ALLÉGATIONS DE VIOLENCE ENVERS LES ENFANTS LORSQUE LES PARENTS SONT SÉPARÉS : DOCUMENT DE TRAVAIL
2001-FCY-4F
5.0 ENJEUX RELATIFS AUX ALLÉGATIONS DE VIOLENCE ENVERS LES ENFANTS LORSQUE LES PARENTS SONT SÉPARÉS
Les renseignements fournis dans ce rapport proviennent de sources diverses : une analyse documentaire des études parues au Canada et ailleurs, un examen de la législation canadienne en vigueur et de la jurisprudence sur la violence envers les enfants dans des cas où les parents sont séparés, des entrevues avec un nombre limité de professionnels à propos de leur expérience des dossiers d'allégations de violence envers les enfants dans des situations de séparation ou de divorce. D'après ces renseignements, on peut dégager un certain nombre de questions de fond, qui sont présentées dans le présent chapitre selon les catégories générales suivantes :
- (1) questions de fond sur le plan de la recherche;
- (2) questions de fond sur le plan des enquêtes;
- (3) questions de fond sur le plan juridique;
- (4) questions de fond sur le plan des services sociaux;
- (5) questions de fond sur le plan de la sensibilisation et de la formation.
5.1 Questions de fond sur le plan de la recherche
5.1.1 Incidence des fausses allégations de violence envers les enfants
L'absence d'études, particulièrement au Canada, signifie que nous ne connaissons pas la fréquence exacte des allégations de violence où les parents sont séparés ni la proportion de cas où les allégations sont délibérément fausses. Toutefois, d'après des études canadiennes et américaines ainsi que les renseignements obtenus des répondants clés, il semble que les allégations de violence physique ou sexuelle se produisent dans un nombre peu élevé de dossiers où les parents sont séparés. Certaines recherches laissent entendre que la violence est en cause dans moins de deux p. cent des séparations; cependant, d'autres études donnent à penser qu'à certains endroits, on porte des allégations de violence dans cinq à dix p. cent des cas où le droit de visite ou de garde est contesté.
Il s'impose de faire une distinction entre les différents cas suivants :
- fausses allégations faites délibérément ou imprudemment pour obtenir un avantage stratégique dans un conflit sur le droit de visite ou la garde;
- allégations non fondées par suite d'une erreur de bonne foi;
- allégations qui ne peuvent être prouvées de manière décisive.
Dans les écrits et la jurisprudence, il n'y a pas d'uniformité dans les expressions utilisées pour décrire le résultat d'une enquête concernant une allégation de violence envers les enfants. La distinction faite entre des fausses allégations délibérées et des fausses allégations par suite d'une erreur de bonne foi ou de problèmes de santé mentale est très importante, bien que dans de nombreuses études, on ne distingue pas les fausses allégations selon la source. Il existe des différences appréciables dans les effets que ces situations peuvent avoir sur les enfants et les conséquences pour l'accusateur devraient donc être très différentes.
Même si certains écrits et certaines études font ressortir que le taux d'allégations non fondées et d'allégations délibérément fausses est plus élevé dans le cas de parents séparés que dans d'autres situations, les études ainsi que les intervenants clés sont partagés sur cette question. Il semble qu'une majorité des cas d'allégations non fondées ne sont pas le produit d'une manipulation ou d'un mensonge délibéré, mais sont plutôt le résultat d'un manque de communication ou d'erreurs de bonne foi. Ce genre de recherche pourrait être entrepris dans le cadre d'une vaste étude sur la façon dont les tribunaux règlent les conflits sur le droit de visite et la garde des enfants ou dans le cadre d'une étude ciblée.
5.2 Questions de fond sur le plan des enquêtes
5.2.1 Laps de temps nécessaire pour enquêter sur les cas concernant des allégations de violence envers les enfants
Dans la plupart des administrations canadiennes, les agences de protection de l'enfance prennent la direction des enquêtes concernant les allégations de violence envers les enfants. Généralement, l'agence commence par assurer la sécurité immédiate de l'enfant. Si, par exemple, l'allégation est portée contre le père ou la mère ayant le droit de visite, l'agence peut exiger de la personne soupçonnée qu'elle accepte une suspension volontaire du droit de visite ou un accès sous surveillance jusqu'à la conclusion de l'enquête. L'agresseur soupçonné veut généralement montrer qu'il désire collaborer et un avocat peut l'informer que le tribunal va probablement « agir par excès de prudence » au tout début; il sera habituellement d'accord pour restreindre les conditions d'accès à l'enfant. D'autre part, l'agence peut demander au tribunal la suspension du droit de visite accordé au père ou à la mère qui est soupçonnée de violence envers l'enfant en vertu de la législation sur la protection de l'enfance.
Étant donné les ressources limitées dont disposent les agences de protection de l'enfance, il n'est pas surprenant qu'une fois la menace immédiate à la sécurité de l'enfant éliminée par la suspension ou la surveillance des visites, les enquêtes de violence présumée n'ont pas caractère prioritaire et avancent donc souvent lentement. En outre, il s'agit de cas complexes qu'il faut examiner avec soin et les enquêtes peuvent durer des mois. Si l'agence arrive à la conclusion que l'un des parents a commis un acte de violence, la loi confère généralement à l'agence le droit de demander une ordonnance du tribunal pour protéger l'enfant.
Si un travailleur à la protection de l'enfance est convaincu que des actes de violence grave ont été commis, le travailleur, en plus de prendre des mesures de protection, alertera probablement la police pour qu'elle enquête et détermine s'il faut porter des accusations au pénal. Dans de nombreuses collectivités, il existe un « protocole » à observer pour mener une enquête conjointe. Parfois, la mère ou le père séparé qui allègue des actes de violence communiquera directement avec la police. Souvent, dans les cas résultant d'une séparation, une période assez longue s'écoule entre le moment où l'enfant fait sa première « divulgation » présumée et celui où la police est informée et commence son enquête, ce qui rend cette dernière plus difficile. Étant donné la nature du processus pénal, c'est seulement lorsqu'il existe des éléments de preuve très convaincants que des accusations seront portées au pénal, et il est relativement rare d'avoir en même temps des poursuites au pénal et au civil, quoique cela puisse arriver.
Quand on a demandé aux répondants clés combien de temps une enquête de protection de l'enfance pouvait prendre, la plupart (n=5) ont répondu de 14 à 21 jours, quoiqu'un répondant ait déclaré que si un cas fait l'objet d'une poursuite judiciaire, l'enquête peut durer deux ans. Les cas où les parents sont séparés et où des allégations de violence sont portées contre le père ou la mère n'ayant pas la garde sont complexes, mais posent relativement peu de danger immédiat pour un enfant et peuvent prendre plus longtemps que la moyenne à terminer.
