Document d’information législatif : Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents et d’autres lois et apportant des modifications corrélatives à certaines lois, tel qu’elle a été édictée (projet de loi C-75 lors de la 42e législature)
Contexte
Au cours des dernières années, la question des délais dans le système de justice pénale a fait l’objet d’une attention importante et soutenue; les provinces et les territoires, le Parlement, les intervenants clés, les médias ainsi que le grand public ont tous fait des appels à l’action. L’arrêt Jordan (2016) de la Cour suprême du Canada (CSC) a établi un nouveau cadre pour déterminer si les délais sont déraisonnables, et la CSC a de nouveau mis l’accent, dans l’arrêt Cody (2017), sur la responsabilité de tous les intervenants dans le système de justice pénale, y compris les juges et les avocats de la défense, de faire progresser les affaires sans tarder, ce qui a eu comme conséquence d’accroître la pression pour réduire les délais dans le système de justice pénale. Depuis ces arrêts, des arrêts des procédures ont été prononcés dans plusieurs affaires en raison des délais déraisonnables; certaines de ces affaires portant sur des accusations relatives à des infractions graves (par ex., meurtre et voies de fait grave). Les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux (FPT) responsables de la Justice se sont rencontrés en avril et en septembre 2017 pour discuter et cerner les éléments clés d’une réforme législative afin de résoudre les causes d’une manière juste et rapide. Le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles a publié son rapport final en juin 2017, lequel traitait d’un large éventail de questions se rapportant aux délais dans le système de justice pénale et à la responsabilité de tous les intervenants concernés; le gouvernement a déposé sa lettre de réponse à ce rapport en novembre 2017.
Ces événements ont fait ressortir la nécessité d’améliorer l’efficacité, de simplifier et de moderniser le système de justice pénale.
Litiges importants
R c JordanNote de bas de page 1
Barrett Richard Jordan a été arrêté en décembre 2008 et accusé d’avoir commis diverses infractions en matière de possession et de trafic de drogue. En mai 2011, M. Jordan a été renvoyé à procès, lequel s’est déroulé de septembre 2012 à février 2013. Il s’était écoulé 49,5 mois entre le dépôt des accusations et la conclusion du procès; de ce nombre, 5 mois et demi étaient imputables à l’accusé. M. Jordan a présenté une demande fondée sur l’alinéa 11b) de la Charte (droit d’être « jugé dans un délai raisonnable »), par laquelle il réclamait un arrêt des procédures en raison de ce délai.
Le 8 juillet 2016, dans l’arrêt R c Jordan, la majorité de la CSC (5-4) a modifié l’analyse applicable au délai déraisonnable préalablement établie dans l’arrêt R c Morin (1992). Dans l’arrêt Jordan, la CSC a en énoncé des plafonds numériques présumés en ce qui a trait au temps que cela devrait prendre pour traduire un inculpé en justice : 18 mois pour les affaires instruites devant une cour provinciale, et 30 mois pour celles instruites devant une cour supérieure (ou celles instruites devant une cour provinciale à l’issue d’une enquête préliminaire). Si les plafonds présumés sont dépassés, le délai est présumé être déraisonnable, et un arrêt des procédures sera prononcé, à moins que le procureur de la Couronne n’établisse l’existence de « circonstances exceptionnelles » (c.-à-d. des événements distincts sur lesquels le procureur de la Couronne n’exerce aucun contrôle, qui sont imprévisibles et auxquels on ne peut remédier, y compris la complexité inhérente d’une affaire). Si le procureur de la Couronne n’est pas en mesure d’établir l’existence de « circonstances exceptionnelles », le délai sera réputé déraisonnable et un arrêt des procédures sera prononcé.
