Guide sur la traite des personnes à l’usage des praticiens de la justice pénale
4. Lignes directrices à l’intention des poursuivants
4.1 Introduction
L’objectif du présent chapitre est de fournir des directives pratiques aux poursuivants engagés dans des poursuites liées à la traite de personnes. Les pratiques et procédures du ministère public varieront d’une juridiction à l’autre. La lecture du présent chapitre doit donc se faire en tenant compte des pratiques et procédures existantes.
4.2 L’entrevue avec la victime
Faites participer la victime à la procédure, en plus de l’entrevue officielle. Consultez-la régulièrement et fournissez-lui des renseignements utiles, surtout à propos de la mise en liberté sous caution de l’accusé et des résultats du procès et de la détermination de la peine. Impliquez les services pour les victimes à un stade précoce du processus afin de vous aider à établir un lien avec la victime. Le rôle des services pour les victimes est abordé plus en détail dans le chapitre 6.
Organisez une réunion informelle avec la victime dès que possible et veillez à impliquer les services pour les victimes dans l’affaire.
Lorsque vous êtes prêt pour l’entretien avec la victime, il est important de l’aider à se préparer à témoigner au tribunal. Bien souvent, les personnes victimes de traite de personnes ignorent tout de la justice pénale canadienne. Évitez les présomptions; avant de poser des questions sur les circonstances de l’infraction, prenez le temps de vous présenter et d’expliquer le rôle du ministère public, l’objet de l’entretien et ce qui va arriver ensuite.
Pendant l’entretien, demeurez sensible à la situation personnelle de la victime et à son état d’esprit, y compris à sa probable détresse psychologique et affective. Rappelez-vous que les victimes sont toutes différentes et peuvent réagir de diverses façons vis-à-vis des procureurs et des forces de l’ordre; quelques-unes vont peut-être collaborer, même si souvent elles ne font pas confiance à la justice et restent sur leurs gardes.
Quelle que soit sa réaction initiale, la victime ne restera pas forcément hostile ou en antagonisme pendant la durée de l’entretien ou de l’instance; il peut s’agir en effet d’une tactique que la victime a adoptée pour surmonter son épreuve et qui ne vise pas directement le système de justice.
Pour maximiser l’efficacité de l’entretien, il est donc important d’éviter de contester trop vite le récit de la victime et de le remettre directement en cause. Le fait de confronter la victime à propos de divergences ou de lacunes dans ses déclarations peut la faire se souvenir de sa position de défense pendant la traite, ce qui réduirait fortement les possibilités de coopération. Certes, il faut peut-être poser des questions difficiles pour obtenir un récit exact et complet des événements en cause, mais efforcez-vous de renforcer votre relation avec la victime avant d’aborder des sujets plus délicats.
Soyez attentifs au langage corporel de la victime et à ses commentaires, sur l’accusé en particulier, car elle peut continuer d’avoir des craintes légitimes pour sa sécurité et pour celle de personnes qu’elle connaît, même si l’accusé est en détention. Portez bien attention à ces éléments et informez la victime des protections à sa disposition. Évitez toutefois de faire des promesses qui ne peuvent être tenues (par exemple lui assurer qu’elle pourra témoigner par vidéo en circuit fermé ou derrière un écran, alors que cette procédure nécessite une demande sur laquelle le tribunal ne s’est pas encore prononcé).
La victime peut également avoir besoin de l’aide d’une personne de confiance ou d’un interprète. Comme c’est le cas pour les personnes vulnérables telles que les victimes de violence conjugale ou d’agression sexuelle, soyez prêts à faire des pauses fréquentes ou même à mettre fin à l’entretien s’il le faut, et allez immédiatement chercher de l’aide pour la personne. Si la victime n’a pas encore été orientée vers les services aux victimes, aidez-la à communiquer avec eux pour obtenir du soutien et de l’aide dès que cela est faisable.
Comme pour toutes les entrevues de témoin, veillez à ce qu’une tierce personne soit toujours présente, par exemple l’agent affecté au dossier. La victime peut se sentir plus à l’aise et mieux disposée à participer si l’agent qu’elle connaît est présent.
La présence d’un observateur peut aider à garantir qu’un compte rendu exact de l’entrevue est conservé, afin de satisfaire aux obligations du ministère public en matière de divulgation.
Pour en savoir plus sur l’entrevue avec les victimes de la traite des personnes, veuillez vous reporter aux références suivantes:
- Chapitres 8 et 9 du Manuel de lutte contre la traite des êtres humains à l’usage des praticiens de la justice pénale de l’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime Note de bas de la page 48.
- Traite de personnes: le Canada n’est pas à l’abri, un cours en ligne destiné aux fournisseurs de services canadiens afin de leur permettre de reconnaître, de protéger et d’aider une personne victime de traite Note de bas de la page 49.
4.3 L’approbation et l’examen de l’inculpation
Au Canada, il incombe à la police de déposer les accusations dans toutes les provinces sauf en Colombie-Britannique et au Québec, où il incombe au ministère public de déposer les accusations. Au Nouveau-Brunswick, la police dépose les accusations après avoir reçu des conseils du ministère public.
En dépit des différences dans les pratiques de mise en accusation, toutes les décisions de poursuivre au Canada sont guidées par un test en deux étapes Note de bas de la page 50 : (1) déterminer s’il existe des chances raisonnables d’obtenir une déclaration de culpabilité dans les poursuites à engager ou à poursuivre; (2) le cas échéant, s’il est dans l’intérêt public que des poursuites soient engagées.
Il arrive souvent que d’autres infractions criminelles soient commises parallèlement à celle de traite de personnes. Par conséquent, il faudrait envisager de déposer des accusations additionnelles, lorsqu’on dispose d’éléments de preuve à l’appui. Par exemple, il faudrait envisager de porter des accusations liées aux infractions suivantes:
- profération de menaces (article 264.1);
- voies de fait (article 265);
- agression armée et infliction de lésions corporelles (article 267);
- voies de fait graves (article 268);
- agression sexuelle (article 271);
- agression sexuelle armée (article 272);
- agression sexuelle grave (article 273);
- enlèvement (paragraphe 279(1));
- séquestration (paragraphe 279(2));
- infractions liées à la prostitution (articles 286.1 à 286.4);
- extorsion (article 346);
- intimidation (article 423); et,
- infractions liées à la participation aux activités d’une organisation criminelle (articles 467.11 à 467.13).