5.2.2 Existence de protocoles pour enquêter sur ces cas
La difficulté principale que posent les enquêtes réside probablement dans le fait que certains des enquêteurs, des examinateurs et des autres « experts » qui participent à l'évaluation de ces cas n'ont pas l'expérience, les compétences et les connaissances spécialisées nécessaires pour traiter de manière efficace les cas de violence envers les enfants, pour lesquels on dispose rarement de preuves médicales permettant de corroborer une allégation. La plupart des comportements de l'enfant agressé par un de ses parents sont également caractéristiques de l'enfant souffrant des effets d'une séparation très éprouvante. Certains écrits semblent indiquer que les professionnels de la santé mentale éprouvent de grandes difficultés à déterminer de manière fiable si des jeunes enfants ont été agressés sexuellement à partir de la simple observation d'une entrevue concernant une « divulgation ».
Seulement les sept répondants clés qui étaient des travailleurs chargés de la protection de l'enfance ou des policiers ont été interrogés à propos du processus d'enquête en place pour les allégations de violence envers les enfants (n=7). Aucun des répondants clés n'a dit que leur organisme avait un protocole particulier pour répondre aux allégations de violence envers les enfants liées aux conflits sur le droit de visite et la garde des enfants. Un répondant a déclaré que leur protocole général comportait la mise en garde de ne pas rejeter une allégation seulement parce qu'elle est faite à l'occasion d'un conflit sur le droit de visite et la garde des enfants. La plupart des répondants clés (6) ont déclaré que leurs organismes n'offrent pas de formation particulière sur la dynamique qui entoure les allégations de violence envers les enfants dans les cas où les parents se séparent, quoiqu'un organisme se soit penché sur la question. L'organisation d'un répondant était en train de préparer un cours de formation sur le sujet, et un autre répondant était au courant d'un cours qui avait été récemment abandonné faute de fonds.
5.3 Questions de fond sur le plan juridique
5.3.1 Allégations non fondées : malentendu, fabrication ou déséquilibre mental?
Des circonstances très diverses peuvent amener un des parents à faire une allégation non fondée de violence dans le cas d'une séparation. On peut répartir les allégations non fondées dans les trois catégories suivantes :
- les allégations sont faites de bonne foi par un des parents qui croit que l'agression a eu lieu, cette fausse croyance résultant d'un malentendu ou d'une interprétation erronée des événements par l'accusateur ou d'une méprise de la part du receveur de la plainte;
- les allégations non fondées sont faites délibérément dans un esprit de vengeance ou pour influer sur le cours du procès;
- les allégations non fondées découlent d'un déséquilibre mental de l'accusateur.
Dans certains cas, il peut être difficile de déterminer lequel ou lesquels de ces facteurs sont à l'origine des fausses allégations. Il faut également comprendre que, dans un contexte juridique, il peut arriver que l'allégation soit valide, mais que le juge conclue qu'elle n'a pas été prouvée.
Dans la plupart des cas d'allégations non fondées, celui des parents qui porte l'accusation croit en toute bonne foi, mais de façon erronée, que l'enfant a été victime d'une agression. Par exemple, l'allégation peut découler de l'interprétation erronée des réponses données par une jeune enfant qui, après une visite chez son père, revient le vagin rougi, ou encore d'une méprise quant à un comportement innocent, comme un père ou une mère qui prend un bain avec l'enfant ou qui se dénude en sa présence. Dans la cause de la Colombie-Britannique K.E.T. c. I.H.P.,[49] la mère a commencé à s'inquiéter de la possibilité de violence sexuelle lorsque son enfant de trois ans est revenue « très contrariée »
de chez son père, qui en
avait la garde partagée. L'enfant a signalé qu'elle avait pris une douche avec son père, mais cela n'était pas la cause de ses préoccupations. La mère, qui tentait elle-même de surmonter un traumatisme provoqué par des agressions dont elle avait fait l'objet dans son enfance, a demandé à sa fille si elle avait subi un « mauvais toucher »
de la part de son père, et l'enfant a apparemment réagi en montrant son vagin.
La mère est entré en contact avec les services sociaux et la police, qui ont ouvert une enquête. Le père a immédiatement perdu la garde partagée des deux enfants (la petite fille et son demi-frère plus âgé) et ne disposait plus que d'un droit de visite très limité sous surveillance. La mère craignait sincèrement que les enfants aient été victimes de violence sexuelle; ces derniers étaient à l'évidence très proches de la mère et ont commencé à indiquer aux enquêteurs qu'ils ne voulaient plus voir le père (le beau-père, dans le cas du garçon). Plusieurs professionnels de la santé mentale et plusieurs médecins ont participé à l'évaluation et la majorité d'entre eux ont conclu que les enfants n'avaient pas été agressés sexuellement, bien que le garçon, à l'époque âgé de huit ans, ait fait de vagues « divulgations » selon lesquelles son beau-père avait peut-être touché son pénis lorsqu'il avait trois ou quatre ans.
Au moment où l'affaire a été examinée par les tribunaux, le père n'avait eu quasiment aucun contact avec les enfants pendant un an. Le juge Prowse a conclu que « la mère avait transmis à ses enfants ses préoccupations à propos de la violence sexuelle »
, ce qui expliquait les vagues « divulgations » relatives aux agressions. Le juge a indiqué que la mère n'avait pas « sciemment encouragé ou entraîné les enfants »
à dire qu'ils avaient été agressés, que la mère « estimait sincèrement que ses enfants avaient fait l'objet d'actes de violence sexuelle »
et que ses actes, y compris sa décision de déménager de la Colombie-Britannique en Ontario, étaient « motivés par un souci de protéger ses enfants. »
Le juge a conclu que le père
n'avait pas agressé les enfants sexuellement, même si sa relation avec eux à l'issue du procès était perturbée. Le juge a recommandé des services de conseils pour les parents et les enfants et a conclu que le père ne devait pas avoir de droit de visite pour le garçon, qui refusait à cette époque de le voir. Quant à la petite fille, le père a obtenu le droit de visite, sous supervision (« par excès de prudence »
) pendant les trois premières visites en fin de semaine.
Dans un nombre moindre de cas non fondés[50], les tribunaux concluent que celui des parents qui porte l'accusation a délibérément fait de fausses allégations, comme cela a été le cas dans une cause du Manitoba, où le juge en est arrivé à la conclusion suivante :[51]
De par les éléments de preuve et la façon dont ils ont été présentés, il est indéniable que la mère avait l'intention de punir son mari de l'embarras dans lequel il l'avait plongée. Le seul moyen qu'elle a trouvé pour se venger a été de lui enlever les biens (elle a emporté tous les meubles) et leur fils. Son motif était la vengeance pure et simple… Je conclus qu'elle n'a jamais cru, depuis le moment où elle a porté ses accusations jusqu'à aujourd'hui, que son fils avait été victime de violence.
