Vue d'ensemble des risques et des facteurs de protection pour les enfants touchés par la séparation et le divorce

3. Association Entre Les Composantes du Divorce et L'Adaptation des Enfants

Dans la partie 2, nous avons vu que, même si la plupart des enfants surmontent le stress associé au divorce de leurs parents, les enfants des familles touchées par un divorce courent un risque plus grand d'éprouver des problèmes d'adaptation.  Dans la présente partie, nous examinons quatre composantes du divorce susceptibles d'augmenter ce risque chez les enfants touchés par un divorce, soit :

3.1  Absence du parent qui n'a pas la garde

Les parents jouent un rôle important auprès des enfants en raison de l'attention, de l'appui et de l'amour qu'ils manifestent à leur endroit et de la supervision qu'ils exercent.  Sauf qu'à la suite d'un divorce, les enfants ont moins de contact avec le parent non gardien, généralement le père.  Une étude à grande échelle menée aux États-Unis a permis de constater que, au cours des cinq années précédentes, 23 % des pères n'avaient eu aucun contact avec leurs enfants et que 20 % n'avaient pas vu leurs enfants depuis un an (Furstenberg et Nord, 1985).  Les chiffres se rapportant aux enfants canadiens sont légèrement inférieurs (Marcil-Gratton et Le Bourdais, 1999).  Une seconde étude américaine a révélé qu'environ le tiers des pères n'avaient pas vu leurs enfants ou ne les avaient vus qu'une fois dans l'année précédente, qu'environ quatre pères sur dix avaient vu leurs enfants de quelques fois dans l'année à quelques fois par mois, et que le quart avaient vu leurs enfants une fois par semaine ou plus (Seltzer, 1991).  Marcil-Gratton et Le Bourdais (1999) ont constaté que le type d'union des parents avant leur séparation avait une influence sur la fréquence des contacts père-enfant après le divorce.  Ainsi, les parents non gardiens qui étaient conjoints de fait avant la séparation avaient moins de relations avec leurs enfants que ceux qui avaient été mariés (21 % et 11 % respectivement).  L'âge des enfants au moment de la séparation est aussi considéré comme un facteur important dans les relations père-enfant.  Ainsi, les contacts étaient plus fréquents quand les enfants étaient plus vieux au moment de la séparation (Le Bourdais, Juby et Marcil-Gratton, 2001).

La diminution des relations avec le parent non gardien expliquerait-elle les problèmes d'adaptation de certains enfants touchés par un divorce?  Les études empiriques sont parvenues à des conclusions incompatibles qui, en règle générale, ne répondent pas dans l'affirmative à cette question.  Certains chercheurs n'ont établi aucune relation entre la fréquence des visites et ses conséquences pour l'enfant (McLanahan et Sandefur, 1994).  D'autres ont établi que les contacts fréquents avec le parent non gardien sont associés à une meilleure adaptation, mais seulement quand le niveau de conflits interparentaux est peu élevé (Kelly, 2000; Wallerstein et Kelly, 1980).

Amato et Keith (1991a) soutenaient que s'il y avait un lien entre la diminution des contacts avec le parent qui n'a pas la garde et les problèmes d'adaptation de l'enfant, la situation des enfants touchés par un divorce devrait être similaire à celle des enfants ayant vécu la mort d'un parent.  Pour vérifier le bien-fondé de leurs dires, les chercheurs ont regroupé les résultats tirés de 23 études menées auprès d'enfants qui avaient vécu la mort d'un parent ainsi que d'enfants de familles intactes ou touchées par un divorce.  Les résultats de la méta-analyse indiquaient que les enfants ayant vécu la mort d'un parent avaient des résultats scolaires beaucoup moins bons et éprouvaient plus de problèmes liés au comportement social, à l'adaptation psychologique et à l'image de soi que les enfants des familles intactes.  Cependant, les enfants ayant vécu la mort d'un parent avaient de bien meilleurs résultats scolaires et avaient moins de problèmes de comportement social que les enfants des familles touchées par un divorce.  En outre, le regroupement de tous les indices de mesure des conséquences pour les enfants a permis de constater que ceux ayant vécu la mort d'un parent s'adaptaient moins bien en général que ceux des familles intactes, mais qu'ils fonctionnaient mieux que les enfants dont les parents avaient divorcé.

