Partie III : Les droits au bien être
Le mouvement des droits des victimes a réalisé ses premiers succès en incitant les gouvernements à répondre aux besoins financiers, matériels et sanitaires des victimes par l’indemnisation, le counseling et d’autres services. Les premières mesures importantes de réforme du droit à l’égard des victimes prises dans le monde occidental concernaient les blessures subies par les victimes d’actes criminels. En 1964, la Nouvelle‑Zélande a adopté le premier programme d’indemnisation des victimes dans le monde de la common law et toutes les provinces canadiennes ont suivi cette voie, la première étant la Saskatchewan en 1967 et la dernière étant l’Île‑du‑Prince‑Édouard en 1988.
Les droits au bien‑être sont apparus clairement comme l’objectif initial du mouvement des droits des victimes. L’indemnisation ne constituaient que l’un des éléments des initiatives provinciales ayant trait à l’aide aux victimes, à mesure que les provinces élargissaient les programmes et les autres services pour répondre aux besoins des victimes à l’extérieur des tribunaux. Il faut reconnaître que, malgré les problèmes récents auxquels sont confrontés les programmes d’indemnisation et le problème perpétuel du sous‑financement d’autres programmes, le vaste éventail de programmes d’aide spécialisés offert par les provinces constitue la réalisation phare du mouvement des droits des victimes.
Dans la littérature passée et actuelle, on constate que les droits de participation des victimes sont beaucoup plus pris en compte par rapport à leurs droits au bien‑être. Le présent rapport n’est pas différent. L’accent mis sur les droits juridiques et de participation ne devrait pas donner lieu à une conclusion selon laquelle les victimes accordent la priorité à ces droits par rapport aux droits relatifs à leur bien‑être financier, physique et mental. Au contraire, moins d’attention est accordée aux droits au bien‑être parce qu’ils sont moins controversés tant en théorie qu’en pratique. Le fait de traiter de manière efficace les droits au bien‑être est en grande partie un exercice de gestion budgétaire et de volonté politique. Les droits au bien‑être fluctuent en fonction des fonds qu’un gouvernement est disposé à investir dans ces programmes – il s’agit d’une question politique qui outrepasse manifestement la portée du présent rapport et qui n’intéresse pas de nombreux chercheurs et universitaires. Ces derniers ne mettent pas l’accent sur cette question.
Même si les droits au bien‑être constituent clairement une composante indispensable aux droits des victimes, ces types de droits n’ont pas fait l’objet de modifications constitutionnelles comme celles proposées aux États‑Unis. De plus, les droits au bien‑être ne seraient pas conformes à la jurisprudence relative au droit constitutionnel au Canada, car notre régime constitutionnel n’a jamais reconnu les droits économiques et a rarement consacré des droits « positifs » qui imposent des obligations fiscales aux mandataires de l’État (Gosselin c. Québec (Procureur général), 2002; voir également Weidenfeld v. Alberta, 2020; R. v. A.(S.), 2014; Vail v. Prince Edward Island (Workers’ Compensation Board), 2012). Par conséquent, lorsque les universitaires considèrent la Constitution comme un forum possible pour renforcer le rôle de la victime, l’accent est logiquement mis sur les droits de participation, ce qui permettrait à la victime de jouer un rôle plus actif dans le processus criminel. La discussion sur les droits au bien‑être est en grande partie laissée aux intervenants politiques et aux bureaucrates, de plus, la nature et la portée de ces droits changent souvent d’une décennie à l’autre en fonction du paysage politique de la décennie.
Dédommagement
Pendant de nombreuses décennies, le dédommagement payé directement par le délinquant a été une option possible au moment de la détermination de la peine. Dans le rapport de 2001, il est indiqué que le dédommagement en tant qu’option de détermination de la peine était largement inefficace, car le régime est [Traduction] « complexe, sous‑utilisé et disponible uniquement dans les cas où les dommages‑intérêts peuvent être déterminés » (Roach, 1999, p. 298). Cette évaluation négative est malheureuse parce que, comme il a été indiqué dans le rapport de 2001, [Traduction] « l’absence de dédommagement demeure un facteur d’insatisfaction de la victime » (Young, 2001, p. 23).