Dans certains cas, il est évident que celui des parents qui porte l'accusation souffre d'un déséquilibre mental qui le pousse à formuler des allégations non fondées. Parfois, dans ces circonstances, un professionnel de la santé mentale témoignera du déséquilibre de l'accusateur, qui pourrait s'expliquer par des violences dont cette personne aurait elle-même été victime dans son enfance. Par exemple, dans une cause de la Colombie-Britannique, la mère ayant la garde a obtenu que le père perde son droit de visite et a fait à son encontre des allégations de violence sexuelle que la police et les services de protection de l'enfance ont jugées sans fondement après enquête. Le père a obtenu la garde provisoire tandis que la mère réitérait ses allégations devant la presse locale et les tribunaux. La mère a été examinée
par plusieurs professionnels de la santé mentale, dont un psychologue engagé par l'avocat nommé pour représenter l'enfant, qui ont conclu que la mère souffrait d'un « trouble délirant »
. Le juge a annulé le droit de visite de la mère en donnant les précisions suivantes :[52]
Depuis deux ans, la défenderesse [la mère] persiste à alléguer que S. [l'enfant] aurait subi des violences rituelles de la part d'un culte ou d'un groupe occulte. Des enquêtes approfondies ont prouvé que ces allégations étaient non fondées, mais la défenderesse, qui selon le diagnostic établi souffre de trouble délirant, continue d'affirmer que S. a été maltraité.
Dans certains cas, l'état mental de l'accusateur peut altérer sa perception de la réalité; il est donc difficile de déterminer si une allégation non fondée est faite en toute bonne foi, à des fins de manipulation ou en raison d'un déséquilibre mental. Citons à titre d'exemple un très long litige de trois ans qui a eu lieu en Ontario entre deux parents médecins relativement à la garde de leur enfant. La cause reposait sur les allégations de violence sexuelle portées par la mère. Bien que le jeune enfant ait fait certaines « divulgations » de violence sexuelle aux enquêteurs, ces derniers se sont aperçus qu'elles étaient le résultat de l'influence de la mère. Les allégations ont fait l'objet d'une enquête approfondie par des travailleurs chargés de la protection de l'enfance, des policiers et l'équipe
responsable d'enquêter sur les cas présumés de négligence et de violence envers les enfants au Hospital for Sick Children de Toronto, qui ont tous conclu qu'elles étaient non fondées. En revanche, ces allégations avaient été considérées comme valides par certains professionnels de la santé mentale moins expérimentés, dont la thérapeute de la mère, qui avait réalisé sa propre « évaluation » et en avait conclu que l'enfant avait été victime de violence. La juge Janet Wilson a rejeté les allégations et a conclu que la mère était « une personne émotive, parfois irrationnelle… qui avait exagéré, dramatisé et modifié son témoignage pour le rendre conforme à sa perception de la réalité. Cette adaptation peut être consciente, inconsciente ou encore les deux
à la fois. »
[53] L'enfant a passé neuf mois dans une famille d'accueil pendant l'action judiciaire; la garde a été accordée au père, un droit de visite sous surveillance étant octroyé à la mère.
Dans des litiges où le sort des enfants est en jeu, les juges ne suivent habituellement pas la règle ordinaire de l'instance civile, qui consiste à exiger de la partie perdante qu'elle paie au moins une partie des frais judiciaires engagés par la partie qui a gain de cause. En général, aucune ordonnance de paiement des coûts n'est prononcée dans des causes relatives à la garde ou au droit de visite. Néanmoins, si le juge estime qu'un des parents a fait une allégation non fondée dans le but d'acquérir un avantage stratégique lors d'un litige lié à la garde ou au droit de visite, il ordonnera parfois à l'accusateur de payer les dépenses engagées par le père ou la mère injustement accusé d'actes de violence. Ce genre de décision est plus probable si celui des parents qui a porté l'accusation a décidé de porter l'affaire devant les tribunaux après avoir reçu un avis professionnel explicite indiquant que les soupçons de violence étaient non fondés et que cette personne semble avoir inventé de toutes pièces des éléments de preuve.[54]
5.3.2 Enfants faisant de fausses allégations
Comme il a été indiqué ci-dessus, la plupart des cas de fausses allégations découlent d'une interprétation erronée, de la déformation, suggestion ou manipulation des déclarations d'un enfant par le père ou la mère portant l'accusation, voire de leur fabrication pure et simple par cette personne. On a toutefois relevé quelques cas de fausses allégations faites par l'enfant de son propre chef; l'enfant répète les déclarations aux enquêteurs ou même devant le tribunal, mais le juge en arrive à la conclusion que les allégations ont été inventées par l'enfant. Ces causes touchent des enfants plus âgés, le plus souvent des adolescentes ou des pré-adolescentes, qui peuvent être motivés par un désir de manipulation ou par des craintes profondes éveillées par la séparation. Dans certains cas, il est possible que l'un des parents ait subrepticement encouragé l'enfant à faire de fausses allégations. Dans d'autres situations, les fausses allégations peuvent découler du désir d'un enfant de se venger du père qui a abandonné le foyer ou de se débarrasser d'une personne, comme d'un beau-père.[55]
Dans la cause de la Colombie-Britannique G.E.C. c. M.B.A.C.,[56] les parents se sont séparés alors que leurs deux filles étaient très jeunes. Après un premier procès en 1992, au cours duquel la mère avait porté des allégations de violence sexuelle qui n'avaient pu être prouvées, celle-ci avait la garde des deux filles et le père conservait un droit de visite très large. Le litige avait été très éprouvant et les filles étaient suivies par plusieurs conseillers. La plus âgée, en particulier, était très perturbée lorsque le père a commencé à vivre avec une nouvelle amie et a annoncé son intention de se marier avec elle. Environ deux ans après le premier procès, l'aînée, alors âgée de huit ans, a dit à sa
mère que son père avait glissé sa main dans sa culotte jusqu'à son « trou de derrière »
lors d'une visite. La révélation a été communiquée à la police et aux services sociaux et un psychiatre qui avait déjà traité les enfants a effectué une évaluation. Selon les enquêteurs et le psychiatre, l'allégation était non fondée. Le psychiatre, indiquant que l'enfant avait évoqué l'allégation sans émotion et qu'elle ne pouvait décrire le contexte ni donner des précisions, a conclu que l'enfant était l'« instigatrice »
qui tentait de manipuler son père, même si la mère était « tout à fait prête à prendre ce que [l'enfant] racontait pour argent comptant. »
À l'issue d'un procès, en 1995, le juge Newbury a conclu que
l'allégation était non fondée et a attribué la garde au père, la mère ne disposant qu'un droit de visite limité sous supervision. Il a par ailleurs recommandé que les enfants reçoivent des services de conseils. La modification des dispositions concernant la garde ne reposait pas sur une « faute » de l'une des parties, mais plutôt sur l'hostilité et le manque de compétences parentales de la mère et sur le « préjudice psychologique » subi par les enfants alors qu'elles étaient sous la garde de la mère.
À l'évidence, il faut faire très attention de ne pas rejeter indûment les allégations dans les dossiers où l'enfant porte l'allégation, car l'enfant pourrait dire la vérité. En outre, une rétraction de l'enfant ne signifie pas que l'allégation soit fausse : elle pourrait plutôt s'expliquer par une « adaptation » de l'enfant sous la pression de la personne accusée ou d'autres membres de la famille, ou encore par un sentiment de culpabilité ou de honte. Une fausse allégation par un enfant traduit souvent un trouble symptomatique ou émotionnel, qui rend souvent l'intervention d'un conseiller nécessaire.
