Interaction entre les capacités de développement des enfants et l'environnement d'une salle d'audience : Incidences sur la compétence à témoigner

2. Liens de causalité entre les capacités cognitives et les témoignages des enfants (suite)

2.LIENS DE CAUSALITÉ ENTRE LES CAPACITÉS COGNITIVES ET LES TÉMOIGNAGES DES ENFANTS (suite)

2.9 Concepts liés aux tribunaux chez les enfants

La réalité est que la plupart des enfants savent peu de chose au sujet des tribunaux et du système de justice pénale avant l'âge de dix ans. Et pourquoi en serait-il autrement? Certains enfants ont de fausses conceptions concernant les tribunaux qui leur viennent des émissions télévisées, qui exagèrent ou déforment la réalité. D'autres n'ont aucune idée de ce qui se passe dans une salle d'audience. Les enfants-témoins témoignent à la barre lorsqu'ils sont plaignants dans des causes liées à de la violence sexuelle ou physique ou qu'ils sont témoins de mauvais traitements envers d'autres enfants, ou encore lorsqu'ils assistent à l'agression ou au meurtre d'un adulte dans les cas de violence familiale. Ils peuvent être considérés comme des témoins potentiels toutes les fois qu'on estime qu'ils possèdent de l'information judiciaire pertinente au sujet de choses qu'ils ont vues ou vécues. Lorsqu'une telle décision est prise, ils sont entraînés dans un système qui leur est inconnu.

Warren-Leubecker, Tate, Hinton et Ozbeck (1989) ont souligné le fait qu'un enfant peut percevoir le juge comme étant un homme d'une stature imposante revêtu d'une mante noire et ayant le pouvoir de punir, sans comprendre qu'ils ne seront pas l'objet de cette punition. Les jeunes enfants, tout particulièrement, peuvent penser qu'ils comprennent le processus légal mais se méprendre dans les faits.

Plusieurs études excellentes ont été réalisées sur la compréhension du processus juridique chez les enfants (Cashmore et Bussey, 1990; Flin et coll., 1989; Melton, Limber, Jacobs et Oberlander, 1992; Peterson-Badali , Abramovitch et Duda, 1997; Saywitz et coll., 1990; Warren-Leubecker et coll., 1989). La plupart des études mettent l'accent sur la compréhension des procédures judiciaires en fonction de l'âge. Selon l'une des conclusions communes à ces études, les enfants acquièrent une meilleure compréhension des termes et des procédures juridiques au fur et à mesure qu'ils vieillissent.

Dans une étude publiée en 1989, Flin et coll. ont étudié environ 90 enfants écossais âgés de six, huit et dix ans. Ils ont conclu qu'à l'âge de dix ans, la plupart des enfants comprenaient le rôle du juge, du témoin et de la police, et ce que signifiait « enfreindre la loi ». Ils ne comprenaient pas, cependant, le rôle des avocats et du jury. Ils ne comprenaient pas ce qu'était un procès ou ce que signifiait le mot « preuve », et aucun d'entre eux ne comprenait la raison pour laquelle un tribunal s'appuierait sur des preuves pour rendre un jugement.

Aux États-Unis, Warren-Leubecker et coll. (1989) ont étudié plus de 500 enfants âgés entre trois et quatorze ans au sujet de leurs connaissances sur le plan juridique. Ils ont aussi trouvé que les connaissances de nature juridique variaient selon l'âge. Fait préoccupant, ils ont conclu que les enfants âgés entre quatre et huit ans savaient très peu de choses sur le personnel juridique et le déroulement d'un procès.

En 1990, Cashmore et Bussey se sont penché sur la connaissance qu'ont les enfants australiens du personnel juridique. Ils ont étudié des enfants âgés entre six et quatorze ans, et ils ont également conclu à une évolution chronologique sur le plan des connaissances. Leur étude a révélé que les rôles des juges et des témoins étaient compris en premier, et les rôles des avocats et du jury par la suite. En 1997, Peterson-Badali et coll. ont trouvé que la plupart des jeunes délinquants inculpés d'une infraction ne comprenaient pas précisément en quoi consistait une relation avocat–client. Ils ont étudié des jeunes qui présentaient un risque de récidive et participaient à un programme de traitement et ont été préoccupés du manque de connaissances démontré par ces jeunes quant aux procédures établies et au système de justice pénale.

