Vue d'ensemble des risques et des facteurs de protection pour les enfants touchés par la séparation et le divorce
2. Lien Entre Le Divorce et L'Adaptation des Enfants
Le divorce engendre des changements et des sources de stress considérables pour les enfants (p. ex. : diminution du niveau de vie, changement de type de famille, relations moins suivies avec un des parents, conflits interparentaux). Le divorce occupe une place de choix parmi les sources de stress qui affectent les enfants de nos jours (Hetherington, Bridges et Insabella, 1998; Lengua et coll., 2000). Ce qui fait qu'au cours des cinquante dernières années, on a mené de nombreuses études rétrospectives et prospectives visant à déceler les effets néfastes possibles du divorce sur l'adaptation des enfants. Ce qui suit donne un aperçu des conclusions de ces études.
2.1 Études rétrospectives
De nombreuses études ont fait des comparaisons rétrospectives d'enfants de parents divorcés et mariés afin d'examiner les incidences du divorce sur le bien-être de l'enfant (voir Stewart, 2001, pour obtenir un compte rendu détaillé de ces travaux). Mais ces études ainsi que l'examen qualitatif des travaux de recherche ont donné des résultats incompatibles. Des études et des analyses de la documentation ont conclu que le degré de bien-être des enfants des familles touchées par un divorce était moins élevé que celui des enfants des familles intactes, et ce, à différents égards (p. ex. l'adaptation sociale et affective) (Hetherington, 1981; Krantz, 1988; Peterson et Zill, 1986). D'autres études et analyses ne sont pas parvenues à des résultats significatifs et en ont déduit que la plupart des enfants se remettent du divorce et que ses conséquences néfastes à long terme n'affectent qu'une minorité (Edwards, 1987). Pour sa part, Emery (1988) a conclu que même si le divorce est associé à un certain nombre de conséquences néfastes pour l'enfant, les problèmes graves ne sont pas surreprésentés de façon nette parmi les familles touchées par un divorce.
Afin de dissiper la confusion soulevée par les résultats de recherche et leur nature contradictoire, Amato et Keith (1991a) ont effectué une méta-analyse visant à mesurer les incidences du divorce des parents sur le bien-être des enfants et des adolescents. À l'aide de 92 études menées avant 1991 auprès de plus de 13 000 enfants, la méta-analyse s'est attardée sur huit des conséquences du divorce sur le bien-être de l'enfant qui ont fait l'objet du plus grand nombre d'études et d'analyses, à savoir les résultats scolaires (tests de rendement normalisés, notes obtenues, évaluations de l'enseignant et intelligence), le comportement social (écarts de conduite, comportement agressif et délinquance), l'adaptation psychologique (dépression, angoisse et bonheur), l'image de soi (estime de soi, perception de la compétence et source de contrôle interne), l'adaptation sociale (popularité, solitude et esprit d'équipe), la relation mère-enfant (affection, aide et qualité de l'interaction), la relation père-enfant (affection, aide et qualité de l'interaction) et autres conséquences.