5.3.3 Effets des allégations non fondées sur les décisions relatives au droit de la famille
Dans la plupart des causes où un juge décide qu'une allégation de violence portée par le père ou la mère ayant la garde est non fondée, la garde demeure confiée à cette personne,[57] même si dans certaines affaires, le juge avertit l'accusateur que les dispositions régissant la garde pourraient être modifiées si la personne persiste à faire des allégations de violence non fondées. Les causes où les juges sont le plus disposés à inverser la garde (ou à mettre fin au droit de visite si l'allégation est faite par la personne ayant ce droit) sont celles où l'accusateur semble souffrir d'un trouble émotionnel qui serait à l'origine de l'allégation ou paraît si hostile envers la personne accusée à tort que les enfants en souffriraient.
À titre d'exemple, mentionnons la décision de l'Ontario de Ross c. Aubertin[58], où une mère a perdu la garde de sa petite fille pour avoir porté des accusations contre le père. Après la séparation et l'établissement d'une garde conjointe, la mère a porté de manière répétée à l'encontre du père des allégations de violence sexuelle et physique, en particulier devant des médecins. Ces derniers n'ont pu trouver de preuves à l'appui des allégations et ont commencé à s'inquiéter de l'effet sur l'enfant d'examens médicaux relativement importuns et des discussions ouvertes de la mère, en présence de l'enfant, concernant ces allégations. Les examinateurs de la clinique d'aide juridique familiale partageaient ces craintes et ont conclu que le père était
plus « axé sur l'enfant et enclin à promouvoir une relation constructive avec les deux parents »
. L'avocat de l'enfant s'est déclaré « hautement préoccupé par le [manque] de perspicacité d'une mère qui porte continuellement de fausses allégations et qui ne se rend apparemment pas compte du risque que cette attitude comporte pour l'enfant »
. Le juge a enlevé le droit de garde à la mère et a attribué la garde au père, tout en garantissant un droit de visite raisonnable à la mère.
Dans certains cas, c'est le père ou la mère qui a le droit de visite qui fait des allégations non fondées de violence. Dans l'affaire D.F. c. A.F.,[59] après la séparation des parents, la mère, qui se sentait très stressée, a consenti la garde au père. Lors des années qui ont suivi, la mère a porté plusieurs plaintes non fondées aux autorités de la protection de l'enfance et à la police concernant des allégations de violence par le père. De graves difficultés ont surgi à l'occasion des visites. Une fois, la mère a attaqué la nouvelle amie du père devant l'enfant et a demandé à ce dernier de l'aider. La mère a fait l'objet de poursuites au criminel et voulait que le garçon témoigne dans cette affaire, ce qui a été évité grâce au procureur de la Couronne. La mère a à maintes reprises tenté de mêler l'enfant à ses disputes avec le père, en lui montrant tous les documents juridiques et en lui posant des questions sur ses entretiens avec l'avocat de l'enfant. Dans les poursuites relatives au droit de la famille, le juge a employé le mot « harcèlement » pour qualifier la conduite de la mère vis-à-vis du père et de la belle-mère et a fait état de sa préoccupation relativement à son comportement « scandaleux » et au fait qu'elle ne reconnaissait pas le dommage que représentaient pour l'enfant les enquêtes répétées provoquées par ses accusations. Le juge a néanmoins autorisé la mère à rendre visite à l'enfant un samedi sur deux, sous la supervision de la grand-mère maternelle, et a ordonné que l'enfant reçoive des services de conseils.
Les évaluations et les enquêtes importunes faisant suite aux allégations répétées de parents qui ne jouissent pas de la garde peuvent causer un dommage réel aux enfants. On constate parfois à cet égard une indifférence pour les intérêts des enfants et une tendance à la manipulation. Dans ces circonstances, le juge peut suspendre le droit de visite à celui des parents qui porte les accusations.[60]
Dans l'ensemble, les juges ne semblent pas vouloir réduire les droits parentaux de ceux qui font des « erreurs de bonne foi » aboutissant à des allégations qui ne peuvent être prouvées devant les tribunaux, à condition que les relations qu'ils entretiennent avec l'enfant ne posent pas de risque pour le bien-être de ce dernier. En revanche, le tribunal pourrait tenir compte du fait que le père ou la mère qui porte des accusations semble souffrir d'un déséquilibre mental ou que cette personne veut sciemment nuire à la relation de l'enfant avec l'accusé.
Une étude de la jurisprudence canadienne en matière de droit de la famille montre que dans 89 causes où le tribunal a trouvé que les allégations étaient clairement non fondées, la partie accusatrice a perdu la garde des enfants dans 18 causes, quoique cela soit parfois lié à des motifs autres que l'allégation de violence. Dans une cause seulement, la personne qui a fait la fausse allégation a été accusée d'une infraction pénale - méfait - et condamnée en relation avec la fausse allégation. Dans trois autres causes, les accusateurs ont été cités pour outrage au tribunal, habituellement en relation avec le refus du droit de visite. Dans 46 causes où on a constaté des actes de violence, le juge a refusé le droit de visite dans 21 affaires, il l'a accordé sous surveillance dans 16 affaires et, dans trois affaires, l'agresseur présumé a dû répondre à des accusations au pénal.
La jurisprudence semble indiquer que dans le cas d'une allégation de violence, la plupart des juges ont tendance à « agir par excès de prudence »
en attendant une audition en bonne et due forme de l'affaire. Les juges sont généralement prêts à suspendre à ce stade préliminaire le droit de visite sans surveillance s'il existe des accusations de violence. Il semble néanmoins qu'ils agissent ainsi en raison du principe fondamental consistant à protéger au mieux l'intérêt de l'enfant. Comme l'expliquent les décisions écrites, les juges comprennent l'injustice apparente que peut représenter pour un père ou une mère ce genre de décision, mais le tribunal ne peut laisser la compassion à cet égard interférer avec le risque de préjudice et les préoccupations relatives à l'intérêt supérieur de l'enfant.
5.3.4 Traitement des résultats incertains
Finalement, il arrive parfois que les juges, les professionnels et les parents doivent accepter qu'il existe des soupçons raisonnables de violence, mais pas de preuves suffisantes pour convaincre le tribunal. Il faudra dans certaines circonstances qu'ils apprennent à vivre dans le doute; ils pourront souvent prendre des mesures pour protéger l'enfant contre la possibilité de toute violence ultérieure, sans toutefois interdire le contact avec l'agresseur présumé. À cet effet, on pourra, du moins pendant une certaine période, imposer la surveillance des visites, qui se dérouleront tout d'abord dans un endroit neutre, puis peut-être à la maison, si le ou la surveillante s'est engagée envers le bien-être de l'enfant.[61] Dans certains cas, les préoccupations touchant la violence physique ou même sexuelle peuvent résulter d'un rôle qui n'est pas bien joué par les parents plutôt que d'un désir de tirer parti de l'enfant; la solution pourrait alors consister à exiger de l'adulte concerné qu'il s'éduque ou qu'il ait recours à des services de conseils.[62] Les plans à long terme visant à assurer la sécurité des enfants peuvent comprendre une thérapie par un professionnel qualifié neutre, qui sera en mesure d'aider l'enfant à surmonter les troubles causés par le litige et de détecter toute violence éventuelle.[63] Il pourrait également y avoir un tarif pour les avocats ou autres défenseurs d'enfants pour tenter d'assurer la surveillance continuelle de ces cas. Il sera parfois utile d'éduquer l'enfant sur la notion de « toucher déplacé » et sur le besoin de dénoncer certains actes, tout en tenant compte du fait que certains enfants sont trop jeunes ou n'ont pas la capacité nécessaire pour se protéger.
