Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux - Juillet 2008
11. LES PLAFONDS ET LES PLANCHERS
Les lignes directrices doivent régler la question des « plafonds » et des « planchers ». Le plafond est le niveau de revenu de l'époux payeur au-dessus duquel la formule cède le pas à l'exercice de la discrétion. Le plancher est le niveau de revenu du payeur en dessous duquel, de manière générale, aucune pension alimentaire ne doit être versée.
Dans le cas des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, pour donner un exemple bien connu, si le revenu du payeur est supérieur à 150 000 $, l'article 4 prévoit que le montant de la pension alimentaire pour enfant est le montant établi par les tables pour les premiers 150 000 $, en plus de tout montant additionnel discrétionnaire pour le reste du revenu du payeur au-dessus de 150 000 $. En pratique, les tribunaux sont enclins à suivre la formule des tables pour la pension alimentaire pour enfant jusqu'à un niveau de revenu beaucoup plus élevé. À l'autre extrémité, le plancher pour la pension alimentaire pour enfant selon la formule des tables est un revenu d'environ 8 000 $, en lien avec l'exemption d'impôt sur le revenu des particuliers pour personne seule. Il s'agit d'un vrai plancher, étant donné que le parent payeur est considéré comme ne pouvant verser une pension alimentaire pour enfant en dessous de ce niveau de revenu.
Les plafonds et les planchers sont plus difficiles à établir dans le cadre d'une formule de pension alimentaire pour époux. En pratique, les plafonds et les planchers tentent de définir les seuils supérieur et inférieur des cas types, pour lesquels des formules de lignes directrices peuvent générer d'assez bons résultats. Nous sommes conscients que se posent d'importantes questions pratiques lorsqu'on se situe aux extrémités de l'éventail des revenus, mais les avantages que sont l'uniformité et la prévisibilité devraient être aussi étendus que possible, tant dans la partie supérieure que dans la partie inférieure de cet éventail.
Nous expliquerons tout d'abord les raisons de ce plafond et de ce plancher : le plafond correspond à un revenu brut du payeur de 350 000 $ et le plancher, à un revenu brut du payeur de 20 000 $.
Au-dessus du plafond et en dessous du plancher, les formules ne fonctionnent pas, ce qui fait en sorte que les dossiers dans lesquels les parties ont des revenus très élevés ou très faibles doivent être traités comme des « exceptions », dont nous discutons plus loin dans le présent chapitre. Cependant, ces situations ne sont pas réellement des « exceptions », car elles ne traitent pas des niveaux de revenus normaux pour lesquels les formules ont été élaborées.
11.1 Le plafond
Le terme plafond est commode mais peut être trompeur. Dans les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, il n'y a aucun plafond absolu, mais seulement un niveau de revenu au-dessus duquel on peut modifier la formule normalisée de pourcentage fixe du revenu, afin de générer un pourcentage moins élevé de revenu au-dessus de ce niveau. Nous proposons une solution similaire ici.
Dans le cadre des Lignes directrices facultatives en matière de pensions alimentaires pour époux, un plafond pourrait être fondé tant sur le revenu du payeur que sur le montant de pension alimentaire versé mensuellement, le revenu du bénéficiaire ou même sur un quelconque critère de niveau de vie. Nous privilégions le choix du revenu brut du payeur comme critère pour le plafond.
Le plafond est un revenu brut annuel du payeur de 350 000 $. Lorsque le revenu brut d'un payeur atteint le « plafond » de 350 000 $, on ne devrait pas appliquer de formule pour diviser la partie du revenu dépassant ce niveau. Mais 350 000 $ n'est pas non plus une « limite maximale », puisque bien souvent, la pension alimentaire pour époux calculée à partir d'un revenu plus élevé que ce plafond augmente, selon le cas. Nous discutons plus loin des approches possibles pour les cas de revenus au-dessus du plafond.
Au cours du processus de rétroaction au sujet de l'Ébauche de proposition, très peu de participants ont suggéré d'adopter un niveau de revenu plus bas ou plus élevé pour le plafond. Dans les grands centres urbains, un revenu de 350 000 $ était considéré comme une limite supérieure raisonnable pour l'application des formules. À l'opposé, dans les régions rurales et dans d'autres régions où les revenus sont faibles, certains juges et certains avocats commençaient à s'inquiéter au sujet de l'utilisation des fourchettes établies pour les revenus allant de 150 000 $ à 250 000 $,ce qui a donné lieu à la création de « plafonds » non officiels à des niveaux moins élevés au cours des premières années du régime des Lignes directrices facultatives. En nous fondant sur cette expérience, nous n'avons pas modifié le plafond et laisserons le droit évoluer davantage dans ce nombre restreint de cas de revenus élevés.