Depuis 2001, de nombreuses modifications ont été apportées pour renforcer et élargir la portée des dispositions relatives au dédommagement dans le Code criminel. À cet égard, la déclaration suivante de 2018 de la Cour d’appel du Nouveau‑Brunswick donne un bon aperçu des modifications importantes :
[traduction]
Quoi qu’il en soit, par suite de modifications législatives récentes, la circonspection à laquelle les tribunaux auraient pu se croire tenus au moment d’envisager de rendre une ordonnance de dédommagement est maintenant inapplicable. Depuis 2015, un message législatif clair a été lancé afin d’obliger les tribunaux à envisager la possibilité de rendre des ordonnances de dédommagement dans le cadre du processus de détermination de la peine. Cette année‑là, le législateur fédéral a adopté la Loi sur la Charte des droits des victimes, L.C. 2015, ch. 13, qui est venue ajouter un certain nombre de dispositions au Code criminel. Figure parmi celles‑ci l’art. 737.1, qui
- oblige le juge chargé de déterminer la peine à « envisager la possibilité de rendre une ordonnance de dédommagement » en plus de toute autre mesure;
- oblige le juge à se renseigner afin de déterminer si des mesures ont été prises pour permettre aux victimes d’indiquer si elles réclament un dédommagement; et
- oblige le juge à donner des motifs si le dédommagement est sollicité, mais n’est pas ordonné. Les modifications apportées en 2015 ont également ajouté l’art. 739.1, qui stipule que « [l]es moyens financiers ou la capacité de payer du délinquant n’empêchent pas le tribunal de rendre l’ordonnance » de dédommagement, ainsi que l’art. 739.2, qui stipule que lorsqu’il rend une ordonnance de dédommagement, « le tribunal enjoint au délinquant de payer la totalité de la somme indiquée dans l’ordonnance au plus tard à la date qu’il précise ou, s’il l’estime indiqué, de la payer en versements échelonnés, selon le calendrier qu’il précise ». (Moulton c. R., 2018, par. 31)
Au cours des dernières années, un certain nombre de programmes provinciaux ont été élaborés pour aider les victimes à obtenir le dédommagement ordonné par un tribunal. En 2009, le programme d’exécution civil du dédommagement a été instauré en Saskatchewan et il a été le premier programme du genre au Canada (McDonald, 2020). Depuis lors, des programmes similaires ont été instaurés en Alberta (2020); en Colombie‑Britannique (2015); en Nouvelle‑Écosse (2008); et à l’Île‑du‑Prince‑Édouard (2016).
Une étude préliminaire (2010) du programme de la Saskatchewan a donné des résultats mitigés. Peu de victimes ont présenté une demande pour diverses raisons, notamment :
- le manque de sensibilisation du public au programme;
- on n’a pas pu communiquer avec les victimes détenant des ordonnances plus anciennes en raison des renseignements périmés; et
- certaines n’ont pas constaté l’avantage de présenter une telle demande (R.A. Malatest & Associates Ltd., 2010). L’exécution et l’obtention de paiements de la part des délinquants étaient difficiles, comme en témoigne le fait que seulement trois des 56 ordonnances avaient été payées en totalité. L’étude a également indiqué que 26 des 56 ordonnances n’avaient pas été payées, soit parce que le délinquant n’était pas en mesure de payer, parce que le délinquant était en détention ou ne pouvait être localisé, soit que le délinquant vivait sur le territoire des Premières Nations (ibid.). Une étude plus récente a cependant révélé que la grande partie des ordonnances rendues dans le cadre du programme (74 %) étaient respectées, ce qui a permis au programme de distribuer la somme de 1,2 million de dollars aux victimes (Hala, 2015).