4.4 L’obtention de preuves et d’aide depuis l’étranger
L’issue favorable d’une poursuite pour traite des personnes peut être tributaire de l’entraide juridique obtenue. Le Canada a ratifié 35 traités bilatéraux d’entraide juridique et de nombreuses conventions multilatérales contenant des dispositions relatives à l’entraide juridique, notamment la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et son Protocole contre la criminalité transnationale organisée visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants.
Le Canada peut également demander l’extradition d’un accusé dans un cas de traite des personnes. Actuellement, le Canada a ratifié 51 traités bilatéraux d’extradition et plusieurs conventions multilatérales contenant des dispositions sur l’extradition, notamment la Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée et son Protocole contre la traite des personnes. Pour en savoir plus sur l’entraide juridique et l’extradition, veuillez vous reporter au chapitre 3.
4.5 La détention avant le procès et la mise en liberté
4.5.1 Les motifs de détention
Les trois motifs de détention prévus au paragraphe 515(10) peuvent être invoqués pour demander la détention d’un prévenu inculpé d’infractions liées à la traite de personnes. Les facteurs associés à ces trois motifs de détention sont bien connus, mais les éléments suivants s’appliquent particulièrement aux affaires de traite de personnes.
En ce qui concerne les motifs principaux, il faut porter particulièrement attention à la mobilité de la personne accusée. Souvent, celle-ci a des moyens de se déplacer d’un pays à un autre ou à l’intérieur d’un pays sans être repérée, et elle peut donc quitter l’administration facilement. Il faut veiller à confisquer son passeport.
En ce qui concerne les motifs secondaires, étant donné la violence et les menaces inhérentes aux infractions de traite de personnes, la protection et la sécurité des victimes et des témoins constituent un enjeu de première importance. La traite de personne est une activité commerciale et un puissant facteur de motivation (l’argent) pousse les trafiquants de personnes à continuer d’enfreindre la loi. De plus, la perception qu’a la victime de sa sécurité s’avère cruciale pour maintenir sa coopération dans le cadre de la poursuite.
En ce qui a trait aux motifs tertiaires, la gravité de l’infraction et le fait que le prévenu encourt, en cas de condamnation, une longue peine d’emprisonnement sont des facteurs importants à prendre en considération [sous-alinéas 515(10)c)(ii) et (iv)]. À cet égard, il est significatif que, par définition, l’exploitation soit au cœur de chaque infraction de traite de personnes. De plus, pour ce qui est de la possibilité d’encourir une longue peine d’emprisonnement, la peine maximale pour la traite de personnes grave est l’emprisonnement à perpétuité et, dans sa forme non grave, un emprisonnement maximal de 14 ans [alinéas 279.02(1)a) et b)]. De plus, si la victime a moins de 18 ans, la peine minimale obligatoire est de cinq ou six ans d’emprisonnement, selon les circonstances de l’infraction [paragraphe 279.011(1)]. Dans R. c. Domotor et al., une décision relative à la révision d’une mise en liberté sous caution, la première poursuite pour traite de personnes à des fins de travail forcé au Canada impliquant une organisation criminelle, la Cour supérieure de l’Ontario a accueilli la requête du ministère public et a détenu Ferenc Domotor sur la base des motifs secondaires et tertiaires. Le juge Cavarzan a conclu que [traduction] « la traite de personnes est vraiment une infraction très grave » et que le prévenu encourait une longue peine d’emprisonnement. Il a également conclu que le motif de détention tertiaire ne visait pas uniquement les personnes inculpées de meurtres ou d’infractions graves liées aux armes à feu ou au trafic de stupéfiants Note de bas de la page 51.
4.5.2 Le fardeau
Bien que les infractions de traite de personnes n’entraînent pas automatiquement le renversement du fardeau de la preuve lors de l’audience relative à la mise en liberté sous caution, même dans les cas impliquant une arme à feu, il peut y avoir des éléments qui entraînent le renversement du fardeau. Plus précisément, si le prévenu est accusé d’une infraction liée à une organisation criminelle aux termes des articles 467.11, 467.12 ou 467.13, ou s’il est accusé d’une infraction grave (c.-à-d. une infraction passible de cinq années d’emprisonnement ou plus comme le prévoit la réglementation Note de bas de la page 52 ) présumée avoir été commise au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle, ou en association avec elle, il incombe au prévenu de démontrer pourquoi sa détention n’est pas justifiée [sous-alinéa 515(6)a)(ii)]. Étant donné que la traite de personnes est habituellement commise pour des motifs financiers, si l’infraction semble avoir été commise par ou de concert avec au moins trois personnes, les poursuivants devraient prendre en considération la définition d’une « organisation criminelle » aux termes de l’article 467.1 du Code criminel et envisager l’application du sous-alinéa 515(6)a)(ii).
4.5.3 La préparation en vue de l’audience relative à la mise en liberté sous caution
En se préparant bien en vue de l’audience relative à la mise en liberté sous caution, le poursuivant peut obtenir la détention du prévenu dans les cas appropriés. Par conséquent, si le poursuivant constate qu’il doit poursuivre ses efforts d’enquête (par exemple, sur les cautions proposées), il pourrait s’avérer utile de demander un ajournement d’au plus trois jours aux termes du paragraphe 516(1) du Code criminel, avant le début de l’audience ou une fois que celle-ci est amorcée. Dans de tels cas, le procureur devra exposer les raisons à l’appui de la demande.
Si le poursuivant obtient un ajournement, il devrait en général demander une ordonnance de non-communication pendant la période de détention, en vertu du paragraphe 516(2).