Les travailleurs de soutien pour les victimes-témoins et les enfants-témoins qui préparent les jeunes enfants à témoigner devant les tribunaux ont indiqué qu'ils étaient souvent étonnés de l'ignorance de la terminologie et des procédures juridiques chez les enfants, ainsi que de leur naïveté. Le plus souvent, les enfants sont persuadés que tous les adultes présents dans la salle d'audience les croiront lorsqu'ils expliqueront ce qui est arrivé, et que tous les adultes (autres que l'accusé) souhaitent le même aboutissement qu'eux. Cette supposition englobe souvent l'accusé, particulièrement lorsqu'il s'agit d'un parent. On a déjà entendu de jeunes enfants dire avec beaucoup de conviction que leur parent maltraitant dira probablement la vérité au tribunal au sujet des mauvais traitements parce qu'il est interdit de mentir à la Cour, ou que le parent maltraitant dira la vérité parce qu'il sera peiné de les voir pleurer à la barre. Il est inutile de dire que ceci se produit rarement.

Bon nombre d'enfants ont des attentes irréalistes vis-à-vis du juge. En effet, ils sont persuadés que le juge redressera tous les torts commis par l'accusé. Il n'est pas surprenant que les enfants-témoins aient une telle difficulté à comprendre qu'un juge puisse rendre une décision en se fondant sur la norme voulant que la preuve soit établie hors de tout doute raisonnable. Ils s'attendent à ce que le juge évalue les faits selon leur point de vue. Cela est l'une des raisons pour laquelle la préparation à la comparution est si importante pour les enfants-témoins.

L'une des autres raisons pour lesquelles les enfants éprouvent des difficultés devant les tribunaux est qu'ils ne sont pas conscients du fait que les avocats de la défense ne sont pas de leur côté. Il peut être particulièrement pénible de voir leur confusion lorsque leur version des faits est contestée et qu'ils font l'objet d'intimidation quand ils sont à la barre. Cela est attribuable au fait que les jeunes enfants (moins de dix ans) ont de la difficulté à comprendre le système d'opposition, les rôles rivaux, les opinions diamétralement opposées et la poursuite de deux buts différents relativement à une même cause. Les enfants ne possèdent pas nécessairement les capacités cognitives qui permettent de comprendre les règles sous-jacentes du jeu. En résultat, ils ne sont pas prudents de la même façon que les adultes lorsqu'ils sont interrogés à la barre. Ils ne se rendent pas compte qu'un contre-interrogatoire récusatoire vise à les discréditer. Lorsqu'un avocat de la défense évoque de l'information erronée, ils ont tendance à croire qu'il s'agit d'une erreur de bonne foi et non d'une tactique qui a pour but de les discréditer.

Les études sur le développement appuient les observations cliniques selon lesquelles les enfants âgés de moins de neuf ans s'attendent à un degré de sincérité qui est absent du processus d'opposition parce qu'ils ne connaissent pas encore les conditions pouvant enfreindre le postulat de sincérité. Cette incapacité à comprendre les intentions d'un avocat peut influer sur l'empressement d'un enfant à acquiescer à des questions trompeuses à la barre. Le fait de ne pas comprendre la situation dans son ensemble rend un enfant-témoin plus vulnérable aux attaques à leur crédibilité.

Une analogie appropriée pourrait être une situation où, dans le cadre d'un processus d'évaluation, on demanderait à un adulte de répondre aux questions du test d'intelligence de Weschler pour adultes (WAIS) sans préciser qu'il doit le faire dans un laps de temps donné. Faute de savoir ceci, l'adulte travaillerait lentement et méticuleusement en répétant chaque étape pour s'assurer de l'exactitude des résultats, mais ne répondrait qu'à la moitié des questions. Une telle stratégie donnerait lieu à un résultat global très faible. Dans cet exemple, la connaissance du facteur temps est très importante, et son ignorance a des répercussions négatives sur les résultats. Les jeunes enfants qui témoignent devant un tribunal sont confrontés à un problème similaire. L'issue du procès peut être compromise du fait qu'ils ne connaissent pas les règles sous-jacentes du jeu et qu'ils adhèrent à un postulat de sincérité auquel ne souscrivent pas toujours les adultes qui les interrogent.