11.2 Le plancher
Un plancher pour les Lignes directrices facultatives est d'autant plus important qu'il exclut le versement d'une pension alimentaire en dessous de ce plancher. À notre avis, c'est là l'effet souhaité. Dans les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, on utilise un plancher très bas, c.-à-d. environ 8 000 $ brut par an. Le plancher pour la pension alimentaire pour époux devra être plus élevé.
De manière générale, une pension alimentaire pour époux ne devrait pas être envisagée du tout tant que le revenu brut du payeur n'atteint pas 20 000 $ par an. On a considéré qu'un salaire minimum ou un revenu équivalant au « seuil de pauvreté » était trop bas pour être considéré comme un plancher et n'incitait pas suffisamment le payeur à continuer à travailler, étant donné les taux d'imposition actuels. Un examen de la jurisprudence montre que les juges n'ordonnent presque jamais de pension alimentaire pour époux lorsqu'un payeur a un salaire de moins de 20 000 $, ou même un peu plus. Selon des renseignements provenant de bases de données sur la pension alimentaire pour enfant, lorsqu'il y a des enfants à charge et que le revenu brut du payeur est de moins de 20 000 $ par an, il n'y aura une pension alimentaire, ordonnée ou négociée, que dans moins de 2 % des cas. Pour les revenus de 20 000 $ à 29 000 $, ce pourcentage n'est que d'environ 2,5 %.
En dessous de ce plancher, des cas dans lesquels le droit aux aliments a été établi se présenteront à l'occasion. Il est également nécessaire de prévoir une certaine flexibilité pour les revenus qui se situent juste au-dessus du plancher, de manière à éviter « l'effet d'escalade » et pour tenir compte de la capacité de payer. Nous en parlons ci-dessous.
11.3 Le revenu du payeur supérieur au plafond de 350 000 $
Il convient de le répéter : le plafond n'est pas une limite maximale imposée aux fins du calcul de la pension alimentaire pour époux, et il n'empêche pas l'application des formules comme méthode permettant de calculer un montant dans un cas précis. Les exemples ci-dessous permettent de montrer comment fonctionne le plafond et d'examiner certaines questions qui se posent dans les cas où le revenu se situe au-dessus du plafond.
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Exemple 11.1
Dans le cas d'un mariage de longue durée, supposons qu'un époux a un revenu brut de 350 000 $ par an et que l'autre époux n'a aucun revenu, après 25 ans de mariage. Selon la formule sans pension alimentaire pour enfant, un mariage de 25 ans exige un partage de 37,5 à 50 % de l'écart des revenus bruts, c.-à-d. une pension alimentaire pour époux annuelle dans la fourchette de 131 250 $ à 175 000 $ (limitée à 173 232 $) ou 10 937 $ à 14 583 $ par mois (limitée à 14 436 $ par mois).
Si le payeur gagne davantage, par exemple 500 000 $, un tribunal pourra laisser la pension alimentaire pour époux dans cette même fourchette ou, à sa discrétion, imposer un montant plus élevé. Cependant, aucune formule n'obligera un tribunal à agir ainsi et il s'agira d'une décision personnalisée. Si la formule était appliquée à un revenu de 500 000 $ par année, la pension alimentaire serait de 15 625 $ à 20 833 $ par mois (limitée à 20 688 $ par mois). Ou bien, le tribunal ou les parties peuvent déterminer un montant qui se situe quelque part dans cette fourchette. Les montants de pension alimentaire sont élevés dans ces cas, mais il ne faut pas oublier qu'il s'agit de l'extrémité supérieure de la formule, impliquant un mariage de longue durée, un payeur ayant un revenu élevé et un bénéficiaire sans revenu[99].
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Exemple 11.2
Considérons les mêmes faits que dans l' exemple 11.1 ci-dessus, le payeur gagnant un revenu brut de 350 000 $ par an et le bénéficiaire n'ayant aucun revenu. Ajoutons deux adolescents habitant avec le bénéficiaire. Supposons que la pension alimentaire pour enfant respecte la formule des tables, soit 4 312 $ par mois (selon les tables de l'Ontario).