Tout comme dans le cas des programmes de suramendes et de services aux victimes, il y a peu de documentation universitaire ou de recherche empirique canadienne sur le sujet (McDonald, 2009, 2020). Toutefois, les recherches disponibles reprennent des thèmes semblables à ceux d’autres domaines en ce qui concerne le manque de connaissances des victimes et l’absence d’exercice de ce droit par celles-ci. Par exemple, en 2011, il a été constaté que 45 % des participants à l’étude (qui n’étaient pas tous des victimes) n’avaient aucune connaissance de la possibilité d’un dédommagement ou d’une indemnisation pour les victimes (McDonald et Scrim, 2011). En 2013, le Sondage auprès des professionnels de la justice pénale a indiqué également que la connaissance du dédommagement variait entre les professions (47 % de la police, 76 % des couronnes, 55 % des travailleurs du service aux victimes) (McDonald, 2015).
Comme on pouvait s’y attendre, le dédommagement est le plus souvent ordonné pour des infractions concernant les biens (dans environ 80 % des cas) (Maxwell : 2017; McDonald 2010), mais son utilisation est peu fréquente (Wemmers, 2017; McDonald, 2015; Ombudsman, 2017c). En particulier, il y a eu une diminution progressive des ordonnances de dédommagement entre 1997 (7,06 % des cas), 2012 (4,09 % des cas) et 2017 (2,3 % des cas) (McDonald, 2015; Maxwell, 2017). Il n’est donc pas surprenant que Prairie Research Associates (2004) a constaté qu’un dédommagement avait été ordonné, pour des victimes, dans un faible nombre des cas (15 %).
Contrairement aux droits de participation, il semble que la satisfaction de la victime à l’égard du dédommagement est plus liée au résultat qu’à l’équité du processus. Dans une étude de 2010, il a été déclaré que [Traduction] « l’une des conclusions frappantes des entrevues et des questionnaires était que, à quelques exceptions de près, les victimes ont mis l’accent sur le résultat final, c’est‑à‑dire, si le paiement intégral avait été reçu ou non. Cette attention était évidente, peu importe l’aide qu’elles ont reçue en cours de route, ou s’ils étaient positifs au sujet du processus lui‑même » (McDonald, Northcott et Loubier, 2010, p. 56). Aux États‑Unis, il a également été constaté qu’un résultat positif obtenu en ce qui concerne le dédommagement est en corrélation directe avec le désir des victimes de signaler une victimisation à l’avenir (Rubac, Cares et Hoskins, 2008).
Malgré la satisfaction des victimes en cas de succès, il a été indiqué qu’il subsiste des problèmes d’exécution de ces ordonnances en raison du temps et du coût requis, ainsi que de la complexité du processus (Prairie Research Associates, 2004; R.A. Malatest & Associates Ltd., 2010; Martell Consulting Services, 2002; Wemmers, 2017). Par exemple, une étude de 2004, a indiqué que la moitié des procureurs, les deux tiers des agents de probation et le tiers des avocats de la défense ont dit que l’exécution était difficile (Prairie Research Associates, 2004). Évidemment, un autre obstacle important demeure l’incapacité de payer de l’accusé (Prairie Research Associates, 2004; R.A. Malatest & Associates Ltd., 2010). Cet obstacle a été relevé dans une étude de 2010, qui a révélé que de nombreuses victimes n’ont reçu aucun paiement (31 %) ou qu’un paiement partiel (16 %) (McDonald, Northcott et Loubier, 2010). On a toujours su que le faible niveau socio‑économique de la plupart des délinquants rendait le dédommagement, au sein du processus criminel, un rêve illusoire et c'est de cette constatation qu'est née la nécessité de programmes visant l’indemnisation des victimes grâce aux fonds de l’État.
Indemnisation
En 1992, le gouvernement fédéral a mis fin à son entente de partage des coûts avec les provinces et la participation du gouvernement fédéral aux régimes de rémunération provinciaux a pris fin. Les ententes fédérales‑provinciales sur le partage des coûts comportaient également certaines conditions visant à assurer un niveau d’uniformité dans les programmes d’indemnisation provinciaux. Depuis, de nombreuses provinces ont modifié l’infrastructure pour l’administration de leurs régimes d’indemnisation, alors que d’autres ont simplement aboli leurs programmes. On ne sait toujours pas dans quelle mesure la portée des programmes provinciaux restants a été réduite à la suite de la cessation de la participation fédérale.