Dans certaines causes, le juge décide que l'allégation de violence est non fondée, mais le père ou la mère qui a porté l'accusation rejette cette conclusion et préfère « disparaître » plutôt que d'exposer l'enfant à la possibilité d'autres violences. Il arrive que le conjoint ravisseur ait raison et que le juge se soit trompé en concluant que la violence n'avait pas eu lieu.[64] Par ailleurs, le conjoint ravisseur peut également être dans le tort et souffrir d'un déséquilibre mental de quelque sorte, qui pourrait découler de violences subies par cette personne pendant l'enfance.
5.3.5 Témoignage des enfants dans les causes relatives au droit de la famille - la recevabilité de la preuve par ouï-dire
Il est très rare que les enfants témoignent dans les causes relatives au droit de la famille, car les avocats et les juges reconnaissent le stress émotionnel que l'on imposerait à l'enfant en le forçant à témoigner devant les tribunaux et à « prendre parti » publiquement pour l'un des parents.
Dans la plupart des causes, les juges reçoivent la preuve par ouï-dire concernant les divulgations extrajudiciaires faites par l'enfant à des parents, à des professionnels comme des travailleurs sociaux ou des policiers ou à d'autres personnes à propos des allégations de violence. Il arrive qu'une des parties présente une bande-vidéo d'une entrevue réalisée avec l'enfant dans le cadre de l'enquête,[65] même si ce genre de preuve n'est pas nécessaire pour que le tribunal entende les déclarations extrajudiciaires de l'enfant. Il y a relativement peu de causes relatives au droit de la famille où l'on a discuté le fondement juridique de la réception d'une preuve par ouï-dire. Les décisions qui portent sur ce sujet citent généralement la décision de la Cour suprême du Canada dans la cause R. c. Khan[66] et sa référence au principe général de la réception de la preuve par ouï-dire s'il est « nécessaire » d'admettre une telle preuve et si celle-ci est jugée « fiable ». On tient souvent compte des circonstances entourant la divulgation pour décider de sa fiabilité, alors que la notion de « nécessité » peut découler du désir d'éviter à l'enfant tout préjudice moral qu'il pourrait subir s'il devait témoigner devant les tribunaux ou du fait que l'enfant est considéré trop jeune pour être un témoin habile à témoigner devant les tribunaux.[67]
Dans certaines causes, le juge recevra des témoignages concernant la divulgation extrajudiciaire faite par l'enfant, non pas pour la validité de celle-ci, mais comme preuve de l'état d'esprit de l'enfant. Par exemple, le juge peut estimer que la divulgation révèle une peur de l'agresseur soupçonné.[68] Si une personne témoigne en qualité d'« expert », ce que l'enfant lui a dit peut également être admissible comme fondement de son témoignage d'opinion. Il va de soi que les juges chargés de causes relatives au droit de la famille sont très conscients des conséquences des décisions qu'ils prennent relativement à des allégations de violence; ils font donc généralement preuve de souplesse quant aux questions relatives à la preuve, de manière à recevoir le maximum de renseignements fiables avant de prendre une décision de cette importance.
Cela dit, dans quelques causes, le tribunal a déclaré inadmissibles les déclarations faites par des enfants à des parents mêlés à des conflits sur le droit de visite ou la garde des enfants, car elles ne satisfaisaient pas à l'exigence Khan relative à la « fiabilité ». Il était en effet possible que les enfants aient dit ce qu'ils estimaient que le père ou la mère voulait entendre.[69]
Bien que ceci soit rare, les enfants témoignent parfois dans des causes relatives au droit de la famille touchant des allégations de violence. Les juges tiennent dûment compte de leur témoignage, tout en sachant que ces enfants peuvent avoir été manipulés, voire endoctrinés, en vue d'une allégation non fondée ou, s'ils reviennent sur une allégation antérieure, avoir fait l'objet de pressions pour qu'ils fassent cette fausse rétractation.[70]
5.3.6 Le rôle des examinateurs et des experts
Les examinateurs, les professionnels de la santé mentale ainsi que les enquêteurs de la police et de la protection de l'enfance jouent un rôle important dans la résolution des dossiers comportant des allégations de violence; le traitement de ces dossiers se fait presque toujours avec l'intervention d'« experts ». En fait, il est très probable que plusieurs examinateurs et enquêteurs professionnels interviennent dans les cas où sont portées de graves allégations de violence.
Une des difficultés dans ce domaine réside en le fait que certains des enquêteurs, des examinateurs et des autres « experts » qui participent à l'évaluation de ces cas n'ont pas l'expérience, les compétences et les connaissances spécialisées requises pour traiter de manière efficace ces cas de violence envers les enfants, pour lesquels on dispose rarement de preuves médicales permettant de corroborer une allégation. La plupart des comportements de l'enfant agressé par un de ses parents sont également propres à l'enfant souffrant des effets d'une séparation hautement conflictuelle. Certains écrits semblent indiquer que les professionnels de la santé mentale éprouvent de fortes difficultés à évaluer de manière fiable si de jeunes enfants ont été agressés sexuellement à partir de la simple observation d'une entrevue concernant une « divulgation ».[71]
Dans la pratique, les causes seront probablement réglées sans procès si les enquêteurs et les autres experts ont évalué le bien-fondé d'une allégation. Les parents auront moins tendance à vouloir porter l'affaire devant les tribunaux si tous les témoignages des « experts » appuient la position de l'autre partie. Lorsque l'allégation initiale découle d'une erreur de bonne foi, le parent qui a porté l'accusation peut être soulagé du fait que les enquêteurs ou les examinateurs ont déterminé que l'allégation est non fondée et que l'enfant n'a pas été agressé; il est moins probable que de tels dossiers se concluent par un procès. En revanche, les dossiers qui ont le plus de chances d'aboutir à un procès sont les cas où il existe une différence d'opinion entre des enquêteurs et des professionnels de la santé mentale, ainsi que ceux où un des parents se montre particulièrement hostile ou semble souffrir d'un déséquilibre émotionnel et rejette l'opinion des experts.