La pension alimentaire pour époux, déterminée à l'aide de la formule avec pension alimentaire pour enfant, se situerait dans la fourchette allant de 7 585 $ à 9 160 $ par mois.
Encore une fois, si le payeur gagne plus de 350 000 $ (par exemple 500 000 $), le tribunal pourra décider d'exiger ou non un montant plus élevé. Selon la formule avec pension alimentaire pour enfant, le calcul du plafond est plus compliqué du fait que la pension alimentaire pour enfant augmente quand le revenu dépasse le plafond. Nous pouvons suggérer deux approches possibles en ce qui concerne les revenus très élevés au moyen de la formule avec pension alimentaire pour enfant.
La première approche utilise la formule pour déterminer un montant de pension alimentaire pour époux minimum, approche que nous appellerons « un minimum plus ». Il faudrait calculer un montant théorique pour la pension alimentaire pour époux pour le plafond de 350 000 $, au moyen de la pension alimentaire pour enfant à verser en fonction du plafond. Ce calcul déterminerait la fourchette de pension alimentaire pour époux minimale. Dans l' exemple 11.2, la fourchette serait de 7 585 $ à 9 160 $. Il y aurait possibilité d'ajouter à ce minimum dans le cas de revenus dépassant 350 000 $, après avoir pris en compte le montant réel de la pension alimentaire pour enfant à verser par le payeur à cette échelle de revenus plus élevés, soit 6 052 $ par mois pour un revenu de 500 000 $. Cette approche pourrait s'avérer plus pertinente lorsque le revenu du payeur est plus proche du plafond[100].
La deuxième approche est entièrement une question de choix. Lorsque le revenu du payeur dépasse le plafond, il n'y aurait pas de minimum pour la pension alimentaire pour époux, mais simplement un montant qui tiendrait compte du montant réel de la pension alimentaire pour enfant versée, montant qui pourrait être très élevé dans le cas de revenus élevés. Passé un certain point, les montants élevés de pension alimentaire pour enfant comprennent un élément qui fournit à l'époux bénéficiaire une compensation pour les coûts indirects liés à la responsabilité du soin des enfants; il devient donc ainsi moins nécessaire que la pension alimentaire pour époux remplisse cette fonction. Cette approche devient plus importante dans les cas où le revenu du payeur est de beaucoup supérieur au plafond[101].
Ce qui est clair, c'est que les enjeux importants liés à ces niveaux de revenus, de même que les particularités de chaque cas signifient que les Lignes directrices facultatives seront moins significatives pour les montants se situant au-dessus du plafond, qu'ils soient établis lors de négociations ou d'audiences.
11.4 Le revenu du payeur inférieur à 20 000 $ et entre 20 000 et 30 000 $
Le « plancher » aux fins de l'application des formules est un revenu brut annuel du payeur de 20 000 $ par année. En dessous de ce montant, les ordonnances alimentaires pour époux sont rares et, par conséquent, exceptionnelles. Pour les revenus du payeur se situant entre 20 000 $ et 30 000 $, il n'y a aucune présomption contre la pension alimentaire, mais il peut être nécessaire de s'éloigner de l'extrémité inférieure des fourchettes obtenues au moyen des formules et tenir compte de la capacité de payer.
La première situation est celle qui met en cause les revenus du payeur inférieurs au plancher de 20 000 $. En général, les formules pour le montant et la durée ne s'appliquent pas lorsque le revenu brut de l'époux payeur est de moins de 20 000 $ par an, puisqu'il arrivera rarement que la capacité de payer sera suffisante[102]. Cependant, il peut y avoir des cas exceptionnels où la pension alimentaire pour époux pourra être versée, par exemple si l'époux payeur habite chez ses parents ou voit, pour toute autre raison, ses dépenses réduites de façon considérable, ou dans le cas d'un mariage de longue durée, lorsque les deux époux sont à la retraite et ont un faible revenu[103]. Les formules peuvent être moins utiles pour calculer le montant dans de tels cas.
Il existe une autre bonne raison pour permettre des exceptions en dessous du plancher de revenu. Les Lignes directrices facultatives traitent du montant et de la durée, et non du droit aux aliments. Un plancher absolu de revenu pour les montants représenterait, en effet, une règle touchant au droit aux aliments, ce qui serait en contradiction flagrante avec la nature non officielle et facultative des lignes directrices proposées. La question du droit aux aliments restera toujours la question première en la matière, et elle continuera d'être définie par la législation et l'interprétation judiciaire de cette législation.
