Partie II : Les Droits de Participation

Au cours des années 1980, la participation des victimes au processus criminel canadien a été considérablement améliorée grâce à trois mécanismes différents. En premier lieu, il y a eu un effort graduel et systématique, qui se poursuit encore, visant à rendre le processus de procès plus réceptif aux victimes de violence en éliminant les règles archaïques de procédure et de preuve, qui contribuaient à la victimisation secondaire de ceux qui comparaissaient en tant que témoins au procès. En deuxième lieu, en 1988, la déclaration de la victime a été reconnue par la loi, ce qui a ainsi permis à la victime de se faire entendre à l’audience de détermination de la peine.

L’adoption des chartes des droits des victimes dans presque toutes les administrations américaines et canadiennes constitue le troisième mécanisme utilisé pour accroître la participation des victimes. Il s’est avéré être le mécanisme le plus controversé et le plus inefficace, en grande partie en raison de son ampleur ambitieuse, de son indétermination et de son incapacité à appuyer le régime des droits qu’il confère par des dispositions réparatrices significatives.

À la fin du millénaire, les législateurs du monde entier ont reconnu en principe les droits des victimes et, par conséquent, la question au début du présent siècle en est devenue une qui examine la mise en œuvre du principe. En 1999, le professeur Tobolowsky a écrit ce qui suit :

[traduction]

[…] il ne s’agit plus maintenant de déterminer si les victimes devraient avoir des droits de participation dans le processus judiciaire. L’adoption incroyablement rapide de dispositions constitutionnelles et législatives sur les droits des victimes au cours des quinze dernières années fait en sorte que les victimes pourront participer au processus judiciaire. (Tobolowsky, 1999, p. 103)

Nature et portée des droits de participation

La participation est intrinsèquement utile. La perception d’un certain degré de contrôle autonomise et renforce la personne. Il est clair que l’octroi d’un certain degré de contrôle et d’autonomie aux victimes d’actes criminels constitue une première étape importante du processus de guérison. La participation des victimes constitue la première étape du rétablissement de l’estime de soi perdue à la suite de la victimisation criminelle.

Les droits de participation peuvent jouer un rôle actif ou passif :

[traduction]

Les initiatives visant les victimes peuvent être divisées en formes de participation passive et active. Les formes passives comprennent le droit de recevoir des renseignements et des mécanismes qui permettent l’inclusion de la victime en tant que récepteur passif des services. Parmi les formes plus actives de participation figurent la consultation des femmes, le partage de renseignements et, plus récemment, les victimes qui assument le rôle d’agents responsables (Manikis 2019a, p. 202).

Qu’ils soient actifs ou passifs, la nature des droits de participation des victimes comporte de nombreux éléments en commun avec ceux des droits à l’application régulière de la loi conférés à l’accusé. On peut soutenir que certains des droits de participation, comme la notification et la consultation, ont un fondement constitutionnel. L’article 7 de la Charte garantit une justice fondamentale pour « chacun » si la loi prive une personne de son droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. Compte tenu de notre compréhension du phénomène de victimisation secondaire, l’omission d’informer une victime de la date du procès ou l’omission de l’informer ou de la consulter au sujet du règlement de l’affaire constituent sans doute une atteinte aux droits à la sécurité de la victime.

Toutefois, en 1999, la Cour supérieure de l’Ontario a rejeté l’idée que les droits de participation peuvent, et devraient, être élevés au statut de droits constitutionnels en déclarant ce qui suit :

[traduction]

Peut‑on dire que le droit d’une victime d’être informé est primordial ou fondamental dans la notion de justice de notre société? Je ne vois pas la loi aller aussi loin. Il s’agit d’une idée louable, mais elle n’est ni primordiale ni fondamentale de la manière d’un principe comme la présomption de l’innocence ou le droit à un avocat. (Vanscoy v. Ontario 1999:37)

Même si aucune autre tentative n’a été faite devant les tribunaux pour élever les droits de participation au niveau des droits prévus à la Charte depuis cette décision, un débat approfondi a émergé au Canada et aux États‑Unis sur l’adoption d’une modification constitutionnelle visant à protéger le droit des victimes (Roach 2005; Young 2005; Manikis 2010a; Paciocco 2005; Beloof et al. 2018; Cassell 2012; Twist et Seiden 2012; Browne 2004). Au Canada, le débat n’a jamais abouti à des propositions sérieuses de modification de la Constitution et, aux États‑Unis, il y a eu de nombreuses propositions visant une modification ayant l’appui de divers présidents, mais elles ont toutes échoué et la dernière tentative a été faite en 2015 (Cassell 2011; 2012; Twist et Seiden 2012). Toutefois, 35 États ont inscrit les droits de participations des victimes dans leur Constitution (une augmentation par rapport aux 29 États depuis la rédaction du rapport de 2001).

En ce qui concerne les modifications constitutionnelles au niveau des États, 11 États ont adopté la « Marsy’s Law », qui fait référence à une modification apportée en 2008 à la Constitution de la Californie visant à élargir la portée des droits de participation des victimes en fonction d’un droit correspondant de demander l’exécution de ces droits devant le tribunal (Beloof et al. 2018; Cassell et Garvin 2020). À l’instar des modifications constitutionnelles en fonction de la Marsy’s Law, la Crime Victims’ Rights Act (« CVRA ») a été adoptée dans la loi fédérale et cette loi confère aux victimes la qualité pour demander l’application des droits de participation devant les tribunaux fédéraux. Il a été suggéré que les États‑Unis font l’objet d’une [traduction] « nouvelle vague » en ce qui concerne la nature et la portée des droits des victimes :

[…] une nouvelle vague de modifications des droits des victimes a été adoptée au cours de la dernière décennie environ, élargissant les droits promis aux victimes et s’assurant que ces droits peuvent être exécutés, même par les victimes. Ces nouvelles modifications sont fondées sur les leçons tirées au cours des dernières décennies en ce qui concerne la portée, la structure et l’articulation des droits nécessaires pour rendre les droits des victimes d’actes criminels significatifs. L’Oregon a modifié sa constitution en 2008 en vue d’éliminer les obstacles à l’exécution des droits. La même année, la Californie a adopté la première Marsy’s Law. Depuis lors, des modifications semblables à la Marsy’s Law ont été ajoutées aux constitutions des États d’Illinois en 2014, du Dakota du Nord et du Dakota du Sud en 2016, d’Ohio en 2017 et de la Floride, de la Géorgie, du Nevada, de la Caroline du Nord et de l’Oklahoma en novembre 2018 (Cassell et Garvin 2020, p. 101). (remarque : depuis la rédaction de cet article, la Marsy’s Law a également été adoptée dans le Wisconsin (2020))

La question relative à la force exécutoire des droits sera examinée à la fin de la présente partie. Toutefois, il convient de noter que la différence la plus importante entre la nature des droits de participation au Canada et aux États‑Unis réside dans la force exécutoire. Les deux administrations comportent un ensemble de droits et une portée semblables, sinon identiques, mais les mécanismes de mise en application de ces droits au Canada sont en grande partie inutiles ou inexistants.

Outre les protections légales pour les victimes prévues dans le Code criminel, les droits de participation des victimes au Canada sont également prévus dans les chartes des droits des provinces, mais aucun de ces régimes législatifs n’autorise à demander l’exécution devant les tribunaux. En fait, la plupart des lois énoncent expressément que la violation d’un droit ne donne pas ouverture à un droit d’action. En 1999, deux victimes ont déposé une contestation constitutionnelle à l’encontre de l’interdiction légale de l’Ontario en demandant une réparation judiciaire au motif qu’une législature ne peut pas créer constitutionnellement un droit avec recours. Étonnamment, le tribunal a rejeté l’appel en remettant en question le fait que les lois provinciales créent réellement un droit pour la victime :

[traduction]

Le législateur n’avait pas l’intention que le par. 2(1) de la Charte des droits des victimes confère des droits aux victimes d’actes criminels […] La Loi articule un certain nombre de principes dont la force ne se limite pas qu’à un langage unique, mais également à une myriade d’autres facteurs qui font partie des vastes rubriques de la disponibilité des ressources, du caractère raisonnable dans les circonstances, de la cohérence par rapport au droit et à l’intérêt public et de la nécessité de s’assurer que les procédures se règlent rapidement. En dernier lieu, même s’il survenait une violation indéfendable de ses principes, la législation écarte la possibilité de tout recours concernant le présumé méfait. Alors que les demandeurs peuvent être déçus des efforts de la législature, ils n’ont aucune prétention devant les tribunaux pour cette raison 4. (Vanscoy v. Ontario 1999, par. 21 et 41)

Cette conclusion a été reprise dans deux affaires récentes en Saskatchewan (R. v. F.(R.D.) 2016; R. v. Hitchings 2016). Ainsi, après deux décennies, il reste encore de l’ambiguïté quant à la nature des droits à la participation – il n’est pas clair si les droits des victimes devaient être considérés comme équivalents aux droits constitutionnels et si les droits légaux prévus dans toutes les chartes des droits des provinces peuvent même être invoqués et considérés comme des droits.

Le cadre juridique uniforme et universel

Dans la plupart des cas, les réformes des droits des victimes dans le monde entier sont remarquablement uniformes. Évidemment, il existe des variations quant au thème, mais outre les procédures d’[traduction] « adhésion » uniques dans la plupart des pays européens (un processus par lequel la victime devient un procureur secondaire dans le processus criminel), bon nombre d’administrations ont adopté une certaine forme de modèle des droits des victimes, ce qui comprend des régimes d’indemnisation, des programmes d’aide aux victimes et/ou des droits de participation à l’aide de déclarations des victimes et des chartes des droits des victimes.

Si la réforme du droit des victimes a adopté des formes semblables partout dans le monde, c’est que la plupart des réformes se fondaient sur la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d’abus de pouvoir de 1985 (un document coparrainé par le Canada). L’Europe a atteint une plus grande uniformité avec l’adoption, en 1983, de la Convention européenne relative au dédommagement des victimes d’infractions violentes et de la recommandation R (85) (sur la situation de la victime dans la structure du droit criminel et des procédures criminelles) de 1985 du comité des ministres du Conseil de l’Europe (Muller‑Rappard, 1990).