Les juges des causes relatives au droit de la famille hésitent à prendre des décisions contraires à l'opinion unanime des enquêteurs et des examinateurs, mais ils le feront si une critique sérieuse démontre que les « experts » manquent de compétence ou font preuve de partialité. Les avocats jouent un rôle important, car ils peuvent être amenés à contester l'opinion de certains « experts » devant les tribunaux.[72]
Dans certains cas, il y a divergence d'opinion entre les experts sur la validité de l'allégation de violence; le juge doit alors décider quelle opinion suivre. L'avocat peut parfois persuader un juge de rejeter une opinion en raison du manque de connaissances spécialisées dans l'évaluation de violences sexuelles envers les enfants ou à cause de la partialité affichée. La partialité d'un examinateur ou d'un enquêteur peut être évidente de par l'« alliance » qui s'est établie entre le professionnel et un des parents (souvent celui qui porte l'accusation et qui entre le premier en contact avec un enquêteur) et le traitement injuste et peu professionnel réservé à l'autre partie (qui est souvent l'accusé).[73] Dans quelques-uns des dossiers examinés, l'« expert » qui avance une opinion a une relation thérapeutique avec l'un des parents et n'est donc pas en position de se prononcer de manière impartiale sur la validité d'une allégation de violence.[74]
Dans certaines causes, le juge doit évaluer la méthode utilisée par chaque expert. Par exemple dans K.M.W. c. D.D.W.,[75] le juge a rejeté les allégations de la mère selon lesquelles le père avait un comportement sexuel inapproprié et a attribué à ce dernier un droit de visite sans surveillance de son enfant de quatre ans. Le juge a sévèrement critiqué une évaluation de six heures réalisée en une seule journée par un psychologue, la qualifiant d'« évaluation-éclair »
. Le psychologue, choisi avec l'accord des deux parties, avait posé des questions tendancieuses sur la divulgation à l'enfant et s'est fondé sur sa propre interprétation des jeux de l'enfant avec une poupée dotée d'organes sexuels pour en arriver à la conclusion que la
violence avait effectivement eu lieu. Le psychologue n'a pas relevé le fait que l'enfant avait également indiqué que sa mère avait embrassé ses organes génitaux. Le juge a préféré l'opinion d'une travailleuse chargée de la protection de l'enfance, qui s'est conformée au protocole d'enquête de l'Institut pour la prévention de l'enfance maltraitée et a rejeté l'allégation de violence. Même si le juge n'a pas officiellement reconnu cette travailleuse comme une « experte » professionnellement qualifiée pour donner un « témoignage d'opinion », il a accordé « beaucoup de poids à son témoignage »
, en signalant qu'elle avait 14 ans d'expérience. Son entretien avec l'enfant, mené conformément au protocole de l'Institut, évitait l'usage de questions tendancieuses et
comportait des questions visant à vérifier la validité des allégations. La travailleuse a conclu que l'enfant était « très influençable »
et qu'elle avait été exposée à du « matériel sexuel inapproprié »
à la télévision, chez sa mère. La « divulgation »
initiale faite par l'enfant à sa mère, selon laquelle son père aurait touché son « trou »
, pouvait être liée à un érythème fessier dont souffrait l'enfant à cette époque.
Un père ou une mère peut demander à un expert de critiquer le travail d'un examinateur désigné par le tribunal ou d'un enquêteur des services de protection de l'enfance afin de convaincre le tribunal que la première évaluation n'a pas été réalisée en bonne et due forme. Dans M.T. c. J.T.,[76] les parents s'affrontaient dans un litige sur la garde de l'enfant et la mère affirmait que l'enfant avait été agressé sexuellement par le père. Le pédopsychiatre désigné par le tribunal pour réaliser une évaluation n'était pas spécialisé dans la violence sexuelle envers les enfants. Cet examinateur n'a rencontré l'enfant qu'une fois et, lorsque l'enfant lui a révélé que le père lui avait fait « quelque chose de mal »
, il n'a pas
exploré ce point plus à fond. Il a conclu que l'enfant n'avait pas subi de violence sexuelle, s'appuyant sur le fait qu'elle semblait jouer avec entrain avec son père pendant une séance d'observation et parlait en bons termes de son père. Après cette évaluation, l'agence de protection de l'enfance a effectué sa propre évaluation et deux psychologues spécialisés dans les enquêtes sur les violences sexuelles envers les enfants ont été choisis pour critiquer la première évaluation. Il est apparu clairement que l'enfant avait peur de rester seule avec son père. Lors du procès en matière de droit de la famille, le juge était convaincu que la première évaluation était insatisfaisante et a conclu que le père avait touché l'enfant de manière inacceptable. Le père a reçu un droit de visite limité sous surveillance
professionnelle.
5.3.7 Faut-il des recours judiciaires plus rigoureux pour empêcher les fausses allégations?
Une personne qui fait sciemment une fausse allégation de violence sexuelle est susceptible de commettre un certain nombre d'infractions prévues au Code criminel, mais il n'y a en fait presque aucun cas connu de poursuites engagées pour ce motif au Canada dans le cadre d'une séparation des parents. Une personne qui fait sciemment une fausse déclaration à un policier en accusant une autre personne d'avoir commis un acte criminel (y compris la violence envers un enfant) commet l'infraction de méfait public, en contravention de l'article 140 du Code. Si une personne fait une fausse allégation et témoigne dans une poursuite au pénal ou au civil qui a été engagée par suite de cette allégation, d'autres infractions seraient commises, y compris le parjure (en donnant un faux témoignage sous serment, article 131 ou par affidavit, article 138). Si le dénonciateur arrive à convaincre ou à tromper un enfant ou une autre personne afin d'obtenir une fausse déclaration, cet acte sera considéré comme une entrave à la justice (article 139).
La difficulté rencontrée en portant une de ces accusations réside dans le fait que la poursuite peut être gagnée seulement si l'on peut établir hors de tout doute raisonnable que la déclaration était fausse et que l'auteur de la déclaration savait qu'elle était fausse. La défense de l'auteur d'une fausse déclaration est « qu'il y croyait sincèrement »au moment de sa déclaration, même si sa croyance n'était pas raisonnable.
On a demandé aux répondants s'ils pensaient que le problème de fausses allégations délibérées de violence envers les enfants nécessitait un recours judiciaire plus rigoureux que celui qui existe actuellement. Les répondants ont dit non d'une façon presque unanime (12 sur 14). Un répondant a indiqué : « vous êtes dans une situation très « émotive » et cherchez à la redresser au moyen d'une sanction pénale - cela ne va pas fonctionner »
. Certains répondants pensent que les dispositions législatives appropriées existent déjà mais qu'elles ne sont pas utilisées. Un répondant clé a déclaré que « ce recours existe si nous voulons porter des accusations, mais la police et les agences de protection de l'enfance agissent au mieux des intérêts de
l'unité familiale et utilisent d'autres ressources »
. Un répondant croit que l'entrave à la justice est une accusation plus large et donc d'une plus grande utilité pour les procureurs que si l'on édictait une disposition législative pour créer une infraction précise relative aux fausses allégations liées aux conflits sur le droit de visite et la garde des enfants. Deux répondants clés pensent que les peines pourraient être plus lourdes dans ces cas.