Le thème général des modifications apportées dans l’ensemble du Canada depuis 1992 a été le l’éloignement des demandes officielles, auprès des commissions d’indemnisation, vers un processus de demande officieuse, présentée au sein des nouveaux organismes de services de soutien aux victimes récemment établis. Il n’y a eu aucun mouvement de retrait des audiences quasi judiciaires. À l’origine, les audiences étaient obligatoires dans toutes les provinces, sauf à l’Île‑du‑Prince‑Édouard où les audiences n’étaient disponibles que sur demande. Ce changement dans le processus a donné lieu à une modification législative selon laquelle les dispositions de la loi habilitante ont été transférées vers les règlements et ordonnances.
En 2001, un rapport intitulé « Criminal Injuries Compensation in Canada : A Status Report (2001) » a été préparé pour le ministère de la Justice (Young, 2001a). Le rapport présentait les conclusions suivantes :
[traduction]
[…] l’évolution des programmes d’indemnisation actuels démontre une tendance à réduire la portée du recouvrement et à faire passer le processus de demande à un régime administratif officieux […] les barèmes des honoraires et les refus de recouvrement pour les pertes intangibles non pécuniaires, semblent constituer la vague de l’avenir et seul le temps permettra de déterminer si ces modifications serviront à réduire l’efficacité des indemnités compensatoires […] Grâce aux modifications importantes apportées aux programmes canadiens au cours de la dernière décennie, il est devenu nécessaire de suspendre l’évaluation du succès des programmes en l’absence d’un projet de recherche à grande échelle. […] Les chiffres bruts indiquent un sentiment de croissance (mais pas dans toutes les provinces au cours des dernières années), mais une évaluation des programmes d’indemnisation doit tenir compte de l’intérêt des victimes à l’égard des valeurs des processus et de leurs besoins non important. Il se peut que les programmes d’indemnisation soient en bonne santé, mais personne ne semble vraiment le savoir. (Young, 2001a, p. 3, 61 et 66)
Depuis lors, il y a un manque de recherches et de bourses d’études à l’égard des programmes d’indemnisation au Canada, et nombreuses des tendances déterminées en 2001 se poursuivent aujourd’hui. Un aperçu des modifications apportées depuis 2001 indique une réduction de la portée et de l’informatisation dans une grande partie des programmes.
- Huit provinces et territoires (Alberta, Colombie‑Britannique, Manitoba, Nouveau‑Brunswick, Nouvelle‑Écosse, Île‑du‑Prince‑Édouard, Québec et Saskatchewan) ont des régimes d’indemnisation prévus par la loi.
- Cinq provinces et territoires (Ontario, Terre‑Neuve, Yukon, Territoires du Nord‑Ouest et Nunavut) n’ont aucun régime d’indemnisation des victimes prévues par la loi.
- Trois provinces et territoires (Ontario, Territoires du Nord‑Ouest, Yukon) ont des programmes officieux qui servent à payer les services ou les dépenses d’urgence engagées par les victimes (plutôt que d’offrir des formes traditionnelles d’indemnisation).
- Deux provinces (Terre‑Neuve et Nunavut) n’ont aucun programme d’indemnisation des victimes.
- Seulement deux des régimes (Île‑du‑Prince‑Édouard, Nouveau‑Brunswick) autorisent expressément une indemnisation pour la douleur et la souffrance.
- Aucune des provinces ne tienne d’audience pour évaluer les demandes.
Certaines provinces ont élargi la portée de leurs régimes d’indemnisation au cours des dernières décennies. Par exemple, au Manitoba, les témoins d’une infraction criminelle ont maintenant droit à une indemnité pour les dépenses raisonnablement engagées, ainsi que pour des services de counseling. Au Québec, un [Traduction] « proche » de la victime peut également recevoir des fonds pour des services de counseling si ces services bénéficiaient à la réadaptation de la victime. De plus, le programme au Québec vise maintenant le coût du nettoyage des lieux de crime, ainsi que la résiliation d’un bail résidentiel ou des frais de loyer, dans certaines circonstances. Étant donné le large éventail de dépenses visées par la loi québécoise, il a été considéré comme le plus généreux de son genre en Amérique du Nord (Langevin, 2010).
