Projet de loi C-46 : Demandes de communication de dossiers à la suite de l'arrêt Mills, examen de la jurisprudence

3. Statistique sur les agressions sexuelles (suite)

3. Statistique sur les agressions sexuelles (suite)

3.4 Caractéristiques des crimes d'agression sexuelle et de ses victimes

3.4.1 La majorité des agressions sexuelles ne sont pas signalées à la police

Les agressions sexuelles figurent parmi les crimes qui sont le moins signalés à la police[75]. L'Enquête sociale générale de 1999 (ESG) sur la victimisation a révélé que 78 % des agressions sexuelles n'étaient pas signalées à la police[76]. De plus, les agressions sexuelles ne sont pas toujours signalées immédiatement. Dans certains cas, les cas sont déclarés beaucoup plus tard[77].

Les victimes ne signalent pas les incidents d'agression sexuelle à la police pour bien des raisons[78]. Voici certaines des explications fournies par les victimes : l'incident a été réglé d'une autre façon (61 %), il n'a pas été jugé suffisamment important (50 %), il était considéré comme une affaire personnelle (50 %) ou les victimes ne voulaient pas que la police soit informée (47 %). Le tiers (33 %) des victimes qui n'ont pas signalé l'incident à la police estimaient que la police ne pouvait rien faire pour elles, et environ le cinquième (18 %) croyaient que la police ne pourrait pas les aider. Un autre cinquième (19%) des victimes d'agression sexuelle n'ont pas signalé l'incident à la police parce qu'elles craignaient la vengeance du délinquant, et 14 % des victimes interrogées voulaient éviter toute publicité concernant l'incident[79].

3.4.2 Protection de la vie privée et confidentialité des victimes

Les questions relatives à la protection de la vie privée et à la confidentialité sont très importantes pour les victimes d'agression sexuelle et sont liées aux raisons pour lesquelles les victimes ne signalent pas ces crimes à la police. Selon le rapport du CCSJ intitulé Les infractions sexuelles au Canada,

Les motifs de non-déclaration à la police qui ressortent chez les victimes d'agression sexuelle comparativement aux autres crimes avec violence mesurés par l'ESG ont trait à la nature délicate de l'événement : ces victimes étaient proportionnellement plus nombreuses à éviter d'appeler la police parce qu'elles considéraient qu'il s'agissait d'une affaire personnelle qui ne concernait pas la police, ou par crainte de la publicité[80].

Les victimes d'agression sexuelle sont également peu disposées à demander de l'aide. Le rapport du CCSJ intitulé Les infractions sexuelles au Canada précise que

Tout comme les victimes d'agression sexuelle sont moins portées que ne le sont les victimes d'autres crimes avec violence à signaler l'affaire à la police, elles sont moins susceptibles d'obtenir de l'aide auprès de sources de soutien officielles ou personnelles. Comparativement aux victimes de vol qualifié ou de voies de fait, des pourcentages moins élevés ont parlé de l'affaire avec des membres de leur famille, des amis, des voisins ou des collègues[81].

3.4.3 Groupe à risque élevé

Certains groupes de la population sont jugés plus vulnérables aux agressions sexuelles. Le sexe est le facteur le plus important[82]. Les femmes sont beaucoup plus susceptibles d'être victimes d'agression sexuelle que de tout autre type de crime violent. Par exemple, en 2002, les femmes constituaient environ la moitié des victimes de crimes violents; toutefois, elles représentaient 85 % des victimes d'agression sexuelle déclarée de l'échantillon de services de police[83],[84]. Les agressions sexuelles contre des femmes sont répandues dans la société canadienne, et les femmes peuvent être victimes de nombreux incidents du genre au cours de leur vie. L'Enquête sur la violence envers les femmes de 1993 effectuée par Statistique Canada (qui ne comprend pas les incidents touchant des victimes de moins de 16 ans) a révélé que plus de la moitié des femmes qui avaient signalé une agression sexuelle ont signalé plusieurs agressions. L'enquête intitulée The Women's Safety Project effectuée au cours de la même année a révélé que 69 % des femmes qui ont signalé avoir été agressées sexuellement pendant leur enfance ont également signalé avoir été agressées sexuellement après l'âge de 16 ans[85].