Voici quelques considérations ou mesures pertinentes:
- Envisagez de demander à l’agent de comparaître et de témoigner à l’audience relative à la mise en liberté sous caution. Son témoignage peut s’avérer utile dans les cas plus complexes. L’agent sera probablement au fait de renseignements pertinents additionnels, notamment au sujet de la victime, qui ne se trouvent pas dans le mémoire.
- Soyez attentifs à la possibilité qu’un prévenu (ou plusieurs) soit aussi une victime. Certains trafiquants créent une hiérarchie pour mener à bien leurs activités criminelles et de traite, et se servent de certaines de leurs victimes pour en recruter et en contrôler d’autres. Si un prévenu est également une victime ou une ancienne victime, il se peut qu’il ait davantage de chances d’obtenir sa mise en liberté en raison de son rôle « secondaire ». Il y a lieu de craindre que si cette personne est mise en liberté, elle continue de commettre des infractions sur les instructions de son « recruteur », même si ce dernier est accusé et détenu. En contre-interrogatoire, le poursuivant peut demander à la caution proposée comment elle empêcherait le prévenu de communiquer avec le recruteur.
- Assurez-vous que les cautions proposées fassent l’objet d’une enquête. De façon générale, le contre-interrogatoire des cautions proposées peut être une occasion importante de démontrer les faiblesses de la défense à l’audience sur la mise en liberté sous caution, ainsi que les faiblesses de la défense au procès lui-même. Il se peut que certaines des cautions soient des témoins au procès. L’audience relative à la mise en liberté sous caution est l’occasion de faire inscrire le récit des témoins au dossier judiciaire.
- La caution proposée est-elle impliquée dans les présumées activités de traite du prévenu ou ses présumées activités criminelles connexes? En plus de mener les enquêtes habituelles sur l’aptitude de la caution proposée à assumer son rôle, le poursuivant devrait être attentif à la possibilité que la caution proposée soit impliquée dans les activités criminelles du prévenu et devrait demander à la police de faire enquête sur cette possibilité, tout en étant conscient qu’une enquête efficace peut prendre du temps et exiger des ressources policières.
- La caution proposée a-t-elle un conflit d’intérêts? Même si elle n’est pas impliquée directement dans les activités criminelles d’un prévenu, il peut arriver que la caution proposée (un membre de la famille, par exemple) vive indirectement des produits de ces activités et se trouve par conséquent en conflit d’intérêts. En contre-interrogatoire, le poursuivant devrait examiner le revenu et la situation d’emploi de la caution proposée afin de relever tout conflit d’intérêts qui ferait en sorte qu’elle serait peu disposée à empêcher le prévenu de s’adonner à ses activités criminelles ou à le dénoncer s’il contrevenait aux conditions de sa mise en liberté. Le poursuivant peut demander à la caution de soumettre de la documentation, telle qu’une déclaration de revenus, pour corroborer son témoignage.
- Est-ce que la caution proposée a témoigné dans le cadre d’une audience antérieure sur une mise en liberté sous caution? Dans des affaires de crime organisé ou lorsque le prévenu fait face à d’autres accusations, il se peut que la même caution ait été proposée dans les autres procédures. La transcription du témoignage de la caution dans une audience précédente sur une mise en liberté sous caution pourrait s’avérer utile pour le contre-interrogatoire à la présente audience relative à la mise en liberté sous caution. Toutefois, il se peut que le poursuivant ignore que la caution a servi de caution auparavant, plus précisément si la procédure précédente s’est déroulée dans une autre juridiction. Il s’agit d’une question que le poursuivant peut poser à la caution durant le contre-interrogatoire. Même s’il n’est pas possible d’obtenir la transcription de l’audience relative à la mise en liberté sous caution précédente, advenant un réexamen de la mise en liberté sous caution, la transcription pourrait être obtenue pour cette procédure.
- Si le prévenu avait des accusations en instance au moment de l’infraction, prenez des mesures pour faire annuler la mise en liberté précédente en vertu de l’article 524. Dans cette situation, il incombera au prévenu de démontrer pourquoi il ne devrait pas être détenu relativement aux accusations antérieures, ainsi que relativement aux nouvelles accusations, si les accusations antérieures avaient trait à un acte criminel [paragraphe 515(6)a)(i)].
- Si le prévenu n’est pas originaire du Canada, il faudrait que la police tente de vérifier s’il a un casier judiciaire ou des accusations en instance dans son pays natal ou ailleurs. En plus de vérifier auprès d’INTERPOL, la police devrait idéalement consulter directement la police locale dans le pays natal pour s’assurer de renseignements à jour.
- Communiquez avec l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) si le prévenu n’est pas un citoyen canadien. Manifestement, si le prévenu est un étranger, il s’agit d’un fait pertinent pour les motifs de détention primaires. De plus, les déclarations du prévenu à l’ASFC pourraient s’avérer utiles lors du contre-interrogatoire à l’audience relative à la mise en liberté sous caution.
- Envisagez de préparer une trousse de documentation en vue de la présenter au tribunal. Lorsque le prévenu n’a pas de casier judiciaire et que la décision sur la détention pourrait dépendre des motifs tertiaires, il pourrait s’avérer utile de soumettre au tribunal une trousse de documentation qui contribue à établir « le fait que l’accusation paraît fondée », qui est une des circonstances à prendre en considération relativement au motif tertiaire [sous-alinéa 515(10)c)(i)]. La trousse pourrait inclure des éléments tels que les suivants:
- les déclarations de la victime ou les résumés de ces déclarations;
- les déclarations du prévenu ou les résumés de ces déclarations;
- les antécédents du prévenu;
- les antécédents de la victime;
- des éléments de preuve corroborant, tels que des listes et des livres comptables, des documents d’immigration, des relevés de téléphone cellulaire pour attester des déplacements du prévenu, des vidéos ou photos de surveillance, des photos de la victime avant et après les événements, ainsi que des rapports d’incident antérieurs.
