La Cour de justice du Nunavut - Évaluation formative

Sommaire

1. Introduction

La création du territoire du Nunavut a pris effet au 1er avril 1999. La Cour de justice du Nunavut (CJN) est un tribunal unifié qui tire sa compétence de la législation fédérale et territoriale et vise à établir un système judiciaire efficace, accessible et propre à répondre aux besoins particuliers du territoire, tout en garantissant à ses justiciables les mêmes droits substantiels et procéduraux que ceux des autres Canadiens. Le Nunavut est le seul ressort canadien à posséder un tribunal unifié.

L'évaluation poursuit deux objectifs principaux :

2. Méthodologie

L'évaluation met en œuvre quatre démarches méthodologiques :

L'étude était limitée quant au nombre de collectivités visitées (quatre sur trente-six). Si les dossiers en matière pénale et familiale ont fait l'objet d'un examen, cela n'a pas été le cas pour les dossiers de nature civile concernant la période de 2001 à 2005.

3. Vue d'ensemble du Nunavut

Le Nunavut se caractérise par la jeunesse de sa population et sa croissance rapide. La proportion de jeunes de 0 à 14 ans est presque le double de celle de l'ensemble du Canada. Le territoire connaît un taux de crimes violents contre les personnes plus élevé que celui du Canada dans son ensemble, en particulier en matière de violence familiale et d'agressions sexuelles. La proportion de crimes contre les biens, notamment les introductions par effraction, est également élevée par rapport au reste du Canada. Avec un taux de décrochage au niveau secondaire de 75 pour cent, et pratiquement aucun programme destiné aux jeunes dans l'ensemble du territoire, les praticiens sont préoccupés par la hausse prévisible de la fréquence des comportements criminels au cours des prochaines années. En retour, cela aura pour effet d'alourdir les exigences qui pèsent sur la CJN.

4. L'administration de la justice

Les répondants clés et les membres des collectivités ont affirmé que la CJN s'acquitte bien de sa mission consistant à rendre la justice, eu égard notamment aux difficultés auxquelles elle est confrontée. Les Nunavummiut ont quelques préoccupations, comme on pouvait s'y attendre, mais ils sont globalement satisfaits de la Cour et des améliorations auxquelles elle a procédé avec le temps.

Les délais de traitement des affaires ont diminué depuis 2001. On constate toujours autant d'ajournements, surtout dans les collectivités, pour un certain nombre de raisons. Toutefois, les praticiens sont presque unanimes pour dire que les retards ne constituent pas un défi majeur auquel serait confrontée la Cour. Les retards dans le traitement des affaires sont perçus en règle générale comme étant acceptables en comparaison des tribunaux d'autres ressorts, et inévitables eu égard aux facteurs qui sont hors de contrôle, tels que les conditions météorologiques. Certains membres des collectivités sont cependant davantage préoccupés par les délais de traitement des affaires, notamment en matière de violence conjugale. Les retards sont vus comme étant stressants, tant pour l'accusé et les victimes que pour leurs familles.

Les détentions préventives sont courantes au Nunavut, tout comme dans les autres ressorts. Au Nunavut, elles entraînent un certain nombre de coûts, dès lors que les contrevenants placés en détention préventive doivent être transportés par avion au Centre correctionnel de Baffin situé à Iqaluit ou au Centre correctionnel de Yellowknife. De même, la surpopulation dans l'établissement d'Iqaluit génère un stress important.

On constate une pénurie importante de conseillers parajudiciaires situés au sein des collectivités. Alors qu'il existe des obstacles au recrutement de conseillers parajudiciaires supplémentaires, les praticiens et les membres des collectivités estiment qu'ils amélioreraient l'efficacité du système judiciaire en travaillant avec l'accusé et l'avocat de la défense, et se chargeant de certains travaux préparatoires avant l'arrivée de la CJN. De même, on considère que les conseillers parajudiciaires pourraient être en mesure de faciliter les affaires de droit de la famille, un domaine dans lequel ils n'interviennent pas actuellement. Les conseillers parajudiciaires relèvent de la responsabilité de la Société d'aide juridique du Nunavut.