De plus, les femmes sont beaucoup plus susceptibles d'être victimes des agressions sexuelles des niveaux les plus graves. Selon le rapport du CCSJ sur les Délinquants sexuels, « En comparaison aux hommes, les femmes courent plus de risques d'être victimes d'agression sexuelle de niveau 2 et 3 et sont moins susceptibles d'être victimes des autres types d'agressions sexuelles[86]. » Les victimes adultes étaient également plus susceptibles d'être victimes d'agression sexuelle de niveau 2 et 3 par rapport aux agressions de niveau 1 qui étaient plus souvent infligées à des enfants. Même si un nombre beaucoup moins élevé de victimes étaient des hommes, les jeunes garçons représentaient un pourcentage relativement élevé de mineurs victimes d'agression sexuelle.

Les groupes désavantagés de femmes dans la société canadienne sont particulièrement vulnérables aux agressions sexuelles. Les femmes handicapées et celles qui vivent en établissement, les femmes autochtones, particulièrement dans le Nord et les territoires, les femmes célibataires, séparées ou divorcées et les femmes sans emploi ou ayant faible revenu courent des risques plus élevés d'être agressées sexuellement.

Par exemple, Sobsey a conclu que

[traduction] « les enfants et les adultes handicapés sont particulièrement vulnérables à l'exploitation ou aux agressions sexuelles[87] ».

La recherche de Stimpson et Best révèle que

[traduction] « […] 40 % des femmes handicapées ont été agressées, agressées sexuellement ou violentées d'une quelconque façon ».

Ces chercheurs estiment que 83 % des femmes handicapées seront agressées, agressées sexuellement ou violentées au cours de leur vie[88]. La recherche fondée sur l'Enquête sur la violence envers les femmes a révélé que

[traduction] « […] 39 % des femmes handicapées ou ayant des problèmes de santé invalidants et qui ont déjà été mariées ont signalé des agressions physiques ou sexuelles de la part de leur conjoint au cours de leur mariage, comparativement à 29 % des femmes en général[89] ».

De plus, les personnes handicapées courent plus de risques d'être victimes des formes d'agressions sexuelles les plus graves[90]. En 1993, le Comité canadien sur la violence faite aux femmes a conclu que 18 % des femmes au Canada ont un handicap. Sorenson résume les résultats figurant dans la documentation :

[Traduction] Étude après étude, on remarque que les taux de crimes violents sont de quatre à dix fois plus élevés [contre les personnes handicapées] que ceux contre la population en général. Le taux d'agressions sexuelles fait particulièrement frémir. Une étude a révélé que 83 % des femmes et 32 % des hommes ayant des troubles de développement dans les échantillons avaient été agressés sexuellement. D'autres études ont révélé que de 86 % à 91 % des femmes dans leurs échantillons avaient été agressées sexuellement[91], [92].

Un examen de la documentation de recherche effectuée par Roberts révèle non seulement que les femmes handicapées qui vivent en établissement courent des risques plus élevés d'être victimes d'agression sexuelle, mais également que plus de la moitié des agresseurs font partie du réseau de soins de santé. Il cite une étude sur les femmes en établissement psychiatrique de 1990, qui a révélé ce qui suit :

[…] 37 % de celles qui avaient été interviewées avaient été agressées sexuellement à l'âge adulte[93]. Dans une étude en 1986 sur les femmes ayant des déficiences, on a indiqué que 63 % avaient été agressées par une personne dans le réseau des soins de santé. [Traduction] Selon le Comité canadien sur la violence faite aux femmes, l'impuissance totale des établissements rend également les femmes âgées très vulnérables à l'exploitation sexuelle et physique[94].