- Lorsqu’il existe des programmes de supervision des personnes sous caution, recherchez les dispositions concernant l’établissement de rapport et la résidence. Les superviseurs des personnes sous caution peuvent jouer un rôle clé dans la surveillance d’un accusé et transmettre les infractions à la Couronne.
4.5.4 L’ordonnance de s’abstenir de communiquer prise au moment de la détention
En général, lorsque le tribunal ordonne la détention du prévenu, le poursuivant devrait également demander au tribunal, aux termes du paragraphe 515(12), d’ordonner au prévenu de s’abstenir de communiquer, directement ou indirectement, avec toute personne – victime, témoin ou autre – identifiée dans l’ordonnance.
4.5.5 Les conditions relatives à la mise en liberté
Conditions ou considérations obligatoires
Lorsqu’un prévenu est accusé « d’une infraction perpétrée avec usage, tentative ou menace de violence contre autrui » (ce qui engloberait vraisemblablement toutes les accusations de traite de personnes aux termes des articles 279.01 et 279.011), le Code criminel exige que le tribunal assortisse ou envisage d’assortir toute ordonnance de mise en liberté de certaines conditions:
Interdiction obligatoire visant les armes à feu et autres armes: Aux termes de l’alinéa 515(4.1)a), le tribunal doit inclure une condition interdisant au prévenu d’avoir en sa possession une arme à feu, une arbalète, une arme prohibée, une arme à autorisation restreinte, un dispositif prohibé, des munitions, des munitions prohibées ou des substances explosives, « s’il en arrive à la conclusion qu’il est souhaitable de le faire pour la sécurité du prévenu, de la victime ou de toute autre personne ». Lorsque le tribunal inclut une telle condition, il doit préciser dans l’ordonnance la façon de remettre, de détenir ou d’entreposer les objets visés qui sont en la possession du prévenu, ou d’en disposer, et de remettre les autorisations, permis et certificats d’enregistrement dont celui-ci est titulaire (se reporter au paragraphe [4.11]).
S’abstenir de communiquer: Aux termes de l’alinéa 515(4.2)a), le tribunal doit déterminer s’il est souhaitable, pour la sécurité des victimes, des témoins, des personnes associées au système judiciaire ou de toute autre personne, d’inclure dans l’ordonnance une condition interdisant au prévenu de communiquer, directement ou indirectement, avec toute personne – victime, témoin ou autre – qui y est identifiée.
Le poursuivant devrait insister pour obtenir une telle condition à l’égard de la victime, de la famille de la victime, des témoins et des associés du prévenu.
Se tenir éloigné: Aux termes de l’alinéa 515(4.2)a), le tribunal doit déterminer s’il est souhaitable pour la sécurité des victimes, des témoins, des personnes associées au système judiciaire ou de toute autre personne d’inclure une condition interdisant au prévenu d’aller dans tout lieu mentionné dans l’ordonnance. Si le prévenu connaît l’adresse de la personne à protéger, elle devrait être mentionnée dans la condition.
Si le prévenu ne connaît pas l’adresse, il faut faire attention dans la formulation des conditions de ne pas révéler de renseignements qui permettraient au prévenu de trouver la personne. Dans une affaire de traite à des fins d’exploitation sexuelle, les types suivants de conditions peuvent être pertinents:
- interdiction de fréquenter des établissements qui offrent des services de divertissement pour adultes, tels que les clubs de danseuses ou des boutiques de vidéos pour adultes qui offrent des services de divertissement à l’arrière;
- interdiction de se rendre dans un hôtel ou un motel, sauf si le prévenu est accompagné d’une caution.
Conditions optionnelles
Le type de conditions optionnelles qu’il faut demander dépendra dans une large mesure du type d’affaire de traite en cause. De façon générale, le poursuivant doit établir un équilibre judicieux entre l’objectif de maintenir un contrôle efficace du prévenu et l’imposition de conditions trop strictes nécessitant l’inclusion de certaines exceptions, ce qui aurait pour effet de rendre leur application difficile.
Dans la plupart des cas, le poursuivant devrait envisager de demander les conditions suivantes:
- que le prévenu se présente aux autorités pour faire rapport;
- qu’il demeure à l’intérieur d’une juridiction territoriale particulière;
- si le prévenu vit à l’extérieur de la région où l’infraction a eu lieu ou de la région où habite la victime, qu’il se tienne éloigné de cette région sauf lorsqu’il doit comparaître devant le tribunal ou rencontrer son avocat Note de bas de la page 53 ;
- qu’il habite avec la caution à une adresse désignée;
- s’il n’y a pas de condition précisant avec qui le prévenu doit habiter, il faudrait envisager une condition précisant au moins l’adresse où il doit habiter; ainsi, le prévenu serait tenu de demander l’autorisation du tribunal s’il souhaitait déménager et la police pourrait vérifier si la nouvelle adresse se trouve près de celle de la victime ou des endroits que la victime fréquente;
- qu’il soit assigné à résidence ou qu’on lui impose des heures de rentrée; si des exceptions sont intégrées à cette condition, il faudrait que le prévenu soit tenu d’obtenir l’autorisation écrite d’une personne désignée avant de se prévaloir de l’exception;
- qu’il n’ait pas en sa possession d’appareil de télécommunications et qu’il n’accède pas à Internet – c’est souvent de cette manière que les prévenus communiquent avec les victimes et les témoins et leur profèrent des menaces; et,
- s’il y a lieu, à la lumière des faits, que le prévenu s’abstienne de toute consommation d’alcool et n’ait pas en sa possession de substances intoxicantes ou de drogues, sauf conformément à une ordonnance médicale.
4.5.6 Les interdictions de publication pendant les enquêtes sur le cautionnement
L’article 517 du Code criminel permet à un procureur de demander une interdiction de publication couvrant les enquêtes sur le cautionnement afin de garantir la bonne administration de la justice.