Dans ses motifs, la Cour a mentionné qu’une « culture de complaisance vis-à-vis les délais a fait son apparition au sein du système de justice criminelle »Note de bas de page 2, et elle a statué que les plafonds présumés étaient nécessaires pour « donner des directives valables à l’État sur ses obligations constitutionnelles ainsi qu’aux personnes qui jouent un rôle important pour garantir que le processus se conclut dans un délai raisonnable »Note de bas de page 3, ainsi que pour « [accroître] la simplicité de l’analyse et [favoriser] les mesures incitatives constructives »Note de bas de page 4. La Cour a accepté une application contextuelle du nouveau cadre pour les affaires en cours d’instance, pour éviter ce qui s’est passé après le prononcé de l’arrêt AskovNote de bas de page 5, alors que des milliers d’accusations avaient fait l’objet d’un arrêt des procédures en raison d’une modification soudaine du droitNote de bas de page 6. La Cour a conclu qu’un délai de 49,5 mois entre le dépôt des accusations pour possession et trafic de drogue et le procès de M. Jordan devant la Cour supérieure de la Colombie-Britannique était déraisonnable et que ce délai contrevenait à l’alinéa 11b) de la Charte. Elle a ordonné l’annulation des déclarations de culpabilité prononcées à l’égard de l’accusé et ordonné un arrêt des procédures.
R c WilliamsonNote de bas de page 7
Kenneth Williamson a été accusé en janvier 2009 d’avoir commis d’anciennes infractions d’ordre sexuel sur un mineur. Son procès s’est terminé le 20 décembre 2011. Le délai total entre le dépôt des accusations et la conclusion du procès à la Cour supérieure de l’Ontario a été de 35 mois et demi; l’accusé avait été responsable d’uniquement un mois et demi de ce délai. M. Williamson a présenté une demande fondée sur l’alinéa 11b) de la Charte par laquelle il réclamait l’arrêt des procédures en raison de ce délai.
Le 8 juillet 2016, la CSC, à la majorité (5-4), a appliqué le nouveau cadre élaboré dans l’arrêt Jordan à cette affaire. Elle a conclu que le délai net de 34 mois contrevenait au droit de l’accusé d’être jugé dans un délai raisonnable. Les juges majoritaires ont aussi conclu que le délai était déraisonnable selon l’évaluation de la mesure exceptionnelle transitoire.
Dans l’arrêt, la Cour a énoncé que « l’état antérieur du droit ne peut justifier qu’il ait fallu près de trois ans pour faire subir son procès à M. Williamson qui faisait pourtant l’objet d’accusations relativement simples »Note de bas de page 8. Cependant, la Cour a souscrit à la conclusion de la Cour d’appel en ce qui a trait à la gravité des crimes commis et elle a réitéré l’énoncé de la Cour d’appel selon lequel « la balance penche en faveur [de son] droit à un procès dans un délai raisonnable plutôt qu’en faveur de l’intérêt qu’a la société à ce qu’il soit jugé sur le fond »Note de bas de page 9.
R c CodyNote de bas de page 10
James Cody a été accusé d’infractions liées aux drogues et aux armes le 12 janvier 2010. Son procès devait se terminer le 30 janvier 2015. Avant le début de son procès, M. Cody a présenté une demande fondée sur l’alinéa 11b) de la Charte, en vue d’obtenir un arrêt des procédures en raison du délai écoulé. Le juge de première instance a appliqué le cadre énoncé par la CSC dans l’arrêt R c Morin, du fait que la demande était antérieure à la publication de l’arrêt R c Jordan; il a accueilli la demande et prononcé l’arrêt des procédures. La Cour d’appel de Terre-Neuve-et-Labrador, à la majorité, a appliqué le cadre de l’arrêt Jordan et accueilli l’appel, annulant ainsi l’arrêt des procédures et renvoyant l’affaire à procès.
Le 16 juin 2017, dans une décision rendue à l’unanimité (7-0), la CSC a appliqué le cadre de l’arrêt Jordan et a conclu que le délai net de 36,5 mois dans cette affaire était déraisonnable (60 mois et 21 jours s’étaient écoulés entre le moment où les accusations ont été déposées et la date de fin prévue du procès de l’appelant). Il s’agissait de la première décision dans laquelle la CSC avait l’occasion d’examiner l’application du critère qu’elle avait énoncé dans Jordan. Dans sa décision, la Cour a apporté des précisions au sujet de certains aspects :
- le délai imputable à la défense ne se limite pas seulement aux demandes frivoles;
- les juges de première instance doivent filtrer les demandes qui n’ont aucune chance raisonnable de succès;
- la complexité de l’affaire doit être évaluée dans son ensemble tout en examinant des aspects bien précis (p. ex., la preuve volumineuse qui a été communiquée);
- les mesures transitoires exceptionnelles : le procureur de la Couronne ne réussira que rarement, voire jamais, à justifier le délai en invoquant la mesure transitoire exceptionnelle, s’il n’avait pas réussi à le faire sous le régime de l’ancien critère dégagé dans l’arrêt Morin.