Tel que mentionné précédemment, les travaux de recherche ne font pas vraiment de lien entre la fréquence des visites paternelles et le bien-être de l'enfant.  Bien que les chercheurs utilisent la fréquence des visites comme indicateur de la qualité générale de la relation père-enfant, les théoriciens des relations considèrent cette association comme problématique.  Ainsi, la fréquence des contacts paternels est une condition nécessaire mais non suffisante à l'établissement d'une relation étroite entre un père et son enfant.  En tenant compte de cette assertion théorique, Amato et Gilbreth (1999) ont effectué récemment une méta-analyse afin d'examiner l'association entre quatre volets de l'engagement du père (la fréquence des visites, le paiement des pensions alimentaires, le sentiment d'attachement et l'exercice de l'autorité parentale) en ce qui a trait à l'adaptation de l'enfant.  Les résultats de la méta-analyse cadraient avec les études précédentes en ce sens qu'en général les enfants ne semblent pas tirer avantage des visites fréquentes de leur père.  En fait, ce que le père fait avec son enfant quand il le voit a beaucoup plus d'importance que la fréquence des visites.  Par exemple, on a constaté que le paiement des pensions alimentaires, le sentiment d'attachement et l'exercice de l'autorité parentale étaient tous liés de près à des conséquences positives pour l'enfant, l'exercice de l'autorité parentale étant considéré comme la variable prédictive la plus cohérente au sujet des conséquences pour l'enfant.

Pour résumer, les chercheurs ne font pas vraiment de lien entre l'absence du parent qui n'a pas la garde ou la fréquence des visites et le bien-être de l'enfant, tout en soulignant que d'autres éléments qui ont un effet sur le bien-être de l'enfant doivent se trouver au sein des familles touchées par un divorce.

3.2 Relations parents-enfants difficiles

Bon nombre d'études n'ont cessé de rapporter qu'en règle générale les relations entre les parents et les enfants des familles touchées par un divorce sont moins positives que les relations entre les parents et les enfants des familles intactes (Amato et Keith, 1991a; Hetherington, 1989, 1993).  Par exemple, les données recueillies indiquent que le divorce est associé à une baisse marquée du rôle parental (p. ex. : mauvaise communication, marques d'affection irrégulières, discipline incohérente et degré de surveillance moindre) (Peterson et Zill, 1986; Simons et coll., 1999).  En outre, tel que mentionné précédemment, les études prospectives indiquent que les problèmes observés dans les relations parents-enfants des familles touchées par un divorce étaient déjà présents avant le divorce des parents (Amato et Booth, 1996), ce qui laisse entendre que le stress lié aux problèmes conjugaux a une influence indirecte sur les relations parents-enfants avant et après le divorce des parents.

Dans le cadre d'une étude d'envergure nationale menée auprès de 1 147 enfants américains de familles intactes ou touchées par un divorce, on a interviewé ces enfants au sujet de leur relation avec leurs parents à deux reprises (Zill, Morrison et Coiro, 1993), soit quand ils avaient entre 12 et 16 ans (1re fois), et quand ils avaient entre 18 et 22 ans (2e fois).  Sur les 1 147 enfants, 240 avaient vécu le divorce de leurs parents à un âge moyen de six ans.  La relation parents-enfants était considérée comme « mauvaise » quand l'enfant répondait dans l'affirmative à aucun ou à un seul des énoncés suivants : 1) impression d'être proche du parent; 2) impression de recevoir suffisamment d'affection du parent; 3) désir de ressembler au parent; 4) impression de faire des choses qu'il aime avec le parent.  La 2e  fois, ce dernier énoncé était remplacé par une affirmation visant à déterminer jusqu'à quel point le jeune pouvait partager des idées ou parler avec le parent.