En revanche, l’Ontario a sans doute connu les modifications les plus importantes de toutes les provinces avec la dissolution de la Criminal Injuries Compensation Board en octobre 2019. Un programme préexistant d’intervention rapide auprès des victimes (financé par le ministère du Procureur général) a assumé la responsabilité de l’indemnisation, et le processus est maintenant régi par une politique interne. À l’heure actuelle, cette politique vise uniquement les dépenses liées aux conséquences immédiates du crime, comme les dépenses liées aux réparations domiciliaires, aux besoins fondamentaux, au counseling à court terme, aux frais funéraires et au nettoyage des lieux de crime. Les fonds ne sont jamais versés à la victime, mais un organisme local de services aux victimes facilite ce dont la victime a besoin et paie directement le fournisseur de services.
Dans le rapport sur l’indemnisation de 2001, il a été indiqué qu’ [Traduction] « il se peut que les programmes d’indemnisation soient en bonne santé, mais personne ne semble vraiment le savoir. » (Young, 2001a, p. 66). Ce commentaire s’applique avec la même force aujourd’hui. Toutefois, deux évaluations ont été effectuées au cours des deux dernières décennies, ce qui laisse supposer un mauvais état de santé. En 2007, l’ombudsman de l’Ontario a conclu, en ce qui concerne la Criminal Injuries Compensation Board de l’Ontario que [Traduction] « les gouvernements successifs sont demeurés figés au carrefour, ont eu peur de prendre des mesures – refusant de donner à la commission les fonds dont elle avait besoin pour aider plutôt que de nuire, ils ne sont pas disposés à assumer les retombées politiques de ce qui pourrait sûrement être l’abolition ou la mutilation d’un régime d’indemnisation criminelle qui semble si bon sur papier […] » (Marin, 2007, p. 5).
La deuxième évaluation négative provient des victimes d’actes criminels, mais elle ne ressort pas d’une étude de recherche. Au cours de la dernière décennie, les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan ont fait l’objet d’attaques au moyen de recours collectifs ayant trait à l’omission d’informer les victimes d’abus d’enfants de leurs droits à l’indemnisation et à l’omission des organismes provinciaux de demander l’indemnisation au nom de ces enfants ((L.(T.) v. Alberta (Director of Child Welfare), 2015; Pederson v. Saskatchewan, 2016). Au moins une de ces actions en justice a finalement été réglée, mais le fait qu’elles aient été intentées en premier lieu souligne la conclusion de l’ombudsman de l’Ontario selon laquelle les victimes qui demandent une indemnisation sont souvent confrontées [Traduction] « à l’indifférence et au soupçon bureaucratiques » (Marin, 2007, p. 1).
Services aux victimes et suramende compensatoire
Depuis un début modeste en tant que programmes d’aide aux victimes et aux témoins dans les années 1980, la portée et le type de services offerts aux victimes ont considérablement augmenté, mais avec des variations régionales importantes. Les services évoluent au fil du temps, à mesure que les provinces étudient des options novatrices. Par exemple, le Victim Rights Support Service au Manitoba aide maintenant les victimes à s’inscrire selon leurs droits en vertu de la Déclaration des droits de la province. Elle leur donne des renseignements sur le processus global et la façon dont elles peuvent exercer leurs droits, ainsi que le moment de les exercer. Entre‑temps, le Victim Travel Fund en Colombie‑Britannique accorde jusqu’à 3 000 $ aux familles ou aux victimes pour assister aux procédures judiciaires connexes dans la province.
De 2000 à 2012, une enquête annuelle sur les services aux victimes a été publiée. Dans ces rapports, nous pouvons trouver un large éventail de données empiriques à partir desquelles nous pouvons cerner certaines tendances générales et les données les plus récentes indiquent ce qui suit :
- La plupart des victimes qui reçoivent de l’aide sont des victimes d’actes criminels violents (Sauvé, 2009; Allen, 2014).
- La majorité des victimes aidées sont des femmes (ibid.).