La méta-analyse a révélé deux tendances importantes. Premièrement, le degré de bien-être des enfants des familles touchées par un divorce était moins élevé que celui des enfants des familles intactes. En fait, plus des deux tiers des études prises en compte dans la méta-analyse en arrivaient à cette constatation. Deuxièmement, bien que les différences entre les enfants des deux types de famille étaient statistiquement significatives, leur importance (la valeur de l'effet) était minime. Plus particulièrement, pour chacun des huit indices de mesure des conséquences utilisés, l'écart type des enfants des familles touchées par un divorce était de un cinquième à un huitième en deçà des résultats obtenus auprès des enfants des familles intactes. La valeur moyenne de l'effet la plus forte (la valeur de l'effet se mesure en écarts types et se rapporte à l'ordre de grandeur d'une association entre deux variables) touchait la relation père-enfant (- 0,26) et le comportement social (- 0,23), tandis que la valeur la plus faible qui comptait statistiquement se rapportait à l'adaptation psychologique (- 0,08) et à l'image de soi (- 0,09) (Amato et Keith, 1991a). Ces résultats indiquent que le stress associé au divorce pourrait se manifester davantage dans la relation des enfants avec leur père et dans leur comportement social, et avoir moins d'incidences sur leur adaptation psychologique et leur image de soi. Il est également intéressant de noter que ces différences en matière d'adaptation sont observées non seulement à court terme, mais qu'elles peuvent aussi se prolonger dans la vie adulte et influencer les nouvelles générations d'enfants (Kiernan et Hobcraft, 1997; Kiernan et Mueller, 1998; O'Connor et coll., 1999; Rodgers et Pryor, 1998). Dans une deuxième méta-analyse qui comparait l'adaptation des adultes ayant grandi dans des familles touchées par un divorce à l'adaptation de ceux qui provenaient de familles intactes, on a constaté que la valeur de l'effet était plus forte mais toujours modérée (Amato et Keith, 1991b).
Pourquoi les différentes études arrivent-elles à des résultats divergents au chapitre des effets du divorce sur le bien-être de l'enfant? Pour répondre à cette question, Amato et Keith (1991a) ont eu recours à des techniques méta-analytiques de façon à faire ressortir les caractéristiques expliquant les variations dans la valeur de l'effet. Premièrement, ils ont découvert que, dans les études méthodologiquement plus rigoureuses (p. ex. celles qui utilisaient des échantillons dans la population en général, des variables de contrôle ou des échantillons de grande taille), les différences étaient moins marquées entre les enfants touchés par un divorce et les enfants des familles intactes, et que les études méthodologiquement moins rigoureuses pouvaient surestimer les effets du divorce sur les enfants. Deuxièmement, la méta-analyse a révélé que la valeur de l'effet fondée sur les rapports faits par les parents était moins forte que celle fondée sur d'autres sources. Cela indique que les parents divorcés (généralement les mères) pourraient sous-estimer les problèmes de leurs enfants et que les chercheurs et cliniciens ne devraient pas se fier uniquement aux rapports des parents concernant le fonctionnement de leur enfant.
Même si les travaux de recherche laissent souvent entendre que le divorce a des conséquences plus néfastes pour les garçons que pour les filles (Hetherington, Cox et Cox, 1982; Wallerstein et Kelly, 1980), la méta-analyse indiquait qu'en règle générale, la réaction des garçons et des filles au divorce de leurs parents diffère peu. L'exception à cette règle était que les garçons des familles touchées par un divorce éprouvent plus de difficultés à s'adapter socialement que les filles. L'âge de l'enfant était un quatrième facteur considéré comme étroitement lié à la valeur de l'effet touchant l'adaptation psychologique, l'adaptation sociale, la relation mère-enfant et la relation père-enfant. La valeur de l'effet était la plus forte parmi les enfants allant à l'école primaire et secondaire et la plus faible parmi les enfants ayant l'âge d'aller au collège (Amato et Keith, 1991a). Enfin, sur la foi d'études longitudinales (Hetherington, Cox et Cox, 1982), on avait émis l'hypothèse que la valeur de l'effet serait plus forte dans les études effectuées peu après le divorce. Les résultats de la méta-analyse indiquaient que cette hypothèse se confirmait seulement par rapport aux problèmes de comportement social. Ainsi, comparativement aux enfants dont les parents étaient divorcés depuis plus de deux ans, les enfants dont les parents étaient divorcés depuis deux ans ou moins avaient plus de problèmes de comportement social. Ce résultat démontre que les problèmes de comportement social s'estompent avec le temps (Amato et Keith,1991a).