Il n’y a eu aucun changement apporté à la Convention européenne depuis 2001 et il y a maintenant un total de 26 ratifications. Toutefois, en 2001, le Conseil de l’Union européenne a adopté le Framework Decision on the Standing of Victims in Criminal Proceedings (Cadre décisionnel concernant la qualité des victimes dans les procédures pénales) ((2001/220/JHA). Ce cadre a été salué en tant que [traduction] « jalon » pour les victimes dans l’Union européenne, car il s’agissait du premier [traduction] « instrument juridique contraignant » au niveau supranational (Groenjuijsen et Pemberton 2009; Kucuktasdemir 2016). Il établit des normes minimales pour le traitement des victimes d’actes criminels (y compris le droit d’être entendu, les éléments d’information, la possibilité de participer, l’indemnisation, la protection et le soutien aux victimes), même si les États membres disposaient d’un pouvoir discrétionnaire considérable quant à la façon dont ces droits devraient être mis en œuvre.

Dans des rapports rédigés en 2004 et en 2009 respectivement, la Commission européenne a constaté que les objectifs du cadre décisionnel n’étaient pas réalisés en raison de la grande disparité des lois nationales, ainsi que du recours fréquent aux instruments non contraignants pour mettre en œuvre ces droits (p. ex. les lignes directrices et les recommandations) (Buczma 2013). La Commission a également fait remarquer que le cadre n’était pas assez approfondi pour protéger les droits des victimes (Gavrielides 2017).

À la suite des conclusions de la Commission européenne et après consultation avec les États membres, la Directive de l’Union européenne sur les droits des victimes a été adoptée en 2012, remplaçant le cadre décisionnel de 2001. Cette directive portait sur tous les droits énoncés dans le cadre décisionnel, mais de manière plus complète et plus détaillée (Kucuktasdemir 2016; Buczma 2013), et elle créait également un nouveau droit de réexamen lorsqu’un procureur choisit de ne pas poursuivre (Buczma 2013). Il a été indiqué qu’il n’existe aucun instrument européen tout à fait semblable à celui‑ci, car il impose [traduction] « une telle obligation vaste et globale [aux États membres] afin d’établir des droits minimaux communs à l’égard des victimes d’actes criminels » (ibid., p. 236).

Au Canada, en reconnaissance de la Déclaration des Nations Unies des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité, les ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux responsables de la justice et de la sécurité publique ont publié en 1988 un énoncé de politique énonçant les principes visant à guider la société canadienne dans la promotion de l’accès à la justice, du traitement équitable et de l’aide aux victimes d’actes criminels. Ces principes ont été intégrés, avec certaines variations, aux chartes provinciales et territoriales des droits aux victimes. L’énoncé de politique a été révisé en 2003 et la plupart des thèmes sous‑jacents, de l’énoncé de 1988, comme la vie privée des victimes, la compassion et le respect, les renseignements sur le processus et les programmes pour les victimes d’actes criminels et leur sécurité, ont été intégrés dans les principes fondamentaux de 2003 (voir l’annexe A des énoncés de principes de 1988 et de 2003). Toutefois, certains des choix linguistiques plus audacieux dans l’énoncé de 1988 ne figurent plus dans la version de 2003. Par exemple, le nouvel énoncé ne mentionne pas un recours rapide et équitable pour les victimes. De même, alors qu’il existait des références exprès à une formation améliorée en vue de sensibiliser le personnel de la justice pénale en 1988, le nouvel énoncé indique simplement que les besoins et les préoccupations des victimes doivent être pris en considération lors de l’élaboration des programmes et des pratiques de formation.
Étant donné que la réforme du droit et des politiques à l’échelle mondiale a été fondée sur les modalités de la Déclaration des Nations Unies de 1985, l’approche adoptée dans l’ensemble des administrations à ce jour est très uniforme. Au cours des dernières années, certaines administrations ont élargi la portée cette déclaration par l’adoption de modifications constitutionnelles de type « Marsy’s Law » visant à ce que la victime puisse exercer ses droits de participation. Le Canada n’est pas allé aussi loin mais, au cours des deux dernières décennies, il y a eu un certain nombre de réalisations importantes.

Charte canadienne des droits des victimes de 2015

Des chartes des droits provinciales sont en vigueur depuis trois décennies, mais la Charte canadienne des droits des victimes (« CCDV ») n’est entrée en vigueur que le 23 juillet 2015 (L.C. 2015, ch. 3). Cette loi porte sur quatre principes fondamentaux : a) le droit à l’information; b) le droit à la protection; c) le droit de participation; et d) le droit au dédommagement. Bon nombre des principes énoncés dans la Déclaration canadienne de 2003 des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité ont été intégrés dans la CCDV. Toutefois, certains des principes sont notamment omis dont les suivants : a) il convient de prendre des mesures raisonnables pour minimiser les inconvénients subis par les victimes; et b) il convient de tenir compte des besoins, des préoccupations et de la diversité des victimes dans l’élaboration et la prestation des programmes et des services (ainsi que dans la vulgarisation et dans la formation).

La CCDV confère aux victimes le « droit » de faire connaître leur point de vue sur les décisions de justice pénale qui peuvent avoir une incidence sur leurs droits et il exige que ces opinions soient prises en considération par les autorités. Toutefois, la Loi crée expressément et implicitement des limitations aux plaintes ou aux examens de violations. Comme dans les chartes des droits provinciales, la CCDV énonce expressément qu’une violation d’un droit ne donne pas ouverture à un nouveau droit d’action, à un droit d’être dédommagé, ni à un droit d’appel. Il énonce en outre que la Loi ne peut être interprétée comme « conférant ou retirant aux victimes » leur qualité d’agir.

Le Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels a été établi pour servir de processus d’examen des plaintes pour les infractions commises par des organismes fédéraux (même si la plupart des organismes fédéraux ont leur propre processus d’examen interne en place), mais aucune obligation d’élaborer un processus de plainte n’a été imposée aux organismes provinciaux, qui sont chargés de l’administration de la justice pénale. Pour les victimes qui sont d’avis qu’il y a eu violation ou négation par un organisme provincial de leurs droits, leur seule option est de « déposer une plainte conformément aux lois » de la province (qui, comme on en discutera, n’ont pas de processus de plainte efficace).

En cinq courtes années, la CCDV a été citée dans plus de 80 affaires. Il est vrai que bon nombre de citations n’ont guère de valeur substantielle, si ce n’est de faire un commentaire selon lequel les intérêts de la victime doivent être pris en considération. Cependant, dans 30 décisions, la loi a eu une incidence sur une décision en faveur de la victime de différentes façons, y compris : la prévention de la diffusion aux médias des pièces de nature délicate (R. v. Arfmann 2020); la protection des messages textes et des photographies privés (R. v. C.C. 2019; R. v. GSK 2019); s’assurer que la victime est informée des dates d’audience (R. v. Norwack 2019); la protection de la victime contre les intrusions non voulues par l’enquêteur pour l’accusé (R. v. Downey 2019); autoriser les membres de la famille à fournir une déclaration de la victime au nom de la victime (R. v. Kaliugavarathan 2017; R. v. Thompson 2017; R. v. Darby 2016); et autoriser la présence d’un chien de soutien en tant qu’aide au témoignage (R. v. W.(C.) 2016). En 2020, la Cour suprême du Canada a également cité la CCDV en critiquant un juge chargé de la détermination de la peine pour ne pas avoir permis à la mère d’une victime de fournir une déclaration de la victime (R. c. Friesen 2020).

Malgré la portée limitée de la loi fédérale, l’adoption de cette loi a été considérée comme un pas important en avant :

[traduction]

Le projet de loi C‑32 marque une modification radicale du droit. Il s’agit de la première fois dans l’histoire du Canada que les droits des victimes sont énoncés de façon exhaustive dans les lois fédérales. Elle représente un changement important dans la conversation; les droits des victimes ne sont plus des politiques sociales purement symboliques qui peuvent être facilement écartées ou carrément rejetées dans les procédures pénales. […] Il s’agit plutôt de renforcer les droits des victimes tout au long des nombreuses étapes du processus criminel. La codification des droits administratifs des victimes et l’élaboration de normes nationales visant à garantir que les victimes sont traitées avec courtoisie, compassion et respect tout au long du processus constituent un pas positif et important en avant. Elle servira au minimum de pierre angulaire pour assurer le respect des droits garantis par la Charte de toutes les personnes dans le cadre des procédures pénales (Barrett 2001 [mis à jour en 2019], p. 1 à 17).

La Charte canadienne des droits des victimes constitue une réalisation importante pour les victimes d’actes criminels au Canada. Les droits qu’elle reconnaît sont étendus et le fait qu’elle a préséance sur la législation générale rend son incidence potentiellement très puissante. Elle confère aux victimes la possibilité d’avoir une voix plus significative dans le système de justice pénale, de disposer de plus de renseignements, de mieux prendre en considération leur sécurité et de mieux les envisager aux fins d’un dédommagement (Perrin 2017, p. 47).

Chartes provinciales  des droits

 (voir l’annexe B pour obtenir une liste des lois provinciales pertinentes)

Ces lois provinciales existent depuis près de 30 ans, mais on ne sait toujours pas si elles ont une incidence pratique importante, compte tenu de l’absence évidente de l’élaboration d’un processus d’application des droits énumérés. Malgré cette lacune, la législation fait l’objet d’une élaboration et d’un élargissement continus depuis le rapport de 2001. Les similitudes entre les divers régimes provinciaux l’emportent de loin sur les différences. Les similitudes fondamentales ont toutes trait au principe du traitement des victimes avec respect et dignité et à l’obligation de tenir la victime au courant de la nature et des dates de la procédure judiciaire. Il existe des dispositions particulières qui indiquent qu’il existe des écarts et des incohérences considérables entre les provinces, et lorsqu’on examine la liste des écarts figurant ci‑dessous, il devient clair qu’il existe de nombreux aspects différents du processus criminel qui doivent être abordés pour donner effet aux droits de participation.

Certaines de ces différences uniques sont assez importantes (p. ex. l’omission de 11 provinces et territoires de répondre au besoin de représentation légale et l’omission de 10 provinces et territoires d’aborder toute forme de réparation), mais bon nombre des différences semblent être de simples variations d’un thème ou de simples distinctions rédactionnelles. Par exemple, la grande majorité des lois provinciales énoncent que la protection de la victime contre l’intimidation constitue un principe fondamental, mais seuls le Manitoba (art. 18), la Colombie‑Britannique (al. 8f)) et la Nouvelle‑Écosse (al. 3(2)c)) précisent le principe en indiquant que des mesures d’adaptation doivent être prises pour les victimes au sein du tribunal afin de leur offrir des salles d’attente spéciales, distinctes des zones auxquelles ont accès les accusés et les autres témoins.