5.3.8 Est-ce que des recours judiciaires plus rigoureux dissuaderaient les gens de signaler les véritables cas de violence?
Certains avocats et défendeurs des femmes s'inquiètent du fait que l'accusateur pourrait être « puni » par le tribunal si l'allégation de violence qu'il ou elle a portée est rejetée par le juge.[77] Ils craignent notamment qu'une mère ayant la garde des enfants la perde si elle fait contre le père jouissant du droit de visite une allégation de violence qui ne peut être prouvée. Dans certaines causes connues relatives au droit de la famille, le juge a suggéré qu'une allégation non fondée suffisait à blesser l'enfant et que l'accusateur ayant la garde devrait de ce fait perdre le droit de garde. Citons à titre d'exemple les commentaires fait par le juge d'une cause en Ontario :[78]
J'estime également que si les allégations de violence sont finalement jugées non fondées, le fait que le père ou la mère les ait soulevées constitue en soi l'abus le plus grave commis par cette personne à l'encontre de l'enfant, car il nuit ou pourrait nuire aux relations futures entre l'enfant et l'accusé désormais déclaré innocent.
Il est compréhensible de s'inquiéter que ce genre de réponse du système juridique puisse décourager les parents de soulever des préoccupations valides de violence de peur qu'ils ne puissent les prouver. Certains craignent également que les parents qui font des allégations valides mais non prouvées devant les tribunaux pourraient être injustement punis pour avoir porté ces allégations à l'attention des autorités.
Même si ces préoccupations sont légitimes, il semble que la plupart des juges adoptent une démarche sensible et contextuelle face à de telles affaires. Lorsqu'une allégation de violence est rejetée par un juge, la mesure la plus courante est alors d'effectuer une évaluation fondée sur l'intérêt supérieur de l'enfant, en tenant compte du motif qui a poussé l'accusateur à faire cette allégation, de la réaction des enfants à l'allégation et de la capacité de l'accusateur à conserver des rapports constructifs avec l'enfant et la personne accusée.
Quand on leur a demandé s'ils étaient préoccupés à l'idée que des sanctions judiciaires plus fortes contre les personnes faisant de fausses allégations pourraient décourager les signalements fondés de violence, la moitié des répondants clés ont dit que oui, il y avait un risque, et l'autre moitié ont dit que non, cela ne ferait aucune différence. Un répondant clé a soutenu « vous allez éliminer les gens qui soupçonnent que quelque chose s'est produit mais qui n'ont aucune preuve »
. Un autre a répondu « non, en autant que le libellé de la sanction détermine clairement qu'elle s'applique seulement dans le cas d'allégations faites avec malveillance »
.
5.3.9 Recherche d'un équilibre entre les droits des enfants et ceux des parents
L'examen de la jurisprudence en matière de droit de la famille laisse penser que même si les juges sont sensibles aux droits des parents accusés, ces droits ont une importance secondaire par rapport à l'intérêt supérieur de l'enfant. De plus, les juges ne semblent pas vouloir réduire les droits parentaux de ceux qui font une erreur de bonne foi se traduisant par des allégations non fondées. Apparemment, dans l'ensemble, les juges ne modifient pas les dispositions concernant la garde pour « punir » les parents accusateurs ayant la garde qui ont porté des allégations non fondées. En revanche, le tribunal pourrait tenir compte du fait que le père ou la mère qui porte des accusations semble souffrir d'un déséquilibre mental ou que cette personne veut sciemment nuire à la relation de l'enfant avec l'accusé.
Il semble également qu'une grande importance soit accordée à l'intérêt supérieur de l'enfant lors des décisions concernant les témoignages. Il est rare que les enfants témoignent dans les causes relatives au droit de la famille, à cause du stress émotionnel qu'on leur imposerait en les forçant à témoigner devant les tribunaux et à « prendre parti » publiquement pour l'un des parents. Le plus souvent, les juges préfèrent recevoir la preuve par ouï-dire sur les divulgations extrajudiciaires faites par l'enfant à des parents, à des professionnels comme des travailleurs sociaux ou des policiers ou à d'autres personnes à propos des allégations de violence. Il arrive qu'une des parties présente une bande-vidéo d'une entrevue réalisée avec l'enfant dans le cadre de l'enquête.
Lorsqu'une allégation de violence est faite, la sécurité de l'enfant est la préoccupation première, mais il est aussi reconnu que cela semble mieux se passer pour l'enfant (s'il n'y a pas eu de violence) si des rapports sont maintenus avec le père et la mère dans un climat de collaboration (Wallerstein et Kelly, 1980; Maccoby et Mnookin, 1992). L'accès sous surveillance est une stratégie pour maintenir les liens entre le père ou la mère accusée et un enfant tout en protégeant l'enfant contre des sévices physiques ou sexuels. Une personne tel qu'un travailleur chargé de la protection de l'enfance, un bénévole ou un membre de la famille peut assurer la surveillance ou celle-ci peut se faire par l'intermédiaire d'un programme administré par une agence de service social ou un centre de visites. Une variété de services peut être offerte par un centre ou un programme, y compris l'échange sous surveillance, les visites sur place sous surveillance, les visites ailleurs sous surveillance et la supervision à travers des miroirs ou par des caméras. Le centre ou le programme peut également proposer des évaluations judiciaires ainsi que des interventions thérapeutiques.
Le droit des parents accusés de voir leur enfant est probablement un des domaines où l'on peut le plus s'attendre à des difficultés et à des désaccords. On a posé à tous les répondants clés des questions sur les restrictions au droit de visite lors des enquêtes. Quand on leur a demandé si les droits d'accès de parents n'ayant pas la garde des enfants avaient été refusés lors d'enquêtes relatives à des violences envers les enfants, les réponses n'ont pas été unanimes. La moitié des répondants ont déclaré que les droits de visite ont été refusés ou limités pendant l'enquête. Trois répondants ont signalé que les droits de visite pourraient être refusés pendant « une certaine période »
et trois répondants ont répondu que non ou qu'ils ne savaient pas.
Presque tous les répondants (treize) connaissaient l'existence dans leurs administrations des services de visites sous surveillance. Les répondants ont déclaré que les travailleurs des agences de protection de l'enfance, les travailleurs engagés par contrat, les travailleurs auprès des tribunaux, les membres de la famille, les auxiliaires familiales et la collectivité fournissent un service de surveillance. Un répondant clé connaissait l'existence d'un centre d'accueil de visites surveillées financé par le gouvernement ou par les parties.
5.4 Questions de fond sur le plan des services sociaux
5.4.1 Le rôle des thérapeutes et des conseillers en matière de fausses allégations
Il est indéniable que, dans certains cas, un thérapeute, un conseiller ou un autre « professionnel de l'aide » (comme un travailleur dans un refuge)[79] joue un rôle central dans la présentation d'une fausse allégation de violence envers les enfants. Il arrive en effet que ces professionnels amènent le père ou la mère qui porte l'accusation à interpréter faussement les déclarations ou le comportement de l'enfant. Dans la plupart des cas, ces personnes agissent de manière inappropriée du point de vue professionnel, hors de leur spécialité.
