LES PROCESSUS DE TRAITEMENT DES PENSIONS ALIMENTAIRES POUR ENFANTS
LES CHOIX POSSIBLES AU CANADA

CONSIDÉRATIONS PRATIQUES RELATIVES AUX PENSIONS ALIMENTAIRES POUR ENFANTS (suite)

D. La médiation

La plupart des services de médiation financés par les deniers publics aux États-Unis et dans certaines régions du Canada sont rattachés d'une façon ou d'une autre au tribunal ayant compétence en matière familiale. En règle générale, les parties accèdent aux programmes de médiation après en avoir fait la demande ou à la suite d'un renvoi par le tribunal à une étape quelconque du processus judiciaire, soit lors du dépôt initial, avant une audition ou après qu'un juge s'est d'abord prononcé sur une question. Dans le cas de services de médiation privés, les parties doivent habituellement acquitter elles-mêmes les frais des séances de médiation si elles ne peuvent avoir accès à une autre source de financement, comme l'aide juridique.

Certaines personnes contestent le rôle et l'efficacité de la médiation concernant une question comme la pension alimentaire pour enfants, qui laisse peut-être beaucoup moins de place à la négociation que des questions à solutions multiples comme la garde des enfants et les droits de visite. La question des titres et qualités qui devraient être exigés d'un médiateur dans les dossiers concernant une pension alimentaire pour enfants ou d'autres questions financières est également controversée. On examine ce débat plus à fond dans la section du présent rapport intitulée « Les ressources humaines ».

De nombreuses études ont été effectuées au sujet des avantages et inconvénients relatifs du recours à un modèle de médiation. Voici en partie les avantages qui ont été relevés par rapport aux approches judiciaires traditionnelles : des dépenses moins élevées pour les parties; une procédure moins complexe; un accès plus direct; le fait que les parties ne se traitent pas autant comme des adversaires; enfin, une résolution plus satisfaisante de l'affaire pour les parties, même si elles ne réussissent pas à conclure une entente. En 1991, les Services du tribunal de la famille de la Californie ont mené une enquête sur les programmes de médiation existants en matière de garde et de droits de visite dans cet État et sont arrivés à la conclusion suivante :

[Traduction]
Parmi les parents qui ne sont pas parvenus à une entente, près de neuf sur dix ont affirmé que les procédures étaient claires et que le médiateur avait exprimé des idées valables; huit sur dix ont déclaré que la médiation était un bon moyen d'établir la façon dont ils assumeraient leur rôle de parents, et six sur dix ont déclaré que la médiation les avait aidés à envisager de nouvelles façons de collaborer en qualité de parents, et les avait mis en contact avec des ressources communautaires.[18]

Toutefois, les opinions des administrateurs divergent beaucoup sur la question de savoir s'il est opportun d'avoir recours à la médiation relativement à la pension alimentaire pour enfants, en particulier lorsque des lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants existent. Au Michigan, par exemple, le Bureau de l'ami de la cour dissocie les décisions relatives aux pensions alimentaires pour enfants et les autres questions financières du processus de médiation.  Dans cet État, un employé du Bureau de l'ami de la cour fait le travail de médiation relatif à la garde et aux droits de visite, et un autre employé effectue l'enquête et recueille indépendamment les renseignements financiers. L'avantage de cette approche est que l'enquêteur peut prendre toutes les mesures nécessaires[19], sans mettre en péril les rapports entre les parties, qui jouent un rôle fondamental dans la médiation.

De plus, l'un des objectifs de l'instauration de lignes directrices consiste à faire en sorte que la fixation du montant de la pension alimentaire pour enfants ne soit d'aucune façon arbitraire. L'instauration d'un régime qui placerait la partie qui demande une pension alimentaire pour enfants dans une situation où elle négocierait celle-ci en faisant des concessions sur les droits de garde ou de visite pourrait nuire à l'atteinte de cet objectif. Une tendance générale en matière de médiation consiste à adopter une approche globale du dossier familial, toutes les questions irrésolues étant traitées comme interreliées. Les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants qui se veulent déterminantes vont à l'encontre de cette approche.

Comme solution de rechange, on pourrait établir un processus de médiation pour la négociation de la pension alimentaire pour enfants en tant que question indépendante. L'avantage de cette approche serait de favoriser de meilleures relations entre les parties, en vue de leur interaction continue, et de faire en sorte que le débiteur de l'obligation alimentaire sente qu'il participe davantage et légitimement au processus; cela, on l'espère, susciterait assez de bonne volonté chez cette personne pour l'inciter à participer plus volontiers à l'établissement d'un échéancier pour le paiement de la pension alimentaire pour enfants. Par contre, il peut arriver que les débiteurs d'une obligation alimentaire qui refusent de collaborer ne se présentent même pas aux séances de médiation.[20]

Dans certains territoires, la question isolée de la pension alimentaire pour enfants est reconnue et traitée comme une question qui se prête en soi à la médiation. Là où on tente ainsi de discuter du montant convenable de la pension alimentaire pour enfants, on met l'accent sur l'obtention de l'opinion des parties touchant certaines de leurs préoccupations.