La Cour a ensuite fait remarquer que les juges de première instance devraient aussi être proactifs en intervenant en vue d’accroître l’efficacité, en encourageant le recours à la preuve documentaire lorsqu’il est raisonnable de le faire ou en refusant une demande d’ajournement pour le motif qu’il en résulterait un délai intolérablement long.
R c PicardNote de bas de page 11
Adam Picard a été arrêté en décembre 2012 puis accusé de meurtre au premier degré. En mars 2015, M. Picard a été renvoyé à procès, lequel devait prendre fin en décembre 2016. Un total de 48 mois s’est écoulé entre le moment où les accusations ont été déposées et la date de fin prévue du procès de l’appelant; de ce total, deux mois étaient imputables à l’accusé. Les procureurs attitrés à cette affaire étaient disponibles pour le procès uniquement sept mois après les dates auxquelles la Cour et la défense étaient disponibles. Le ministère public a déclaré qu’elle ne pourrait pas réaffecter l’affaire à d’autres procureurs en raison de la complexité de l’affaire et du temps consacré à l’examen de la preuve complexe.
Après l’arrêt Jordan, l’affaire Picard a été la première à être entendue par une cour d’appel provinciale parmi une série de décisions où les accusations ont été rejetées en raison de la violation du droit d’un accusé à être jugé dans un délai raisonnable aux termes de l’alinéa 11b) de la Charte. La juge de première instance avait conclu que le délai n’était pas justifié et que les mesures transitoires exceptionnelles prévues par l’arrêt Jordan ne s’appliquaient pas.
La Cour d’appel, dans une décision unanime, a convenu avec la juge du procès que la complexité de l’affaire ne justifiait pas un délai supérieur au plafond de 30 mois prévu par le cadre de l’arrêt Jordan : cependant, elle a conclu que les mesures exceptionnelles transitoires s’appliquaient, puisque les faits de cette affaire n’auraient pas conduit à un arrêt des procédures selon les critères de l’arrêt Morin. Puisque le délai s’était écoulé avant la publication de l’arrêt Jordan, la Cour s’est penchée sur la question de savoir si l’affaire pouvait faire l’objet d’une mesure exceptionnelle transitoire, notamment en ce qui concerne la question de savoir si le ministère public pouvait se fonder sur le droit antérieur pour justifier le délai. Même si la Cour a reconnu que [TRADUCTION] « cette affaire présente certaines des préoccupations relatives au délai que l’arrêt Jordan cherchait à régler […] le temps total nécessaire pour renvoyer l’affaire à procès, combiné avec le refus du ministère public d’accepter la tenue d’un procès lors des premières dates de disponibilité à la Cour supérieure », aurait entraîné un arrêt des procédures si l’affaire s’était déroulée après la publication de l’arrêt Jordan. La Cour a réitéré le principe dégagé dans l’arrêt Jordan selon lequel la conduite des parties ne devrait pas être « jugée rigoureusement en fonction d’une norme dont elles n’avaient pas connaissance ».Note de bas de page 12
R c BoudreaultNote de bas de page 13
Dans Boudreault, la CSC a entendu et a tranché conjointement quatre appels concernant sept personnes dans deux provinces qui contestaient toutes la constitutionnalité de l’article 737 (suramende compensatoire) du Code criminel du Canada (Code criminel). Dans chaque cause, les contrevenants ont soutenu qu’ils n’avaient pas les moyens de payer la suramende et ne devraient pas être contraints de la payer. Les circonstances dans lesquelles se trouvaient les sept appelants dans l’affaire Boudreault étaient toutes très similaires : la plupart vivaient dans une pauvreté chronique, avec un handicap, une dépendance, ou de revenus d’assistance sociale.
Le 14 décembre 2018, la majorité de la CSC (7:2) a conclu que la suramende compensatoire obligatoire, même si elle vise à atteindre un objectif pénal valable, était contraire à l’article 12 de la Charte, parce qu’elle pourrait donner lieu à des peines exagérément disproportionnées. La majorité de la Cour a reconnu que même si elle n’était pas exagérément disproportionnée pour de nombreux Canadiens, elle le serait pour les contrevenants les plus vulnérables ou marginalisés (p. ex. une personne très pauvre, qui se trouve dans une situation de logement précaire, ou qui est aux prises des problèmes de toxicomanie, surtout si elle est autochtone).