L'étude a révélé que 32 % des enfants touchés par un divorce considéraient avoir une mauvaise relation avec leur père la 1re fois et 65 % la 2e fois.  Par contre, 14 % des enfants des familles intactes considéraient avoir une mauvaise relation avec leur père la 1re fois et 29 % la 2e fois (Zill, Morrison et Coiro, 1993).  Au chapitre de la relation mère-enfant, seulement 8 % des jeunes la considéraient comme mauvaise la 1re fois, et ce, dans les deux groupes.  Cependant, le nombre d'enfants touchés par un divorce qui considéraient avoir une mauvaise relation avec leur mère était sensiblement plus élevé la 2e fois.  En effet, 25 % des enfants de ce groupe considéraient avoir une mauvaise relation avec leur mère, comparativement à 18 % des enfants des familles intactes (Zill, Morrison et Coiro, 1993).  Une fois regroupées, ces données indiquent qu'en moyenne la relation père-enfant dans les familles touchées par un divorce est sensiblement plus mauvaise que la relation mère-enfant.  En outre, le nombre plus élevé de jeunes qui considéraient avoir une mauvaise relation avec leurs parents plus tard dans leur vie indique que le divorce peut exacerber les difficultés normatives des relations parents-enfants (Emery, 1999).

Un certain nombre d'études ont établi un lien entre les relations parents-enfants difficiles et l'intériorisation et l'extériorisation accrues des problèmes parmi les enfants touchés par un divorce (Lengua et coll., 2000).  En outre, un programme d'intervention visant à rehausser le rôle parental a révélé qu'en mettant davantage l'accent sur une discipline conséquente et sur les aspects positifs de la relation mère-enfant, les enfants s'adaptent mieux à la suite d'un divorce (Lengua et coll., 2000; Martinez et Forgatch, 2001).  Ainsi, les données empiriques donnent à penser que le risque accru de mauvaises relations parents-enfants et d'une diminution du rôle parental représente une autre source de stress pour les enfants des familles touchées par un divorce.

3.3 Désavantage économique

Selon des données américaines, en 1994, 52 % des enfants habitant avec une mère célibataire vivaient sous le seuil de la pauvreté, comparativement à 24 % des enfants vivant avec un père célibataire et à 11 % des enfants vivant avec leurs deux parents (Emery, 1999).  La situation des parents divorcés étant meilleure que celle des parents qui n'ont jamais été mariés, 38 % des enfants habitant avec leur mère divorcée vivaient sous le seuil de la pauvreté en 1994, comparativement à 15 % des enfants vivant avec leur père divorcé (Emery, 1999).  En outre, les données longitudinales révèlent que le niveau de vie des femmes et des enfants diminue d'environ 10 % au cours de la première année suivant un divorce (Emery, 1999).  Ces données démontrent que l'état matrimonial, qui est souvent associé au divorce des parents, est une variable prédictive efficace de la pauvreté infantile.

La diminution du revenu familial à la suite d'un divorce peut affecter indirectement les enfants de bien des façons.  Par exemple, les enfants peuvent être obligés de déménager dans un quartier plus modeste et ainsi perdre contact avec leurs amis et leurs soutiens habituels dans leur ancien quartier, se retrouver dans une école qui laisse plus à désirer et subir l'influence de groupes de copains moins recommandables.  En outre, moins d'argent pourrait être mis à leur disposition pour se procurer des livres, des ordinateurs ou les services d'un tuteur, ce qui peut nuire à leurs résultats scolaires.  Les parents gardiens peuvent être aussi obligés de se trouver un emploi ou de travailler plus longtemps pour subvenir aux besoins de leur famille.  Les préoccupations financières qui dorénavant les assaillent et les responsabilités plus grandes qu'ils doivent assumer comme chefs de famille monoparentale risquent de diminuer sensiblement leur rôle parental.  Toutes les sources de stress précitées peuvent affecter le bien-être des enfants et tous les changements signalés peuvent être dus à l'instabilité économique découlant du divorce.