L’intégration de la victime dans le processus criminel à l’aide du mécanisme des chartes des droits ne permet pas de donner à la victime un certain contrôle procédural. Six régimes provinciaux (Alberta, al. 2(1)i); Nouveau‑Brunswick, art. 9; Terre‑Neuve, par. 8(3); Île‑du‑Prince‑Édouard, al. 2e); Québec, par. 3(4); Saskatchewan, al. 2.1h)) limitent la contribution des victimes en fonction d’une directive législative selon laquelle leur point de vue [traduction] « devrait » être pris en compte et l’Ontario, la Colombie‑Britannique et la Nouvelle‑Écosse demeurent silencieux à l’égard de cette simple directive. En outre, deux des territoires (Territoires du Nord‑Ouest, al. 5e); Nunavut, al. 5e)) énoncent simplement que le Comité d’aide aux victimes doit promouvoir l’aide aux victimes afin qu’elles puissent fournir une telle contribution.

Seul le Manitoba (art. 14) semble établir une obligation légale pour le directeur des poursuites de veiller à ce que la victime ait la possibilité de « donner son point de vue » sur les décisions de poursuites, alors que le Yukon (art. 5) a énoncé que « [l]es victimes ont droit à ce qu’il soit tenu compte de leur point de vue, de leurs préoccupations et de leurs observations à toute étape du processus de justice pénale lorsque la loi prévoit cette possibilité ». L’orientation actuelle des droits de participation s’est limitée à tenir la victime au courant de l’état d’avancement de l’affaire, à lui expliquer le processus, à l’informer des services de bien‑être et à l’autoriser d’assister au procès. La question controversée reste de savoir si ces droits devraient aussi englober la participation à la prise de décision en matière de poursuites. Dans la plupart des cas, toutes les administrations limitent les droits, question de s’assurer de ne pas conférer à la victime un droit de « veto » ou de « dernier mot » en ce qui concerne les décisions en matière de poursuites (Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes de 1998).

À ce jour, les chartes des droits des victimes provinciales n’ont pas été citées fréquemment dans la jurisprudence et elles n’ont pas non plus fait l’objet de nombreux commentaires universitaires formulés par les experts en la matière. L’application de ces lois a été limitée. La grande majorité des références dans la jurisprudence consistent en des points peu importants concernant le paiement du cautionnement pour les dépens par la victime (en Ontario) (voir, par exemple, Nash v. Sisokin, 2015; Alary v. Brown, 2015; Lee v. Choi, 2018), l’application de la suramende compensatoire (voir, par exemple, R. v. Broda Construction Inc., 2019; R. v. Orchotta, 2004; R. v. Crawford Homes (1991) Ltd., 2019) et les demandes d’indemnisation (voir, par exemple, Johnson v. Alberta (Criminal Injuries Review Board), 2017; Gonzalez v. Ontario (Criminal Injuries Compensation Board), 2016; Radusin v. British Columbia, 2005).

Comme on peut s’y attendre, l’adoption des chartes des droits confirme que ces lois n’ont pas remplacé le point de vue traditionnel selon lequel les victimes d’actes criminels ne dictent pas les choix en matière de poursuite. Par exemple, en rejetant la pertinence de la recommandation d’une victime quant à l’éventail des peines appropriées, la Cour d’appel de l’Alberta a fait remarquer ce qui suit :

[traduction]

Nous sommes conscients des lois récentes qui exigent que les victimes d’actes criminels soient tenues au courant de l’évolution des affaires qui les concernent directement (Victims of Crime Act, S.A. 1996, c. V‑3.3). Toutefois, selon ce que nous comprenons, ces initiatives ne visent pas à donner aux victimes d’actes criminels le pouvoir ou la responsabilité de décider si une poursuite devrait être engagée et, dans l’affirmative, sous quelles conditions. Cette responsabilité ne peut être assumée que par des procureurs qualifiés qui ont la formation, le jugement et le courage de prendre les décisions nécessaires, inhérentes à chaque poursuite. Par exemple, la question de savoir s’il faut procéder et en vertu de quel chef d’accusation, s’il faut s’opposer à la libération sous caution, s’il faut demander une peine particulière et s’il faut interjeter appel. Bien souvent, ces décisions seront difficiles et même impopulaires, mais la responsabilité de les prendre doit toujours incomber à la Couronne et non aux victimes d’actes criminels ou à d’autres parties intéressées. (R. v. Tkachuk 2001, par. 27)

L’importance de l’information

L’une des pierres angulaires de toutes les chartes des droits, qu’elles soient fédérales, provinciales ou territoriales, est la communication de divers types de renseignements à la victime à différentes étapes du processus criminel. Autrement dit, il ne peut y avoir de droit de participation significatif si la victime n’est pas informée. Les études ont démontré que l’information générale et le soutien émotionnel sont certains des services les plus courants dispensés par les fournisseurs de services aux victimes (Sauvé 2010; Allen 2014; Bradford 2005; Gomes et al. 2002). Ces résultats ne sont pas surprenants étant donné que deux des principales raisons pour lesquelles les victimes communiquent avec les services aux victimes sont la nécessité de renseignements et de soutien (Prairie Research Associates, 2004; Wemmers et Canuto, 2002).

Du point de vue de la victime, il est clair qu’elles considèrent que la communication de renseignements à diverses étapes du processus revêt une importance primordiale (McDonald 2016; 2020; Wemmers et Raymond 2011; Wedlock et Tapley 2016; Manikis 2014). Comme l’a écrit Susan McDonald en 2016 :

[traduction]

[…] [L]’information est d’une importance primordiale pour les victimes de tous les crimes et de leurs familles; dans les projets de recherche, ces gens déterminent de la même manière ce dont ils ont besoin :

  • des renseignements sur leur propre cas, comme l’avis d’audience et de mise en liberté;
  • des renseignements généraux sur le système de justice pénale;
  • des renseignements spécifiques sur les services tels que l’hébergement et le soutien financier. (McDonald, 2016, p. 19)

En plus des renseignements généraux susmentionnés, les victimes ont également souligné la nécessité et l’importance de renseignements sur d’autres éléments, comme la justice réparatrice (Van Camp et Wemmers 2016; Wemmers 2017) et le dédommagement (McDonald 2010; Wemmers, Manikis et Sitoianu 2017).

La communication de renseignements opportuns et utiles semble être directement liée au niveau de satisfaction des victimes à l’égard du processus : [traduction] « La qualité, la quantité et le caractère opportun de l’information peuvent jouer un rôle direct pour ce qui est de satisfaire les attentes des victimes à l’endroit du processus de justice pénale et en ce qui a trait à leur degré de satisfaction par rapport à ce processus » (McDonald, 2016, p. 19; faisant référence à Wemmers et Canuto, 2002). Les victimes qui reçoivent des renseignements sur l’évolution de leur cas ont une plus grande connaissance de la justice procédurale (c’est‑à‑dire, elles ressentent qu’elles ont été traitées de manière équitable).La plus grande baisse en terme de satisfaction ou de sentiment de justice procédurale est lorsque les victimes reçoivent des renseignements dès le début, mais qu’elles cessent ensuite de les recevoir (Wemmers et Raymond, 2011).

Étant donné que la communication de renseignements est d’une importance primordiale pour la satisfaction des victimes, il est surprenant que toutes les chartes des droits fédérales, provinciales et territoriales, omettent d’ordonner ou de prévoir qu’un fonctionnaire particulier assume la responsabilité de la communication de ces renseignements. Le Manitoba est l’exception. Par exemple, la loi du Manitoba prévoit que le « responsable de l’organisme d’application de la loi » doit fournir aux victimes les renseignements sur les progrès de l’enquête, le nom de toute personne accusée et si elle est ou non détenue. Le directeur des Services aux victimes doit fournir aux victimes l’information au sujet des programmes et des services destinés aux victimes, de la structure et du fonctionnement du système de justice pénale, ainsi que de la loi. Cette loi prévoit également d’autres désignations de fonctionnaires chargés de fournir d’autres types de renseignements, alors que toutes les autres administrations sont silencieuses à ce sujet.

Compte tenu de cette omission, il n’est pas surprenant que la communication de renseignements aux victimes demeure un problème pratique après de nombreuses décennies de gestion de ces exigences. Il ressort de la recherche que ces renseignements ne sont pas toujours communiqués aux victimes ou que les victimes ne sont pas toujours satisfaites des renseignements qu’elles reçoivent. Par exemple :

L’incidence des droits des victimes sur le processus criminel

Les principes ou les droits qui sont prévus dans les diverses chartes des droits ne sont pas directement applicables et, afin que ces droits fonctionnent de manière efficace, il incombe aux professionnels du droit de les intégrer dans la structure actuelle du processus. Parfois, il s’agit d’une situation délicate et, pour certains aspects du processus, c’est‑à‑dire, l’enquête et le port de chefs d’accusation, les droits sont en conflit direct avec les éléments structurels du processus existant. Pour d’autres aspects, comme le procès et la détermination de la peine, il y a eu une intégration plus harmonieuse et plus efficace de ces droits.

Processus d’enquête, port de chefs d’accusation et négociation de plaidoyers

Afin de réaliser l’objectif consistant à tenir la victime informée et à veiller à ce qu’elle participe à aux étapes préliminaires du procès, le Code criminel a été modifié en 2015 afin d’obliger les juges à inscrire au dossier une déclaration indiquant qu’ils ont pris en considération de la sécurité de chaque victime avant de rendre une ordonnance de mise en liberté provisoire (par. 515(13)) et ils doivent permettre aux victimes d’obtenir, sur demande, une copie de l’ordonnance rendue (par. 515(14)). Toutefois, au‑delà de cette réforme de la loi sur la mise en liberté provisoire (et une modification apportée au processus de plaidoyer de culpabilité examiné ci‑après), les vingt dernières années n’ont connu aucune réforme importante du Code criminel pour aborder la participation des victimes aux étapes préliminaires du procès.

Avant procès, la communication de renseignements aux victimes constitue un aspect fondamental du chaque charte des droits des victimes partout dans le monde. De plus, la plupart des régimes prévoient le droit de consulter le procureur au sujet des décisions essentielles touchant l’issue de l’affaire. Toutefois, ces principes généraux, ou droits, entrent souvent en conflit avec la structure sous‑jacente du processus canadien, dans lequel un procureur public jouit d’un pouvoir discrétionnaire quasi incontestable vis-à-vis les aspects du processus en lien avec le port de chefs d’accusation.