Cette approche a été établie dans une certaine mesure dans certaines régions de la Californie, comme nous le verrons dans d'autres sections du présent rapport. De plus, le régime du Montana repose essentiellement sur un processus de médiation-arbitrage dont nous traiterons plus loin; toutefois, la médiation joue un rôle de premier plan dans ce régime et est axée uniquement sur la pension alimentaire pour enfants. Ce programme est administré par l'organisme responsable des pensions alimentaires pour enfants qui a la charge des dossiers relevant du titre IV-D.

Au Texas, on utilise une approche semblable qui comporte la tenue d'une conférence de négociation au début du processus de traitement des pensions alimentaires pour enfants. Cette conférence fait partie du processus d'examen des pensions alimentaires pour enfants, qui constitue une mesure de rechange au processus judiciaire, lorsque c'est possible, pour l'établissement, la modification et l'exécution des ordonnances alimentaires pour enfants dans les dossiers du Titre IV-D, notamment dans les cas d'aide sociale et de demandes de services à la Division des pensions alimentaires pour enfants.

Les lignes directrices sur les pensions alimentaires pour enfants du Texas sont fondées sur un pourcentage fixe des ressources nettes du débiteur de l'obligation alimentaire et permettent des rajustements en cas d'obligations alimentaires multiples. Le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire de déroger aux lignes directrices si l'application de celles-ci est jugée injuste ou inappropriée dans les circonstances.

À la première étape du processus d'examen, on détermine si la cause se prête ou non au processus de conférence de négociation. Le fait qu'il s'agisse d'un dossier relativement simple constitue un facteur important. Si c'est le cas, le dossier sera vraisemblablement considéré comme se prêtant à un examen par voie de conférence de négociation. Les dossiers comportant des questions plus complexes sont portés devant le tribunal. Dans les cas où on le juge à propos, un Avis de révision de la pension alimentaire pour enfants est alors envoyé aux deux parties pour décrire le processus et leur donner la possibilité de choisir de suivre ou non cette voie.

En outre, on demande aux parties de préparer un affidavit concernant leurs ressources financières et de le renvoyer dans un délai de quinze jours. Si l'information demandée n'est pas produite, la Division peut engager un recours sans attendre.

Un agent d'examen expérimenté est responsable à la fois du tri des dossiers et de la tenue de la conférence de négociation avec les deux parties. Le but du processus consiste à dégager un consensus entre les parties, si possible, sans qu'il soit nécessaire de tenir une audition devant le tribunal. Ainsi, l'agent d'examen tentera, au cours de la conférence, de faciliter la conclusion d'une entente entre les parties sur la question de la pension alimentaire pour enfants.

Certains auteurs mettent en doute l'efficacité de la médiation pour remédier à l'inégalité des sexes et aux autres déséquilibres de pouvoir qui peuvent exister entre les deux parties. Ainsi, il a été affirmé :

[Traduction]
Dès la tendre enfance, la société apprend aux femmes à penser aux autres et à collaborer, tandis qu'elle inculque l'autonomie et l'esprit de concurrence aux hommes. Ce processus de socialisation, lorsqu'il intervient dans la médiation, peut donner lieu à des ententes injustes… Les femmes s'engagent dans la médiation pour éviter les hostilités, tandis que les hommes y participent parce qu'ils croient pouvoir obtenir ainsi un résultat plus avantageux.[21]

Des critiques semblables peuvent être formulées au sujet du recours à la médiation dans des situations où l'un des parents, habituellement la femme, se trouve dans une situation financière nettement inférieure à celle de la partie de sexe masculin. Ce phénomène est particulièrement pertinent dans le cas des parents prestataires de l'aide sociale. Pour cette catégorie de dossiers, la mise en place d'un modèle fondé sur la médiation présente des difficultés particulières. Dans de nombreux territoires, par exemple en Colombie-Britannique, la législation applicable précise que le parent qui reçoit l'aide sociale doit prendre toutes les mesures voulues pour obtenir la pension alimentaire pour enfants la plus élevée possible, sans quoi son droit à l'aide sociale pourrait être compromis. En d'autres termes, le parent prestataire de l'aide sociale peut se trouver dans une situation juridique qui ne lui permet pas de négocier le montant de la pension alimentaire pour enfants. En outre, l'écart économique entre les parties peut avoir une incidence sur le processus de médiation.