Pris sous l'angle du désavantage économique, les problèmes d'adaptation des enfants à la suite de la séparation de leurs parents seraient dus à une diminution de leur niveau de vie.  Cette hypothèse se confirmerait si peu de différence était observée entre les enfants des familles touchées par un divorce et ceux des familles intactes après le contrôle statistique du revenu.  Pour vérifier cette hypothèse, il faudrait comparer le degré de bien-être des deux groupes d'enfants avant et après le contrôle du revenu familial.  Une telle étude a déjà été faite et allait dans le sens de l'hypothèse en établissant que les différences entre les enfants liées à l'état matrimonial des parents étaient réduites de moitié une fois le revenu pris en compte (McLanahan et Sandefur, 1994).  Une deuxième étude a révélé que lorsqu'on comparait les enfants des familles touchées par un divorce aux enfants des familles intactes, et ce, sans contrôle du revenu, les premiers obtenaient des scores bien inférieurs aux seconds pour 27 des 34 indices de mesure.  Par contre, quand le revenu était statistiquement pris en compte, les différences notables entre les deux groupes d'enfants ne touchaient plus que 13 indices de mesure au lieu de 27 (Guidubaldi, Perry et Nastasi, 1987).  Une étude plus récente (Clarke-Stewart et coll., 2000) a permis de constater qu'entre les enfants vivant avec un ou deux parents, les différences dans l'évaluation des aptitudes cognitives et sociales, des problèmes de comportement et de la sécurité affective étaient moins marquées quand on tenait compte du revenu familial (et de l'éducation de la mère, qui est habituellement associée au revenu).  De plus, la recherche a toujours établi un lien important entre le paiement de la pension alimentaire par le père et les conséquences positives pour l'enfant après le divorce des parents (Amato et Gilbreth, 1999).

Nous pouvons donc conclure qu'il existe amplement de preuves que le divorce s'accompagne habituellement d'une diminution du pouvoir d'achat de la famille (Amato et Keith, 1991a; Emery, 1999) et que les difficultés financières jouent un certain rôle dans les problèmes d'adaptation d'enfants de parents divorcés.  Cependant, ces mêmes preuves indiquent que les enfants des familles touchées par un divorce continuent d'obtenir de moins bons résultats associés à divers indices de mesure du degré de bien-être que les enfants des familles intactes, même quand on tient compte du revenu familial.  Ainsi, le désavantage économique explique certains écarts sans pour autant être l'unique facteur entrant en jeu pour expliquer les incidences du divorce chez les enfants.

3.4  Conflits parentaux

Les deux perspectives dont il a été question jusqu'ici tiennent compte de « facteurs postérieurs au divorce », c'est-à-dire qu'à la suite d'un divorce, les enfants peuvent avoir de plus mauvaises relations avec leurs parents, avoir moins de contacts avec le parent non gardien et subir les effets d'une baisse de leur niveau de vie.  Les données empiriques indiquent que ces trois sources de stress postérieures au divorce peuvent avoir un effet néfaste sur le bien-être de l'enfant.  Cependant, les études longitudinales démontrent qu'une partie des problèmes d'adaptation observés chez les enfants touchés par un divorce peuvent être attribuables à des « facteurs antérieurs au divorce », comme les conflits interparentaux (Cherlin et coll., 1991).