En 2002, la Cour suprême du Canada a énuméré les principaux éléments du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite afin de déterminer les aspects du processus qui sont quasi incontestables :

Sans vouloir être exhaustifs, nous croyons que le pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites comprend essentiellement les éléments suivants : a) le pouvoir discrétionnaire d’intenter ou non des poursuites relativement à une accusation portée par la police; b) le pouvoir discrétionnaire d’ordonner un arrêt des procédures dans le cadre de poursuites privées ou publiques, au sens des art. 579 et 579.1 du Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C‑46; c) le pouvoir discrétionnaire d’accepter un plaidoyer de culpabilité relativement à une accusation moins grave; d) le pouvoir discrétionnaire de se retirer complètement de procédures criminelles : R. c. Osborne (1975), 25 C.C.C. (2d) 405 (C.A.N.‑B.); e) le pouvoir discrétionnaire de prendre en charge des poursuites privées : R. c. Osiowy (1989), 50 C.C.C. (3d) 189 (C.A. Sask.). Même s’il existe d’autres décisions discrétionnaires, celles‑ci constituent l’essentiel du pouvoir souverain délégué qui caractérise la charge de procureur général. (Krieger c. Law Society (Alberta), 2002, par. 46)

À la suite de cette décision, la Cour suprême a confirmé que le processus de négociation des plaidoyers fait partie de ce noyau et, par conséquent, les plaidoyers sont quasi incontestables, sous réserve de la preuve impossible et insaisissable de la mauvaise foi de la part du procureur (R. c. Nixon, 2011; R. c. Anderson, 2014). Compte tenu de ce principe bien établi à l’égard de la poursuite, les droits généraux à l’information et à la consultation peuvent sembler, du point de vue de la victime, vides et abstraits lorsque le procureur peut écarter impunément les commentaires de la victime ou ne pas en tenir compte.

Malgré le fait que la structure du processus est fondée sur la common law britannique, le système britannique a évolué au cours des années de manière à s’éloigner du pouvoir discrétionnaire incontestable de la Couronne. Plus particulièrement, en 2013, l’England and Wales’ Crown Prosecution Service a mis en place un nouveau processus d’examen administratif interne (le Victims’ Right to Review Scheme [“VRR”] (régime du droit des victimes à l’examen [DVE])) permettant aux victimes de demander un recours lorsqu’une décision de ne pas poursuivre est prise. Ce régime, qui a été révisé pour la dernière fois en juillet 2016, prévoit un droit au réexamen des décisions de ne pas porter une accusation, d’abandonner ou de mettre fin par ailleurs à une procédure. D’avril 2018 à mars 2019, un total de 1 930 demandes de réexamen ont été reçues, dont 205 ont été confirmées (Crown Prosecution Service, 2019b). L’affaire Janner (2015) est un excellent exemple de la façon dont le système de réexamen permet aux victimes de participer de manière significative au processus et d’influencer les décisions prises qu’à savoir si la poursuite devrait être engagée. Dans cette affaire, le Crown Prosecution Service (« CPS ») a choisi de ne pas poursuivre l’accusé en raison de préoccupations quant à la capacité de l’accusé à subir son procès et la victime de demander un examen indépendant en vertu du VRR, compte tenu d’un point de vue différent quant à la question de la capacité. Après examen, on a recommandé que le CPS réexamine sa décision, ce qu’il a finalement fait, et Janner a subi son procès (Manikis, 2019a; Rogers, 2017).

Toutefois, une étude récente a affiché des résultats mitigés quant à l’efficacité de ce processus (Illiadis et Flynn, 2018). D’une part, une contribution significative au processus a permis d’accroître la responsabilité tout en donnant aux victimes un sentiment de contrôle. Les travailleurs de soutien aux victimes ont fait remarquer que le processus comportait des avantages pour les victimes, notamment, il leur donnait une voix, une validation et un certain contrôle, quelle que soit l’issue de l’affaire. Il communiquait également aux victimes des renseignements sur les raisons pour lesquelles l’affaire n’a pas procédé et ces explications ont donné aux victimes un sentiment de clôture, ce qui leur a été bénéfique, quelle que soit la décision finale. Toutefois, plusieurs problèmes ont également été cernés qui ont, [Traduction] « réduit la perception de légitimité des victimes dans le processus, ce qui entrave le rôle potentiellement bénéfique de la réforme » (ibid. : 52), y compris a) son utilisation limitée; b) les questions de responsabilité et d’indépendance (puisque le CPS réexamine ses propres décisions); c) des données limitées disponibles sur le processus; et d) des renseignements limités ont été communiqués aux victimes au sujet du processus.

En plus de ce nouveau processus de réexamen, les victimes peuvent également demander un contrôle judiciaire lorsqu’une décision est prise de ne pas engager une poursuite, mais une telle demande ne sera entendue que si la décision a déjà fait l’objet d’un réexamen dans le cadre du régime de VRR (Crown Prosecution Service, 2019a). Le contrôle judiciaire est plus large que le régime de VRR, en ce qu’il permet également de contester les décisions d’engager une poursuite. Cependant, la Haute Cour n’interviendra [Traduction] « que dans des cas très rares » concernant des décisions de poursuite en général (S. v. Crown Prosecution Service, 2016, par. 15) et lorsqu’un réexamen a été effectué dans le cadre du régime de VRR, il est très peu probable qu’un contrôle judiciaire réussisse.

Aux États‑Unis, la jurisprudence à ce jour favorise l’idée que les victimes d’actes criminels ont des droits même avant le dépôt officiel de chefs d’accusation criminels, du moins au niveau fédéral (Beloof et al., 2018; Cassell, Mitchell et Edwards, 2014). Dans Re Dean (2008), par exemple, le Cinquième Circuit a souscrit au point de vue suivant énoncé par la Cour de district : [Traduction] « Il y a clairement des droits en vertu de la CVRA qui s’appliquent avant que toute poursuite ne soit engagée » (U.S. v. BP Products North America Inc., 2008, par. 23). En outre, comme on le verra plus loin, de nombreux États américains accordent maintenant à la victime la qualité d’agir dans le processus, ce qui permet à la victime de recourir directement aux tribunaux sans qu’un procureur ait à interjeter appel.

Un certain nombre d’États ont des lois qui confèrent aux victimes un droit exécutoire de consulter le procureur au sujet des décisions relatives au port de chefs d’accusation, tandis que d’autres confèrent un droit général de consultation (comme la CVRA). Par exemple, en Arizona, avant qu’une décision de ne pas engager une poursuite ne soit finalisée, les procureurs doivent informer la victime de la décision et lui fournir les raisons pour lesquelles ils refusent d’engager une poursuite. Une partie de cette obligation englobe également l’obligation d’informer la victime de son droit de demander une consultation avant que la décision ne soit finalisée. Toutefois, [Traduction] « dans le système fédéral et dans de nombreuses administrations, un contrôle judiciaire des décisions relatives au port de chefs d’accusation donne lieu presque inévitablement à une décision selon laquelle le procureur a agi conformément à son pouvoir discrétionnaire de porter ou non des chefs d’accusation » (Beloof et al., 2018, p. 170; voir également Brown, 2017, Ma, 2002). Néanmoins, la description suivante de l’état actuel de la capacité d’examen avant le procès aux États‑Unis indique qu’il y a eu une intégration beaucoup plus importante de la victime au processus préliminaire du procès, par rapport au Canada :

[traduction]

Cependant, dans quelques États, les législatures ont conféré aux juges le pouvoir de réexaminer les décisions des procureurs de porter des accusations. Le Colorado, le Michigan, le Nebraska et la Pennsylvanie ont tous des lois semblables qui autorisent les juges à réexaminer les décisions des procureurs de ne pas porter des accusations en fonction de plaintes criminelles privées. Chaque État exige que les procureurs fournissent les raisons pour lesquelles ils refusent d’engager une poursuite dans certains types de cas. La loi de l’État confère aux juges le pouvoir d’évaluer les décisions discrétionnaires des procureurs et ces explications fournissent un fondement pour contrôle judiciaire des décisions prises en matière de poursuites. Si les juges estiment que la décision n’est pas fondée, ils peuvent ordonner d’engager la poursuite, soit en contraignant le procureur public à engager la poursuite, soit en nommant un procureur spécial. (Brown, 2017, p. 74)

En outre, la CVRA fédérale confère aux victimes un droit particulier d’être entendues au sujet des plaidoyers, ainsi qu’un droit général de consulter les procureurs. Elle permet également aux victimes de présenter une requête visant à rouvrir un plaidoyer si leur droit d’être entendu est violé au moyen d’un mandamus. La grande partie des États disposent également d’une loi ou d’une disposition constitutionnelle qui confère aux victimes un droit général de consultation avec le procureur (qui comprend sans doute des plaidoyers), soit un droit particulier d’être entendue avant que le tribunal n’accepte un plaidoyer (Manikis, 2012; Tobolowsky et al., 2016). Les tribunaux ont été enclins à rejeter des transactions en matière pénale ou à réouvrir officieusement des audiences concernant les plaidoyers afin de s’assurer que tous les droits des victimes aient été respectés (United States v. Stevens, 2017; State v. Casey, 2002).

Avant l’adoption de la CCDV, les organismes de défense des droits des victimes ont proposé de créer un droit significatif de réexaminer les décisions préalables au procès au Canada (voir, par exemple, Bureau de l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels [« BOFVAC »], 2014). Toutefois, d’autres organismes ont donné une mise en garde contre la création de ce dit droit (voir, par exemple, Association du Barreau canadien, 2013). En fin de compte, ce droit n’a pas été intégré dans le projet de loi. Compte tenu de l’évolution de la situation en Angleterre et aux États‑Unis, il est quelque peu étonnant qu’un changement dans la conception et le fonctionnement du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuites n’a pas été adopté de la même façon au Canada. L’omission de suivre la voie du R.‑U. et des É.‑U. à cet égard laisse le processus de négociation de plaidoyers sans modification, ce qui a été l’un des aspects du processus de justice pénale qui a suscité le tollé le plus important de la part des victimes (Verdun‑Jones et Tijerino 2002).

Dans le rapport de 2001, l’un des thèmes récurrents dans la documentation était que les victimes se sentaient souvent trahies et manipulées par le processus de négociation de plaidoyers non susceptibles à un réexamen. Autrement dit :

Les victimes veulent avoir leur mot à dire (et qu’on en tienne compte) pendant le processus de justice. Les parents, les frères et sœurs et la famille étendue des victimes de meurtre, des autres crimes de violence ou des agressions sexuelles sont frustrés du fait qu’ils se sentent exclus du processus de prise de décisions concernant le délinquant qui leur a causé des dommages. Le processus de négociation des plaidoyers s’avère encore plus odieux pour les victimes parce que leur " mutisme " leur donne l’impression d’être laissées pour compte par le système de justice. Par exemple, les parents d’un adolescent poignardé onze fois et le frère d’une personne qui a été tirée dans le dos n’ont pas pu dire quoi que ce soit quand l’État a accepté les plaidoiries dans chacune de ces affaires. Ces plaidoiries ont donné lieu à une peine de sept ans et ont causé une grande frustration lorsque les victimes ont appris que les délinquants pourraient être admissibles à la mise en liberté dans moins de trois ans (Sécurité publique Canada, 2001, p. 5).