La CSC a indiqué que la détermination de la peine doit être un processus individualisé qui établit un équilibre entre divers objectifs, tout en tenant compte de la situation particulière du contrevenant ainsi que de la nature et des circonstances de l’infraction. En revanche, elle a indiqué que la suramende compensatoire s’applique à toutes les infractions et à tous les contrevenants et qu’on ne peut tenir compte, dans le cadre de son application, des situations particulières, comme la pauvreté, la toxicomanie, l’itinérance ou la maladie mentale. La CSC a également indiqué que la suramende mine l’intention du législateur de remédier au grave problème de la surreprésentation des Autochtones et elle a conclu que toute peine pénale qui touche de façon disproportionnée les personnes marginalisées risque de toucher également de façon disproportionnée les Autochtones. Elle a donc déclaré l’article 737 inopérant dans sa totalité, en vigueur immédiatement (à partir du 14 décembre 2018).
Perspective des gouvernements provinciaux et territoriaux
Le système de justice pénale est une responsabilité que se partagent les gouvernements FPT. Le gouvernement fédéral est responsable des dispositions législatives et de la procédure en matière pénale, des poursuites criminelles liées aux infractions aux lois fédérales, de certaines infractions prévues au Code criminel et de la poursuite de l’ensemble des infractions dans les territoires, ainsi que de la nomination des juges des cours supérieures. Les gouvernements provinciaux et territoriaux sont responsables de l’administration de la justice, notamment la poursuite des infractions criminelles dans les provinces, l’administration des services policiers, des procureurs de la Couronne et du personnel judiciaire, ainsi que la nomination des juges des cours provinciales.
Lors de leurs réunions qui ont eu lieu en avril et en septembre 2017, les ministres FPT responsables de la Justice ont discuté des mesures et des façons de remédier stratégiquement aux délais dans le système de justice pénale. Les discussions visaient également à déterminer des pratiques novatrices et exemplaires ainsi que des réformes législatives permettant de régler les affaires criminelles de façon équitable et dans les meilleurs délais. Les participants ont convenu de la nécessité de procéder à une réforme ciblée du droit pénal dans six secteurs prioritaires, à savoir la mise en liberté provisoire, les infractions contre l’administration de la justice, les enquêtes préliminaires, la reclassification des infractions, la gestion judiciaire des instances et les peines minimales obligatoires. Les ministres ont convenu de l’importance d’adopter une approche axée sur la collaboration avec tous les intervenants du système de justice pénale. En outre, les ministres ont examiné des politiques, des programmes et des ressources; et des mesures de rechange au système de justice pénale traditionnel (dont la justice réparatrice).
Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles
Le 14 juin 2017, le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (le Comité) a publié son dix-neuvième rapport intitulé, Justice différée, justice refusée : L’urgence de réduire les longs délais dans le système judiciaire au Canada (rapport final)Note de bas de page 14. Entre le 3 février 2016 et le 9 mars 2017, le Comité a entendu les témoignages de 138 personnes, a reçu des dizaines de mémoires et s’est déplacé à Vancouver, à Calgary, à Saskatoon, à Montréal et à Halifax pour s’informer des pratiques exemplaires locales et a organisé plus de 35 réunions pour examiner la question. Les mémoires et témoignages provenaient d’une grande variété d’intervenants du système de justice pénale, notamment des représentants FPT, élus et non élus; des juges en exercice et à la retraite; des représentants d’associations canadiennes, provinciales et territoriales des forces de police, des procureurs, des avocats de la défense, des agents de probation; des organismes d’aide juridique; et des organismes de défense des droits des victimes d’actes criminels, des Autochtones, des enfants, des délinquants incarcérés, et des personnes souffrant des problèmes de santé mentale et de toxicomanies. Les témoins ont tous convenu que les délais dans le système de justice pénale constituent un problème de taille, mais ont exprimé des opinions divergentes quant aux causes et aux solutions possibles.