- La majorité des fournisseurs de services aux victimes ont offert les services suivants en 2011‑2012 (Allen, 2014) :
- Services de protection (92 %);
- Services de crises (90 %);
- Soutien pour la durée de la participation au système de justice (90 %);
- Renseignements destinés à aider les victimes à l’égard des tribunaux et du système de justice (89 %).
- Un nombre important de fournisseurs de services en 2011‑2012 ont également offert d’autres types d’aide, notamment (ibid.) :
- Une aide médicale, principalement un accompagnement aux hôpitaux (64 %);
- Des services liés au logement (59 %);
- Une aide à l’indemnisation (56 %).
- Les fournisseurs de services aux victimes les plus courants en 2011‑2012 étaient les suivants (ibid.) :
- 36 % des services de police.
- 24 % d’organismes communautaires, sans but lucratif.
- Cette catégorie comprend les programmes communautaires qui sont affiliés à des fournisseurs de services judiciaires.
- 14 % de centres pour les victimes d’agression sexuelle ou de viol.
- 10 % de fournisseurs de services judiciaires.
- Cette catégorie fait référence aux [Traduction] « Programmes d’aide aux victimes et aux témoins » qui ont pour mandat particulier de fournir des services de soutien aux victimes.
De nombreux programmes et organismes participent à la mise en œuvre des programmes de services aux victimes. En 2011‑2012, il y avait 923 fournisseurs de services aux victimes qui offraient des services à 460 000 victimes (Allen, 2014). En 2009, le Centre de la politique concernant les victimes a publié un répertoire des services aux victimes pour établir des liens entre les victimes et les services offerts dans leurs administrations locales et il énumère plus de 350 organisations partout au pays qui offrent des services aux victimes. À l’heure actuelle, le ministère de la Justice et le Centre canadien de la statistique juridique et de la sécurité des collectivités (CCSJSC) élaborent un ensemble d’indicateurs ou de normes universels auxquels les services aux victimes partout au pays devraient se conformer, qui seraient ensuite présentés chaque année. Toutefois, en raison des différences dans le nombre de dossiers et des définitions variées du terme « victime », il reste à relever certains défis pour mener à bien ce projet (McDonald, 2020).
Tout comme les droits de participation, il semble qu’il y ait encore un manque de connaissances sur les services aux victimes. En 2006, il a été conclu que [Traduction] « les victimes ne connaissent pas leurs droits et ne connaissent pas le labyrinthe complexe de services qui leur sont offerts. Les renseignements sont essentiels parce qu’ils déterminent souvent les choix de la victime : si vous n’êtes pas au courant d’un service, vous ne pouvez pas y recourir » (Wemmers et Cyr, 2006a, p. 69). Cette étude a également révélé que les policiers n’avaient pas demandé à 64 % des victimes si elles souhaitaient avoir des renseignements sur les services de soutien aux victimes. De même, McDonald et Scrim (2011) ont indiqué que 42 % des répondants (qui n’étaient pas tous des victimes) ne connaissaient pas du tout les services aux victimes, tandis que Prairie Research Associates (2004) a constaté que les victimes et les fournisseurs de services aux victimes signalaient en général qu’il y avait un manque de sensibilisation aux services aux victimes. Les études américaines ont indiqué le même manque de connaissances et de renseignements sur les programmes de services aux victimes (Sims, Yost et Abbot, 2005; Newmark, 2006). Toutefois, il a été conclu que les victimes au Royaume‑Uni ont une connaissance considérable sur les services aux victimes (Freeman, 2013; Bryce et al., 2016).
En raison d’un manque de connaissances, on s’attendrait à ce que les services aux victimes soient peu utilisés. Au Canada, des études ont indiqué qu’entre 20 % et 25 % des victimes utilisent les services disponibles (Gomes et al., 2002); Prairie Research Associates, 2004; McDonald et Scrim, 2011), et aux États‑Unis, le taux d’utilisation est encore plus faible, allant de 3 % à 10 % selon diverses études (Sims, Yost et Abbott, 2005; Zaykowski, 2014). Même au Royaume‑Uni, où les victimes ont signalé un taux de connaissances plus élevé, le taux d’utilisation est faible (20 %) (Lowe et al., 2015).
