenties et elles ne comprennent pas non plus leurs propres réflexes et mécanismes pour composer avec l’agression. Les victimes d’agression sexuelle trouvent souvent ces réactions extrêmement effrayantes et déstabilisantes, et elles se reprochent souvent de ces réactions.
Le sentiment de culpabilité et le manque d’information à propos de ces réactions cérébrales naturelles font en sorte que de nombreuses victimes ne signalent pas leur agression sexuelle à la police ou ne cherchent pas à contacter les services d’aide. De nombreux policiers ne comprennent pas ces réactions non plus et peuvent répondre, verbalement ou non (par exemple, par leur langage corporel) d’une manière qui exprime l’incrédulité, minant ainsi l’enquête. En cour, la crédibilité des victimes est souvent diminuée lorsque les avocats qualifient, remettent en question et contestent ces comportements apparemment contre-intuitifs (Craig, 2018).
Il est essentiel que les membres de l’ensemble du système de justice pénale reçoivent une formation spécialisée afin de comprendre la neurobiologie du traumatisme, les circuits de la peur et les types d’habitudes et de réflexes fréquents chez les victimes d’agression sexuelle. Exposer les juges des faits à ces renseignements leur permettra ensuite de déterminer les faits de façon plus impartiale et de prendre des décisions plus éclairées.
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