Armes à feu, décès accidentels, suicides et crimes violents : recherche bibliographique concernant surtout le Canada

3. Décès et blessures causés par des armes à feu – vue d'ensemble (suite)

3. Décès et blessures causés par des armes à feu – vue d'ensemble (suite)

3.9 Coûts des blessures et décès attribuables à des armes à feu

Les recherches sur les coûts des blessures causées par des armes à feu obéissent généralement à l’une des deux approches suivantes. La première consiste à comparer l’efficacité relative par rapport aux coûts de divers types d’interventions médicales pour soigner les blessures par balle. On demande souvent des études de cette nature, mais elles se font rarement. Ainsi, Ordog et ses collègues, étudiant les coûts et les avantages des soins ambulatoires par opposition à l’hospitalisation pour les blessures par balle, ont examiné les dossiers de tous les patients ayant reçu leur congé sans être hospitalisés au King/Drew Medical Centre de Los Angeles entre 1977 et 1991. Ils ont constaté que 60 p. 100 des patients avaient reçu des soins ambulatoires après évaluation et traitement à l’urgence; dans tous les cas, les blessures avaient été jugées mineures. Le taux des complications était relativement faible, à 1,8 p. 100, et il s’agissait le plus souvent de problèmes d’infection. Les économies ont été estimées à 37 millions de dollars (Ordog et coll., 1994). On n’a trouvé aucun exemple de recherches semblables au Canada.

Le deuxième type de recherche, le plus fréquent, quantifie les coûts médicaux ou économiques des blessures par balle dans un pays ou un territoire donné. Ces coûts comprennent le transport et les services d’urgence; les soins médicaux d’urgence et autres; l’enterrement; les soins en santé mentale; la perte de productivité; l’administration; et les coûts que représentent lesdouleurs, la souffrance et la perte de qualité de vie (Miller et Cohen, 1996, p. 49). Étant donné que, généralement, il n’y a pas de données détaillées sur les coûts précis associés à ces blessures, les chercheurs doivent souvent faire des hypothèses ou se fier à des estimations pour fixer le montant des coûts associés à certaines blessures. Les estimations peuvent beaucoup varier selon les types de coûts dont les chercheurs tiennent compte et la nature des hypothèses et des calculs. On trouvera une recherche bibliographique récente dans Injury Prevention Centre Edmonton, 1996.

Certains ont émis des doutes quant à l’utilité de ce genre de recherche. Son objectif est souvent de chiffrer le préjudice grave que peut causer une mauvaise utilisation des armes à feu. Cependant, de nombreuses études de ce type négligent de comparer les coûts associés à ce type de blessures et ceux qui découlent d’autres blessures (Mauser, 1996c, p. 5). On a soutenu que, pour être plus utiles, les études qui visent à évaluer les coûts des blessures par balle devraient aussi supposer que la majorité de ces blessures ont été causées intentionnellement (ibid.), ce qui priverait les chercheurs de presque toute possibilité de présumer qu’il n’y aurait pas de blessures et aucun coût associé à ces blessures s’il n’y avait pas d’armes à feu disponibles.

La recherche bibliographique précédente (Gabor, 1994, p. 15) a cité quelques études américaines tout en signalant que ces coûts n’avaient toujours pas été évalués systématiquement au Canada. Les chercheurs doivent faire preuve de prudence s’ils veulent tirer des conclusions des données américaines et les appliquer au Canada (Gabor et coll., 1996, p. 323). Il existe entre les deux pays des différences parfois considérables quant aux systèmes et aux coûts des soins, à la fréquence et à la nature des blessures par balle, au contexte de ces blessures et aux types d’armes couramment utilisées. En outre, beaucoup d’études américaines comportent des limites méthodologiques et des problèmes de disponibilité des données dont le moindre n’est pas le fait qu’il n’y a généralement pas de données exactes sur l’incidence et la gravité des blessures par balle non fatales (Max et Rice, 1993, p. 182; Kellermann et coll., 1996, p. 1442). Max et Rice (1993, p. 183) concluent que toute estimation de ces coûts n’est qu’un coup d’épée dans l’eau, compte tenu des données disponibles. Cette conclusion semble demeurer valable, qu’il s’agissedes États-Unis ou du Canada.

Optant pour une approche plus large, Miller a tenté d’estimer le coût total des blessures et décès par balle au Canada en 1991. S’appuyant beaucoup sur des recherches américaines antérieures, des extrapolations à partir de données américaines et diverses autres sources secondaires de données, Miller a estimé que ces coûts totalisaient 6,6 milliards de dollars ou 235 $ par habitant, la composante la plus importante correspondant à la perte de la qualité de vie (Miller, 1995). Lorsque l’auteur additionne les coûts selon l’intention du tireur, les suicides et les tentatives de suicide arrivent en tête de liste avec 4,7 milliards de dollars, suivis par les homicides et les agressions, à 1,1 milliard et les tirs accidentels, à près de 602 millions. L’étude a été critiquée pour un certain nombre de raisons, notamment la place trop grande qui y est accordée aux extrapolations faites à partir des données américaines (Mauser, 1996c, p. 4-6; Nakamura, 1996; Rosenberg, 1996; Smart, 1996; Sobrian, 1996a; Suter, 1996; et une réponse de Miller, 1996).

