Une typologie des crimes motivés par l'appât du gain
Annexe III : Les milieux usuraires à Montréal de nos jours
Bien qu'il se puisse que des usuriers établis soient associés d'une quelconque façon à des gangs ou des groupes, il appert que la plupart des usuriers œuvrant à Montréal à l'heure actuelle ne brassent des affaires que dans leur quartier et qu'ils n'y mettent jamais plus de 1 000 $ en circulation. La plupart des brasseries ont un usurier, qui est parfois le patron. Mais l'endroit où l'on négocie le plus souvent un prêt vite accordé semble être le dépanneur, dont les propriétaires ne sont généralement guère terrifiants. La plupart d'entre eux vendent de la nourriture, des cigarettes (parfois illégalement, sans percevoir de taxe), de la bière et du vin bon marché à crédit, et il est donc naturel pour eux d'avancer de l'argent comptant à des clients qu'ils connaissent et à qui ils font confiance. Les taux d'intérêt pratiqués semblent être beaucoup plus élevés que ceux exigés par les usuriers plus orthodoxes, soit ceux n'ayant aucun lien avec le secteur de la vente au détail. L'argent sert principalement à financer la consommation d'alcool et de drogues ainsi que la participation à des jeux d'argent. S'il servait à acheter de la nourriture, la filière normale de la vente au détail serait alors employée. Il semble que certains usuriers de bas étage prêtent plus facilement aux femmes qu'aux hommes. Ces femmes acceptent plus souvent de rembourser leur prêt à même les prestations d'aide sociale qu'elles reçoivent et, dans les cas extrêmes, elles peuvent s'acquitter de leur dette en offrant des faveurs sexuelles, de manière directe ou indirecte. Il est probable que plusieurs de ces phénomènes ont également cours chez les prêteurs sur gage.
Même lorsque des usuriers bien établis n'ont aucune affiliation avec un établissement de vente au détail, ils n'ont pas besoin d'entretenir de liens avec la pègre. Il y a trois ans, l'un de mes étudiants est entré en communication avec un usurier de gros calibre (qui prétendait qu'il avait tellement mis d'argent en circulation qu'il en avait perdu la trace; l'étudiant a donc conçu un chiffrier qui aurait pu permettre de régler ce problème mais heureusement, il ne l'a jamais offert à l'usurier en question). L'étudiant avait prétexté qu'il avait besoin d'une somme de 1 000 $ pour rembourser un paiement de carte de crédit en souffrance. La semaine suivante, il a remis cette somme à l'usurier plus 70 $ d'intérêt (soit 7 % par semaine). Il a ainsi gagné la confiance de ce dernier en plus de piquer sa curiosité au sujet d'un cours sur l'économie clandestine (« The Underground Economy ») offert à McGill, et il a finalement découvert que « Nick l'usurier » faisait des affaires depuis environ 30 ans, et ce, depuis un bar dont il avait hérité à la suite du décès précipité de son père. Au début il avait commencé par prêter sans intérêt l'argent que lui procuraient les prestations d'assurance-vie de son père. Il prêtait cet argent à des clients dont la plupart vivaient dans le quartier et avaient un faible pour l'alcool et le jeu. Mais lorsqu'il a entendu dire que certains d'entre eux se vantaient de l'avoir floué, Nick a décidé d'exiger des intérêts.
Aujourd'hui, la plupart de ses clients sont des individus à faible revenu, touchant peut-être des prestations d'aide sociale ou d'assurance-emploi et présentant un risque de crédit marqué aux yeux des établissements financiers traditionnels. La règle à suivre consiste à ne leur prêter que de petites sommes établies selon le montant qu'ils reçoivent du gouvernement, ce qui, par ailleurs, les rassurent. L'intérêt exigé varie de cinq à dix pour cent par semaine, selon la personne et le montant engagé, et il doit être payé chaque semaine. Quant au capital, son remboursement peut être reporté presque indéfiniment.
Mais Nick accorde aussi des prêts d'un montant considérablement plus élevé à un autre groupe de clients beaucoup plus petit. Il s'agit habituellement de contrebandiers professionnels qui écoulent en gros des lots de produits volés, de stupéfiants ou d'alcool ou de cigarettes de contrebande. Contrairement aux clients avec qui les usuriers transigent au détail, ces clients remboursent généralement une partie du capital chaque fois qu'ils effectuent un paiement d'intérêt hebdomadaire. S'ils se font appréhender, leur responsabilité se limite à rembourser le capital plus 10 % tant qu'ils demeurent en prison. Mais lorsqu'ils en sortent, les frais d'intérêt normaux s'appliquent à nouveau tant au capital qu'à l'intérêt de 10 % supplémentaire. Cela étant dit, ils paient un taux inférieur à celui que doivent verser les clients servis au détail, soit entre trois et cinq pour cent par semaine. À cet égard, Nick observe essentiellement les mêmes règles que tout établissement financier légitime : les gros clients commerciaux peuvent emprunter des sommes plus importantes à des taux plus avantageux.
Dans presque tous les cas de défaut de paiement, le marché peut être renégocié de manière à tenir compte de la capacité financière du client. Quant aux dettes de longue date contractées par des clients difficiles à percevoir, Nick sous-traite les services d'un percepteur qui gardera 30 % de tout montant qu'il arrive à récupérer. Ce pourcentage est à peu près le même que celui exigé par des services de perception légitimes recourant parfois à des tactiques tout aussi brutales et menaçantes.
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