Comme l’indique Beloof et al. dans son cahier d’appel, [Traduction] « les intérêts de la victime dans la participation au processus de négociation de plaidoyers sont nombreux. Le fait qu’elles sont consultées et écoutées leur donne le respect et la reconnaissance qu’elles sont les personnes lésées. Cela peut, à son tour, contribuer à la guérison psychologique de la victime » (2018, p. 422). Dans le même ordre d’idées, il a été indiqué en 2017 qu’[Traduction] « en raison de l’énorme possibilité que les transactions en matière pénale touchent le bien‑être des victimes, la participation des victimes est doublement justifiée » (Pugach et Tamir, 2017, p. 53). Une série d’études effectuée en Australie au cours des dix dernières années offre un soutien empirique à la croyance commune de l’importance de la consultation des victimes dans le processus de règlement des plaidoyers :

[traduction]

Les victimes que nous avons interrogées ont fait des observations qui sont conformes à la documentation sur la justice procédurale. Elles ont dit qu’elles souhaitaient avoir la possibilité d’exprimer leurs points de vue et qu’elles voulaient que ces points de vue soient véritablement pris en compte par l’OPP. En outre, leur expérience de la façon dont les avocats de l’OPP les traitaient est ressortie de manière importante de leurs entrevues. Les victimes ont également clairement exprimé le désir des avocats de prendre le temps de les comprendre, comme des personnes, ainsi que leurs priorités individuelles. Elles souhaitaient se sentir comme si ils [Traduction] « comptaient » pour les avocats de la poursuite. Nos conclusions appuient la théorie de la justice procédurale parce qu’elles indiquent que le processus de consultation est très important pour les victimes. Les victimes ne mettent pas seulement l’accent sur les décisions, prises dans leur cas, en matière de poursuite même si cela demeure important pour certaines d’entre elles. Au contraire, elles ont exprimé des points de vue forts sur la façon dont le processus de consultation a été mené. (Centre for Innovative Justice, 2019, p. 9)

Au Canada, il y a eu, au cours des deux dernières décennies, quelques modestes modifications législatives permettant le réexamen du pouvoir discrétionnaire des procureurs, afin de rendre plus transparent et responsable le processus de négociation de plaidoyers de faible visibilité. En 2015, l’art. 606 du Code criminel a été modifié afin d’obliger le juge de procéder à un examen approfondi dans les cas de préjudice corporel grave pour vérifier si la victime avait été informée de l’accord. Dans les cas d’actes criminels passibles d’une peine maximale de plus de cinq ans, un examen approfondi doit être fait pour vérifier si la victime a demandé d’être informée de toute entente et, dans l’affirmative, les mesures qui ont été prises pour l’informer. Si la victime n’a pas été informée, la Couronne doit le faire dès que possible. Toutefois, la validité du plaidoyer n’est pas touchée par le non‑respect de cette disposition.

La Déclaration des droits des victimes du Manitoba est la seule administration qui énonce que, sur demande, les victimes doivent avoir la possibilité de donner leur point de vue sur toute entente relative à la disposition d’une accusation (même si cela est antérieur au rapport de 2001). Toutefois, cette obligation est limitée comme suit : « pour autant que cela puisse raisonnablement se faire sans retarder indûment l’enquête et la poursuite ou y nuire ». Comme nous l’avons vu plus haut, l’absence d’exécution judiciaire en ce qui concerne les droits énumérés dans les chartes des droits compromet le droit à la consultation.

En 2014, l’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels a proposé que l’ancien projet de loi C‑32, la Charte des droits des victimes (ci-après « CCDV »), comporte des dispositions exigeant que les points de vue de la victime soient pris en considération relativement à la négociation des plaidoyers :

Bien que le fait d’informer les victimes d’une négociation de plaidoyer puisse être utile à certains égards, les victimes ont indiqué clairement qu’elles souhaitaient être mises au courant avant qu’une entente soit conclue ou acceptée et avoir l’occasion de faire connaître leur point de vue et leurs préoccupations au poursuivant à ce moment‑là. Le BOFVAC [Bureau de l’Ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels] ne recommande certes pas que les victimes obtiennent un droit de veto à ce chapitre. Il considère toutefois que, par respect pour les victimes et leurs préoccupations, le projet de loi devrait exiger que les victimes soient mises au courant d’une entente avant la conclusion de celle‑ci. Les victimes auraient ainsi l’occasion de s’exprimer et de faire valoir leur point de vue. (BOFVAC, 2014, p. 13)

En fin de compte, la CCDV n’a pas inclus une disposition exigeant que les points de vue des victimes soient pris en considération et, même si elle comportait une telle disposition, le problème fondamental posé par la négociation de plaidoyers ne peut pas être réglé de manière efficace sans un réexamen et une révision de notre jurisprudence sur le pouvoir discrétionnaire des procureurs ou par l’adoption d’un recours à un contrôle judiciaire.

Les protections au procès

Au cours des années 1970, 1980 et 1990, des efforts systémiques ont graduellement été déployés pour rendre le processus judiciaire plus adapté aux victimes de violence. En ce qui concerne la violence à l’égard des enfants et des femmes, des changements importants ont été apportés aux définitions de fond concernant les infractions sexuelles et aux obstacles archaïques en matière de procédure et de preuve quant à la condamnation. En outre, le processus judiciaire a été considérablement modifié afin de réduire la victimisation secondaire vécue par les victimes qui comparaissent comme témoins au procès. Les réalisations ont été importantes et la réforme du droit effectuée au Canada à l’égard des victimes de violence est conforme à l’évolution de la plupart des démocraties libérales de l’Ouest.

On peut soutenir que la réalisation la plus spectaculaire et la plus réussie ayant trait au mouvement des droits des victimes a été la création progressive au cours des années 1970, 1980 et 1990 d’un ensemble de règles de preuve et de procédure visant à faciliter une poursuite efficace des crimes violents contre les victimes vulnérables. Tous ces changements ont été décrits dans le rapport de 2001, mais un certain nombre de changements se sont produits depuis. La plupart de ces changements ne sont pas révolutionnaires, mais ils montrent que la voie de la réforme se poursuit, car la plupart des règles visant à protéger la preuve et la procédure ont été renforcées et élargies. La grande partie de ces changements ont trait à des dispositions du Code criminel et bon nombre de changements ont été apportés par l’adoption de la CCDV en 2015 (dans la section suivante, tous les numéros d’articles font référence au Code criminel).

Interdictions de publication (art. 486.4 à 486.6)

Pour toute infraction (c’est‑à‑dire, non seulement les infractions sexuelles) dont la victime est mineure, le tribunal doit informer la victime de son droit de présenter une demande (semblable aux victimes d’infractions sexuelles) et doit rendre l’ordonnance si elle est demandée (2015). Pour les infractions sexuelles, les changements suivants ont été apportés : a) de nouvelles infractions ont été ajoutées à la liste des infractions énumérées (p. ex. pornographie juvénile et voyeurisme en 2006); et b) les interdictions de publication pour les infractions de pornographie juvénile sans qu’il soit nécessaire de présenter une demande (2006). Enfin, une innovation connexe a été présentée en 2015, soit la capacité de témoigner sous un pseudonyme pour protéger la sécurité d’un témoin (art. 486.31).

De plus, des interdictions de publication peuvent maintenant être imposées aux participants du système de justice concernés par certains cas (2001) et la liste d’infractions auxquelles s’applique cette disposition a été élargie au fil du temps (2006). À l’origine, le critère consistait à savoir si une ordonnance était « nécessaire » pour la bonne administration de la justice, mais il a depuis été modifié à un critère moins rigoureux, soit de savoir s’il est dans l’« intérêt » de la bonne administration de la justice (2015).

En ce qui concerne l’efficacité de ces interdictions en matière de protection de la vie privée, les médias canadiens semblent mieux protéger l’identité de la victime par rapport aux États‑Unis, mais le pourcentage de rapports médiatiques qui divulguent des renseignements d’identification sur ces victimes au Canada n’est pas négligeable. Une étude américaine de 2010 a indiqué que 51 % des articles de médias sur la victimisation non mortelle des enfants incluaient des renseignements sur la victime. Les identificateurs les plus courants étaient le nom des membres de la famille du délinquant (29 %) et le nom de l’école, de la garderie ou de l’église de l’enfant (18 %), mais le nom de la victime a également été inclus dans 9 % des articles. Il convient également de noter que la publication de renseignements identificateurs était beaucoup plus fréquente pour les infractions non sexuelles (78 % par rapport à 37 %) (Jones, Finkelhor et Beckwith 2010). En revanche, une étude canadienne de 2015 concernant les articles portant sur la violence à l’égard des enfants a indiqué qu’un peu moins d’un quart (23 %) des articles contenaient des renseignements identificateurs. Les identificateurs les plus courants étaient le nom de l’école, de l’église ou de la garderie de l’enfant (33 %) et la rue ou l’adresse de l’enfant (29 %), mais le nom de l’enfant figurait également dans 4,44 % des articles (Ha et Ndegwa 2015).

Dossiers de tiers (art. 278.1 à 278.97)

Depuis 1990, la vie privée de la victime est protégée par un processus rigoureux de demandes pour lesquelles des critères doivent être satisfaits avant que les dossiers privés de la victime puissent être produits devant le tribunal comme preuves. Tout comme les interdictions de publication, cette protection a été renforcée et élargie en 2015. La période d’avis pour demander des dossiers a été prolongée, passant de 14 jours à 60 jours et la liste des facteurs pertinents à prendre en considération comprend maintenant l’examen de l’intérêt pour la sécurité de la victime. De plus, la liste des infractions auxquelles s’applique ce régime a été modifiée au fil du temps.

Plus important encore, tant les plaignants que les personnes qui détiennent le dossier en question ont droit à un avocat et le juge doit les informer de ce droit (2015). Tel qu’il a été indiqué précédemment, les Déclaration des droits des victimes du Manitoba et de la Colombie‑Britannique confèrent déjà l’accès à un avocat aux fins de ces demandes, mais grâce à cette modification, la pratique a été étendue à l’ensemble du Canada et la victime sera dorénavant informée de ce droit.