Les mêmes observations peuvent aussi s'appliquer aux relations violentes, que la violence de l'un des parents envers l'autre soit flagrante ou subtile. La plupart des programmes de médiation existants s'attaquent à ce problème dans une certaine mesure. Bon nombre de programmes comportent un processus de filtrage quelconque visant à repérer toute preuve de violence avant la première séance de médiation. Le processus de filtrage peut comprendre des mesures comme les suivantes :

  1. le médiateur ou un autre membre du personnel rencontre séparément l'une des parties, ou les deux, au préalable pour s'enquérir des antécédents et/ou des possibilités de violence;[22]
  2. on peut compulser les dossiers du greffe pour repérer toute preuve de violence, par exemple, une requête présentée par l'une des parties contre l'autre en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction ou un engagement de ne pas troubler l'ordre public; ou
  3. on peut demander aux deux parties de présenter chacune, indépendamment, des déclarations écrites, ou de remplir des formulaires avant la médiation, pour attester qu'aucune d'elles n'emploie la violence et n'y aura probablement pas recours.

Aucune de ces approches ne peut à elle seule résoudre la question de la violence dans tous les cas. La dynamique de la violence est complexe et elle demande beaucoup de doigté et une grande expérience pertinente de la part du personnel engagé dans le processus. Celui-ci doit être en mesure de comprendre rapidement et de traiter adéquatement les situations lorsqu'elles se présentent. La violence et la pauvreté sont des facteurs sociaux importants, dont il faut tenir compte dans tout modèle efficace de traitement des pensions alimentaires pour enfants. Une formation pertinente qui sensibilise le personnel et une politique de suivi cohérente sont essentielles. Bon nombre, sinon la plupart, des personnes qui ont le plus besoin d'avoir accès au processus de traitement des pensions alimentaires pour enfants et de s'en prévaloir font peut-être face à ces difficultés. Il est essentiel de continuer à consulter les groupes d'intérêts et les experts spécialisés pendant toutes les phases de mise en oeuvre et d'évaluation pour s'assurer qu'on répond adéquatement aux besoins de ces personnes.

E. La médiation-arbitrage

Plusieurs des programmes étudiés dans le présent rapport contiennent des éléments de médiation-arbitrage à des degrés divers. Les opinions des auteurs sont partagées sur la question de savoir si ces deux fonctions, la médiation et l'arbitrage, sont conciliables lorsqu'elles sont menées par la même personne. Le mérite d'un programme de ce type sur le plan fonctionnel semble dépendre d'un certain nombre de facteurs, dont les suivants :

  1. la compétence du médiateur-arbitre, en ce qui a trait tant à l'efficacité de son interaction qu'à sa capacité de s'appuyer sur des connaissances pertinentes;
  2. les questions traitées dans le cadre de la médiation-arbitrage (plusieurs questions se prêtant à plusieurs solutions ou auxquelles il existe une solution identifiable meilleure que les autres); et
  3. le respect qu'ont les parties pour le médiateur-arbitre.

Certains auteurs laissent entendre que la médiation-arbitrage est peut-être en fait plus courante qu'on pourrait d'abord le penser. En effet, un certain nombre de programmes différents allient déjà la médiation et un pouvoir de recommandation. Autrement dit, les programmes de médiation qui comportent à la fois de la médiation et des évaluations représentent une forme informelle de service de médiation-arbitrage, si l'on considère que le fait de formuler une recommandation ou de fournir une évaluation au tribunal place le médiateur dans une situation où il évalue la solidité relative des arguments de chaque partie.[23]

Ce nouveau rôle confié aux médiateurs dans certains programmes se démarque de celui qu'ils jouent dans le cadre des programmes de médiation traditionnels, soit simplement faciliter une entente entre les parties sans fournir d'autres services pour le tribunal. Les programmes où les médiateurs président des séances de médiation et font par la suite des recommandations au tribunal fonctionnent bien dans un certain nombre de territoires. Selon la tendance générale, la plupart de ces programmes de médiation sont axés sur les droits de garde et d'accès; toutefois, rien n'empêcherait de faire des évaluations financières au moyen d'un processus similaire.