De même, il faudrait davantage de juges de paix, et plus particulièrement des juges de paix formés et possédant de l'expérience au niveau 3 (conduite de procès relativement à des infractions punissables par procédure sommaire) et au niveau 4 (comme pour le niveau 3 et siègent en tant que juge des tribunaux pour adolescents). Dans quatre collectivités au sein desquelles on trouve des juges de paix de niveau 3 ou 4, une cour des juges de paix se réunit la veille de l'arrivée de la CJN. La préparation du registre pour le juge a renforcé l'efficacité du traitement des affaires dans ces collectivités. La responsabilité du recrutement, de la formation et de la gestion des juges de paix relève de la CJN. Le manque de ressources semble être la raison principale de la pénurie de juges de paix.

Le manque de programmes en milieu communautaire, et notamment le manque de services en matière de toxicomanie et de santé mentale, de programmes destinés aux jeunes et de services de probation, nuit gravement à la capacité des juges d'avoir recours à des mesures de substitution à l'incarcération. Le manque de services de probation appropriés a plus particulièrement des conséquences négatives sur l'efficacité de la Cour, voire sur sa crédibilité. En ce qui concerne les mesures non privatives de liberté prévues par la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA), l'absence de programmes communautaires et les lacunes des services de probation posent des difficultés sérieuses à la Cour. La responsabilité du financement et de la mise en œuvre de ces programmes et services relève de la compétence du gouvernement fédéral et territorial, et non de la CJN. Toutefois, le manque de ressources constitue un sérieux problème au Nunavut.

L'accès aux services en droit familial s'est amélioré considérablement ces dernières années grâce à l'augmentation du nombre d'avocats de l'aide juridique qui pratiquent en droit de la famille, ainsi qu'aux efforts des juges visant à rendre plus accessibles les audiences et la médiation. Le nombre de demandes en droit de la famille augmente rapidement. Le développement des services en affaires civiles demeure néanmoins insuffisant, en particulier parce qu'aucun avocat pratiquant en affaires civiles ne réside au Nunavut. Les affaires civiles tentent de résoudre des litiges non-criminels dans les secteurs tels que les contrats, les droits de propriété, le droit de la famille, et les dommages personnels et matériels. Bien que les juges tiennent des audiences civiles dans toutes les collectivités, la mauvaise qualité des services téléphoniques du Nunavut représente souvent une difficulté pour les parties qui ne sont pas présentes. Les répondants estiment que les besoins en affaires civiles augmenteront à mesure que les affaires se développeront et que les gens auront davantage conscience des possibilités qu'offrent les affaires civiles.

Les juges prennent régulièrement part à des conférences préalables au procès et au circuit dans les domaines du droit pénal et du droit civil. Ils interviennent également dans les médiations en matière familiale, quoique de manière peu fréquente, puisque les avocats parviennent à des règlements dans toutes les affaires, à l'exception de celles qui sont les plus complexes. Le projet de médiation familiale intitulé Inuusirmut Aqqusiuqtiit, lancé par Justice Canada et le ministère de la Justice du gouvernement du Nunavut à Iqaluit et Cape Dorset, semble très bien fonctionner aux dires des praticiens. La procédure permettant d'obtenir une ordonnance d'urgence ou ex parte est considérée comme étant très efficace au Nunavut.

Les juges suppléants constituent un élément essentiel de la CJN eu égard à l'emploi du temps chargé des circuits. Tandis que le recours aux juges suppléants semble bien fonctionner dans l'ensemble, il existe certaines préoccupations concernant le manque d'expérience de certains juges invités quant aux régions du Nord et aux collectivités autochtones, le fait que les avocats et les membres des collectivités ne connaissent pas ces juges, ainsi que le temps considérable consacré à la formation des juges suppléants, tout particulièrement par le doyen des juges et le personnel de la Cour. Les inconvénients du recours aux juges suppléants sont considérés comme autant de raisons valables pour augmenter le nombre de juges résidents, par la nomination d'au moins un juge supplémentaire.

Trop peu d'avocats de la défense pratiquent au Nunavut, que ce soit au sein du personnel de la Société d'aide juridique du Nunavut ou dans le secteur privé. Les praticiens sont préoccupés par les conséquences de cette pénurie qui a des répercussions sur les services fournis au public. Elle pourrait également entraîner des situations d'épuisement professionnel et le roulement des avocats de la défense, tout comme elle a parfois contribué aux retards judiciaires en raison du manque de préparation des avocats. Même si la récente hausse du nombre d'avocats de l'aide juridique pratiquant en droit de la famille a eu un effet positif dans ce domaine, il ne reste aucun avocat résident qui pratique dans les autres domaines des affaires civiles.