En 2018, un ajout important a été ajouté à cette protection grâce à la création d’un nouveau régime visant à limiter le recours aux dossiers privés qui sont déjà en la possession de l’accusé. En 2002, la Cour suprême du Canada a conclu que le régime relatif aux dossiers de tiers ne visait pas l’utilisation ou l’admissibilité de dossiers déjà en la possession de l’accusé (R. c. Shearing, 2002). Maintenant, l’accusé doit établir que le dossier, pour qu’il soit admissible, est pertinent et qu’il revêt une valeur probante importante. La victime a le droit à un avocat et de présenter ses observations. Cependant, si la raison invoquée par l’accusé pour présenter le dossier privé a trait à un comportement sexuel antérieur de la victime, son admissibilité est alors régie par l’art. 276 (historiquement connu sous le nom de la loi relative à la protection des victimes de viol ou les demandes Seaboyer, disposition qui sera examinée dans la prochaine section).

Cette protection a également été renforcée par l’interprétation judiciaire. Dans la jurisprudence, la protection a été étendue aux dossiers de litige civil (R. c. McClure, 2001) et aux dossiers de la Commission d’indemnisation des victimes d’actes criminels qui contiennent des renseignements sur la victime (R. v. S.(L.), 2000; R. v. Fayant, 2004). En 2014, la Cour suprême du Canada a élargi cette protection pour y inclure les renseignements sur la victime contenus dans des rapports d’incidents policiers sans lien avec la victime, en faisant remarquer ce qui suit :

Certains préjudices tangibles sont associés à la communication de renseignements personnels dans le cadre d’une poursuite pour infraction d’ordre sexuel […] Les victimes d’agressions sexuelles qui sauront que, si elles portent plainte, leurs démêlés antérieurs avec la police seront communiqués à la personne accusée de les avoir agressées seront moins susceptibles de dénoncer leur agresseur. (R. c. Quesnelle, 2014, par. 36)

Une étude empirique récente a indiqué que 56 % des victimes au Canada retiennent les services d’un avocat pour les demandes de divulgation de leurs dossiers privés (Jacuk et Hassan, 2018) et un examen en 2012 de la législation par le Sénat a permis de conclure que « la procédure de communication des dossiers prévue dans le Code fonctionne essentiellement bien. Elle permet d’établir un juste équilibre entre les intérêts concurrents du plaignant et de l’accusé dans le contexte unique d’un procès pour une infraction d’ordre sexuel. » (Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles, 2012, p. 14). Toutefois, une petite étude sur les survivants d’agressions sexuelles a révélé que les plaignants [Traduction] « ne comprenaient pas le système de justice pénale et surtout les demandes de dossiers de tiers » (McDonald et Northcott, 2011, p. 8). Le fait que plusieurs des participants ne savaient même pas si leurs dossiers avaient été produits est particulièrement problématique (ibid.).

« Activité sexuelle » (art. 276)

Depuis les années 1990, pour certaines infractions précises, un régime de protection a été mis en place pour limiter le recours, d’un accusé, à des renseignements personnels ayant trait aux activités sexuelles de la victime. En 2018, le régime et le processus de demandes de ces renseignements personnels ont été regroupés afin d’être conformes aux exigences du processus en lien avec les demandes de dossiers de tiers. La définition d’« activité sexuelle » a également été élargie pour y inclure « toute communication à des fins d’ordre sexuel ou dont le contenu est de nature sexuelle » afin de viser la communication numérique et les pratiques modernes de sextos. Plus important encore, le droit de la victime d’être informée et de retenir les services d’un avocat s’applique maintenant à ces demandes (2018).

Même si aucune des chartes des droits provinciales n’offre aux victimes les services d’un avocat pour les demandes présentées en vertu de l’article 276 (quoique la Colombie‑Britannique et le Manitoba offrent des services d’avocat gratuit pour les demandes de dossiers de tiers), il y a eu une augmentation du nombre de programmes provinciaux qui offrent aux victimes des services d’un avocat dans de telles circonstances afin de s’assurer que leurs intérêts sont bien représentés. Voici quelques exemples de la façon dont les administrations provinciales ont répondu aux besoins juridiques des victimes de violence sexuelle, même si cette liste n’est en aucun cas exhaustive :

Il existe une jurisprudence ayant trait à ce processus de demande, car des aspects de ce processus ont été affinés ou clarifiés par voie de litige; cependant, il n’y a eu aucune étude empirique importante de ces dispositions au cours des dernières années. Néanmoins, l’instauration en 2018 du droit à un avocat pour les victimes constitue une évolution importante et son incidence justifie une étude plus approfondie pour confirmer la croyance de Garvin et de Beloof selon laquelle des avocats indépendants représentants les victimes d’agressions sexuelles [Traduction] « peuvent ouvrir l’espace pour un véritable mandataire en s’assurant que les victimes peuvent non seulement décidé si elles souhaitent engagé le système et quand, mais également d’êtres les architectes de la façon dont ils participent au système » (2015, p. 77). Selon les auteurs, l’importance de l’avocat ne peut être sous‑estimée, car les droits prévus visant à protéger la vie privée et la dignité des victimes au procès [traduction] « ne seront réalisés que lorsque les victimes d’agression sexuelle reçoivent des conseils juridiques, car ce n’est qu’à ce moment‑là qu’une véritable représentation de la victime peut être possible » (ibid., p. 68; voir aussi Tanovich, 2015).

Aides au témoignage

Afin de réduire le stress et le traumatisme liés au témoignage, un certain nombre de modifications ont été apportées au processus dans les années 1990 pour répondre aux besoins des jeunes victimes de violence en leur permettant de témoigner derrière un écran, par télévision en circuit fermé ou par déclarations vidéo antérieures. Un grand nombre de ces mesures d’adaptation ont été contestées sur le plan constitutionnel par les personnes accusées qui ont fait valoir que les principes de justice fondamentaux exigeaient une confrontation directe entre la victime et l’accusé. Toutefois, toutes les dispositions ont résisté à la contestation et ont été élargies et renforcées depuis 2001 (voir, par exemple, R. c. Levogiannis, 1996; R. c. L.(D.O.), 1993; R c. Potvin, 1989; Canadian Broadcasting Corp. v. New Brunswick (Attorney General), 1996).

Exclusion du public (art. 486)

Le pouvoir du tribunal d’exclure le public existe depuis de nombreuses années, mais au début des années 2000, il a été élargi pour mettre l’accent sur la protection des mineurs dans toutes les procédures et non seulement celles portant sur les infractions sexuelles, ainsi que les participants au système de justice (2001; 2005). En 2015, la loi a été modifiée davantage afin que les victimes et les témoins puissent présenter une demande d’exclusion du public en leur propre nom. La liste de facteurs dont les juges doivent tenir compte lorsqu’ils tranchent ces demandes a été élargie considérablement en vue d’inclure l’intérêt de la société en encourageant la signalisation des infractions et la participation des victimes et des témoins au processus de justice pénale. La même année, une solution de rechange à l’exclusion du public a également été adoptée, permettant aux juges d’ordonner que le témoin soit autorisé à témoigner derrière un écran afin que le public ne puisse pas le voir. Depuis 1988, des écrans sont utilisés pour empêcher une confrontation visuelle directe entre les victimes et les accusés. Cette réforme de 2015 élargit l’utilisation des écrans pour empêcher un visionnement public du témoin.

Personnes de confiance (art. 486.1)

En 2006, ces ordonnances sont devenues obligatoires sur demande à l’égard de mineurs (passant de 14 ans à 18 ans) et des personnes ayant une déficience, à moins qu’une telle ordonnance ne nuise à la bonne administration de la justice. En 2006, les ordonnances discrétionnaires pouvaient alors aussi être rendues à l’égard d’autres témoins et pour toute infraction. Des personnes de confiance peuvent maintenant être demandées dans le cadre de toute procédure, non seulement des procès ou des enquêtes préliminaires (2006) mais également lorsque des demandes sont présentés à un juge alors qu’aucun juge n’est affecté à l’affaire (2015).

Au cours des dernières années, les chiens de soutien sont devenus une option pour les victimes et les témoins. Jusqu’en 2014, il n’y avait pas encore eu de cas où une demande avait été faite pour un chien de soutien ou où un chien de soutien avait accompagné un témoin lors de son témoignage (McDonald et Rooney 2014), mais après l’adoption de la CCDV, les demandes de chiens de soutien sont devenues plus courantes. La jurisprudence à ce jour a été divisée en fonction du motif approprié pour permettre un chien de soutien d’accompagner la victime ou le témoin (R. v. Benjamin, 2018; R. v. Roper, 2015). Toutefois il est clair qu’il y a un nombre croissant d’affaires qui suivent ce que la Cour provinciale de la C.‑B. a déclaré, à savoir que d’autoriser un chien de soutien est [Traduction] « conforme à l’esprit et à l’intention que la loi sur les mesures d’adaptation aux fins des témoignages visait à traiter, du moins  consistait à s’assurer, que les témoins qui, en général, pouvaient être perçus comme étant plus vulnérables, puissent obtenir des mesures de soutien afin qu’ils donnent des comptes rendus complets et francs lors de leur témoignage devant le tribunal (R. v. K.(J.L.), 2015, par. 6).

Télévision à circuit fermé et écrans (art. 486.2)

Depuis 2001, il y a eu une expansion continue et un recours accrue au témoignage par télévision en circuit fermé à partir d’une autre pièce ou derrière un écran. À cet égard, l’expansion de l’art. 486.2 est semblable aux changements apportés aux autres dispositions relatives à l’aide au témoignage. Les mineurs et les personnes ayant une déficience peuvent maintenant demander de telles aides dans tous les cas (c’est‑à‑dire, pas seulement pour les infractions à caractère sexuel) et dans toutes les procédures (c’est‑à‑dire pas seulement lors des procès et des enquêtes préliminaires) (2006). Les juges doivent rendre une ordonnance à l’égard de telles victimes, sauf si elle nuirait à la bonne administration de la justice (2006). Des ordonnances discrétionnaires sont également disponibles pour tout témoin et pour toute infraction (2006) et, comme pour les autres aides au témoignage, les témoins ou les victimes peuvent présenter une demande en leur propre nom (2006).

Comme pour les demandes de dossiers privés et les demandes visant à présenter les activités sexuelles antérieures du plaignant, il y a une abondante jurisprudence portant sur d’innombrables petits points du processus sous l’art. 486.2. Toutefois, la jurisprudence n’a pas modifié de façon importante les éléments de base du recours à cette aide au témoignage, et en 2010, la Cour suprême du Canada a confirmé la validité constitutionnelle des ordonnances obligatoires (R. v. S.(J.), 2010), y compris le cadre de présomption selon lequel les enfants et les personnes ayant une déficience n’ont pas à prouver qu’une telle ordonnance de protection est nécessaire.

