La pension alimentaire rétroactive au profit des enfants : avantages et inconvénients
1. Façon dont la question de la pension alimentaire rétroactive a été portée devant la Cour suprême du Canada
L'analyse
de la Cour suprême du Canada s'appliquait explicitement à trois affaires de l'Alberta,
soit trois que la Cour d'appel de l'Alberta avait réunies[3] et une
quatrième que la Cour suprême a ajoutée[4]. Dans
chaque affaire, le parent qui touchait une pension alimentaire au profit d'un
enfant voulait obtenir une pension à l'égard d'une période antérieure, plus
précisément un montant correspondant à l'obligation alimentaire attribuable au
revenu du parent payeur pendant cette période[5]. Ces
demandes étaient problématiques en ce que les obligations précises qui étaient
invoquées n'avaient pas été explicitées dans une ordonnance ou une entente; si
tel avait été le cas, les parties demanderesses auraient sollicité les
arrérages accumulés au fil des années. Or, comme la Cour suprême du Canada l'a
souligné, les réclamations concernaient plutôt le caractère exécutoire et la
détermination du montant de « l'obligation alimentaire qui n'a pas été
exécutée et dont on n'a pas demandé l'exécution pendant la période où elle
aurait existé »
[6].
Dans bien des cas, une demande de cette nature est formulée lorsque l'obligation alimentaire a été réglée conformément à une entente ou à une ordonnance judiciaire[7] et que, par la suite, le revenu du payeur augmente, mais non la pension alimentaire payée. Comme la Cour l'a reconnu dans SRG, l'obligation alimentaire invoquée en pareil cas n'est pas véritablement « rétroactive » : le payeur n'est pas appelé à se conformer à une obligation juridique qui n'existait pas dans le passé. Le bénéficiaire demande plutôt que le payeur soit tenu responsable des obligations qui auraient été associées à son revenu pendant la période en question, si la pension alimentaire avait alors été recalculée. En bout de ligne, la Cour devait décider si elle pouvait ordonner le paiement de cette pension alimentaire « rétroactive » et, dans l'affirmative, dans quelles circonstances elle devrait le faire.
Avant de passer en revue l'analyse de la Cour, il convient d'examiner le contexte législatif de cette question. Un changement important touchant la nature des obligations alimentaires à l'endroit des enfants est survenu en 1997, lorsque la Loi sur le divorce[8] a été modifiée et que les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants[9] sont entrées en vigueur. Selon le régime actuel applicable à la pension alimentaire pour enfants, dans une situation où, après la séparation, un parent a la garde des enfants pendant la majeure partie du temps tandis que l'autre parent exerce des droits de visite, il est présumé que la personne avec laquelle les enfants restent la plupart du temps veillera automatiquement à assurer leur bien-être en fonction de sa capacité financière. L'obligation alimentaire de l'autre parent est calculée à l'aide d'une table qui précise les montants à payer selon chaque niveau de revenu. Autrement dit, l'obligation du payeur est directement liée à son revenu (ainsi qu'au nombre d'enfants pour lesquels l'obligation alimentaire existe et à la province de résidence)[10]. Le montant mensuel figurant dans les Lignes directrices représenterait approximativement la part du revenu d'une personne pouvant être transférée à bon droit, eu égard à la capacité de payer de cette même personne.
L'utilisation des niveaux de revenu comme fondement du calcul de la pension alimentaire constitue un écart par rapport au régime qui s'appliquait avant l'entrée en vigueur des Lignes directrices. En effet, auparavant, la pension alimentaire était déterminée au moyen du calcul des besoins des enfants, fondés sur les budgets fournis par les parents, puis de la part du montant nécessaire que chaque parent devrait verser, eu égard à sa capacité financière[11].
Pour bien comprendre le jugement de la Cour suprême du Canada, il faut aussi savoir que ni la Loi sur le divorce[12], ni les Lignes directrices[13] n'obligent explicitement un parent à majorer ses paiements au fur et à mesure que son revenu augmente. Les principales dispositions qui portent sur cette question sont énoncées à l'article 25 des Lignes directrices :
25. (1) Le débiteur alimentaire doit, sur demande écrite de l'autre époux ou du cessionnaire de la créance alimentaire, au plus une fois par année après le prononcé de l'ordonnance et tant que l'enfant est un enfant au sens des présentes lignes directrices, lui fournir
- a) les documents visés au paragraphe 21(1) pour les trois dernières années d'imposition, sauf celles pour lesquelles ils ont déjà été fournis;
- b) le cas échéant, par écrit, des renseignements à jour sur l'état des dépenses qui sont prévues dans l'ordonnance en vertu du paragraphe 7(1);
- c) le cas échéant, par écrit, des renseignements à jour sur les circonstances sur lesquelles s'est fondé le tribunal pour établir l'existence de difficultés excessives.
Ces dispositions imposent à l'époux bénéficiaire l'obligation de demander à l'époux payeur de divulguer son revenu. Un des facteurs qui compliquent cette analyse est la question de savoir si, pendant la période au cours de laquelle le bénéficiaire ne fait pas cette demande et n'engage pas de procédures (que ce soit par des négociations informelles ou une demande devant le tribunal) afin de modifier les montants de la pension alimentaire conformément aux nouveaux renseignements reçus au sujet du revenu, le parent payeur a le droit de présumer qu'il n'est pas tenu de rajuster la pension alimentaire qu'il paie pour ses enfants. De plus, lorsque l'époux bénéficiaire demande une hausse de la pension alimentaire après un certain temps, jusqu'à quel point cette « présomption » selon laquelle le parent payeur n'avait aucune autre obligation touche‑t‑elle l'analyse?
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