L'âge a également une incidence sur la vulnérabilité aux agressions sexuelles. Les jeunes femmes et les enfants courent les risques les plus élevés d'être victimes d'agression sexuelle. Il s'agit également des groupes représentant la plus grande proportion de résidents des refuges au Canada. Même si les enfants et les jeunes de moins de 18 ans ne représentent que le cinquième de la population (21 %) en 2002, par exemple, ils ont été victimes de 61 % des infractions d'ordre sexuel signalées à la police[95]. Le plus grand nombre d'infractions d'ordre sexuel signalées à la police concernaient des filles âgées de 11 à 19 ans, principalement de 13 ans (781 pour 100 000 habitants). De plus, dans le cadre de l'ESG de 1999, on a interrogé des jeunes et des adultes (15 ans et plus) et conclu que les taux d'agressions sexuelles les plus élevés visaient des catégories précises de jeunes femmes :

« chez les personnes de 15 à 24 ans, chez les personnes célibataires, séparées ou divorcées[96], de même que chez les étudiants, chez les personnes qui participaient à au moins 30 activités en soirée à l'extérieur du domicile par mois et chez les personnes dont le revenu du ménage était inférieur à 15 000 $ ou qui vivaient en milieu urbain[97] ».

3.4.4 La victime connaît généralement l'accusé

Dans la plupart des crimes d'agression sexuelle, la victime connaît l'accusé (dans 80 % des infractions d'ordre sexuel en 2002). Deux cinquièmes des victimes (41 %) ont été agressées par une connaissance, 10 % par un ami, 28 % par un membre de la famille et les 20 % restants, par un étranger. Plus de la moitié des agressions sexuelles contre des adultes (52 %) et des jeunes âgés de 12 à 17 ans (58 %) ont été commis par des amis ou des connaissances[98]. Les victimes peuvent être réticentes à signaler des incidents à la police ou à demander de l'aide parce qu'elles connaissent l'accusé.

Les enquêtes menées auprès des victimes révèlent également que les jeunes adolescentes sont les plus touchées dans des cas d'agression sexuelle liée à la famille ou à des fréquentations. Les taux d'agressions sexuelles pour les victimes masculines étaient plus élevés chez les garçons âgés de 3 à 14 ans, crimes qui sont habituellement commis contre des filles de leur propre groupe d'âge[99].La plupart des enfants habitant dans des refuges faisaient partie des groupes d'âge courant des risques élevés d'être victimes d'agression sexuelle, particulièrement par un parent, un membre de la famille ou une connaissance.

3.4.5 Différences entre les sexes dans le cas de la violence conjugale commise par un ex-conjoint et leurs conséquences physiques et émotionnelles

La violence conjugale est un grave problème de plus en plus reconnu de la société canadienne. Selon le rapport intitulé La violence familiale au Canada,« [l]e quart de toutes les infractions avec violence signalées à un échantillon de services de police en 2001 représentaient des cas de violence familiale […]. Les deux tiers de ces cas comportaient des actes de violence commis par un conjoint ou un ex-conjoint, et dans 85 % des cas, les victimes étaient des femmes[100] ». On a observé une augmentation du nombre de femmes et d'hommes victimes de violence conjugale de 1995 à 2001. Toutefois, les taux de violence conjugale contre les femmes est beaucoup plus élevé (344 incidents pour 100 000 femmes âgées de 15 ans et plus dans la population en 2001, chiffre qui s'établissait à 302 en 1995) par rapport aux actes commis contre des hommes (62 incidents pour 100 000 hommes dans la population en 2001, chiffre qui s'établissait à seulement 37 six ans plus tôt)[101].

Des taux semblables d'actes de violence conjugale sont signalés par les deux sexes[102]. Toutefois, un taux beaucoup plus élevé de femmes ont été agressées sexuellement par leur conjoint (20 %), par rapport aux hommes (3 %).