Le Code criminel est silencieux quant à savoir qui choisit quelle aide à témoigner est appropriée pour les ordonnances obligatoires, ce qui a entraîné une jurisprudence divisée. Toutefois, la jurisprudence dans son ensemble tend à militer en faveur du choix de demandeur (voir, par exemple, R. v. Bell, 2017; R. v. Q.(T.M.), 2013).

Interdiction de contre‑interrogatoire pour un accusé qui se représente lui‑même (art. 486.3)

Cette protection relativement nouvelle a connu une expansion similaire au cours des deux dernières décennies. La nomination d’un avocat, au lieu d’un contre‑interrogatoire par un accusé qui se représente lui‑même, est maintenant obligatoire pour tous les mineurs, sans égard de l’infraction reprochée (2006), ainsi que pour les victimes adultes de harcèlement criminel (2006) et d’agressions sexuelles (2015), à moins que l’on puisse établir que l’intérêt de la bonne administration de la justice exige que l’accusé contre‑interroge personnellement le témoin. Une demande discrétionnaire peut également être présentée pour d’autres témoins adultes, pour toute autre infraction (2006). Dans de tels cas, l’avocat sera nommé lorsque l’ordonnance est nécessaire pour obtenir une version complète et franche (2006) ou lorsqu’elle sera par ailleurs dans l’intérêt de la bonne administration de la justice (2015). En outre, les victimes et les témoins peuvent demander personnellement la nomination d’un avocat (2006).

L’article 486.3 n’a pas été contesté sur le plan constitutionnel. Même si la Cour d’appel de l’Alberta dans R. v. M (C.G.) (2015) a proposé en obiter dicteum que la disposition soit probablement maintenue, d’autres ont exprimé des préoccupations quant à la validité d’avocats nommés par la Cour pour remplacer les accusés qui se représentent eux‑mêmes, dont un tribunal a fait remarquer que cet article « est susceptible d’affecter des droits fondamentaux sans parler des questions déontologiques pour l’avocat qui accepte pareil mandat, d’aucuns pourraient remettre en question la validité de l’article en cause » (Québec (Procureur général) c. Québec (Juge de la Cour du Québec), 2007, par. 53) et un autre a déclaré que [traduction] « Le paragraphe 486.3(2) du Code criminel soulève des questions pratiques et conceptuelles difficiles en ce qui concerne le droit de présenter une défense pleine et entière » (R. v. Wapass, 2014, par. 25).

Enregistrement vidéo (art. 715.1 et 715.2)

Contrairement aux autres dispositions relatives à l’aide au témoignage, la présentation d’une preuve par enregistrement vidéo au procès n’est pas devenue accessible à tous les témoins; son utilisation demeure limitée aux enfants et aux personnes ayant une déficience. Toutefois, en 2006, les dispositions ont été élargies afin de permettre de tels éléments de preuve pour toutes les infractions, plutôt que seulement celles qui étaient énumérées auparavant. La même année, des modifications importantes ont également été apportées à la Loi sur la preuve au Canada, en ce qui concerne les enfants témoins, y compris la suppression des enquêtes préalables sur la capacité d’un enfant à témoigner, ce qui a créé une présomption de capacité à témoigner.

Il existe une quantité énorme de jurisprudence sur cette aide au témoignage, cependant les sujets de capacité et leur présomption outrepassent la portée du présent rapport. Toutefois, il suffit de dire qu’en 2008, la Cour d’appel de la Colombie‑Britannique a saisi l’essentiel de toutes ces modifications modernes en déclarant que ces dispositions tiennent compte de [Traduction] « l’évolution procédurale et de la preuve dans notre système de justice pénale afin de faciliter le témoignage des enfants, en tant qu’étape nécessaire de son objectif à obtenir la vérité » (R. v. S.(J.), 2008, par. 54).

Recherche empirique sur les aides au témoignage

Comme l’a fait remarquer la Cour supérieure de justice de l’Ontario, les efforts de réforme du droit visant les dispositions relatives à l’aide au témoignage au cours des deux dernières décennies [Traduction] « soulignent une évolution de la loi qui rend le processus plus “convivial” pour les témoins vulnérables » (R. v. Tehrankari, 2008, par. 6). Il n’est donc pas surprenant qu’il y ait une quantité considérable de recherches empiriques portant sur l’efficacité et l’application des diverses dispositions relatives aux aides au témoignage. À cet égard, voici certaines des conclusions pertinentes :

Détermination de la peine et services correctionnels

Après la condamnation, la présomption d’innocence ne s’applique plus, de sorte qu’on s’attendrait à ce qu’il y ait moins d’obstacles institutionnels et conceptuels à la participation des victimes. Dans la plupart des administrations, la participation a été assurée par l’instauration de déclarations de la victime (ci-après « DV ») et, depuis leur instauration au Canada en 1988, leur utilisation est devenue un élément courant du paysage juridique. Elle renferme une riche jurisprudence qui englobe les difficultés à en déterminer la portée et la pertinence de la contribution de la victime.

Depuis le rapport de 2001, il y a eu de nombreuses révisions législatives visant à élargir la portée du régime de la DV et à clarifier les ambiguïtés découlant de la jurisprudence contradictoire. Voici les modifications les plus importantes :

Même s’il semble que les DV ont été progressivement acceptés par les professionnels de la justice pénale, il subsiste un certain débat sur des questions, comme le poids qui devrait leur être accordé et le contenu approprié (McDonald, 2020; Manikis, 2015a; 2019b). Par conséquent, la jurisprudence des deux dernières décennies est volumineuse et vise un large éventail de questions quant à savoir : qui est une victime, qu’est-ce qu’une communauté pertinente, quels sont la forme et le contenu appropriés d’une DV, quel est le poids à accorder à une DV et quel est le processus de règlement des faits contestés.

En ce qui concerne les faits contestés, cela soulève la question de savoir s’il convient d’assujettir la victime à un contre‑interrogatoire portant sur sa déclaration. La Cour d’appel de l’Ontario a abordé ce dilemme en 2008 en faisant remarquer ce qui suit :

[traduction]

Le fait de conférer un droit de contre‑interrogatoire automatique ou sans contrainte pourrait compromettre l’objet même des déclarations de la victime, notamment, donner aux victimes une voix dans le processus de justice pénale, donner aux victimes un moyen de confronter les délinquants au sujet du préjudice qu’ils ont causé et s’assurer que les tribunaux sont informés des conséquences complètes du crime. Le fait de conférer un droit de contre‑interrogatoire illimité pourrait décourager les victimes de présenter de telles déclarations et de victimiser à nouveau celles qui le font. D’autre part, une interdiction absolue du contre‑interrogatoire nuirait indûment aux droits procéduraux des délinquants. (R. v. W.(V.), 2008, par. 28)

Il se peut que ce dilemme soit quelque peu académique, comme Cole (2003) a constaté que 84 % des juges ont déclaré qu’un contre‑interrogatoire concernant une DV n’a jamais eu lieu ou presque jamais. Ce résultat a été reproduit de manière semblable par Roberts et Edgar en 2006, qui ont signalé que 97 % des juges ont déclaré que le contre‑interrogatoire n’a jamais eu lieu ou presque jamais.

Même si l’intérêt et la recherche se sont atténués au cours des dernières années, on a constaté qu’au cours des deux dernières décennies, le Canada a effectué le plus de recherches et a produit la jurisprudence la plus importante sur cette question parmi tous les autres ressorts de common law (Manikis et Roberts 2012). À cet égard, voici quelques-unes des conclusions importantes et pertinentes sur de nombreuses études (surtout canadiennes) effectuées sur l’application et l’incidence de la DV au cours des deux dernières décennies :

Utilisation et satisfaction des victimes

Professionnels du système de justice pénale

Malgré le fait que la DV a été instauré il y a plus de 30 ans, et que la recherche indique une acceptation croissante chez les professionnels du droit, il est clair qu’il y a encore des occasions où le tribunal et la Couronne ne s’acquitteront tout simplement pas de leurs obligations prévues à la loi. Ce n’est pas encourageant de constater que la Cour suprême du Canada s’est sentie obligée de formuler l’avertissement suivant seulement quelques mois avant la rédaction du présent rapport :

[traduction]

Nous n’approuvons pas le refus apparent du juge Stewart et de la Couronne de permettre à la mère de présenter une déclaration de la victime relativement à l’infraction d’extorsion. Nous tenons à faire remarquer que ni la Couronne ni le juge Stewart n’a fait référence aux dispositions du Code criminel ou de la Charte canadienne des droits des victimes, LC 2015, ch. 13, art. 2, qui régissent le droit de de la victime de présenter au tribunal une déclaration de la victime lorsqu’ils ont refusé de permettre à la mère de présenter une déclaration de la victime. (R. v. Friesen, 2020, note de bas de page 5)

Enfin, l’examen des modifications qui ont été apportées relativement à la participation des victimes aux étapes post‑condamnation et correctif dépasse le cadre de ce rapport. Néanmoins, il convient de mentionner que depuis 2001, d’importantes modifications ont été apportées au processus des personnes déclarées NCR (non criminellement responsable) et au processus de libération conditionnelle afin de conférer aux victimes des droits importants en matière d’avis et d’information en attendant l’audience, ainsi que de faciliter leur participation (au moyen d’une déclaration de la victime).

Plus important encore, au stade correctionnel, nous trouvons de rare exemple de cas où les droits de participation sont renforcés par la création d’un droit à l’aide sociale correspondant. En 2005, le ministère de la Justice a créé un programme qui offre une aide financière (frais de déplacement, d’hébergement et de repas) aux victimes qui souhaitent assister aux audiences de la Commission des libérations conditionnelles (ministère de la Justice du Canada, 2011). Ce programme est semblable à la charte des droits provinciale du Québec (par. 3(1), qui indemnise les victimes pour les frais engagés pour témoigner). Un sondage effectué en 2011 auprès des victimes qui ont utilisé ce programme d’aide financière entre 2006 et 2009 a révélé que plus d’un cinquième des victimes (22 %) n’auraient pas assisté à l’audience de la Commission des libérations conditionnelles sans l’aide qu’elles avaient reçue, alors qu’un autre cinquième (20 %) ont dit qu’elles ne savaient pas si elles auraient assisté à l’audience si elles n’avaient pas obtenu l’aide financière (ibid.). Étant donné le succès de ce programme fondé sur le bien‑être social dans le renforcement du droit des victimes à être entendues, il conviendrait d’envisager la création de programmes semblables relativement à d’autres droits de participation.

