Comité directeur sur l'efficacité et l'accès en matière de justice

3.5 Les questions relatives aux délibérations du jury

Le Comité directeur s'est penché sur 3 questions relatives à la procédure applicable aux délibérations du jury :

3.5.1 La séquestration obligatoire du jury pendant les délibérations

Dans l'état actuel du droit, « [L]e juge peut, à tout moment avant que le jury se retire pour délibérer, autoriser les membres du jury à se séparer » (art. 647 C.cr.). Bien que le juge ait discrétion pour permettre aux jurés de se séparer jusqu'au début des délibérations, la règle veut donc que le jury soit séquestré pendant tout le procès jusqu'au verdict. Au cours du délibéré, les jurés doivent être séquestrés.

Bien qu'elle demeure en théorie la règle, la séquestration du jury avant le délibéré semble depuis un certain temps devenue exceptionnelle en pratique, particulièrement en raison de la longueur des procès [62]. Par ailleurs, des membres du Comité directeur ont suggéré que la règle de la séquestration obligatoire au cours du délibéré soit revue compte tenu du fardeau que cela impose aux jurés, de même que des inconvénients et des coûts qui en découlent pour l'administration de la justice (hôtel, transport, sécurité, etc.).

Traditionnellement, la séquestration du jury avait pour objet d'inciter les jurés à s'entendre pour rendre leur verdict rapidement en les privant d'eau et de vivres. Ces temps sont heureusement révolus! Aujourd'hui, le risque réel ou apparent d'influence extérieure sur le jury sert à justifier la séquestration.

Cependant, comme l'observait la New Zealand Law Commission dans une vaste étude sur le procès par jury :

Ce faisant, la New Zealand Law Commission a recommandé l'abolition de la règle de la séquestration automatique à l'étape des délibérations et un amendement a récemment été apporté à la loi pour donner suite à cette recommandation [65]. Les nouvelles dispositions prévoient que le jury peut se séparer après une première journée de délibérations à moins que le juge n'en ordonne autrement s'il l'estime requis dans l'intérêt de la justice. Il est par ailleurs expressément interdit aux jurés de discuter de l'affaire avec qui que ce soit d'autre durant le délibéré. En Angleterre, la séquestration obligatoire au stade des délibérations a été modifiée en 1994 pour permettre au juge d'autoriser les jurés à se séparer durant le délibéré[66]. En Australie, 6 États prévoient que le juge peut permettre la séparation du jury au cours du délibéré[67].

Comme on peut le constater à l'examen du droit applicable dans ces juridictions où la procédure criminelle est d'inspiration britannique, la formule peut varier. Soit que la loi prévoie que le jury peut d'office se séparer durant le délibéré à l'écoulement d'une certaine période de temps à moins d'une ordonnance contraire du juge, soit que la séquestration demeure la règle à moins que le juge ne permette la séparation.

Si la règle de la séquestration obligatoire au cours du délibéré est revue, il pourrait être opportun de revoir aussi la règle de la séquestration avant délibéré pour l'ajuster à la pratique.

3.5.2 La publication d'informations par les médias pendant le délibéré

Actuellement, l'article 648 C.cr. interdit aux médias de publier des informations concernant une phase du procès qui s'est déroulée en l'absence du jury jusqu'à ce qu'il se retire pour délibérer. Des membres du Comité ont suggéré que cette interdiction soit étendue jusqu'au prononcé du verdict bien que les jurés soient séquestrés durant le délibéré. Des propositions allant dans le même sens ont d'ailleurs déjà été adoptées par la Conférence pour l'harmonisation des lois du Canada en 1999 et 2003.

Il semble que des incidents soient survenus où des jurés auraient pris connaissance d'informations préjudiciables à l'accusé au cours du délibéré. Compte tenu de la prolifération et de la miniaturisation des moyens de communication, il peut devenir en effet plus difficile de contrôler l'information à laquelle le jury peut avoir accès durant le délibéré.

Cette question soulève évidemment des considérations au regard des protections conférées à la liberté de presse et la liberté d'expression par l'alinéa 2b) de la Charte.

L'article 648 C.cr., dans sa portée actuelle, a déjà fait l'objet de contestations à cet égard et son application intégrale a été circonscrite dans certains jugements en fonction de l'analyse Dagenais/Mentuck applicable généralement aux ordonnances de non-publication. Autrement dit, d'après ce raisonnement, l'article 648 ne peut interdire intégralement la publication d'informations présentées hors jury et les médias pourraient obtenir l'autorisation de publier des informations qu'on ne peut « raisonnablement croire de nature à donner au jury une impression négative de l'accusé » [68].