4.6 Après l’audience relative à la mise en liberté sous caution
Réunion et examen des éléments de preuve après l’audience relative à la mise en liberté sous caution: Peu après l’audience relative à la mise en liberté sous caution, il peut être utile pour le poursuivant et la police de se réunir pour discuter de la preuve présentée à cette audience. Tout élément de preuve qui soulève des soupçons peut faire l’objet d’une enquête, tout comme les questions soulevées durant le contre-interrogatoire de l’enquêteur par l’avocat de la défense, si ce dernier a témoigné à l’audience relative à la mise en liberté sous caution. Il est possible de demander la transcription des témoignages pour le compte de la défense afin de faciliter le suivi de ces témoignages et, s’il y a lieu, d’utiliser ces témoignages lors du procès.
Possibilité d’une révision de la mise en liberté sous caution: Lorsqu’un prévenu est libéré sous caution malgré l’opposition du poursuivant, ce dernier peut envisager de présenter une demande de révision de la mise en liberté sous caution aux termes de l’article 521 du Code criminel. Lorsque l’enquête effectuée après l’audience relative à la mise en liberté sous caution réfute la preuve présentée à cette audience, cela a évidemment pour effet de renforcer la demande de révision de la Couronne.
Enquête proactive sur l’ingérence auprès des témoins ou la persistance de la délinquance: Que le prévenu ait été détenu ou mis en liberté sous caution, il est réaliste de présumer que le prévenu dans une affaire de traite de personnes pourrait tenter, directement ou indirectement, de menacer le plaignant ou les autres témoins, ou des personnes proches du plaignant et des témoins, y compris dans leur pays natal s’ils proviennent d’ailleurs Note de bas de la page 54, même si une ordonnance de s’abstenir de communiquer est en vigueur. De même, l’accusé peut continuer à exercer des activités liées à la traite, même s’il est placé en détention. Il faut que la police soit proactive pour relever ce genre d’inconduite. Si le prévenu a été libéré sous caution, toute inconduite de ce genre justifierait que celui-ci soit arrêté aux termes de l’alinéa 524(1)a) et accusé d’infractions additionnelles, ou qu’une demande soit déposée aux termes du paragraphe 524(8) pour que le tribunal annule toute mise en liberté accordée antérieurement.
4.7 Les enquêtes préliminaires
Il convient de prendre en considération l’utilisation du paragraphe 540(7) du Code criminel afin d’éviter qu’une victime ne témoigne lors de l’enquête préliminaire. Le paragraphe 540(7) prévoit ce qui suit:
(7) Le juge de paix agissant en vertu de la présente partie peut recevoir en preuve des renseignements par ailleurs inadmissibles qu’il considère plausibles ou dignes de foi dans les circonstances de l’espèce, y compris une déclaration d’un témoin faite par écrit ou enregistrée.
Ce paragraphe peut être utilisé pour que la déclaration de la victime, généralement une déclaration enregistrée sur vidéo, puisse être admise comme preuve sans qu’il soit nécessaire de faire comparaître la victime lors de l’enquête préliminaire.
R. c. Vaughn Note de bas de la page 55 est une décision de 2009 prise par la Cour suprême provinciale de la Colombie-Britannique qui résume plusieurs décisions dans ce domaine et constitue dès lors un bon point de départ pour les recherches sur le paragraphe 540(7). Il est évident que chaque cas doit être évalué en fonction des faits qui lui sont propres avec pour référence la jurisprudence traitant du paragraphe 540(7) avant que la décision soit prise d’introduire une telle demande. L’avantage principal d’une demande accueillie est que la victime ne doit pas témoigner à l’audience préliminaire, ce qui limite ainsi le nombre de fois où elle devra témoigner.
Les dispositions précédentes, concernant le témoignage de la victime, sont tempérées par le paragraphe 540(9) du Code criminel:
(9) Sur demande faite par une partie, le juge de paix ordonne à toute personne dont il estime le témoignage pertinent de se présenter pour interrogatoire ou contre-interrogatoire sur les renseignements visés au paragraphe (7).
Vaughn Note de bas de la page 56 résume également les principes et la jurisprudence qui s’appliquent lorsqu’un tribunal est confronté à une demande aux termes du paragraphe 540(9). Une demande aux termes du paragraphe 540(7) peut être futile si on conclut qu’une demande aux termes du paragraphe 540(9) aura une issue favorable, ce qui impliquera que la victime devra assister à l’enquête préliminaire et subir un contre-interrogatoire.
Autres méthodes de témoignage
Dans des situations où la victime a moins de 18 ans, les procureurs doivent prendre en considération l’article 715.1 afin de présenter la déclaration de la victime enregistrée sur vidéo comme preuve à l’enquête préliminaire et au procès.
715.1(1) Dans les procédures dirigées contre l’accusé, dans le cas où une victime ou un témoin est âgé de moins de dix-huit ans au moment de la perpétration de l’infraction reprochée, l’enregistrement vidéo réalisé dans un délai raisonnable après la perpétration de l’infraction reprochée et montrant la victime ou le témoin en train de décrire les faits à l’origine de l’accusation est, sauf si le juge ou le juge de paix qui préside est d’avis que cela nuirait à la bonne administration de la justice, admissible en preuve si la victime ou le témoin confirme dans son témoignage le contenu de l’enregistrement.
4.8 Les mises en accusation directes
En vertu de l’article 577 du Code criminel, le procureur général ou le sous-procureur général sont autorisés à envoyer une affaire directement au procès sans enquête préliminaire, lorsque l’enquête préliminaire n’est pas encore terminée, ou qu’une enquête préliminaire a abouti à la libération du prévenu. Il est important de noter que l’accusé n’a pas de droit constitutionnel à une enquête préliminaire Note de bas de la page 57.
Dans les cas de traite des personnes, les procureurs doivent envisager la possibilité d’obtenir un acte d’accusation s’il existe des avantages de supprimer l’enquête préliminaire du processus, pour éviter les retards d’avant-procès, préserver les preuves, protéger les témoins et d’autres facteurs d’intérêt public.