Dans une étude effectuée en Californie en 1991, les Services du tribunal de la famille de l'État ont examiné l'efficacité des programmes de médiation qui autorisent la formulation de recommandations par rapport à ceux qui excluent toute recommandation. Ils ont fait les constatations suivantes :

[Traduction]
Dans les tribunaux qui autorisent la formulation de recommandations, 81 p. 100 des clients ont déclaré ne pas s'être sentis poussés lors de la médiation; dans les tribunaux qui n'autorisent pas la formulation de recommandations, ce pourcentage a atteint 88 p. 100. Dans les tribunaux où l'on formule des recommandations, 84 p. 100 des clients ont déclaré ne pas s'être sentis poussés à accepter des choses qu'ils ne voulaient pas; ce pourcentage est passé à 89 p. 100 dans le cas des clients de tribunaux qui n'autorisent pas la formulation de recommandations. Dans les tribunaux qui autorisent la formulation de recommandations, 90 p. 100 des clients étaient d'avis que le médiateur avait porté attention à leurs préoccupations; ce pourcentage était passé à 95 p. 100 dans les tribunaux où l'on ne formule pas de recommandations. Les cas où des clients ont admis s'être sentis intimidés de dire ce qu'ils ressentaient vraiment, en particulier dans un tribunal où l'on ne formule pas de recommandations, ont été relativement rares. Dans les tribunaux qui autorisent la formulation de recommandations, 82 p. 100 des clients ont déclaré ne pas s'être sentis intimidés de dire ce qu'ils ressentaient; dans les tribunaux où les recommandations ne sont pas autorisées, ce pourcentage avait atteint 88 p. 100.[24]

Un modèle de médiation-arbitrage pourrait peut-être être administré par plus d'une personne neutre. Par exemple, le concept de la médiation jumelée comporte :

[Traduction]
… un médiateur supplémentaire distinct qui est « jumelé » à l'arbitre lors de la phase d'arbitrage de la médiation-arbitrage. Ce médiateur distinct suit généralement les activités préalables à l'audition et se joint à la médiation-arbitrage au cours des auditions d'arbitrage si le dossier se rend à cette étape. Le médiateur distinct est disponible si l'une ou l'autre des parties désire interrompre des auditions d'arbitrage et régler une question particulière par voie de médiation.[25]

Cecil Branson appuie le concept de la médiation jumelée comme option viable, malgré la possibilité que celle-ci coûte plus cher. À son avis :

[Traduction]
Dans ce type de régime, le jugement de la personne neutre qui doit rendre une décision ne sera pas influencé par les renseignements confidentiels qu'elle entend lors d'une rencontre avec une partie en l'absence de l'autre. Son inconvénient … est le coût additionnel imputable au fait que deux personnes neutres doivent être présentes pendant tout l'arbitrage. Par contre, il sera probablement plus facile de trouver deux personnes neutres qui rempliront bien chacune de ces fonctions, alors qu'il peut être difficile d'en trouver deux qui soient très compétentes pour exécuter ces deux tâches.[26]

Malgré ses inconvénients potentiels, l'approche faisant appel à une seule personne pourrait s'avérer le modèle de médiation-arbitrage le plus économique sur le plan des ressources, car une seule et même personne dirigerait la médiation et poursuivrait le processus à partir de cette étape. Comme le constatent Richard McLaren et John Sanderson, [Traduction] « lorsqu'une même personne s'occupe de la médiation et de l'arbitrage, de grandes économies de temps, de ressources et d'argent sont réalisées, car il faut moins de temps pour mettre l'arbitre au fait de l'affaire ».[27]

McLaren et Sanderson formulent toutefois une mise en garde : [Traduction] « les compétences nécessaires pour susciter la discussion et un règlement à l'étape de la médiation diffèrent de celles qui sont requises pendant l'arbitrage ».[28] Ils soulignent en outre la nécessité d'éviter que les renseignements obtenus au cours de la médiation ne viennent embrouiller le processus décisionnel au cours de l'arbitrage. Il faut que le [Traduction] « facilitateur ait des connaissances très approfondies dans les domaines pertinents du droit, soit capable d'entendre la preuve, de tirer des conclusions de fait, d'effectuer une analyse juridique et d'appliquer la loi à propos ».[29] En outre, Catherine Morris fait remarquer que, dans le modèle de la médiation-arbitrage, les entretiens avec une seule des parties à la fois pourraient porter atteinte à l'efficacité du modèle.[30] Compte tenu des principes d'équité procédurale applicables au Canada, le médiateur devenu arbitre devrait accorder la même attention à chacune des parties pendant tout le processus. Pour respecter cette exigence, il ne faudrait d'aucune façon laisser croire que l'une des parties a reçu un traitement spécial auquel l'autre n'a pas eu droit. Pareille apparence ferait totalement échec à l'objectif poursuivi par la mise en place de ce modèle.

Mécanismes de règlement des conflits - L'exemple de la magistrature

On note chez les membres de la magistrature une tendance de plus en plus marquée à participer au règlement des conflits avant la tenue d'une audition formelle. Cette tendance croissante est vraisemblablement attribuable au fait que les juges reconnaissent que, dans bon nombre de cas, le règlement des conflits constitue la solution la plus logique et que, souvent, il n'existe tout simplement pas de mécanismes convenables qui permettraient de régler un dossier avant l'audition formelle ou, que, lorsqu'il en existe, les parties ne les connaissent pas.