Dans la version préliminaire d'une étude réalisée avec Aldrige en 1999 et intitulée The extent of children's knowledge of court as estimated by Guardians ad Litem, Eltringham suggère que de nombreux professionnels du système de justice pénale exagèrent l'étendue des connaissances des enfants sur les procès. Dans cet ouvrage, il attribue cette exagération au défaut d'adopter le point de vue psychologique des enfants qui doivent se soumettre au système de justice. Ils ont trouvé des divergences entre ce qu'un enfant de onze ans savait réellement au sujet du système judiciaire et ce que les tuteurs d'instance pensaient que les enfants savaient. Ils en ont conclu qu'il arrivait parfois que les enfants n'étaient pas bien préparés en raison de cette fausse perception et recommandent que plus d'efforts soit déployés pour évaluer la compréhension et les connaissances des enfants.

En 2000, Maunsell a soutenu une thèse de doctorat au Trinity College de Dublin, en Irlande, dans le cadre de laquelle il a présenté ses résultats sur la compréhension des enfants irlandais du système de la justice pénale. À l'instar d'autres chercheurs, elle a trouvé que l'âge des enfants avait un effet important sur leur compréhension du système légal. Plus l'enfant était âgé, mieux il connaissait les termes et les procédures juridiques. En se fondant sur ces résultats, elle a conclu que la plupart des enfants âgés de moins de neuf ans ne comprenaient pas suffisamment le système de justice pénale pour y participer de façon utile à titre de témoin. Elle recommande fortement que tous les enfants-témoins soient préparés à comparaître afin de combler leurs lacunes sur le plan des connaissances.

Dans tous les cas, ces études révèlent le déséquilibre qui existe dans une salle d'audience lorsque des enfants qui ne connaissent pas les termes et les procédures juridiques doivent se mesurer contre des adultes qui ont plus de connaissances qu'eux et sont en mesure de voir le « portrait global ». On ne peut trop insister sur la nécessité de faire appel à des programmes de préparation à la comparution pour aider les enfants-témoins à comprendre le système de justice pénale et à interagir plus efficacement.

En résumé, le raisonnement et les connaissances chez les enfants varient entre les enfants d'âges différents et entre des enfants différents du même âge. Cette variabilité peut même se produire chez un même enfant, dans diverses situations de résolution de problèmes (Siegler, 1991). Les enfants peuvent fonctionner à un stade de développement plus élevé dans un certain domaine avec beaucoup de pratique (Lee, 2000). Woolard et coll. (1996) suggèrent que les recherches en psychologie doivent refléter les tendances des recherches sur le développement pour ce qui est de cerner les cheminements ou les trajectoires de développement qui permettent d'acquérir le comportement adéquat. Cela est particulièrement important dans le cas des enfants–témoins, car le fait d'ignorer cette variabilité dans les capacités cognitives peut créer des difficultés chez les professionnels qui doivent déterminer la compétence à témoigner ainsi que les capacités de communication d'un enfant appelé à témoigner.

Le tableau 2 présente un résumé des conclusions pertinentes sur les capacités cognitives des enfants par rapport aux exigences auxquelles ils doivent répondre à titre de témoins. Il ressort clairement de ces conclusions que les avocats et le système judiciaire doivent modifier la nature et le contenu de nombreuses questions posées aux enfants qui témoignent.

Tableau 2: Habiletés cognitives influant sur la capacité des enfants à témoigner
Habiletés cognitives Préscolaire ( 3 à 5 ans ) Début primaire ( 6 à 9 ans ) Fin primaire ( 10 à 12 ans ) Début de l'adolescence ( 13 à 14 ans )
Connaissances spécifiques au système judiciaire Non Minimale Oui Oui
Compréhension d'un serment, d'un mensonge, de la vérité et d'une promesse Minimale Oui, sauf pour le terme « serment » Oui Oui
Capacité de deviner les intentions, les raisons et les sentiments d'autrui Non Non Oui Oui
Compréhension des messages verbaux ambigus Non Non Oui Oui
Capacité de comprendre une question hypothétique Non Non Avec difficulté Oui
Capacité d'estimer le nombre d'occurrences, de dire l'heure et de fournir des mesures exactes Non Non Oui Oui
Capacité de vérifier sa propre compréhension Non Non Oui Oui