4.9 Contrer les stratégies courantes de la défense
Dans les affaires de traite des personnes, les attaques de la crédibilité et de la fiabilité des témoins de la poursuite, celles du plaignant surtout, représentent la contestation la plus sérieuse du dossier du ministère public par la défense. Pour soulever un doute raisonnable, les avocats de la défense peuvent soulever les déclarations antérieures incompatibles et attaquer la crédibilité générale du plaignant (p. ex., en laissant entendre un motif de fabrication, comme éviter l’expulsion).
Déclarations antérieures incompatibles
Il pourrait y avoir des écarts entre le témoignage antérieur ou les déclarations écrites d’un plaignant et son témoignage plus récent. Des déclarations peuvent être présentées avant le procès et, malheureusement, les plaignants peuvent parfois faire au procès des déclarations qui sont incompatibles avec leurs versions antérieures des faits. Les incohérences peuvent être involontaires, les faits pertinents ayant pu se dérouler il y a fort longtemps. Il peut aussi arriver que des plaignants décident délibérément de s’abstenir de communiquer des renseignements ou de mentir s’ils craignent toujours pour leur sécurité ou celle d’autres personnes. Une autre raison peut être liée au degré du traumatisme dont ils ont pu souffrir, ce qui peut influer sur leur capacité de se rappeler clairement les faits de l’espèce. Le traumatisme peut parfois amener les plaignants à souffrir du syndrome de Stockholm et à afficher une affinité pour l’accusé et par voie de conséquence à témoigner de façon opposée ou hostile pour le ministère public. Il peut de plus arriver que la victime ait elle-même participé, volontairement ou non, à d’autres activités de traite, et elle s’abstiendra donc de communiquer des renseignements ou elle mentira afin de minimiser sa participation.
Pour en savoir plus sur les effets du traumatisme sur une victime, veuillez vous reporter au chapitre 3.
Tous ces scénarios peuvent donner lieu à des déclarations antérieures incompatibles. Les mesures suivantes peuvent être utiles pour réfuter les contestations connexes et garantir que le juge du procès dispose d’un aperçu juste du témoignage des plaignants:
- corroborer le témoignage des plaignants en faisant appel à des preuves supplémentaires, notamment le témoignage d’autres témoins étayé par des renseignements sur les vols, des documents d’immigration, des vidéos de surveillance ou autres, à condition que ces preuves soient pertinentes à l’égard d’une question en litige;
- colliger les diverses versions des faits données par le témoin et établir l’ordre chronologique, une information qui, concurremment à l’identité de la personne qui a recueilli les déclarations, peut aider à expliquer quelques incohérences;
- déterminer si certaines incohérences sont réellement importantes pour le récit général des plaignants ou si elles ne sont que des variations de bonne foi que peuvent expliquer le passage du temps ou la situation éprouvante à laquelle ils ont été confrontés lorsqu’ils ont subi l’infraction;
- pendant l’entrevue des plaignants, de même que pendant l’interrogatoire principal, veiller à ce qu’ils aient la possibilité d’examiner et de corriger les incohérences. Le fait de corriger les failles et de reconnaître d’emblée les faiblesses de l’espèce est plus probant que de permettre à la défense de contrôler le récit en soulevant des problèmes pour la première fois au contre-interrogatoire;
- dans le cas de plaignants qui se rétractent ou qui sont peu coopératifs, avoir connaissance des moyens de preuve par lesquels des déclarations antérieures, et peut-être plus véridiques, peuvent être présentées au juge du procès (par exemple, demander à contre-interroger le plaignant en vertu des paragraphes 9(1) ou 9(2) de la Loi sur la preuve au Canada, ou accepter des déclarations antérieures admissibles en vertu de l’exception de principe à la règle du ouî-dire sur le fondement des arrêts B.(K.G.) Note de bas de la page 58 et Khelawon Note de bas de la page 59 de la Cour suprême du Canada; et
- s’il s’agit de traite des personnes ou d’exploitation sexuelle, envisager au besoin de faire témoigner des experts sur les réactions psychologiques et les comportements des personnes ayant été victimes de traumatismes graves, afin d’expliquer des incohérences.
Attaques générales de la crédibilité
Les avocats de la défense peuvent par ailleurs attaquer la crédibilité générale des plaignants ou les motifs qu’ils auraient de mentir, en invoquant par exemple leur statut en matière d’immigration, leurs antécédents criminels, les avantages reçus pendant la période correspondant aux allégations ou leurs relations antérieures avec l’accusé ou d’autres témoins de l’espèce. Pour contrer ces tactiques, on peut employer des stratégies semblables à celles qui viennent d’être exposées, et peut-être aussi celles qui suivent:
- contester la pertinence du point soulevé par la défense;
- envisager de demander de recevoir des preuves sur le fondement des exceptions relatives aux preuves narratives ou aux faits similaires concernant la moralité de l’accusé, afin de démontrer un comportement établi d’abus à l’égard du plaignant ou de personnes de qualité semblable. De façon générale, la présentation de ce type de preuve vise à garantir que le juge des faits dispose du tableau d’ensemble des faits de l’espèce, ou de réfuter une qualification injuste du comportement du plaignant ou de ses réactions à certaines situations;
- envisager de présenter des témoignages d’expert sur les techniques de traite des personnes, comme l’utilisation de cadeaux ou d’argent pour contrôler ou manipuler les victimes, afin de démontrer que ces « avantages » permettent souvent de commettre l’infraction;
- tenter si possible d’illustrer par des exemples la différence entre la valeur des « avantages » qu’a reçus le plaignant et la valeur marchande réelle du travail ou des services qu’il a fournis, afin d’établir l’exploitation et de réfuter des allégations qu’il a été dédommagé de façon juste;
- si les faits le confirment, déposer des éléments en vue de prouver que le plaignant a obtenu son statut de résident en dehors de toute coopération avec l’enquête. S’il y a un lien entre sa coopération et son statut de résident, fournir en toute transparence les détails de l’arrangement et normaliser celui-ci en produisant des preuves établissant qu’il constitue, au plan international, la meilleure façon de procéder et qu’il devrait être sans incidence négative sur l’intégrité du témoignage de la victime; et
- si le plaignant a un casier judiciaire, aborder la situation franchement pendant l’interrogatoire principal, et rétablir sa crédibilité par anticipation en soulignant toutes les circonstances pertinentes des condamnations ou des décisions antérieures (par exemple, le casier est périmé, il est sans rapport avec les actes criminels de supercherie ou de mensonge, le plaignant souffrait de dépendance ou de problèmes de santé mentale au moment de l’infraction, etc.).