Le rôle de plus en plus important joué par la magistrature dans le règlement des conflits se retrouve dans un certain nombre de programmes existants. Ainsi, en Colombie-Britannique, le juge en chef de la Cour suprême de la province a envoyé un avis prenant effet le 1er janvier 1996, dans lequel il était dit que toutes les instances en matière familiale introduites au greffe de Vancouver en vertu de la Loi sur le divorce ou de la législation provinciale allaient d'abord être inscrites pour une audition initiale (Early Intervention Hearing); au cours de celle-ci, les parties et leurs avocats rencontrent, de façon informelle, un juge affecté aux auditions initiales pour discuter de l'affaire et, si possible, pour arriver à un règlement avant que le dossier soit inscrit pour une audition devant un juge de la Cour suprême. Une directive de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, adressée aux avocats le 29 décembre 1995, énonce les objectifs visés par l'audition initiale comme suit :

  1. cerner les questions légitimes et limiter celles qui sont manifestement frivoles ou inutiles;
  2. réduire le nombre des requêtes provisoires inutiles ou réduire le temps requis pour une requête en clarifiant les véritables questions en litige;
  3. réduire le nombre d'actions inscrites pour instruction et réduire le plus possible la durée des instructions en cernant d'emblée les véritables questions à trancher; et
  4. contribuer à réduire les délais de règlement des litiges et les coûts engagés par les parties.

La durée prévue des auditions initiales est de 30 à 45 minutes. Au besoin, une deuxième séance est fixée avec les parties. Dans la plupart des cas, le juge fait une recommandation aux parties quant à la meilleure voie à suivre.[31] Des données préliminaires officieuses indiquent que ce programme permet de régler un fort pourcentage des causes à l'étape de l'audition initiale.[32]

Ce modèle ressemble à d'autres approches comparables, appelées conférences de règlement, conférences de cas et conférences préparatoires, utilisées dans de nombreux territoires et à de nombreuses fins.

En Saskatchewan, chaque personne qui dépose une requête en matière familiale doit d'abord se soumettre à un processus de filtrage destiné à déterminer si le dossier se prête ou non à la médiation. Les parties doivent remplir cette formalité avant que leur dossier soit inscrit pour une conférence préparatoire. Celle-ci est fixée dans chaque cas. Lors de la conférence préparatoire, un juge rencontre les parties et leurs avocats dans une salle privée pour tenter de leur faire conclure un règlement. Le juge responsable des conférences préparatoires n'est pas celui qui présidera l'audition. Ce processus diffère de la médiation en ce sens qu'un juge est mieux placé qu'un médiateur pour évaluer l'issue probable du litige si l'affaire devait aller à procès. Si les parties ne concluent pas de règlement relativement aux questions en litige, le juge leur donne une opinion quant à l'issue probable d'une instruction. Cette opinion n'a pas force obligatoire, mais on espère qu'elle aura une certaine influence sur les parties dans les cas où il n'est pas nécessaire de tenir une audition formelle. Dans la plupart de ces programmes, le juge qui mène la conférence initiale n'est pas le même que celui qui préside l'instruction en définitive.

Avec la mise en place d'un modèle pratique de traitement des pensions alimentaires pour enfants, il se pourrait que les juges n'aient plus à jouer ce rôle préalable; toutefois, pour évaluer la viabilité de l'intégration d'un mécanisme administratif initial au processus judiciaire, il faut d'abord consulter les juges. Si l'on devait intégrer cette approche à un modèle, il serait important que les prétentions des parties soient bien structurées et bien organisées avant qu'elles les présentent, pour réduire la durée de la conférence. Des ressources devraient être affectées à cette préparation. Si les parties n'ont pas la possibilité de recueillir et d'organiser les éléments pertinents qui seront finalement produits en preuve à l'audition, un objectif primordial de ces mécanismes de règlement rapide de conflits ne pourra être atteint.

L'État du Connecticut a établi une procédure semblable à ces processus de règlement judiciaire des conflits. Dans cet État, la personne qui préside la rencontre préparatoire avec les parties n'est pas un juge. Toutefois, ces rencontres sont inscrites au registre de la Cour et se déroulent au palais de justice.

Dans le modèle du Connecticut, des conseillers supérieurs en matière de relations familiales de l'Unité des services de la Division de la famille de la Cour supérieure de l'État tiennent une conférence de règlement préalable au procès dans les dossiers de divorce dont la Cour est saisie. Ces conseillers ont une longue expérience du traitement des questions juridiques et de l'interaction régulière avec les avocats. Ces conférences sont obligatoires, et les parties doivent y assister avant qu'un juge entende leur cause. En général, la date fixée pour la conférence est la même que celle de l'audition de façon à augmenter la probabilité que les parties s'y présentent et soient bien préparées.