La question difficile concernant l’application

Malgré l’uniformité de la nature et de la portée des droits de participation dans les administrations assujetties à la common law et dans celles assujetties au droit civil, il existe une divergence en matière d’approche en ce qui concerne la question de savoir comment offrir des recours pour les violations de ces droits de participation. Contrairement aux administrations européennes et américaines, la formulation rigoureuse des droits de participation des victimes au Canada n’a pas été accompagnée de dispositions correctives. Cet élément manquant problématique a été discuté par de nombreux universitaires dans le domaine, dont le professeur Manikis qui a formulé des commentaires en 2014 au sujet de l’ancien projet de loi C‑32, Charte des droits des victimes, selon lesquels : [traduction] « [I]l convient de noter la terminologie malheureuse des « droits » qui est utilisée dans l’ensemble du projet de loi. Une charte des droits qui ne prévoit aucune forme de recours indépendant ne fera que susciter des attentes irréalistes, puisqu’elle ne reconnaît pas les droits réels. » (2014, p. 9).

Au Canada, les victimes n’ont, généralement, toujours pas la qualité pour interjeter appel ou pour contester une décision prise par la Couronne. Selon la sagesse judiciaire conventionnelle qui s’applique toujours, il n’existe aucune [Traduction] « situation où un tiers est autorisé à jouer un rôle dans la tenue d’une poursuite, pour répondre à la question de culpabilité ou d’innocence ou pour discuter de la peine. On s’attendrait à ce qu’un certiorari présenté par un tiers visant à annuler une condamnation, un acquittement ou une peine ne soit pas non plus disponible […] » (R. v. United States, 2004, par. 21).

Les chartes provinciales des droits, ainsi que la CCDV interdisent d’intenter une action civile pour la violation des droits de participation des victimes, et sans intervention législative, le seul recours juridique existant pour la victime, ou le témoin, pour obtenir un réexamen de certains types de décisions défavorables au procès consiste en le recours fastidieux, coûteux et extraordinaire d’interjeter appel directement auprès de la Cour suprême du Canada. Par exemple, dans l’affaire A.(L.L.) v. B.(A.) (1995), une victime a été en mesure, au cours du procès, de demander immédiatement à la Cour suprême du Canada un redressement à l’égard d’une décision défavorable rendue au sujet de la production de ses dossiers privés. Toutefois, ces appels interlocutoires à la Cour suprême du Canada sont très rares.

Même si certains groupes de victimes ont soutenu, avant l’adoption de la CCDV, que les victimes devaient avoir accès à une représentation juridique financée et qu’elles avaient la qualité pour agir à diverses étapes du processus de justice pénale, l’Association du Barreau canadien (2003) a exprimé une opposition à ce changement pour six raisons : a) les coûts supplémentaires; b) les retards donnant lieu à des arrêts de procédure; c) les problèmes liés à la divulgation des éléments de preuve; d) ceci outrepasserait l’indépendance de la Couronne et entraverait le pouvoir discrétionnaire de la Couronne, tout en contribuant à une relation potentiellement contradictoire avec la victime; e) ceci empiéterait sur la compétence provinciale sur l’administration de la justice; et f) ceci enfreindrait les droits de justice fondamentaux, le droit à la présomption d’innocence et le droit à un procès équitable dans un délai raisonnable, tous prévus par la Charte.

En l’absence d’un recours juridique viable et accessible, les victimes peuvent se prévaloir de recours administratifs prévus par la CCDV et par les chartes des droits du Manitoba, du Yukon et de la Colombie‑Britannique. Comme nous l’avons déjà mentionné, en 2007, le poste d’ombudsman fédéral des victimes d’actes criminels a été créé en tant qu’organisme indépendant pour veiller à ce que les organismes fédéraux s’acquittent de leurs responsabilités à l’égard des victimes (BOFVAC, 2011). Les rapports annuels indiquent que l’ombudsman reçoit des centaines de plaintes chaque année. Toutefois, le Rapport annuel de l’ombudsman de 2017‑2018 indique que le sujet d’enquête ou de plainte le plus fréquent est essentiellement lié aux ordres de gouvernement (provinciaux ou municipaux), à l’égard desquels l’ombudsman ne peut offrir aucune aide (BOFVAC, 2018). L’ombudsman fédéral ne peut pas aider la victime qu’à l’égard des procédures en vertu du Code criminel et la grande partie du travail de l’ombudsman concerne la Commission des libérations conditionnelles du Canada.

Plus important encore, l’ombudsman « ne détient aucun pouvoir pour les contraindre à produire des renseignements ou de la documentation afin de faciliter un examen. Par ailleurs, le BOFVAC n’a pas le pouvoir de conclure des accords exécutoires avec les ministères en vue de régler les plaintes et les questions systémiques. » (2014, p. 16). Son mandat se limite à publier des rapports, à formuler des recommandations et à sensibiliser le public aux questions au sein des institutions gouvernementales. Cette incapacité à offrir des recours juridiques a donné lieu à « une impression que la CCDV est une loi qui “manque de mordant” – tant parce qu’elle offre peu de recours vraiment utiles pour les victimes que parce qu’elle ne prévoit aucun mécanisme pour assurer la reddition de compte des intervenants du système de justice pénale. » (BOFVAC, 2017c, p. 11).

Le Royaume‑Uni a choisi d’offrir aux victimes un type de recours administratif semblable, mais même ce recours a plus de « dents » que son homologue canadien (et, comme il a été mentionné plus tôt, le R.‑U. a en outre des recours particuliers visant à réexaminer les décisions de la couronne en matière de port de chefs d’accusation). En 2006, l’Angleterre et le Pays de Galles ont instauré un code de pratique pour les victimes d’actes criminels qui comprenait un processus de plainte. L’ombudsman parlementaire peut formuler des recommandations quant au type de recours qui devrait être offert en cas de constatation d’une violation, notamment : a) des excuses, une explication ou une reconnaissance de responsabilité; b) des mesures correctives, comme la réexamen ou la modification d’une décision concernant le service fourni, la révision des documents publiés ou la formation des employés; ou c) une indemnisation financière. Les violations des droits de l’information, par exemple, peuvent donner lieu à une combinaison de recours allant des excuses à une indemnisation jusqu’à 5 000£ (Manikis, 2015a).

Même si l’ombudsman parlementaire n’a pas le pouvoir de faire exécuter ses recommandations sur le plan juridique, il semble que la plupart des organismes se conforment à ses recommandations (Manikis, 2013). Il a été indiqué que l’ombudsman est, dans certaines situations, bien placé pour répondre de manière efficace afin d’offrir un recours adéquat en cas de violations (Manikis, 2010b). Néanmoins, comme il s’agit d’un recours administratif non exécutoire, il n’est pas surprenant que le commissaire aux victimes (2015) a conclu que près des trois quarts des victimes qui ont déposé une plainte n’étaient pas satisfaites de la réponse qu’elles ont reçue.

Le fait de laisser l’application des droits de participation à un ombudsman ou au directeur des services aux victimes (Manitoba, Yukon), peut sembler être la seule option viable dans le système juridique canadien, qui est encore guidé par des concepts de pouvoir discrétionnaire incontestable et qui applique la maxime selon laquelle les tiers n’ont pas la qualité pour agir dans les procès et les appels criminels. Toutefois, le système juridique américain a les mêmes racines de common law et est structuré de la même manière avec des impératifs constitutionnels similaires, mais au cours des deux dernières décennies, de nombreuses administrations américaines ont accordé la qualité d’agir aux victimes et ont adopté des recours qui sont exécutoires. De manière générale, dénué de détails et de nuances, l’essentiel de cette évolution importante aux États‑Unis peut se résumer comme suit :

[traduction]

Certaines lois américaines accordent aux victimes la capacité pour agir ou d’être représentées par un procureur ou un autre représentant pour déposer des requêtes devant le tribunal de première instance pour faire valoir leurs droits. Dans d’autres États, les tribunaux extérieurs à la procédure pénale peuvent offrir des possibilités d’application aux victimes. Par exemple, dans certains États, un tribunal administratif peut délivrer un bref de mandamus ordonnant à un organisme de se conformer à la loi. Au niveau fédéral, la Crime Victims’ Rights Act (CVRA) permet aux victimes de faire valoir leurs droits en déposant une requête devant le tribunal de première instance, ainsi qu’un mandamus devant la cour d’appel pour faire respecter la loi. (Manikis, 2015a, p. 183‑184)

Il existe d’innombrables exemples des conséquences pratiques de ces innovations correctives, mais trois exemples suffiront à démontrer que le régime américain protège bien plus les droits des victimes que le régime canadien. En 2006, une victime n’a pas été autorisée à lire sa DV à haute voix à l’audience de détermination de la peine et, après avoir déposé un mandamus, la peine a été annulée afin d’exiger une nouvelle audience de détermination de la peine (Kenna v. U.S. Dist. Court for Cent. Dist. Cal. 2006). En 2011, une victime a contesté une restitution par voie de mandamus au motif que le juge de première instance ne lui avait pas accordé le montant approprié et l’affaire a été renvoyée au juge de première pour recalculer le montant qui tiendrait exactement compte des pertes, de la victime, imputables à l’infraction commise par le défendeur (United States v. Monzel, 2011). Plus récemment, en 2020, le fait de ne pas avoir autorisé la victime de présenter une DV avant d’accepter un plaidoyer de culpabilité a donné lieu à l’annulation de la peine et au renvoi de l’affaire au tribunal de première instance aux fins de réexamen de la question de savoir si le plaidoyer devait encore être accepté (Antoine v. State, 2020).

La plupart des innovations correctives dans les administrations américaines ont eu lieu au cours des 10 à 15 dernières années, et juste avant cette vague de réforme législative et constitutionnelle, le professeur Beloof a fait l’observation suivante, qui s’applique avec grande force à la situation actuelle au Canada :

[traduction]

À la suite des deux premières vagues de travail réussies à l’égard des droits des victimes, d’abord l’adoption de lois sur les droits des victimes, puis l’adoption de modifications aux droits des victimes, une troisième vague est nécessaire pour donner une signification réelle à ces droits. Afin d’être de véritables droits, ils doivent être accompagnés de la qualité d’agir, d’un recours utile et d’un réexamen en tant que droit. Changer la culture juridique est difficile et les mouvements ne surmontent pas tous les obstacles à la fois. Le mouvement des droits des victimes ne fait pas exception. Étant donné que la participation des victimes est devenue plus connue et acceptée, des réalisations plus importantes sont maintenant possibles. La qualité d’agir des victimes, les recours et le réexamen sont maintenant réalisables. Afin que les victimes obtiennent la qualité pour agir, les problèmes relatifs aux droits discrétionnaires, à l’absence de recours et au réexamen discrétionnaire doivent être réglés. (Beloof, 2005, p. 337‑338)