[Traduction] La violence conjugale comprend souvent divers types d'infractions. La violence conjugale comprend les agressions sexuelles, les voies de fait, les menaces, le harcèlement, le meurtre, la tentative de meurtre et d'autres crimes violents. Les statistiques policières sous-estiment les agressions sexuelles, car seuls les crimes les plus graves sont signalés à la police[103].

3.5 En raison de multiples facteurs, les femmes sont plus susceptibles d'avoir un dossier thérapeutique

La recherche de Roberts révèle des taux élevés d'agressions sexuelles contre les femmes ayant des conséquences psychologiques et physiques, lesquelles se retrouvent avec un dossier thérapeutique car elles doivent suivre une thérapie. L'auteur explique que :

[Traduction]
La recherche a clairement montré les effets néfastes sur la santé de tout geste criminel, particulièrement d'une agression sexuelle. Chez un échantillon représentatif de 2 004 femmes adultes qui ont été interrogées au sujet de leurs expériences en tant que victimes et de leurs problèmes de santé mentale, Kilpatrick et coll. (1985, 866) a conclu que les victimes d'actes criminels, particulièrement les femmes qui avaient subi un viol, une tentative de viol ou une atteinte à la pudeur, couraient beaucoup plus de risques de dépression nerveuse, d'idées suicidaires et de tentative de suicide que celles qui n'avaient aucunement été victimes. Près du cinquième des victimes de viol ont tenté de se suicider – soit 8,7 fois plus que les femmes qui n'ont pas été victimes (2,2 %) (p. 873). Il est également essentiel de comprendre que les séquelles d'une agression sexuelle durent beaucoup plus longtemps que celles causées par d'autres crimes. Plus le traumatisme de la victime est long, plus elle est susceptible de demander de l'aide médicale ou psychiatrique professionnelle et d'avoir ainsi un dossier thérapeutique [104].

Roberts ajoute que les dossiers thérapeutiques sont plus communs chez les femmes que chez les hommes et qu'en raison de multiples facteurs de risque co-occurrents, certains groupes spécifiques de femmes courent plus de risques d'avoir un dossier thérapeutique.

L'auteur donne les explications suivantes :

[Traduction]
On remarque des différences entre les sexes en ce qui concerne les victimes de criminalité, les symptômes médicaux psychiatriques de la victime et la création d'un dossier thérapeutique. La différence entre les sexes est très marquée en ce qui concerne la première question. Néanmoins, un fort pourcentage de femmes [par rapport aux hommes] signalent des symptômes médicaux et psychologiques, et les femmes sont beaucoup plus susceptibles d'avoir recours à des services médicaux et thérapeutiques et à des services de counseling. Parmi ces femmes, on compte les femmes handicapées, les femmes appartenant à des groupes à faible revenu, les jeunes femmes et les femmes autochtones. Enfin, il est important de souligner que bon nombre de ces facteurs de risque sont co-occurrents, ce qui signifie qu'elles sont désavantagées à plusieurs niveaux : elles peuvent par exemple être handicapées et pauvres[105].

Roberts souligne que lorsque les femmes

[traduction] « atteignent l'âge moyen, une grande partie d'entre elles ont un dossier thérapeutique quelconque. Comme la plupart de ces dossiers contiennent de l'information personnelle, il est raisonnable de supposer que la confidentialité du sujet du dossier doit être protégée[106] ».

En résumé, les actes de violence à l'endroit des femmes, y compris les agressions sexuelles, sont plus souvent commis par quelqu'un qui est connu de la victime. Les femmes sont plus souvent victimes de violence conjugale et d'actes de violence de la part de l'ex-conjoint ainsi que d'une multitude de formes plus graves, plus fréquentes et plus longues de mauvais traitements physiques et psychologiques de la part du conjoint que les hommes. Par conséquent, les femmes ont généralement des séquelles médicales et psychologiques plus graves. Les femmes sont plus susceptibles d'avoir recours à des services médicaux et psychologiques et de se protéger de leur ex-conjoint dans des refuges. Elles sont donc plus susceptibles d'avoir un dossier thérapeutique que les hommes.