1.1 Introduction
Le présent rapport est déposé conformément à l’article 31.1 de l’ancien projet de loi C-46 : Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, qui prévoyait que le ministre de la Justice et procureur général du Canada devait, dans les trois ans suivant l’entrée en vigueur, soit le 18 décembre 2018, entreprendre un examen complet de la mise en œuvre et de l’application des dispositions édictées par la Loi.
L’examen doit également permettre d’évaluer si la mise en œuvre et l’application de la loi ont donné lieu à un traitement différent vis-à-vis un groupe spécifique pour un motif de discrimination interdite. Cet examen est également l’occasion de faire le point sur les données actuelles concernant la conduite avec capacités affaiblies, d’identifier les premières tendances ainsi que les questions à surveiller dans le cadre de la lutte actuelle contre la conduite avec capacités affaiblies par la drogue et l’alcool.
1.2 Contexte
L’objectif ultime de la Loi était de réduire le nombre de décès et de blessures causés par les conducteurs avec capacités affaiblies sur les routes canadiennes. En plus de nécessiter de nouveaux outils et de nouvelles infractions pour lutter contre la conduite avec capacités affaiblies par la drogue avant la légalisation du cannabis, le régime de conduite avec capacités affaiblies du Code criminel était complexe et difficile à appliquer. Il contenait des infractions qui se chevauchaient, permettait des défenses de common law qui encourageaient des comportements risqués et constituait un domaine du droit qui comptait parmi les plus contestés, ce qui prenait une part disproportionnée du temps des tribunaux.
Ainsi, la Loi a renforcé l'approche de la conduite avec capacités affaiblies par la drogue et a abrogé le régime actuel d'infractions liées au transport pour le remplacer par un nouveau cadre modernisé, simplifié et cohérent qui vise à : rendre la loi plus facile à comprendre et à appliquer, dissuader et améliorer la détection des conducteurs avec capacités affaiblies, entraîner des gains d'efficacité dans le système de justice pénale et, au final, sauver des vies.
À l’appui de ces modifications législatives, le gouvernement du Canada a également annoncé en 2017 un financement fédéral de 161 millions de dollars pour soutenir le nouveau régime de conduite avec capacités affaiblies par la drogue (l’initiative de financement). L’initiative de financement pour la conduite avec capacités affaiblies par la drogue visait à : former les agents de première ligne à détecter les conducteurs avec capacités affaiblies par la drogue, renforcer capacités d’application de la loi, fournir l’accès au matériel de détection des drogues approuvé (MDDA), ainsi qu’à mener des activités de politique, de recherche et de sensibilisation du public autour de la conduite avec capacités affaiblies par la drogue.
La section suivante donne un aperçu de haut niveau de certains des changements législatifs pour lesquels nous disposons de certaines données permettant d’en évaluer l’impact. Une explication approfondie des changements adoptés se trouve dans le document de Justice Canada intitulé « Document d’information pour l’ancien projet de loi C-46, Loi modifiant le Code criminel (infractions relatives aux moyens de transport) et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, tel que promulgué » (ministère de la Justice du Canada 2019).
1.2.1 Détection et dissuasion de la conduite avec capacités affaiblies
Dépistage obligatoire de l’alcool (DOA)
L’une des modifications qui a fait l’objet de nombreuses discussions au Parlement est le DOA (désormais le paragraphe 320.27(2) du Code criminel). Le DOA autorise un agent de la paix, qui a arrêté légalement un conducteur en vertu d'autres pouvoirs, à exiger un échantillon préliminaire d'haleine au moyen d’un appareil de détection approuvé afin de vérifier la présence d'alcool. La Loi a supprimé l'exigence précédente selon laquelle un agent devait d’abord avoir un motif raisonnable de soupçonner que le conducteur avait de l’alcool dans son organisme avant de pouvoir faire cette demande. La norme de soupçons raisonnables a été supprimée parce que les preuves indiquent qu’il peut être difficile de développer des soupçons lors d’une brève interaction au bord de la route, ce qui fait que les policiers manquent un nombre important de conducteurs en état d’ébriété. Le DOA n’est pas un pouvoir d'interception; un conducteur ne peut être intercepté par un policier que s’il agit dans le cadre de ses autres pouvoirs, notamment en vertu de la common law et des pouvoirs provinciaux en matière de circulation routière. Ce n’est qu’une fois que le conducteur est intercepté légalement que le pouvoir de la DOA peut être utilisé.