Dans une autre affaire plus récente, la Cour d'appel de l'Alberta a été appelée à se pencher sur la validité de l'article 517 C.cr. au regard de l'article 2b) de la Charte. L'art. 517 C.cr. impose au juge de paix, sur demande du prévenu, de prononcer une ordonnance de non-publication relative à la preuve présentée à l'enquête sur mise en liberté provisoire. La Cour d'appel de l'Alberta a conclu que, bien que cette interdiction obligatoire soit contraire à l'art. 2b) de la Charte, il s'agit d'une restriction raisonnable dans le cadre d'une société libre et démocratique, compte tenu notamment du caractère temporaire de l'interdiction :

« 46. It is also relevant that the section does not impose a « publication ban », but merely defers publication until after the trial. While it is clear that a deferral of publication is itself an infringement of s. 2(b), it is nevertheless a lesser infringement than a total ban, which is a factor that can be taken into account in the analysis of minimal impairment. ». [69]

Comme la modification proposée à l'art. 648 C.cr. ne consisterait en fait qu'à retarder encore de quelques jours la publication d'informations en attente du verdict, voire même souvent de quelques heures seulement, cela pourrait militer en faveur de la validité de la mesure. Il faut cependant considérer que le risque d'atteinte au droit de l'accusé à un procès équitable est diminué par la séquestration, ce qui devrait être considéré dans la recherche de l'équilibre entre les droits opposés. Il vaut par ailleurs de souligner qu'un courant jurisprudentiel majoritaire reconnaît au juge du procès le pouvoir inhérent de prononcer une interdiction de publication discrétionnaire pendant le délibéré si des circonstances particulières le justifient [70]. La question mérite donc une analyse plus approfondie.

3.5.3 La règle de la confidentialité des délibérations

Dans son libellé actuel, l'article 649 C.cr. empêche les jurés de faire état du contenu des délibérations, même aux fins d'une étude sur le fonctionnement du jury.

Cette restriction n'empêche probablement pas la tenue d'études générales auprès d'anciens jurés sur des questions qui ne les amèneraient pas à faire état du processus de délibération. En Angleterre, une interdiction similaire à celle de l'article 649 n'a d'ailleurs pas empêché la réalisation d'études sur des questions comme leur compréhension générale de la preuve présentée, leur compréhension des concepts juridiques expliqués dans les directives, leur appréciation des compensations versées et des commodités, les impacts du procès sur leur vie personnelle et celle de leurs proches ou leur perception du système judiciaire [71].

L'art. 649 C.cr. n'a pas empêché la tenue d'une semblable étude au Canada, sous l'égide de la Commission de réforme du droit du Canada [72]. En raison de l'art. 649, les questions devaient cependant demeurer très générales et ont été soigneusement élaborées afin d'éviter que les jurés ne soient amenés à faire état des délibérations d'une cause précise, notamment : « Comment avez-vous trouvé la présentation de la preuve? » « Considérez-vous qu'en général les jurés sont aptes à comprendre et à apprécier la preuve? » « Comment avez-vous trouvé les directives qui vous ont été données par le juge? » « Considérez-vous qu'en général le jury comprend les directives du juges? » Quelques questions générales portaient aussi sur le sens de la norme de preuve hors de tout doute raisonnable. Pour diminuer le risque de contrevenir à la règle du secret du délibéré et de se placer en situation d'infraction, les auteurs de l'étude ont dû préalablement faire approuver leur questionnaire par le ministère de la Justice du Canada en plus d'obtenir l'assentiment du juge en chef des cours concernées[73].

Comme les auteurs de l'étude le mentionnaient eux-mêmes, la portée des résultats obtenus en réponse à ce type de question demeure limitée [74]. La modification de l'art. 649 C.cr. pour autoriser la réalisation d'études sur le processus de délibération comme tel permettrait certes de mieux mesurer l'opportunité de changements à apporter à l'institution.

En Nouvelle-Zélande, où la règle de common law n'a pas été codifiée sous forme d'interdiction formelle à la différence du Canada et de l'Angleterre, la New Zealand Law Commission a pu réaliser une étude unique en son genre pour une juridiction qui dispose d'un système de justice criminelle d'inspiration britannique. L'étude, qui a permis d'interviewer 312 jurés sur un échantillon de 48 procès, portait notamment sur les questions suivantes :

« More specifically, the objectives of the research were :