Les chercheurs croient que les conflits interparentaux constituent l'un des principaux facteurs associés aux problèmes d'adaptation des enfants touchés par un divorce (Long et coll., 1988).  L'influence des conflits interparentaux repose sur deux hypothèses distinctes : 1) que les problèmes d'adaptation des enfants touchés par un divorce ne seraient pas dus au divorce comme tel, mais plutôt aux conflits interparentaux dont ils étaient témoins avant le divorce; 2) que le bien-être de l'enfant est inversement lié aux conflits interparentaux présents à la suite du divorce.  Des données empiriques appuient-elles ces deux hypothèses, sinon l'une d'elle?

3.4.1 Conflits antérieurs au divorce

Une étude menée par Amato, Loomis et Booth (1995) estimait à 30 % le nombre de divorces associés à la présence de conflits conjugaux graves avant le divorce (p. ex. : mésentente fréquente, querelles sérieuses, violence verbale et physique).  Si les problèmes d'adaptation des enfants étaient dus aux conflits interparentaux précédant le divorce plutôt qu'au divorce comme tel, comme le veut l'hypothèse, l'adaptation des enfants des familles touchées par un divorce devrait être similaire à celle des enfants des familles intactes mais fortement conflictuelles.  Autrement dit, les conflits interparentaux seraient un facteur de risque lié aux problèmes d'adaptation des enfants, et ce, peu importe l'état matrimonial des parents.  Bien des études ont fondé cette hypothèse.  Par exemple, Camara et Resnick (1988) ont constaté que l'état matrimonial (parents divorcés ou mariés) était étroitement lié à cinq indices de mesure des conséquences du divorce sur le bien-être des enfants, jusqu'à ce que des indices de mesure des conflits soient pris en compte dans l'équation de régression.  Une fois cela fait, l'état matrimonial n'était plus étroitement lié à l'une ou l'autre des conséquences du divorce sur le bien-être de l'enfant.  Dans une des premières études mentionnant que les conflits conjugaux préexistants pourraient expliquer les effets néfastes du divorce chez les enfants, Block, Block et Gjerde (1986) ont constaté que les enfants dont les parents ont fini par divorcer avaient des problèmes de comportement avant le divorce.

Amato et Keith (1991a) ont cherché à confirmer l'hypothèse liée à la présence de conflits avant le divorce en procédant à une méta-analyse de huit études qui permettait de faire une comparaison entre les enfants de familles intactes faiblement conflictuelles, de familles intactes fortement conflictuelles et de familles touchées par un divorce.  La méta-analyse a révélé que les notes obtenues par les enfants des familles intactes fortement conflictuelles, lors de la mesure de leur degré de bien-être, étaient de loin inférieures à celles des enfants des familles intactes faiblement conflictuelles.  La valeur de l'effet entre ces deux groupes était substantielle au chapitre du comportement social (valeur de l'effet moyenne : - 0,60), de l'adaptation psychologique (- 0,68) et de l'image de soi (- 0,59).  En outre, les enfants des familles intactes fortement conflictuelles avaient même des indices bien inférieurs à ceux des enfants touchés par un divorce au chapitre de l'adaptation psychologique (- 0,31) et de l'image de soi (- 0,35).  Le regroupement de tous les indices aux fins de calcul d'une valeur de l'effet globale a permis de constater que l'écart type des enfants des familles intactes fortement conflictuelles était de - 0,32 par rapport aux enfants des familles intactes faiblement conflictuelles et de - 0,12 par rapport aux enfants des familles touchées par un divorce.  Ces résultats concordent avec ceux d'une étude récente portant sur les taux de délinquance chez les garçons provenant de familles intactes ou touchées par un divorce et fortement conflictuelles (Juby et Farrington, 2001), ce qui laisse entendre que les conflits parentaux constituent une facteur de risque lié aux problèmes d'adaptation des enfants aussi bien dans les familles touchées par un divorce que dans les familles intactes.