Bon nombre d'études menées depuis 1990 ont rapporté que les enfants des familles touchées par un divorce obtenaient des scores inférieurs aux enfants des familles intactes à bien des égards (p. ex. : résultats scolaires, comportement social, adaptation psychologique, image de soi et adaptation sociale) à la suite de la séparation de leurs parents (Amato, 2000; Juby et Farrington, 2001). La valeur de l'effet minime rapportée dans la méta-analyse d'Amato et Keith (1991a), où la valeur de l'effet moyenne est de 0,18, semble d'ailleurs correspondre aux valeurs établies dans les études menées dans les années 1990 (valeur de l'effet moyenne de 0,19) (Amato, 2000).
La mesure des conséquences pour les enfants se fait habituellement sur une échelle continue, mais les résultats obtenus de façon dichotomique dressent un portrait similaire. Par exemple, les études d'échantillons représentatifs de l'ensemble de la population américaine indiquent que les enfants des familles touchées par un divorce sont environ deux fois plus portées à recevoir une aide psychologique que les enfants des familles intactes (Zill, Morrison et Coiro, 1993). McLanahan et Sandefur (1994) ont analysé les données tirées de cinq sondages nationaux différents menés auprès d'enfants et de familles. Ces analyses ont révélé que le risque de décrochage scolaire et de grossesse à l'adolescence était environ deux fois plus élevé chez les enfants des familles touchées par un divorce que chez les enfants des familles intactes.
Même si ces données indiquent que le divorce représente un facteur de risque associé à divers problèmes psychologiques chez les enfants, ces mêmes données soulignent que bien des enfants se remettent du stress associé au divorce des parents. Bien que les enfants américains de 12 à 16 ans issus des familles touchées par un divorce soient deux fois plus portés à recevoir une aide psychologique (21 %) que les enfants des familles intactes (11 %) (Zill, Morrison et Coiro, 1993), il n'empêche que 79 % de ces enfants ont vécu le divorce de leurs parents sans recourir à une aide psychologique. De même, la plupart des enfants qui ont vécu la séparation de leurs parents n'abandonnent pas l'école secondaire et la plupart des adolescentes ne tombent pas enceintes.
2.2 Études prospectives
Les études longitudinales dites prospectives abordent les effets du divorce sur le bien-être des enfants sous un autre angle. Les études rétrospectives établissent des corrélations entre le divorce des parents et la mésadaptation des enfants. Les études longitudinales nous rappellent que la corrélation et la causalité sont deux choses différentes. Ainsi, la mésadaptation des enfants touchés par un divorce pourraient ne pas être uniquement due à la séparation des parents. Si l'on tient compte du fait que le divorce est l'aboutissement d'un processus marqué par l'insatisfaction, le chagrin et les conflits, les problèmes d'adaptation de l'enfant pourraient aussi bien être influencés par des facteurs qui étaient présents avant le divorce. En fait, les études longitudinales de Cherlin et coll. (1991) ont démontré que même si les enfants des familles touchées par un divorce éprouvaient plus de problèmes de comportement que les enfants des familles intactes, ces problèmes étaient déjà présents avant le divorce, du moins chez les garçons. Amato et Booth (1996) ont également constaté que les problèmes dans les relations parents-enfants (dont ceux rapportés par les parents qui disaient que leurs enfants leur causaient bien des soucis) étaient déjà présents 8 à 12 ans avant la séparation des parents. On a obtenu des résultats similaires au chapitre de l'intériorisation et de l'extériorisation des problèmes, des compétences sociales, de l'estime de soi et de la toxicomanie à l'adolescence (Aseltine, 1996; Doherty et Needle, 1991; Hetherington, 1999). À la lumière de ces constatations, Cherlin et coll. (1991) ont émis l'hypothèse que les différences observées entre les enfants des familles touchées par un divorce et ceux des familles intactes étaient dues à trois sources :
- grandir dans une famille dysfonctionnelle marquée par des problèmes dans la relation de couple;
- être témoins de conflits conjugaux prolongés; et
- devoir s'adapter à divers changements à la suite du divorce, comme l'instabilité économique, la diminution du rôle parental et la diminution des contacts avec le parent non gardien.
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