Au cours de la conférence de règlement préalable au procès, toute question irrésolue concernant l'action en divorce doit être discutée. Le conseiller en matière de relations familiales mène essentiellement une instruction préalable et recommande une solution appropriée si les parties ne parviennent pas elles-mêmes à un consensus. Bien que les parties ne soient pas liées par la conférence de règlement, la recommandation distingue ce processus de la médiation traditionnelle. Si les parties concluent une entente pendant la conférence, elles peuvent se présenter immédiatement devant le juge pour la faire verser au dossier sans qu'il soit nécessaire de tenir une audition complète.

La pension alimentaire pour enfants est l'une des questions qui peuvent être examinées au cours de ce processus. La conférence laisse suffisamment de temps aux parties pour fournir les renseignements financiers requis. La formule de calcul de la pension alimentaire pour enfants de cet État est celle du partage du revenu en fonction du revenu net des deux parents. Certains éléments, dont les suivants, permettent de déroger à cette formule : les autres ressources financières (mis à part le revenu) sur lesquelles l'un des parents peut compter, les dépenses extraordinaires engagées pour prendre soin de l'enfant, les dépenses extraordinaires d'un parent, les besoins des autres personnes à la charge de l'un des parents, la coordination de l'ensemble des obligations alimentaires et les situations particulières. Si les parties se présentent sans avoir en leur possession les renseignements requis pour calculer la pension alimentaire pour enfants, on leur demande de remplir les formulaires que leur fournira le conseiller en matière familiale à l'occasion d'une autre conférence.

F. Systèmes d'audition par un officier quasi judiciaire

Le modèle d'agent d'audition est appliqué, avec certaines variantes, dans de nombreux territoires. Soulignons, notamment, que de nombreux États américains ont mis en place des programmes d'agents d'audition dans le cadre du régime du Titre IV-D, qui est financé par le gouvernement fédéral. Les fonctions des agents d'audition varient d'un État à l'autre et vont au delà des dossiers de pensions alimentaires pour enfants visés par le Titre IV-D. En règle générale, les agents d'audition s'occupent également des causes contestées en matière de paternité, au nom de la cour du territoire en cause. Les dossiers visés par le Titre IV-D découlent de la législation fédérale régissant les cas particuliers en matière de pensions alimentaires pour enfants. Sont exclues de cette catégorie les causes de divorce et les causes concernant des parties qui ne reçoivent pas l'aide sociale et qui n'ont pas demandé les services du régime du Titre IV-D.[33] Ces personnes font trancher par le tribunal la question de la pension alimentaire pour enfants avec d'autres litiges d'ordre familial. Dans la plupart des États, le processus judiciaire comporte une audition devant un tribunal et, lorsque les parties elles-mêmes ou le juge l'estiment à propos, un autre mécanisme de règlement des conflits, comme la médiation.[34]

Dans le cas des dossiers visés par le Titre IV-D, les différents systèmes d'agents d'audition constituent le moyen retenu par certains États pour répondre à l'exigence du gouvernement fédéral d'établir des modèles de traitement accéléré des pensions alimentaires pour enfants comme condition d'admissibilité au financement fédéral. En conséquence, la distinction entre les dossiers visés par le Titre IV-D et les autres dossiers de pensions alimentaires pour enfants dépend principalement des ressources du gouvernement. Aucun raisonnement philosophique n'empêcherait de prendre le programme d'agents d'audition du Titre IV-D comme modèle et de le mettre en place à une plus grande échelle pour l'appliquer à toute demande de pension alimentaire pour enfants dans une province canadienne.

Le modèle d'audition présidée par un protonotaire en place au Nevada est assez représentatif des États où des processus d'audition accélérée des causes relatives aux pensions alimentaires pour enfants ont été établis. Ce modèle illustre certains des aspects du programme américain typique d'agents d'audition du Titre IV-D. Selon les lignes directrices du Nevada sur les pensions alimentaires pour enfants, le débiteur de l'obligation alimentaire doit verser un pourcentage de son revenu brut qui varie selon le nombre des enfants recevant une pension alimentaire de lui. Autrement dit, plus ceux-ci seront nombreux, plus le pourcentage de son revenu brut qu'il devra verser à titre de pension alimentaire pour enfants sera élevé. Les critères permettant de déroger au calcul de base sont notamment le coût de l'assurance soins médicaux, les frais de garderie et les besoins particuliers des enfants en matière d'éducation, toute obligation d'assurer la subsistance d'autres personnes, la valeur des services fournis par chaque parent, l'aide sociale versée pour assurer la subsistance de l'enfant, les frais liés à la grossesse de la mère (le cas échéant), les frais de transport liés à l'exercice du droit de visite dans certains cas, le temps que l'enfant passe avec chaque parent, d'autres dépenses liées à l'enfant, et le revenu relatif des parents.