Si les conflits parentaux sont néfastes pour les enfants, ceux-ci s'adaptent-ils mieux quand un mariage fortement conflictuel est dissous?  Après le contrôle de l'âge, du sexe, de la race et de la scolarité des parents ainsi que de l'âge et du sexe des enfants, une étude a établi que les enfants des familles fortement conflictuelles dont les parents s'étaient séparés s'en tiraient mieux dans leur vie adulte que ceux dont les parents étaient restés ensemble (Amato, Loomis et Booth, 1995).  Une étude plus récente, qui se fondait sur l'ensemble des données de l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes, a tenté de savoir si la dissolution des mariages fortement conflictuels avait un effet bénéfique sur les enfants (Morrison et Coiro, 1999).  L'étude portait sur 137 enfants de familles conflictuelles, dont l'âge moyen était de six ans.  Elle a permis de révéler que 10 % des mariages liés à cet échantillon étaient fortement conflictuels.  Les résultats démontraient que les enfants des familles fortement conflictuelles avaient davantage de problèmes de comportement et que ces problèmes augmentaient à la suite de la séparation des parents, peu importe le niveau de conflit avant le divorce.  La plus forte augmentation des problèmes de comportement se retrouvait cependant chez les enfants dont les parents restaient ensemble malgré leurs nombreuses disputes.  Autre constatation, on n'a signalé aucune diminution des problèmes de comportement chez les enfants des familles fortement conflictuelles après la séparation des parents.  Une interprétation possible de cette constatation est que les effets positifs du divorce ne s'étaient pas encore fait sentir en raison du peu de temps écoulé entre le moment de l'étude et le divorce.

L'ensemble des résultats obtenus indique que le degré de bien-être des enfants des familles intactes fortement conflictuelles est moins élevé que celui des enfants des familles touchées par un divorce.  Ainsi, les conflits interparentaux constituent une variable prédictive majeure des problèmes d'adaptation chez l'enfant de même qu'un facteur de risque en ce sens, et ce, sans égard au type de famille.

3.4.2 Conflits postérieurs au divorce

Tel que mentionné précédemment, la deuxième hypothèse au sujet des conflits interparentaux est que le bien-être des enfants est inversement lié au niveau de conflits interparentaux qui persiste après le divorce.  Ces conflits portent habituellement sur la garde de l'enfant, le droit de visite et le soutien financier.  Plusieurs études ont rapporté des données qui allaient dans le sens de cette hypothèse.

Johnston, Kline et Tschann (1989) ont constaté que l'enfant s'adaptait mieux quand il y avait moins de conflits et une plus grande coopération parentale à la suite du divorce que quand il y avait autant ou davantage de conflits et peu de coopération parentale.  Guidubaldi, Perry et Nastasi (1987) ont pour leur part noté que les garçons s'adaptaient mieux quand le divorce entraînait une diminution des conflits parentaux.  Long et coll. (1988) se sont aussi penchés sur le lien entre les changements dans les conflits interparentaux à la suite d'un divorce et l'adaptation des adolescents.  L'échantillon utilisé regroupait des adolescents de familles intactes, des adolescents qui avaient rapporté un niveau élevé de conflits interparentaux avant et après le divorce (le groupe touché par de forts conflits permanents) et des adolescents qui avaient rapporté un niveau élevé de conflits interparentaux avant le divorce mais non après (le groupe touché par des conflits restreints).  La plupart des adolescents interrogés étant des garçons, on s'est demandé si les conclusions de l'étude pouvaient s'appliquer aussi aux filles.  Quoi qu'il en soit, ces conclusions indiquaient que les adolescents du groupe touché par des conflits restreints ne s'écartaient pas trop des adolescents des familles intactes sur le plan des résultats scolaires ou des signes d'angoisse et du comportement de retrait.  Cependant, les résultats obtenus auprès des adolescents du groupe touché par de forts conflits permanents indiquaient qu'ils avaient de bien moins bons résultats scolaires et beaucoup plus de signes d'angoisse et un comportement de retrait que les adolescents du groupe touché par des conflits restreints et les adolescents des familles intactes.