Les praticiens et les personnes interrogées au sein des collectivités ont indiqué de manière similaire que les Nunavummiut n'ont généralement aucune connaissance des procédures et de leurs droits dans le système judiciaire. Cela est particulièrement vrai en matière d'affaires civiles et de droit de la famille. Eu égard à la charge de travail considérable à laquelle doivent faire face l'ensemble des praticiens, aucun effort n'a véritablement été déployé pour mettre en place des programmes de vulgarisation et information juridiques (VIJ). La VIJ relève principalement de la responsabilité de la Société d'aide juridique du Nunavut. La CJN elle-même a cependant fait exception, puisque les juges ont par exemple été très actifs dans la mise au point d'un programme de vulgarisation au niveau secondaire et le recours à des groupes de jeunes dans de nombreuses collectivités. Les collectivités souhaitent bénéficier de plus de vulgarisation juridique et estiment qu'une présence accrue des avocats, des juges de paix ou des conseillers parajudiciaires au sein des collectivités aiderait à combler ce manque.

Les comités de justice communautaire sont un élément essentiel de l'appareil judiciaire au Nunavut. Cependant, pour de nombreuses raisons, leur capacité varie d'une collectivité à l'autre. De la même manière, tous ne reçoivent pas autant de renvois, en particulier au niveau des renvois effectués par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) avant la mise en accusation. Les procureurs de la Couronne sont plus constants dans les renvois après accusation. La plupart des praticiens du système judiciaire, ainsi que les résidents des collectivités et les membres des comités de justice communautaire pensent que les comités peuvent prendre en charge davantage de renvois et, pour nombre d'entre eux, des affaires plus complexes. On considère également que les comités devraient davantage s'impliquer dans la médiation familiale. Bien qu'un nombre restreint de comités participent actuellement à ce genre d'activités, les autres ont pour la plupart besoin de soutien au niveau de leur développement avant d'accroître leurs activités. En particulier, de nombreux comités ont toujours besoin de soutien sous forme d'espaces à bureaux, de formation pour les membres des comités (le plus souvent, en matière de médiation), et de coordonnateurs administratifs qui soient formés et rémunérés à un niveau raisonnable.

La CJN, et tout particulièrement les juges résidents, sont considérés par les praticiens et les résidents des collectivités comme étant sensibles à la culture inuite et aux réalités sociales des collectivités du Nunavut. La Cour manifeste cette sensibilité de diverses manières, notamment à travers les groupes d'aînés, une forte proportion de personnel inuit au sein du greffe, un service d'interprétation efficace et la prise en considération, en règle générale, du contexte familial et communautaire de la personne accusée et des victimes.

5. Gestion et fonctionnement du greffe de la Cour

La structure opérationnelle de la CJN comprend la Division des services judiciaires, qui fait partie du ministère de la Justice du Nunavut, et l'administration de la CJN qui relève du doyen des juges. La première est en grande partie responsable du fonctionnement quotidien de la Cour, tandis que la dernière est essentiellement chargée de répondre aux besoins des juges.

Le Nunavut compte trois juges résidents. Les répondants clés et les personnes interrogées au sein des collectivités s'entendent tous pour dire qu'il est essentiel qu'un quatrième juge (au moins) soit nommé immédiatement. Plusieurs éléments concourent à cette situation, dont l'importante charge de travail qui est en augmentation constante dans tous les domaines du droit, les exigences de la Cour de circuit, les tensions associées aux déplacements dans les régions du Nord, et les fonctions des juges du Nunavut en matière de développement.

La charge de travail du personnel de la Cour est également importante. Si les Services judiciaires sont actuellement suffisamment pourvus en personnel dans certains domaines, ce n'est pas le cas de tous les services, comme, par exemple, le bureau du shérif. Il est également urgent de donner au shérif et aux deux shérifs adjoints une formation supplémentaire. L'employé chargé de l'organisation des déplacements devrait être assisté d'une personne supplémentaire afin d'assurer l'efficacité et la continuité de ces services.

En règle générale, les avocats sont satisfaits du niveau de service assuré par les Services judiciaires, même si certains ont parfois été confrontés à des retards dans la communication de renseignements. Dans l'ensemble, cependant, les avocats sont contents des services rendus et ceux qui exercent depuis longtemps à Iqaluit sont impressionnés par les améliorations apportées par le personnel et la direction.