Même si les raisons pour lesquelles les victimes n’utilisent pas de tels services varient, trois raisons courantes ont été mentionnées dans la recherche à ce jour. En premier lieu, certaines victimes estiment qu’elles n’ont pas besoin d’aide (Sims, Yost et Abbott, 2005; Bryce et al., 2016; McDonald et Scrim, 2011). En deuxième lieu, certaines victimes estiment que les mesures de soutiens « naturels » ou « officieuses » sont plus utiles ou satisfaisantes (Sims, Yost et Abbott, 2005; McDonald et Scrim, 2011). En troisième lieu, comme nous l’avons indiqué ci‑dessus, certaines victimes n’ont tout simplement pas assez de renseignements sur les services aux victimes (Sims, Yost et Abbott, 2005). Peu importe la raison pour laquelle les victimes choisissent de ne pas utiliser les services qui leur sont offerts, les faibles taux d’utilisation sont regrettables à la lumière des données empiriques au Canada (Hollett and Sons Inc., 2003; ministère de la Justice de l’Alberta et solliciteur général, 2019; Bradford, 2005; Roberts et Roach, 2004), aux États‑Unis (Newmark, 2006) et au Royaume‑Uni (Bryce et al., 2016; Freeman, 2013).
Comme mentionné au début, la force et le succès des droits au bien‑être dépendent de la volonté des intervenants politiques de financer ces services et, comme on peut y s’attendre, il reste un problème persistant de financement insuffisant au Canada (Hollett and Sons Inc., 2003; Ministry of Justice de la Colombie‑Britannique, 2014), et aux États‑Unis (Sims, Yost et Abbott, 2005; Kulkarni, Bell et Rhode, 2012). En 1989, la suramende compensatoire fédérale a été instaurée en tant qu’option de détermination de la peine. Cette mesure a été suivie d’adoptions de suramendes semblables sur le plan provincial partout au Canada. Ces programmes ont été conçus pour percevoir des revenus pour les programmes provinciaux de services aux victimes. En 2001, il a été souligné que la suramende ne constituait pas un mécanisme efficace pour remédier au sous‑financement des programmes provinciaux parce que la suramende était rarement appliquée (Young, 2001b).
En 2013, le Code criminel a été modifié afin d’éliminer la capacité des juges de renoncer à la suramende. À ce moment‑là, la suramende compensatoire a également été portée à 30 % de toute amende imposée (par rapport à 15 %); 100 $ pour les déclarations sommaires de culpabilité (par rapport à 50 $); et 200 $ pour les mises en accusation (par rapport à 100 $). La politique visant à remédier à la sous‑utilisation de la suramende en rendant son imposition obligatoire était de courte durée, car en 2018, la Cour suprême du Canada a conclu que l’imposition obligatoire de cette suramende contrevenait à la Charte, car elle contraint les juges « de prononcer une peine universelle qui fai[sai]t abstraction de la capacité de payer des intéressés » (R. c. Boudreault, 2018, par. 110).
En 2019, la suramende discrétionnaire a été instaurée de nouveau, dont l’imposition pouvait être levée si le tribunal était convaincu que la suramende causerait une contrainte excessive pour le délinquant ou serait par ailleurs disproportionnée par rapport à la gravité de l’infraction ou au degré de responsabilité du délinquant. Compte tenu de la réintroduction du pouvoir discrétionnaire, il est instructif de signaler qu’un certain nombre d’études, effectuées avant de rendre la surcharge obligatoire en 2013, ont indiqué que les tribunaux renoncent souvent à l’imposition de la suramende avec peu de commentaires ou d’opposition de la part de la défense et du procureur. Cette renonciation est exercée de manière routinière sans tenir compte des facteurs pertinents à l’appui de la renonciation (McDonald, Northcott et Raguparan, 2014; Ha, 2012; Law et Sullivan, 2006; Prairie Research Associates, 2004). Seul le temps permettra de tirer une conclusion, mais il semble peu probable que la suramende constituera la solution au sous‑financement des programmes provinciaux de services visant à protéger les droits au bien‑être des victimes d’actes criminels.
- Date de modification :