Le rapport final du Comité comporte 50 recommandations, dont 13 prioritaires (p. ex., solutions de rechange à l’arrêt des procédures dans le cas des infractions criminelles graves; nominations judiciaires; et mise en œuvre accélérée du rapport de la Commission de vérité et de réconciliation). Les recommandations portent sur un large éventail de questions relatives au droit pénal, comprennent des appels à la réforme du droit pénal, à des nominations judiciaires, des changements liés aux gouvernements provinciaux et territoriaux et leurs responsabilités et des initiatives du gouvernement fédéral pour remédier aux délais au sein du système de justice pénale. Le gouvernement a déposé sa réponse au rapport du comité sénatorial le 15 novembre 2017, qui énonce une stratégie fédérale à plusieurs volets, dont l’amélioration des programmes et des mesures législatives et opérationnelles, en vue de combler les lacunes dans le système de justice et de réduire les délais.
Comité directeur sur l’efficacité et l’accès en matière de justice
En 2003, les ministres FPT responsables de la justice et la magistrature ont convenu que certains des principaux participants du système de justice devraient collaborer en vue de recommander des solutions aux problèmes liés au fonctionnement efficace et efficient du système, sans pour autant compromettre ses valeurs fondamentales. Les solutions peuvent inclure la mise en œuvre de pratiques exemplaires et des modifications législatives. Le Comité directeur sur l’efficacité et l’accès en matière de justice (le Comité directeur) a été créé tout particulièrement pour examiner les questions reliées à l’efficacité et l’accès au système justice pénale qui sont d’envergure systémique et nationale et peuvent affecter le système de justice de manière significative.
Le Comité directeur est composé de six sous-ministres fédéraux et provinciaux responsables de la justice, trois représentants du Conseil canadien de la magistrature, trois représentants du Conseil canadien des juges en chef, un représentant de l’Association du Barreau canadien, un représentant du Barreau du Québec, un représentant du Conseil canadien des avocats de la défense et deux représentants de la communauté policière, soit un total de 17 membres.
À ce jour, le Comité directeur a rendu publics dix de ses rapports :
- Rapport sur les méga-procès (janvier 2005)
- Rapport sur la gestion du volume des dossiers dont le tribunal sera saisi (octobre 2005)
- Rapport sur la considération prioritaire des dossiers (octobre 2006)
- Rapport sur la considération prioritaire des dossiers (octobre 2006)
- Rapport sur l’accusé non-représenté (octobre 2010)
- Rapport sur la communication de la preuve dans les affaires pénales (janvier 2012)
- Rapport sur le recours à la technologie dans le système de justice pénale (octobre 2012)
- Rapport sur la proportionnalité (octobre 2012)
- Modèle de lignes directrices sur la gestion des instances au sein du système de justice pénale (octobre 2016)
- Rapport sur le régime de mise en liberté provisoire (octobre 2016)
Ces rapports ont été soumis à l’examen des sous-ministres et ministres FPT responsables de la justice et de la sécurité publique. Ce sont des rapports publics et ils sont disponibles sur InternetNote de bas de page 15.
Aperçu des défis auxquels fait face le système de justice pénale
De nombreux défis importants et complexes se présentent dans le système de justice pénale canadien. Si le volume et la gravité des crimes ont régressé au fil des ans, les causes portées devant les tribunaux de juridiction criminelle sont plus complexes et les procès durent plus longtemps.
La gravité de la criminalité est inférieure à ce qu’elle était il y a 10 ans : Selon Statistique Canada, entre 1998 et 2014, l’Indice de gravité des crimes (IGC), qui mesure le volume et la gravité des crimes déclarés par la police au Canada, a diminué constamment chez les adultes (passant de 118,8 à 66,9), mais des petites augmentations ont été signalées chaque année de 2015 à 2018 (passant de 70,4 à 75,0). Malgré les augmentations récentes, l’IGC de 2018 était inférieur de 17 % par rapport à ce qu’il était il y a une décennieNote de bas de page 16.