1.2.2 Renforcement de la conduite avec capacités affaiblies par la drogue
Infractions relatives à la concentration de drogue dans le sang (CDS) et autorisation des appareils de détection dans le liquide buccal
En réponse aux craintes que la légalisation du cannabis n'entraîne une augmentation du nombre de personnes conduisant sous son influence, la loi a renforcé l’approche de la conduite avec capacités affaiblies par la drogue en autorisant l’utilisation d’un nouvel outil de dépistage au bord de la route et en créant trois infractions pour avoir eût une CDS égale ou supérieure à la limite prescrite pour certaines drogues, substances (y compris le THC) qui affaiblissent capacités dans les deux heures précédant la conduite.
Les outils de dépistage (matériel de détection des drogues approuvé) sont des appareils de détection des drogues dans le liquide buccal qui détectent certaines drogues qui affaiblissent capacités à un seuil précis des conducteurs soupçonnés de conduire avec capacités affaiblies. Le dépistage obligatoire des drogues n'est actuellement pas autorisé par la loi; les agents de la paix ne peuvent exiger un échantillon de liquide buccal que s'ils ont un motif raisonnable de soupçonner la présence de drogue dans l’organisme du conducteur.
Les nouvelles infractions sont fondées sur la concentration de certaines drogues interdites (dont le THC) dans le sang d’un conducteur (les infractions sont énoncées au paragraphe 320.14(1), et les niveaux de drogues interdites sont fixés par règlement (DORS/2018-148)).
Les infractions sont les suivantes :
- une infractionpunissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire qui interdit d’avoir entre 2 et 5 ng de THC par ml de sang;
- une infraction hybride qui interdit la présence de taux plus élevés de certaines drogues prises isolément (par exemple, 5 ng ou plus de THC par ml de sang);
- une infraction mixte qui consiste à avoir un niveau interdit de drogue et d'alcool lorsque ces substances sont combinées (par exemple 2,5 ng de THC par ml de sang et 50 mg d'alcool par 100 ml de sang).
La première infraction est punissable d'une amende maximale de 1 000 $. Les deuxième et troisième infractions sont punissables de la même manière que les autres infractions de conduite avec capacités affaiblies (c'est-à-dire une amende minimale de 1 000 $ et un emprisonnement maximal de 2 ans moins un jour pour une première infraction sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, et un emprisonnement maximal de 10 ans par voie de mise en accusation).
Demande d'une évaluation en reconnaissance de drogue
La Loi a modifié la législation afin de clarifier et de renforcer le processus d'évaluation en reconnaissance de drogue (ERD). Par exemple, tout policier ayant des motifs raisonnables de croire qu'une infraction de conduite avec capacités affaiblies par la drogue ou qu’une infraction relative à la CDS a été commise peut, au lieu de demander une ERD, demander un échantillon de sang. La Loi a également confirmé que le témoignage d'un expert en reconnaissance de drogue est admissible au procès, sans qu'il soit nécessaire d'établir qu'il s'agit d'un expert dans chaque cas, et elle a facilité le prélèvement de sang en supprimant l'obligation de le faire sous la supervision d'un médecin.
1.2.3 Faciliter les enquêtes et les poursuites relatives à la conduite avec capacités affaiblies et améliorer l'efficacité des procès
Faciliter la preuve d’alcoolémie
La Loi a apporté plusieurs changements aux dispositions relatives à la façon dont la Couronne prouve l’alcoolémie du conducteur lors d’un procès pour l'infraction d'avoir une alcoolémie égale ou supérieure à 80 mg par 100 ml de sang (80 ou plus) dans les deux heures suivant la conduite. Ce changement reflète la confiance du Parlement dans l'exactitude et la fiabilité des éthylomètres approuvés par le procureur général du Canada. Plus précisément, les procédures qui doivent être suivies et les résultats nécessaires de ces procédures sont maintenant énumérés dans le Code criminel (paragraphe 320.31(1)). Si la Couronne prouve que les exigences ont été respectées, les résultats de l'alcootest effectué par un EA sont alors prouvés de façon concluante.