Récemment, le Injury Prevention Centre Edmonton a réalisé un projet pilote pour recueillir des données primaires sur les frais médicaux directs attribuables à des blessures par balle en Alberta sur une période d’un an, entre 1993 et 1994. Le Centre a réuni ces données au moyen d’une enquête écrite auprès des hôpitaux et étoffé cette information au moyen de données secondaires. L’étude a livré des estimations fondées sur les services réellement dispensés pour ces blessures et les coûts réels ou estimés liés à ces services. Si on exclut les coûts des visites médicales en dehors de l’hôpital, des visites en centre communautaire de réadaptation pour de la physiothérapie ou d’autres traitements, et des médicaments ou autres frais de soins à long terme, le total des frais médicaux directs pour blessures par balle, en Alberta pendant cette période, s’est élevé à 869 404 $. Les frais d’hospitalisation pour soins actifs représentaient près de 70 p. 100 du coût estimatif total. Dans cette province, les fusils de chasse sont la cause la plus fréquente des blessures exigeant des traitements en salle d’urgence et une hospitalisation pour soins actifs. L’étude révèle également que les coûts les plus élevés pour traiter les diverses blessures par balle sont celles qui ont été infligées par la victime elle-même et les blessures causées par des armes de chasse (Injury Prevention Centre Edmonton, 1996).

Le projet pilote comprenait également des interviews téléphoniques avec des représentants des neuf autres provinces. Il s’agissait de savoir s’il existait des données sur les frais médicaux et s’il était possible de reproduire l’étude albertaine. Les auteurs ont conclu que l’étude pouvait être reproduite, mais que les chercheurs auraient des difficultés semblables à celles éprouvées par le Centre et que les résultats auraient les mêmes limites. Ils ont émis l’idée qu’il serait possible d’arriver à des estimations plus exactes, avec des ressources suffisantes, en relevant toutes les blessures par balle dans une population donnée et en recueillant des données primaires sur les coûts au lieu de s’en remettre à des sources de données secondaires pour estimer les coûts pertinents (Injury Prevention Centre Edmonton, 1996, p. 48).

3.10 Méthodes de prévention

Dans un article intitulé The Role of the Health Community in the Prevention of Criminal Violence, Gabor, Welsh et Antonowicz (1996) ont avancé qu’il faudrait considérer les blessures fatales et non causées par des incidents violents avec arme à feu comme une menace grave à la santé publique plutôt qu’à l’ordre public. Ils ont soutenu que le crime devait être considéré dans le contexte plus large des problèmes de santé comme les maladies ou les blessures accidentelles et que les facteurs de risque associés au crime et à la victimisation devraient être identifiés et faire l’objet de mesures le plus tôt possible et pas uniquement dans le contexte de la justice pénale, mais aussi par les milieux de la santé (Gabor et coll., 1996 p. 324).

De nombreux auteurs américains croient que les blessures et les décès causés par des armes à feu peuvent être prévenus et que l’approche la plus prometteuse est celle de la santé publique (Camosy 1996; Cohen et Swift, 1993; Elders, 1994; French, 1995; Goetting, 1995; Hargarten et coll., 1996; Johnson, 1993; Kellermann, 1993; Kellermann et coll., 1991, 1996; Lee et Harris, 1993; Mercy 1993; Powell et coll., 1996; Roth, 1994, Teret et Wintemute, 1993; Weiss, 1996; Zwerling et Merchant, 1993; Zwerling et coll., 1993). De la sorte, les services de santé publique peuvent offrir des méthodes primaires et secondaires de prévention une fois que les facteurs de risque associés aux blessures par balle sont identifiés (Camosy, 1996, p. 971). Cette opinion s’inscrit dans la théorie voulant que le moyen le plus rentable de lutter contre la maladie soit la prévention (Kellermann et coll., 1991, p. 19). Kellermann et ses collègues ont proposé six stratégies pour prévenir les blessures par balle (id., p. 34-35). Selon eux, « l’expérience d’autres interventions en matière de santé publique a montré que la meilleure façon de pratiquer la prévention est d’abord de repérer puis de rompre l’enchaînement des causes de maladie en s’attaquant au maillon le plus faible » (id. p. 19). Ils ont ajouté que le maillon le plus faible n’était pas toujours évident ni en rapport de proximité avec la maladie ou la blessure (ibid.).

Weiss (1996, p. 201) a fait observer que, à l’intérieur du modèle épidémiologique ou de santé publique, le comportement violent suivrait probablement la même évolution que toute épidémie. Kellermann et ses collègues ont signalé que, même si les stratégies qu’ils proposaient étaient élaborées comme des contre-mesures pour prévenir les blessures non intentionnelles, elles pourraient s’appliquer aussi à celles qui sont intentionnelles (Kellermann et coll., 1991 : 21). Hargarten et ses collègues expriment des opinions semblables (Hargarten et coll., 1996). Blackman, par ailleurs, soutient que cette généralisation pour englober les blessures non intentionnelles demeure tout à fait une « hypothèse non vérifiée » (Blackman, 1996, p. 1273; voir la réponse de Hargarten et coll., 1996a).

L’approche de la santé publique a inspiré de nombreux appels à la mise en œuvre de programmes de prévention des blessures par balle, et un grand nombre de ses tenants préfèrent des stratégies visant à réduire le nombre d’armes à feu en circulation. Gabor écrit : « Pour avoir un effet appréciable sur la sécurité publique, les mesures devraient avoir pour résultat une réduction considérable de la proportion des ménages ayant des armes à feu » (Gabor 1996, p. 106). Dans le même ordre d’idées, Chapdelaine et Maurice soutiennent que les blessures « supposent toujours l’accès à une arme à feu par une personne qui peut la décharger » (1996, p. 1286). Ils ajoutent : Cet accès constitue le lien universel, celui sur lequel nous pouvons agir dans la chaîne des événements qui mènent à une blessure par balle (ibid.). D’autres ont dit que, même si l’approche de la santé publique suppose nécessairement qu’on peut s’attaquer aux causes profondes de la violence, les armes à feu sont létales au point qu’il faut réduire l’accès à ces armes et surtout aux armes de poing si on veut que la violence ait moins souvent des conséquences fatales (Powell et coll., 1996 : 208).

3.11 Résumé