4.10 Les dispositifs et autres mesures pour faciliter le témoignage
Le Code criminel comporte des dispositions qui permettent aux juges d’ordonner l’utilisation de dispositifs et d’autres mesures pour faciliter le témoignage de victimes et d’autres personnes vulnérables, par exemple les victimes de la traite, dans le cadre des procédures pénales. Ces dispositions reconnaissent qu’il y a des témoins et des victimes, notamment les victimes de la traite, qui peuvent être plus vulnérables en raison de leur âge ou d’autres facteurs, tels que la nature du crime. L’un des objectifs de ces dispositions est de réduire le traumatisme pouvant résulter du témoignage et d’assurer que, en ce qui a trait aux victimes, elles ne sont pas victimisées à nouveau à cause de leur collaboration avec le système de justice pénale.
Pour n’importe quelle personne, témoigner dans une procédure pénale peut s’avérer une expérience difficile et effrayante, à plus forte raison si elle a subi l’exploitation dans le cadre de la traite de personnes. Étant donné que la traite est inextricablement liée à des pratiques coercitives – telles que la violence (physique, sexuelle ou psychologique) et des menaces de violence à l’endroit de la victime ou d’un proche de la victime –, il se peut que les victimes aient besoin de dispositifs pour présenter leur témoignage. D’autres témoins peuvent aussi avoir besoin de tels dispositifs.
Les dispositifs et autres mesures pouvant aider les victimes et autres témoins à présenter leurs témoignages incluent:
- permettre à la personne de témoigner à l’extérieur de la salle d’audience au moyen de la télévision en circuit fermé ou derrière un écran, pour que le témoin n’ait pas à voir le prévenu (article 486.2) Note de bas de la page 60 ;
- pour que la victime ou le témoin soit plus à l’aise, permettre à une personne de confiance d’être présente à ses côtés durant le témoignage (article 486.1); et,
- lorsque le prévenu se représente lui-même, désigner un avocat chargé d’effectuer le contre-interrogatoire (article 486.3).
Sur demande du poursuivant, ces mesures peuvent être accordées à tout témoin qui est âgé de moins de dix-huit ans ou qui éprouve de la difficulté à témoigner en raison d’une déficience, sauf si le juge est d’avis que cela nuirait à la bonne administration de la justice.
D’autres témoins vulnérables d’âge adulte peuvent avoir droit à de telles mesures, sur demande, si le juge est d’avis que cela est nécessaire pour obtenir de ces derniers un récit complet et franc des faits sur lesquels est fondée l’accusation. Le juge tiendra compte de facteurs tels que l’âge du témoin, les déficiences physiques ou mentales de celui-ci, la nature de l’infraction, la nature de toute relation entre le témoin et le prévenu et toute autre circonstance qu’il estime pertinente.
En plus des dispositifs et autres mesures signalés ci-dessus, le juge peut, aux termes de l’article 486 du Code criminel, rendre une ordonnance d’exclusion ayant pour effet d’exclure de la salle d’audience une partie ou l’ensemble des membres du public, pour une partie ou l’ensemble de la procédure pénale. Un juge peut rendre une telle ordonnance s’il est d’avis qu’elle est:
- dans l’intérêt de la moralité publique;
- dans l’intérêt du maintien de l’ordre;
- dans l’intérêt de la bonne administration de la justice;
- nécessaire pour éviter toute atteinte aux relations internationales, ou à la défense ou à la sécurité nationales Note de bas de la page 61 .
Aux termes du paragraphe 486(2), émettre une ordonnance « dans l’intérêt de la bonne administration de la justice » englobe le fait de veiller « à ce que soit sauvegardé l’intérêt des témoins âgés de moins de dix-huit ans » [alinéa 486(2)a)] et « à la protection des personnes associées au système judiciaire qui prennent part à la procédure » [alinéa 486(2)b)].
Les tribunaux ont reconnu l’importance d’émettre une ordonnance d’exclusion dans les situations appropriées. Toutefois, ils ne rendront une telle ordonnance que si l’ordonnance est nécessaire (à la lumière des considérations signalées ci-dessus) et si aucune autre mesure de rechange raisonnable n’a été relevée qui permettrait d’accomplir les mêmes résultats (Société Radio-Canada c. Nouveau-Brunswick [Procureur général] Note de bas de la page 62 ).
Il faut aussi signaler que lorsqu’un juge refuse d’accorder une ordonnance d’exclusion dans une affaire où le prévenu est accusé d’une des quatre infractions spécifiques se rapportant à la traite de personnes, le juge doit exposer les motifs de sa décision [paragraphe 486(3)].
4.11 Les ordonnances de non-publication
Le Code criminel prévoit à la fois des ordonnances de non-publication obligatoires et discrétionnaires qui interdisent la publication ou la diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité d’une victime ou d’un témoin.
Aux termes de l’article 486.4 du Code criminel, le juge – si on lui en fait la demande – doit rendre une ordonnance interdisant de publier ou de diffuser de quelque façon que ce soit tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité d’un témoin âgé de moins de 18 ans ou l’identité d’un plaignant, dans le cadre des procédures visant un certain nombre d’infractions désignées, y compris les infractions spécifiques se rapportant à la traite de personnes dans le Code criminel. Dans les procédures visant de telles causes, le juge doit aviser dès que possible le plaignant, le témoin ou le poursuivant de leur droit de demander l’ordonnance.