En plus de refléter la réalité scientifique des EA et la confiance du Parlement dans leurs résultats, ce changement visait à créer des procès plus efficaces en simplifiant et en facilitant la preuve de l'élément clé de l'infraction de 80 ou plus, c'est-à-dire l'alcoolémie du conducteur.
Élimination de la défense du « dernier verre » et limitation de la défense du « verre d’après »
Selon l'ancienne loi, la défense du « dernier verre » pouvait être invoquée lorsque le conducteur admettait que son taux d'alcoolémie était supérieur à la limite au moment du contrôle, mais prétendait que ce n'était pas le cas au moment de la conduite. Cela était dû au fait qu'il avait consommé une quantité importante d'alcool juste avant ou pendant qu'il conduisait, de sorte que l'alcool était encore en mode « absorption » lorsqu'il était au volant. De même, l'argument du « verre d’après » est invoqué lorsqu'un conducteur prétend avoir consommé de l'alcool après avoir conduit le véhicule mais avant le contrôle. Cela se produit souvent après un accident, lorsque le conducteur prétend avoir pris un verre ou avoir bu pour se calmer avant l'arrivée des policiers.
La défense fondée sur le « dernier verre » a été supprimée parce qu'elle encourageait les comportements à risque et la défense fondée sur le « verre d’après » a été limitée pour exclure toute conduite intentionnelle visant à porter atteinte à l'intégrité du système judiciaire et à faire échouer une enquête policière. Cependant, la Loi a créé une exception pour ceux qui consomment innocemment de l'alcool après avoir conduit, dans des situations où les mêmes préoccupations d'ordre public ne se posent pas. On s'attendait à ce que la prise en compte des préoccupations d'ordre public par ces deux moyens de défense entraîne également des gains d'efficacité en termes de durée des procès.
Clarification des exigences de divulgation de la Couronne
La Loi a clarifié ce que la poursuite est tenue de divulguer à la défense en ce qui concerne la question de savoir si les alcootests d'un accusé ont donné des résultats exacts. La défense peut demander une divulgation supplémentaire, en indiquant en quoi le matériel est pertinent.
1.2.4. Litiges
La conduite avec capacités affaiblies est l'un des domaines les plus litigieux du droit pénal et, à ce titre, on s'attendait à ce que la nouvelle loi fasse l'objet de nombreux litiges pour les avocats et les tribunaux devant faire face à ces changements. Il s'agit notamment de litiges relatifs à l'interprétation et à la mise en œuvre de la nouvelle loi, ainsi qu'à la constitutionnalité de ses dispositions. La plupart des litiges sont actuellement en cours, ni la Cour suprême du Canada ni les cours d'appel ne se sont prononcées sur la constitutionnalité des nouvelles dispositions.
1.3 Le profilage racial et l'ancien projet de loi C-46
Le profilage racial - qui se produit lorsque la race ou les stéréotypes raciaux concernant la délinquance ou la dangerosité sont utilisés, consciemment ou inconsciemment, à un degré quelconque, dans la sélection des suspects ou le traitement des sujets1 - est un abus inacceptable du pouvoir de la police.
La Cour d'appel de l'Ontario a déclaré que le profilage racial [traduction] « porte atteinte aux concepts fondamentaux d'égalité et ... de dignité humaine ». Le profilage racial nuit à l'efficacité des services policiers, alimente les stéréotypes raciaux nuisibles, porte atteinte à l'égalité et à la dignité humaine et [traduction] « est présent chaque fois que la race ou les stéréotypes raciaux contaminent la prise de décision des personnes en autorité » (R v Dudhi, au paragraphe 65, paraphrasant Peart v Peel Regional Police Services, 2006 CanLII 37566 (ON CA)). Le profilage racial, entre autres facteurs, contribue aux problèmes de racisme systémique et de surreprésentation des groupes autochtones et des personnes racialisées dans le système de justice pénale.