Procès plus longs : Comme les causes portées devant les tribunaux de juridiction criminelle sont plus complexes, les procédures criminelles influent sur la durée du procès et il faut plus de temps avant qu’une décision soit rendue. Selon Statistique Canada, la durée médiane nationale de traitement pour les causes instruites par une cour provinciale était de 117 jours en 2016-2017Note de bas de page 17 : le Québec (167 jours), Terre-Neuve-Labrador (162 jours), la Nouvelle-Écosse (138 jours), le Manitoba (136 jours) et l’Ontario (120 jours) ont signalé une durée médiane de traitement d’une accusation supérieure à la moyenne nationaleNote de bas de page 18. On note aussi que le traitement des causes à chefs d’accusation multiples (64 % de toutes les causes devant les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes) est plus long que celui des cas comportant un seul chef d’accusation (168 comparativement à 100 jours)Note de bas de page 19. De plus, la durée médiane de règlement des causes varie en fonction de l’infraction la plus grave dans le dossier, allant de 17 jours pour le fait de se trouver illégalement en liberté à 181 jours pour des infractions liées aux armes, à 325 jours pour des agressions sexuelles, et à 478 jours pour homicideNote de bas de page 20.
Enjeux liés à la détention provisoire : La détention provisoire, aussi appelée détention avant procès, renvoie à la détention des personnes accusées placées sous garde dans les établissements provinciaux et territoriaux avant le procès ou la détermination de la peine. Le Code criminel énonce les motifs pour lesquels une personne accusée peut être détenue de façon provisoire, notamment pour assurer la comparution devant le tribunal; assurer la protection du public, y compris des victimes et des témoins, et préserver la confiance du public envers le système de justice. De même, le préambule de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) de 2002 précise entre autres que le système de justice pénale pour les adolescents devrait limiter la prise des mesures les plus sévères aux crimes les plus graves et diminuer le recours à l’incarcération des adolescents non violents; de plus, la détention provisoire devrait être limitée à des motifs particuliers, notamment une accusation grave, la probabilité que l’adolescent ne se présentera pas devant le tribunal; la détention est nécessaire au maintien de la sécurité du public.
Dans les établissements de détention provinciaux, le nombre de personnes en attente d’un procès est plus élevé que le nombre de personnes reconnues coupables d’une infraction criminelle qui y purgent une peine. Statistique Canada a rapporté qu’en 2017-2018, les adultes en détention provisoire comptaient pour 60 % (n = 14 812) du compte réel de détenus dans les institutions provinciales et territoriales (N = 24 658)Note de bas de page 21. Environ la moitié (51 %) des adultes libérés d’une détention provisoire ont été détenus pour une semaine ou moins et les trois quarts (75 %) l’ont été pour un mois ou moins. La population en détention provisoire a constamment surpassé la population purgeant une peine depuis 2004-2005Note de bas de page 22. De la même façon, en 2017-2018, plus de la moitié (59 %) du compte réel de jeunes en détention était en détention provisoire, une augmentation de 23 % depuis 1997-1998Note de bas de page 23.
En outre, la détention provisoire représente un coût important pour le système de justice pénale. Une étude de 2014 a révélé qu’en Ontario, le coût moyen d’incarcération d’une personne est de 183 $ par jour, coût qui n’inclut pas les coûts additionnels des services judiciaires, des avocats de service, des procureurs de la Couronne et des ressources judiciaires, et le transport de l’accusé entre l’établissement de détention provisoire et le tribunal (qui peut avoir lieu plusieurs fois). Ce coût quotidien est sensiblement plus élevé que celui de 5 $ par jour qu’il en coûte pour la supervision d’un accusé dans la collectivitéNote de bas de page 24. Les données de 2017-2018 indiquent que le coût moyen de la détention d’adultes dans les institutions provinciales et territoriales est de 233 $ par jourNote de bas de page 25.
Infractions contre l’administration de la justice (ICAJ) : Les tribunaux de juridiction criminelle canadiens traitent un nombre élevé d’ICAJ, comme les manquements à une condition de la mise en liberté provisoire et de probation, ce qui entraîne une pression de plus en plus grande sur le système. Une publication de Statistique Canada sur les ICAJNote de bas de page 26 indique qu’en 2013-2014, 39 % de toutes les causesNote de bas de page 27 devant les tribunaux de juridiction criminelle pour adultes comportaient au moins une ICAJ. Des verdicts de culpabilité étaient les plus courants et les causes qui incluaient au moins une ICAJ résultaient plus souvent en des verdicts de culpabilité que les causes sans ICAJ (76 % versus 55 %). De plus, la méthode utilisée pour le traitement de ces manquements perpétue les cycles individuels de détention et accapare les ressources requises dans d’autres cas, dont les cas liés à des infractions plus graves. Par exemple, l’emprisonnement était la peine infligée la plus courante dans les cas comportant une ICAJ réglés par des tribunaux de juridiction criminelle (53 % comparativement à 22 % des cas réglés qui ne comportaient aucune ICAJ). Les chiffres sont aussi élevés dans le système de justice pénale pour les adolescents : en 2014-2015, l’ICAJ était l’infraction la plus grave dans 15 % des affaires devant les tribunaux pour adolescents, et dans 21 % de ces cas, l’adolescent a été renvoyé sous gardeNote de bas de page 28.