Les exemples présentés ci-dessous illustrent comment fonctionne le plancher de 20 000 $.
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Exemple 11.3
Examinons un exemple au seuil inférieur : supposons que l'époux gagnant le salaire le plus élevé a un revenu d'emploi brut de 18 000 $ par an, après 25 ans de mariage, et que l'autre époux n'a aucun revenu.
Avec un plancher de 20 000 $, aucune pension alimentaire pour époux ne serait normalement exigible, malgré l'écart des revenus. La fourchette de la pension alimentaire pour époux générée par la formule sans pension alimentaire pour enfant serait de 562 $ à 750 $ par mois (limitée à 706 $). À l'extrémité supérieure de cette fourchette, selon les nombres de l'Ontario, chaque époux obtiendrait 50 % du revenu net, mais seulement 737 $ par mois chacun, un montant inférieur aux taux d'aide sociale dans la plupart des provinces et des territoires. Même à l'extrémité inférieure de la fourchette, le payeur aurait seulement un revenu mensuel net de 880 $, et le bénéficiaire, 596 $.
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Exemple 11.4
Supposons que le payeur a un salaire brut de 20 000 $ par an, que l'autre époux n'a pas de revenu, et que le couple a un enfant (ce qui signifie une pension alimentaire pour enfant d'après les tables de 172 $ par mois en Ontario).
Si nous appliquons la formule avec pension alimentaire pour enfant dans ce cas, la fourchette de la pension alimentaire pour époux sera de 319 $ à 436 $ par mois. À ces niveaux, le parent gardien et l'enfant disposeraient d'environ 80 % de la « mesure de faible revenu », déjà trop faible, qui est utilisée dans l'annexe II des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants pour comparer les niveaux de vie des ménages. L'époux payeur aura un revenu net mensuel d'environ 925 $ par mois.
Ces nombres s'améliorent à peine, même dans les cas où il y a un seul enfant, pour les payeurs ayant un salaire de 25 000 $ par an. Le montant de la pension alimentaire pour enfant d'après les tables sera de 211 $ par mois. Le revenu net disponible du payeur augmente un peu pour atteindre le niveau juste en dessous de 1 100 $ par mois après le versement de la pension alimentaire pour époux dans la fourchette de 436 $ à 569 $ par mois.
Pour les époux à faible revenu, nous devons particulièrement nous préoccuper de l'incitation au travail, des taux de prestation d'aide sociale et des revenus nets disponibles. Certes, il peut y avoir des arguments convaincants pour que les payeurs à faible revenu versent une pension alimentaire pour enfant à des niveaux de revenu très bas, mais on ne peut avancer les mêmes arguments dans le cas de la pension alimentaire pour époux.
Nous avons une autre inquiétude connexe au sujet des payeurs dont le revenu est supérieur à 20 000 $, mais inférieur à 30 000 $. Pour ces payeurs, en supposant que le droit aux aliments a été établi, on devrait prendre en considération les pourcentages recherchés selon la formule applicable, le revenu net disponible qu'il reste à l'époux payeur et l'effet du versement d'une pension alimentaire pour époux sur l'incitation au travail et les gains marginaux du payeur[104]. Par exemple, selon la formule sans pension alimentaire pour enfant, un mariage plus court signifierait un pourcentage moins élevé et donc, une plus petite partie du revenu du payeur, contrairement à ce que donnerait un mariage de 25 ans, comme dans l'exemple ci-dessus. Voyons un autre exemple : dans le cas d'un payeur dont le revenu se situe entre 20 000 $ et 30 000 $ et dont les quarts de travail, les heures supplémentaires ou le travail saisonnier sont variables, on peut avoir des inquiétudes réelles au chapitre de l'incitation au travail. Cette flexibilité permettra d'éviter un « effet d'escalade », pour les payeurs qui ont un revenu se situant juste au-dessus du plancher de 20 000 $, qui peut faire en sorte qu'un payeur qui ne verse pas de pension alimentaire pour époux doivent soudainement payer un montant calculé d'après les formules seulement parce qu'il gagne quelques dollars de plus par année.
Comme ces cas se situent juste au-dessus du plancher de revenu, il est possible de les traiter comme des exceptions aux fins de l'application des formules, contrairement aux cas où le revenu du payeur est inférieur au plancher. Toutefois, dans ces situations, les préoccupations découlent de l'application du plancher. C'est pourquoi nous les avons examinées ensemble dans le présent chapitre.
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