Les services d'interprétation constituent un aspect important du processus judiciaire au Nunavut. Alors qu'on considère généralement que l'interprétation en cour s'est améliorée au point d'être désormais très efficace, certains avocats continuent d'être préoccupés par la qualité de l'interprétation, notamment dans l'Arctique de l'Ouest où le dialecte peut poser problème aux interprètes qui se déplacent avec la Cour. Le cours annuel d'interprétation judiciaire d'une durée de huit semaines qui est actuellement parrainé par la CJN tente de répondre à cette préoccupation. Les membres des collectivités sont généralement satisfaits des services d'interprétation assurés par la Cour.

En ce qui concerne les systèmes de gestion de l'information de la Cour, de nombreuses améliorations ont été apportées depuis 1999. Les praticiens souhaitent l'élaboration d'un système comprenant des numéros de référence communs entre les systèmes de la Cour, de la GRC, du ministère public et de l'aide juridique. De même, les avocats aimeraient disposer de ressources de production de documents électroniques leur permettant de transmettre des documents par voie électronique à la Cour lorsque celle-ci effectue un circuit. Cela pourrait être particulièrement utile lorsque les avocats comparaissent par téléphone. Les juges élaborent des formules types pour divers types d'ordonnances. Par exemple, un juge a recours actuellement à des formulaires types pour ses ordonnances de condamnation avec sursis.

L'informatisation des dossiers de la Cour est en cours. À l'heure actuelle, les dossiers de nature pénale sont conservés sous format informatique depuis janvier 2001, et les dossiers de nature civile, y compris en matière familiale, depuis janvier 2003. Les dossiers sur papier antérieurs à l'année en cours sont actuellement conservés dans une installation qui ne répond pas aux normes et dont le caractère sécuritaire est douteux.

Le nouveau palais de justice, dont les locaux situés à Iqaluit servent exclusivement à la Cour, devrait améliorer les conditions de travail, l'accès du public et la sécurité. Les locaux au sein des collectivités demeurent très médiocres, bien que la plupart des praticiens et des membres des collectivités admettent que ces locaux représentent ce que les collectivités peuvent offrir de mieux. Dans la plupart des collectivités, la piètre qualité des services téléphoniques constitue une véritable préoccupation. Les problèmes associés au téléphone entraînent des frustrations chez les juges, les avocats et leurs clients dans les affaires qui mettent en cause des parties qui se trouvent dans des collectivités différentes.

6. Vues d'ensemble concernant la Cour de Justice du Nunavut

Tant les praticiens que les résidents des collectivités, y compris les membres des comités de justice communautaire, considèrent que les services rendus par la CJN se sont grandement améliorés depuis 1999 et que la Cour s'est affirmée comme une institution qui fonctionne bien, en dépit de circonstances très difficiles. Alors qu'il reste des améliorations à mettre en œuvre – comme, par exemple, en augmentant le nombre de circuits, en réduisant davantage les délais de traitement des affaires et en confiant de plus grandes responsabilités aux comités de justice communautaire – la plupart des personnes interrogées sont satisfaites des normes actuelles en matière d'administration de la justice.

L'ensemble des personnes interrogées étaient préoccupées par le manque de programmes en milieu communautaire, notamment en matière de services de probation. On s'entend pour dire que cette responsabilité ne relève pas de la compétence de la CJN. Cependant, les praticiens et les membres des collectivités estiment que ce problème nuit à l'administration de la justice.

7. Atteinte des objectifs généraux

Les objectifs généraux de la nouvelle Cour tels qu'ils sont vus par les ministères de la Justice fédéral et territorial et la magistrature du Nunavut sont les suivants :

Les répondants clés et les membres des collectivités s'accordaient généralement pour dire que tant la Cour à palier unique que celle à double palier (telle qu'elle existait avant 1999) accomplissent un travail efficace afin de garantir les mêmes droits que ceux dont jouissent les autres Canadiens. En ce qui concerne les deuxième et surtout troisième objectifs, les renseignements recueillis dans le cadre de la présente évaluation donnent à penser que la CJN a apporté des améliorations en matière d'administration de la justice dans les collectivités de l'ensemble du territoire. À quelques exceptions près, les répondants clés et les membres des collectivités ont affirmé au cours du processus d'évaluation que la CJN s'acquitte bien de sa mission consistant à rendre la justice, eu égard notamment aux difficultés auxquelles elle est confrontée. Les Nunavummiut ont quelques préoccupations, comme on pouvait s'y attendre, mais ils sont globalement satisfaits de la Cour et des améliorations auxquelles elle a procédé avec le temps.