La question du profilage racial a été soulevée par certains témoins qui ont témoigné sur le projet de loi au cours du processus parlementaire, en particulier en ce qui concerne le pouvoir du DOA. Certains craignaient que le pouvoir d'exiger d'un conducteur un échantillon d'haleine préliminaire sans avoir de motif raisonnable de soupçonner la présence d’alcool dans l’organisme du conducteur n'entraîne une augmentation du nombre de conducteurs interceptés à des fins inappropriées. Cependant, non seulement le DOA n'est pas un pouvoir d'interception (le pouvoir d'intercepter des conducteurs au hasard pour déterminer si un conducteur est titulaire d'un permis, si la voiture est en bon état de marche et si le conducteur est sobre a déjà été confirmé par la Cour suprême du Canada (R. c. Ladouceur, [1990] 1 RCS 1257)), mais la législation exige spécifiquement que le DOA ne puisse être utilisé que lors d'une interception légale (c'est-à-dire une interception qui n'est pas motivée par des stéréotypes ou par des préjugés raciaux).
Comme l'a indiqué le ministre de la Justice et procureur général du Canada devant le Comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes :
[Le dépistage obligatoire de l'alcool] n’aura aucune incidence sur la responsabilité des forces de l'ordre en matière de formation et de surveillance, afin que l’application de la loi soit juste, égale et appropriée2.
Au Canada, tous les policiers doivent exercer leurs pouvoirs d'une manière conforme à la Charte canadienne des droits et libertés. Comme l'ont reconnu les tribunaux, une interpellation motivée par le profilage racial constituerait un objectif inapproprié et invaliderait l'interpellation, ainsi que tout ce qui en découle. Voir par exemple R v Khan, [2004] JO n° 3819. Une sanction judiciaire, y compris l'exclusion de preuves, est possible pour traiter de tels cas. En outre, le préambule de la loi stipule clairement que tous les pouvoirs d'enquête doivent être exercés conformément à la Charte. Cela envoie un signal clair du Parlement que le profilage racial dans les enquêtes sur la conduite avec capacités affaiblies est inacceptable.
Il n'existe actuellement aucune donnée nationale sur l'identité autochtone ou ethnoculturelle des personnes interpellées par la police, ce qui rend difficile toute évaluation de l'impact de la DOA et des autres pouvoirs de la police sur les différents groupes. Des efforts sont actuellement en cours pour permettre une vaste collecte systémique de ces données, ce qui permettra de mieux comprendre l'impact des changements législatifs sur ces groupes. Plus précisément, en juillet 2020, l'Association canadienne des chefs de police et Statistique Canada ont annoncé qu'ils s'engageaient à exiger que les policiers communiquent des statistiques sur les groupes autochtones et les groupes ethnoculturels dans les statistiques sur la criminalité déclarées par la police, afin d'améliorer la collecte de données désagrégées dans le système de justice pénale. En 2021, les sous-ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de la justice et de la sécurité publique ont approuvé la collecte et l'analyse des données sur les Autochtones et les groupes racialisés comme priorité de l'Initiative nationale sur les statistiques judiciaires. Justice Canada et Statistique Canada ont également reçu 6,7 millions de dollars dans le budget de 2021 pour améliorer la collecte et l'utilisation de données désagrégées afin d'améliorer les réponses politiques visant à réduire la surreprésentation des Autochtones et des personnes racialisées dans le système de justice pénale. Afin de combler ce manque de données pour l'examen législatif, le SNJ 2021 a été identifié comme un outil qui permettrait la collecte de données limitées dans le délai de l'examen législatif (c'est-à-dire trois ans après l'entrée en vigueur de la Loi). Le projet comprenait une enquête et des entretiens pour évaluer si différents groupes étaient, ou non, touchés de manière disproportionnée par l'application de la loi par les policiers.
Note de fin de page
1 R. c. Le, 2019 CSC 34, qui cite le Service de police d'Ottawa, Profilage racial (27 juin 2011), Politique no 5.39 (en ligne), à la p. 2.
2 Chambre des communes, Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Procès‑verbal ,42-1, no 61 (13 juin 2017), p. 1535 (l'Honorable Jody Wilson-Raybould).
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