Surreprésentation des Autochtones : Les Autochtones sont surreprésentés dans le système correctionnel. En 2017-2018, les adultes autochtones représentaient 29 % des admissions dans un établissement de détention sous responsabilité fédérale et 30 % des admissions dans un établissement de détention sous responsabilité provinciale ou territoriale, bien qu’ils représentaient environ 4 % de la population adulte du Canada. Par ailleurs, les jeunes autochtones représentaient 43 % des admissions aux services correctionnels dans neuf administrations ayant fourni des donnéesNote de bas de page 29; toutefois, ils représentaient 8 % de la population d’adolescents canadiens. La surreprésentation des femmes autochtones adultes condamnées à une peine d’emprisonnement dans un établissement de détention provincial ou territorial est plus accentuée que celle des hommes autochtones : elles représentaient 42 % des femmes admises dans un établissement de détention provincial ou territorial, comparativement à 28 % pour les hommes autochtonesNote de bas de page 30.
Les Autochtones sont également surreprésentés parmi les victimes d’actes criminels. Dans son Enquête sociale générale (ESG) sur la victimisation, Statistique Canada signale qu’en 2014, plus d’un quart (28 %) des Autochtones de 15 ans et plus ont déclaré que leur ménage ou eux-mêmes fait l’objet d’au moins un des huit types d’infractions mesurées par l’ESG au cours des douze mois précédents l’enquête (comparativement à 18 % pour les non autochtones). Par ailleurs, le taux global de victimisation avec violence, à savoir l’agression sexuelle, les voies de fait et le vol qualifié, était plus de deux fois supérieur chez les Autochtones comparativement à celui des non-Autochtones (163 incidents pour 1 000 personnes comparativement à 74 incidents pour 1 000 personnes). Statistique Canada a également signalé que, sans égard au type de crime violent, les taux de victimisation sont toujours plus élevés chez les Autochtones comparativement aux non-AutochtonesNote de bas de page 31.
Surreprésentation des Canadiens de race noire : Les Canadiens de race noire sont aussi surreprésentés dans le système correctionnel. Le Bureau de l’enquêteur correctionnel, dans son rapport de 2016-2017, indique que les détenus de race noire constituent 8,6 % de la population carcérale totale, alors qu’ils représentent 3 % de la population canadienne. Les détenus de race noire étaient également surreprésentés en ce qui a trait au nombre d’admissions en isolement (10,5 %), et impliqués de façon disproportionnée dans des incidents relatifs au recours à la force dans les établissements correctionnels (10,6 %)Note de bas de page 32.
Surreprésentation des personnes atteintes de problèmes de santé mentale ou de dépendance : Les individus atteints de problèmes de santé mentale ou de dépendance sont plus susceptibles de faire l’objet d’une intervention policière, et cette tendance s’est accentuée au cours des dernières années. Selon Statistique CanadaNote de bas de page 33, parmi les 2,8 millions de Canadiens de 15 ans ou plus qui répondaient aux critères associés à la présence d’au moins un des troubles mentaux et troubles liés à la dépendance (p. ex. dépression, trouble bipolaire, trouble d’anxiété généralisée, abus d’alcool, de cannabis ou d’autre drogue et dépendance à ceux-ci), un sur trois (34 %) a déclaré être entré en contact avec la police pour au moins une raison dans les douze mois ayant précédé l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (santé mentale) de 2012. De plus, les Canadiens qui ont déclaré souffrir d’un trouble mental ou d’un trouble lié à la dépendance étaient quatre fois plus susceptibles que ceux ne souffrant d’aucun trouble d’être arrêtés par les services policiers (12,5 % et 2,8 % respectivement).
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