Dans une étude précédente, Johnston, Gonzales et Campbell (1987) ont examiné les répercussions des querelles concernant la garde sur le bien-être des enfants.  L'échantillon utilisé regroupait 56 enfants de 4 à 12 ans dont on avait évalué le degré de bien-être au moment des querelles concernant la garde et deux ans et demie plus tard.  La moitié des parents de ces enfants avaient été mêlés à des querelles incessantes qui s'étaient prolongées sur un certain nombre d'années, ce qui faisait que leur divorce était considéré comme fortement conflictuel.  Les résultats de cette étude ont démontré que les enfants faisant l'objet de querelles à propos de la garde et du droit de visite étaient plus portés à montrer des signes de dépression et de retrait et à se plaindre de problèmes somatiques.  Ces résultats ont été corroborés par d'autres études similaires qui ont démontré que les conflits conjugaux graves au sujet des enfants constituent une meilleure variable prédictive des problèmes de comportement chez l'enfant que les conflits qui ne les concernent pas (Grych et Finchman, 1993).

Dans une étude longitudinale, Johnston, Kline et Tschann (1989) ont fait enquête sur l'adaptation émotionnelle, comportementale et sociale de cent enfants dont les parents se querellaient à propos de la garde et du droit de visite depuis quatre ans et demie (en moyenne) à la suite de leur séparation, et deux ans et demie à la suite de l'action en justice.  Ces familles étaient donc considérées comme fortement conflictuelles.  L'étude n'a pas décelé de différences dans l'adaptation des enfants dans les cas de garde partagée ou de garde unique.  Cependant, en faisant abstraction de la situation socioéconomique des parents, du niveau de revenu, de l'origine ethnique ou du nombre d'enfants dans la famille, on a constaté que les enfants qui recevaient davantage de visites du parent non gardien et qui passaient davantage d'un parent à l'autre étaient plus portés à montrer des signes cliniques de perturbation.  Comment expliquer cette association?  Les parents qui se querellaient le plus à propos de la garde des enfants étaient encore plus hostiles deux ou trois ans plus tard.  En outre, les enfants qui pouvaient voir leurs deux parents plus souvent étaient davantage témoins de violence interparentale tant physique que verbale.  Ainsi, le prolongement des conflits entre les parents, parallèlement à une plus grande utilisation du droit de visite, augmentait le risque que les enfants soient témoins de conflits parentaux.  L'augmentation de ce risque expliquerait à son tour la plus grande présence de problèmes émotionnels et comportementaux parmi les enfants.  On a également constaté que les enfants touchés par de graves discordes liées au divorce semblaient réagir davantage aux passages d'un foyer à l'autre, même quand leurs parents avaient cessé de se quereller.  Cette constatation indique que les conflits interparentaux graves, en particulier ceux qui concernent les enfants, peuvent avoir des effets à long terme sur le bien-être des enfants même après la fin des conflits parentaux.

3.4.3 Aspects des conflits conjugaux liés au bien-être de l'enfant

Les conflits sont souvent présents dans les relations intimes entre époux ou partenaires (Eisenberg, 1992; Vuchinich, 1987).  Bien gérés, les conflits peuvent en fait jouer plusieurs rôles positifs comme favoriser la communication, faire prendre conscience aux gens qu'ils peuvent atteindre leurs buts dans une relation et clarifier les rôles et les limites de chacun (Vuchinich, 1987).  Mal gérés, les conflits peuvent avoir plusieurs effets négatifs comme l'érosion des liens affectifs, une interaction coercitive et des conséquences sociales et émotionnelles néfastes pour les enfants.