Les causes contestées de pensions alimentaires pour enfants visées par le Titre IV-D sont automatiquement entendues par l'agent d'audition. Il n'est pas nécessaire que la cause soit d'abord inscrite au rôle général de la Cour, ni qu'elle soit renvoyée à l'agent d'audition par un juge. Cette catégorie d'instances fait plutôt l'objet du processus d'audition par un protonotaire. Le protonotaire entend les deux parties et formule ensuite une recommandation à l'intention du juge. Le protonotaire a les pouvoirs suivants :

obliger des témoins à comparaître en délivrant des assignations; exiger la production d'éléments de preuve; assermenter les témoins; recevoir la preuve et se prononcer sur son admissibilité; entendre les plaidoiries; tirer des conclusions de fait, des conclusions de droit et formuler des recommandations concernant la détermination de la paternité, l'établissement et l'exécution des pensions alimentaires pour enfants, lesdites recommandations devenant, si elles sont approuvées par le juge présidant la Division de la famille, une ordonnance ou un jugement de la Cour; enfin, contribuer à l'amélioration du processus entre les organismes oeuvrant dans ce domaine.

Si l'une des parties ne dépose pas d'opposition à l'audition dans un délai bien déterminé, le juge approuve la recommandation du protonotaire qui a présidé à l'audition. Si la Cour reçoit une opposition, les parties ont droit à un procès de novo. De cette manière, les dossiers visés par le Titre IV-D qui font l'objet d'une audition par un protonotaire sont traités de façon très efficace tout au long du processus. Comme dans la plupart des autres États,[35] le protonotaire qui préside les auditions au Nevada doit être un avocat possédant une expérience connexe.

Une des caractéristiques intéressantes du modèle du Nevada est le rôle joué par les préposés aux dossiers du bureau du procureur de l'État, avant que l'affaire soit déférée à l'agent d'audition. Les préposés aux dossiers sont techniquement les employés de soutien du bureau du procureur de l'État. Ils sont chargés d'établir le contact initial avec les parties et, à ce titre, on les encourage à essayer d'amener le débiteur alimentaire à négocier une entente. Bien qu'il ne s'agisse pas là officiellement d'une médiation, le processus du Nevada permet cette tentative préliminaire de règlement de la question de la pension alimentaire pour enfants avant qu'elle soit soumise à l'agent d'audition.

Il est intéressant de noter qu'avant la mise en place d'un tribunal de la famille spécialisé et la nomination d'agents d'audition au Nevada, les juges étaient assistés par des arbitres en matière familiale. Ce régime d'arbitrage, qui avait été instauré pour rattraper les arriérés accumulés dans les tribunaux de la famille, a été en place de 1984 à 1992. Les arbitres, choisis par les cours de district locales, étaient des avocats en exercice et, en leur qualité d'arbitres, ils entendaient les premières demandes relatives à l'évaluation de la garde, aux droits de visite et aux pensions alimentaires pour enfants. Lorsque cet État a créé le tribunal de la famille, six nouveaux postes de juges du tribunal de la famille ont été créés, et les arbitres en matière familiale sont disparus.

La formule de calcul de la pension alimentaire pour enfants en Californie est fondée sur un pourcentage du revenu net disponible des parents, rajusté en fonction du pourcentage du temps pendant lequel chaque parent assume la responsabilité physique principale de l'enfant. Il est possible de déroger à cette formule pour des motifs comme la stipulation par les parties d'un autre montant de pension alimentaire pour enfants, le niveau exceptionnellement élevé du revenu du parent tenu de payer la pension alimentaire pour enfants, le défaut d'un parent de contribuer aux besoins de l'enfant en proportion du temps pendant lequel ce parent assume la garde, ou le résultat injuste ou inapproprié de l'application de cette formule en raison de circonstances extraordinaires.

Dans cet État, on a toujours mis l'accent sur le processus judiciaire plus que dans beaucoup d'autres. Toutefois, le projet de loi 1058 de la législature, actuellement à l'étude au Sénat de la Californie, contient une proposition de réforme. Celle-ci concerne la nomination de commissaires responsables des pensions alimentaires pour enfants dans tout l'État. Contrairement à des États comme le Nevada, la Californie n'a actuellement pas de système uniforme de traitement accéléré des pensions alimentaires pour enfants, bien que les cours supérieures de certains comtés emploient des commissaires qui sont rémunérés au moins en partie grâce au financement fourni par le gouvernement fédéral sous le régime du programme du Titre IV-D. Toutefois, on reconnaît de plus en plus, dans cet État, le besoin d'instaurer un processus accéléré, en particulier pour les cas où une partie demande la modification d'une ordonnance alimentaire pour enfants qui existe déjà.