  • to examine the extent to which, and the way in which, jurors individually and collectively assimilate and interpret the evidence and identify the issues in the case;
  • to identify the problems which jurors experience during the trial process;
  • to assess the extent to which jurors individually and collectively understand and apply the law, and to investigate how their perception of the “ law ” modifies and influences their approach to the “ facts ”;
  • to explore the processes used by the jury to reach a decision, including their strategies for resolving disagreement and uncertainty;
  • to identify the impact and effects of pre-trial and trial publicity on the attitudes and responses of each individual juror to the case he or she is dealing with; and
  • to describe jurors' reactions to, and concerns about, their experience as a juror. » [75]

Les résultats de cette étude ont permis d'étayer un nombre important de recommandations concrètes, de justifier une série de modifications législatives en conséquence (concernant notamment la confidentialité de l'identité des jurés, le verdict majoritaire, la séparation pendant le délibéré, le droit au procès par jury pour les longs procès) et de corriger des perceptions, notamment quant à l'impact des médias sur le processus décisionnel.

En Australie, les 6 États permettent expressément la réalisation de recherches qui impliquent la divulgation d'aspects du processus de délibération [76]. Dans 5 de ces États, la recherche doit être autorisée par le ministre de la Justice ou le procureur général. Dans l'autre, la recherche doit être autorisée par la cour, aux conditions qu'elle estime appropriées, à la suite d'une demande présentée par le procureur général.

Bien que de semblables études existent dans d'autres juridictions, force est cependant d'admettre qu'elles n'ont qu'une portée très limitée dans le contexte canadien compte tenu des différences qui ont trait à la culture, aux règles de preuve et de procédure (particulièrement celles qui concernent la gestion de l'instance), au rôle et aux attitudes des juges et des avocats, etc.

À plusieurs reprises, la Cour suprême du Canada a déploré le fait que cette restriction fasse en sorte qu'il est difficile de mesurer, pour les fins du processus des récusations motivées, l'impact réel des attitudes et préjugés des jurés sur leur jugement :

« Les efforts déployés par Vidmar et d'autres personnes pour effectuer des recherches scientifiques sur le comportement des jurés sont louables. Malheureusement, l'interdiction quasi absolue faite par l'art. 649 du Code criminel aux membres d'un jury de divulguer tout renseignement relatif aux délibérations du jury limite les recherches sur l'effet des attitudes des jurés sur leurs délibérations et leurs verdicts. Il serait opportun qu'on procède à une analyse plus exhaustive et scientifique de cette question et d'autres aspects du droit criminel et du processus pénal. Si le législateur décidait de réexaminer cette interdiction, cela entraînerait peut-être la réalisation d'un plus grand nombre de travaux utiles sur la situation au Canada. Mais, pour l'instant, la preuve relevant des sciences sociales semble jeter peu de lumière sur l'ampleur de tout « préjugé générique » qui se rattacherait aux accusations d'agression sexuelle ou sur le lien qu'il aurait avec les verdicts des jurys. » [77]

Une recommandation récente de l'honorable juge MacCallum, à l'occasion de son rapport sur la condamnation injustifiée de David Milgaard, offre aussi une illustration intéressante de l'utilité que pourraient avoir semblables études sur la réforme des règles de preuve et de procédure :

« The Criminal Code should be amended to permit academic inquiry into jury deliberations with a view to gathering evidence of the extent to which jurors accept and apply instructions on the admissibility of evidence, particularly relating to inconsistent out of court statements. Amendments to s. 9 of the Canada Evidence Act should then be considered. » [78] (Recommandation 5)

Les fondements qui sous-tendent la règle traditionnelle du secret du délibéré (promouvoir les discussions franches entre les jurés, protéger les jurés contre le harcèlement, la censure et les représailles des personnes condamnées ou de leurs proches, assurer le caractère définitif du verdict [79]) pourraient être préservés par le maintien de la confidentialité de l'identité des répondants et une présentation dépersonnalisée des réponses et observations afin qu'elles ne puissent être associées à un procès en particulier[80].

Il vaut par ailleurs de souligner les constatations faites par l'honorable juge Lamer au sujet de l'article 649 C.cr. à l'occasion de son rapport concernant la condamnation injustifiée de Ronald Dalton, Gregory Parsons et Randy Druken :

« It is possible to isolate a number of specific factors and to draw some general conclusions. However, the picture will always at least some insight into what happened in the jury room. […] There have been some studies done in the United States on jury behaviour as well as some Canadian studies on  “simulated ” juries. But much of our knowledge of juries is based on assumptions. […] Here, the challenge is to maintain the benefits that section 649 affords while obtaining the benefits of better insight into jury deliberations. That would be especially valuable where a serious injustice has occurred. » [81]

Recommandation

14 - Que soient étudiées de façon plus approfondie l'opportunité et la faisabilité de modifications législatives afin :