Les conflits ont un aspect multidimensionnel et peuvent ainsi prendre différentes formes.  Des études récentes ont tenté de faire la distinction entre les conflits interparentaux latents et les conflits ouverts ou poussés par la colère.  Le conflit latent est défini comme un conflit de type passif-agressif caractérisé par une tension non exprimée, du ressentiment et de l'agacement (Buehler et coll., 1998; Jenkins et Smith, 1991) : on cherche à mettre l'enfant de son côté contre l'autre parent, on s'en sert pour obtenir de l'information sur l'autre parent ou encore pour lui transmettre des messages (Buehler et coll., 1998).  Le conflit ouvert est défini comme un conflit de type agressif-hostile caractérisé par des comportements colériques ou violents (humeur belliqueuse, cris, insultes, menaces, mépris, railleries et gifles) (Buehler et coll., 1998).

Jusqu'à maintenant, de nombreuses études se sont penchées sur la relation entre l'adaptation de l'enfant et les types de conflits interparentaux dans les familles intactes et touchées par un divorce.  Buehler et Trotter (1990) ont constaté l'absence de lien entre la fréquence des conflits interparentaux et les problèmes de comportement chez les jeunes quand les conflits poussés par la colère étaient soumis à un contrôle.  Katz et Gottman (1993) se sont rendu compte que la présence de conflits conjugaux « mutuellement hostiles » (ouverts) était associée à un comportement d'extériorisation chez l'enfant trois ans après l'évaluation initiale, tandis que la présence de conflits conjugaux « cachés » (latents) était associée à un comportement d'intériorisation.  Jenkins et Smith (1991) ont découvert que, dans leur échantillon formé de mères, de pères et d'enfants, les conflits interparentaux poussés par la colère étaient étroitement et constamment liés à l'extériorisation des problèmes par les enfants quand deux autres aspects d'ordre conjugal (conflit latent et disputes au sujet de la façon d'élever les enfants) étaient soumis à un contrôle.  Ils ont aussi constaté que les enfants témoins de nombreux conflits interparentaux poussés par la colère présentaient beaucoup plus de symptômes que les enfants qui assistaient à moins de conflits.

Une méta-analyse menée par Buehler et coll. (1997) a révélé que la valeur de l'effet moyenne entre la fréquence des conflits parentaux (ou la présence de conflits parentaux) et l'ensemble des problèmes de comportement chez les jeunes était faible (0,19).  Mais la même méta-analyse révélait aussi que la valeur de l'effet moyenne entre les conflits interparentaux poussés par la colère et les problèmes de comportement chez les jeunes était de 0,35, donc supérieure à la valeur associée à la présence de conflits interparentaux.  Qui plus est, dans une étude transversale récente, Buehler et coll. (1998) ont découvert qu'indépendamment de l'état matrimonial, les conflits interparentaux poussés par la colère étaient plus étroitement liés aux problèmes de comportement chez les jeunes quand ces conflits étaient fréquents.  Récemment, Jenkins (2000) a établi que les conflits conjugaux poussés par la colère étaient d'excellentes variables prédictives de comportements de colère chez l'enfant.  Dans les faits, les expressions verbales et physiques de colère manifestées par les mères et les pères étaient associées à la présence de colère plutôt que de tristesse, d'après les témoignages des pairs, des enseignants et des mères.  Ainsi, les enfants témoins de conflits conjugaux poussés par la colère seraient davantage portés à avoir eux-mêmes un comportement plus agressif dans diverses relations interpersonnelles (p. ex. avec leurs camarades, leur professeur, leur mère) (Jenkins, 2000).

Comparativement aux autres composantes du divorce associées aux problèmes d'adaptation de l'enfant (absence du parent qui n'a pas la garde, relations parents-enfants difficiles et désavantage économique), le lien entre les conflits parentaux et les problèmes d'adaptation de l'enfant est constant et manifeste (Buehler et coll., 1997; Davies et Cummings, 1994; Lengua et coll., 2000).  En outre, même si la présence de conflits parentaux ne nuit pas nécessairement au bien-être de l'enfant, les conflits poussés par la colère (comparativement aux conflits moins hostiles ou virulents) sont associés à un plus grand risque d'intériorisation et d'extériorisation des problèmes par les enfants, et ce, peu importe l'état matrimonial des parents.