L'article 3 du projet de loi no 1058 de la législature décrit un projet de « procédure simplifiée de modification d'une ordonnance alimentaire »[36] (Simplified Procedure for Modification of Support Order). Le paragraphe 3680(1) du projet de loi dit ceci : [Traduction] « Il n'existe actuellement aucune méthode simple à laquelle les parents peuvent avoir recours pour faire modifier leurs ordonnances alimentaires rapidement lorsque les circonstances justifient la modification du montant de la pension. » Parmi certaines des recommandations formulées dans ce projet de loi, on trouve des suggestions concernant l'adoption de règles de pratique et de formulaires visant à simplifier le processus de modification des pensions alimentaires pour enfants. En outre, la cour supérieure de chaque comté serait tenue d'embaucher suffisamment de commissaires pour entendre les causes visées par le Titre IV-D dans le cadre d'un processus d'audition accéléré.

En ce qui concerne précisément le processus faisant appel à des commissaires, la loi projetée instaurerait dans l'ensemble de l'État un régime semblable au processus d'audition par des agents qui existe dans d'autres États. Elle prévoit ce qui suit :

[Traduction]
Avant le début de l'audition, la Cour informe en outre les parties que l'affaire sera entendue par un commissaire agissant en qualité de juge provisoire, à moins que l'une ou l'autre des parties ne s'oppose à ce que le commissaire agisse à ce titre.[37]

Le commissaire serait habilité à lier à la question de la pension alimentaire pour enfants celles de la garde, des droits de visite ou des ordonnances de protection et, une fois cela fait, à renvoyer les parents à la médiation, accepter les ententes conclues et déférer les questions contestées soit à un juge, soit à un autre commissaire, pour la tenue de l'audition. Le commissaire ferait essentiellement fonction de « juge provisoire ».

Contrairement à leurs homologues quasi judiciaires d'autres États, les arbitres du Bureau de l'ami de la cour du Michigan sont investis de vastes pouvoirs en ce qui a trait à la tenue d'auditions. Un arbitre tient des auditions relativement à de nombreuses questions de droit familial, dont les pensions alimentaires pour enfants. Dans certaines régions de l'État, les arbitres sont des employés de niveau supérieur du Bureau de l'ami de la cour qui n'ont habituellement pas de formation juridique. Dans d'autres districts, les arbitres sont des avocats de niveau supérieur. L'arbitre tient sa compétence de la loi du Michigan intitulée Friend of the Court Act. Le paragraphe 7(2) de cette loi se lit comme suit :

[Traduction]
Un arbitre peut prendre les mesures qui suivent :

  1. entendre toutes les requêtes en matière de relations familiales, à l'exception des requêtes relatives à l'augmentation ou à la diminution de la pension alimentaire du conjoint, que la Cour renvoie à l'arbitre;
  2. faire prêter serment, obliger des témoins à comparaître et ordonner la production de documents, ainsi qu'interroger les témoins et les parties;
  3. présenter à la Cour un rapport écrit et signé contenant un résumé des témoignages, l'énoncé de ses conclusions et l'ordonnance recommandée; ou verser un énoncé de ses conclusions au dossier et soumettre une ordonnance recommandée;
  4. tenir des auditions conformément à la loi régissant l'exécution des pensions alimentaires et du partage du temps d'exercice du rôle parental. L'arbitre tient un registre de toutes ces auditions;
  5. accepter une reconnaissance volontaire de la responsabilité en matière de pension alimentaire, examiner une convention conclue relativement au paiement d'une pension alimentaire et formuler une recommandation à son égard à l'intention du tribunal; et
  6. recommander une ordonnance par défaut portant établissement, modification ou exécution d'une obligation alimentaire dans une affaire de relations familiales.

La pratique habituelle de l'arbitre consiste donc à formuler des recommandations à l'intention du juge saisi du dossier. Les arbitres n'exercent leurs fonctions que dans certains districts; le rôle des officiers de la cour varie selon les usages du tribunal local. L'arbitre intervient dans un dossier particulier par suite d'une ordonnance de la cour. Il peut entendre une demande d'ordonnance provisoire ou définitive concernant les éléments énumérés.

Bon nombre des programmes existants visent uniquement l'audition des faits et la formulation d'une recommandation fondée sur ceux-ci. Toutefois, si l'agent d'audition avait la compétence voulue et si l'affaire s'y prêtait, une médiation-arbitrage pourrait manifestement être effectuée à cette étape du processus. Cette approche a déjà été intégrée à certains modèles précis décrits dans la section qui suit.