L’article 486.5 du Code criminel confère au juge le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance interdisant la publication ou la diffusion de quelque façon que ce soit de tout renseignement qui permettrait d’établir l’identité de la victime ou du témoin dans le cadre de toute autre procédure pénale, s’il est convaincu que « la bonne administration de la justice l’exige ».
Aux termes du paragraphe 486.5(7), pour décider s’il doit rendre une ordonnance de non-publication, le juge prend en compte les facteurs suivants:
- le droit à un procès public et équitable [alinéa 486.5(7)a)];
- le risque sérieux que la victime ou le témoin subisse un préjudice grave si son identité est révélée [alinéa 486.5(7)b)];
- la nécessité d’assurer la sécurité de la victime ou du témoin, ainsi que sa protection contre l’intimidation et les représailles [alinéa 486.5(7)c)];
- l’intérêt de la société à encourager la dénonciation des infractions et la participation des victimes et des témoins au système judiciaire [alinéa 486.5(7)d)];
- l’existence d’autres moyens efficaces permettant de protéger l’identité de la victime [alinéa 486.5(7)e)];
- les effets bénéfiques et préjudiciables de l’ordonnance proposée [alinéa 486.5(7)f)];
- les répercussions de l’ordonnance sur la liberté d’expression des personnes qu’elle touche [alinéa 486.5(7)g)]; et,
- tout autre facteur que le juge estime pertinent [alinéa 486.5(7)h)].
Pour obtenir davantage d’information sur les traumatismes causés par la traite de personnes, veuillez vous reporter au chapitre 3 ou suivez la formation en ligne Traite de personnes: le Canada n’est pas à l’abri. Cette formation, qui estofferte aux intervenants de première ligne du Canada, porte sur la manière de reconnaître, de protéger et d’aider les personnes qui ont pu être des victimes de la traite. Elle est offerte en français et en anglais à l’adresse http://www.pssg.gov.bc.ca/octip/training.htm#fr.
4.12 Les produits de la criminalité et les biens infractionnels
Selon les estimations, à l’échelle mondiale, la traite de personnes fait partie des activités criminelles les plus lucratives (seuls les trafics de la drogue et des armes à feu sont comparables), générant des milliards de dollars annuellement pour les organisations criminelles complexes. L’Organisation internationale du travail estime que les profits de la traite de personnes se chiffrent à environ 32 milliards de dollars Note de bas de la page 63.
Lorsqu’on mène une enquête sur la traite de personnes, il faut, dans la mesure du possible, mener en parallèle une enquête sur les produits de la criminalité, et ce, dès les premières étapes.
Le Code criminel comporte un régime exhaustif de confiscation pénale qui porte à la fois sur les produits de la criminalité, incluant l’utilisation d’une disposition de renversement du fardeau de la preuve, et sur la confiscation de biens infractionnels (par exemple, des biens utilisés pour commettre un crime).
La Partie XII.2 du Code criminel prévoit la confiscation des « produits de la criminalité » lors de la détermination de la peine à infliger à un prévenu trouvé coupable d’une infraction désignée, dont les infractions liées à la traite des personnes.
4.12.1 En quoi consistent les produits de la criminalité?
L’article 462.3 du Code criminel définit ce qu’on entend par « produits de la criminalité »:
« Bien, bénéfice ou avantage qui est obtenu ou qui provient, au Canada ou à l’extérieur du Canada, directement ou indirectement: a) soit de la perpétration d’une infraction désignée; b) soit d’un acte ou d’une omission qui, au Canada, aurait constitué une infraction désignée. »
En ce qui concerne les personnes déclarées coupables d’une infraction associée à une organisation criminelle (qui peut englober une infraction de traite de personnes commise au profit ou sous la direction d’une organisation criminelle, ou en association avec elle), le Code criminel prévoit la confiscation des produits de la criminalité, sauf si le contrevenant peut démontrer que les biens ne découlent pas d’activités criminelles. Autrement dit, le fardeau de la preuve incombe à la partie déclarée coupable, et non au poursuivant: il appartient à la partie déclarée coupable de démontrer pourquoi le juge ne devrait pas ordonner la confiscation des biens.
Les dispositions exhaustives de la Partie XII.2 permettent également la saisie ou le blocage de biens en attendant que le tribunal rende sa décision sur la procédure criminelle.
Dans le cadre de la procédure et des pouvoirs spéciaux établis dans la Partie XV, le Code criminel prévoit également la confiscation de biens utilisés pour perpétrer une infraction ou d’autres biens infractionnels. Les biens infractionnels sont définis à l’article 2 du Code criminel: bien situé au Canada ou à l’extérieur du Canada qui sert ou donne lieu à la perpétration d’un acte criminel prévu par le Code criminel, ou qui est utilisé de quelque manière dans la perpétration d’un tel acte, ou encore qui est destiné à servir à une telle fin.
Il faut également garder à l’esprit que plusieurs provinces et territoires ont adopté des lois relatives à la confiscation civile. Ces lois établissent le cadre selon lequel l’État peut demander la saisie des produits issus d’activités illicites. Les produits issus d’activités illicites sont définis en termes généraux pour comprendre un bien acquis, directement ou indirectement, en tout ou en partie, à la suite d’une activité illicite. La confiscation civile se distingue du fait que la confiscation peut avoir lieu malgré l’absence d’une déclaration de culpabilité Note de bas de la page 64.
4.12.2 La confiscation en vertu de la LIPR
En sus de la peine prévue à l’article 120, une ordonnance de confiscation des biens relatifs à l’infraction peut être rendue en vertu du paragraphe 137(1) de la LIPR.
Paragraphe 137(1) Sur déclaration de culpabilité de l’auteur de l’infraction à la présente loi, le tribunal peut prononcer, en sus de la peine infligée, la confiscation au profit de Sa Majesté du chef du Canada des biens infractionnels saisis relativement à l’infraction. (2) Les règlements régissent l’application du présent article, définissent le terme « biens infractionnels » et portent notamment sur la remise des biens confisqués à leur propriétaire légitime, la disposition des biens confisqués et l’affectation du produit de leur aliénation.
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