Dans M.K. c. P.M.,[80] la mère alléguait que le père avait agressé sexuellement leur fille de six ans. Les enquêteurs des services de protection de l'enfance, de la police et des services médicaux spécialisés avaient tous conclu que les allégations étaient non fondées et que les « divulgations de l'enfant étaient le résultat des tentatives de manipulation et des suggestions faites par la mère auprès de l'enfant »
. Deux professionnels de la santé mentale ont toutefois témoigné à l'appui des allégations de la mère. Les deux avaient eu des rapports thérapeutiques avec la mère, l'un pendant plus de deux ans, et ni l'un ni l'autre n'avait examiné l'enfant ou le père. Ils se sont néanmoins présentés devant le tribunal pour critiquer
le travail des examinateurs et enquêteurs indépendants et pour donner leur « opinion professionnelle » selon laquelle la mère n'avait rien suggéré à l'enfant, que ce soit « consciemment ou inconsciemment »
. En rejetant leur témoignage, la juge Janet Wilson a fait le commentaire suivant :
Fournir des conseils thérapeutiques et formuler une opinion d'expert sont deux fonctions professionnelles très différentes… le contact thérapeutique [avec un des parents] peut compliquer singulièrement l'exécution par un expert d'une évaluation neutre et équilibrée d'un dossier. Le témoignage de l'expert… pourrait ne pas être très utile, à moins qu'il ne soit lié à la prestation même des services de conseils.
À l'évidence, le thérapeute d'un des parents se trouve dans une position délicate s'il se présente devant le tribunal et témoigne sur l'état de l'enfant. La situation est tout aussi problématique, quoique moins évidente, si le thérapeute a encouragé l'un des parents à faire une allégation non fondée. Dans certaines causes liées à des allégations de violence, les tribunaux ont ordonné au thérapeute de celui des parents qui a porté l'accusation de divulguer les dossiers liés à la thérapie pour qu'ils puissent éventuellement être utilisés dans une cause liée à la garde d'enfants.[81]
Dans certains cas, le thérapeute de l'enfant a établi une « alliance » inappropriée avec l'un des parents en étayant, voire en provoquant des allégations non fondées de violence. Dans D.A.B. c. J.J.K.[82], les parents étaient en désaccord constant à propos du droit de visite pour leur enfant âgé de quatre ans. En particulier, la mère craignait que le père consomme de l'alcool pendant les visites. Elle a informé la police et les travailleurs chargés de la protection de l'enfance que l'enfant lui avait dit : « papa a fait pipi dans ma bouche »
et « papa m'a donné un coup de poing »
. Les enquêteurs ont eu trois entrevues avec l'enfant, qui ne s'est pas montré très expansif et n'a fait aucune divulgation. À la
suite des déclarations de la mère, l'enfant a commencé à recevoir des services de conseils et la mère a interdit les visites.
Après avoir passé plusieurs mois sans voir son fils, le père a intenté une action en justice pour obtenir le droit de visite. Dès que la mère a reçu les documents judiciaires, elle a de nouveau communiqué avec les autorités de protection de l'enfant pour leur indiquer que son fils était prêt à parler. Une entrevue enregistrée sur bande magnétoscopique a été réalisée par l'agence de protection de l'enfance, en présence de la mère et sous la direction du thérapeute. Celui-ci a posé de nombreuses questions tendancieuses à l'enfant, qui n'a pu fournir aucun détail contextuel ni expliquer ce qui s'était passé avant ou après l'abus dénoncé. À un moment de l'entrevue, l'enfant a dit à sa mère : « Tu m'as dit que c'était papa qui avait fait ça. »
Il a plus tard
ajouté : « Il n'a rien fait d'autre, pas vrai, maman? »
Tout au long de l'entrevue, le thérapeute présente clairement la mère comme un symbole de bonté et le père comme une source de problèmes, alors même que l'enfant déclare sincèrement que le père est un étranger, car il ne l'a pas vu depuis près de huit mois.
Le juge Benotto a rejeté les allégations de violence et a imposé un calendrier de visites commençant par de courtes visites et passant progressivement à des visites se prolongeant jusqu'au lendemain. Le juge estimait que la mère avait entraîné le garçon à faire des « divulgations ». Il a aussi sévèrement critiqué la thérapeute de l'enfant, qui avait témoigné au procès en recommandant l'interdiction du droit de visite, bien qu'elle n'ait jamais rencontré le père ou tout autre membre de sa famille. La thérapeute avait dit à la mère que le tribunal n'imposerait aucune évaluation indépendante et se fierait entièrement à son opinion de thérapeute. Le juge a critiqué la thérapeute pour son « manque d'objectivité »
et sa « conception totalement erronée… des
rôles respectifs du thérapeute, de l'enquêteur et de l'examinateur »
.
Dans quelques cas où l'incompétence et la partialité professionnelle sont très graves et évidentes (comme le décrit la section 3.2), les professionnels peuvent être tenus civilement responsables de leur comportement. Plus généralement, leur participation n'entraîne aucune responsabilité, mais elle peut imposer des souffrances morales et des dépenses à la famille.
Il semblerait que la plupart des professionnels qui travaillent sur des dossiers de violence sont conscients de leur complexité. Ils auront parfois des différences d'opinion légitimes sur le bien-fondé de l'allégation. De surcroît, conformément à leur mandat, certains d'entre eux ont le rôle légitime de soutenir, voire de défendre, un enfant ou celui des parents qui est accusé. Mais on peut toutefois être également en présence de professionnels qui ont des « intentions préétablies » du point de vue psychologique ou politique et d'autres qui se retrouvent « pris au piège », sur le plan professionnel ou d'un point de vue plus personnel, de façon tout à fait inappropriée, dans les vies de leurs clients.
5.4.2 Est-ce que les ressources affectées au droit de visite sous surveillance sont suffisantes?
Les renseignements recueillis lors de l'analyse documentaire, qui reposait malheureusement sur des études réalisées en grande partie dans d'autres pays, indiquent que les ressources allouées à la surveillance du droit de visite ne suffisent pas aux besoins. Selon une étude américaine par Pearson et Thoennes (1998), la majorité des surveillances de visite sont faites par des travailleurs d'agences spécialisés en service social individualisé, qui manquent de temps pour surveiller les visites ordonnées par les tribunaux. Les administrateurs d'agence ont exprimé un besoin pour des visites faites dans un environnement en dehors des bureaux, en soirée et les fins de semaine. Les juges interrogés ont dit que l'on manquait de ressources pour les visites sous surveillance. Deux tiers des administrateurs de programmes de visites interrogés ont cité le manque de fonds comme un problème majeur.
Quand on a demandé aux répondants clés si les services actuels de visites sous surveillance étaient appropriés, seulement deux sur quatorze ont répondu oui. La moitié des répondants ont soutenu qu'il n'y avait pas assez de ressources et que les services financés par l'utilisateur étaient trop chers et donc inaccessibles pour beaucoup de familles. Un répondant a mentionné le besoin de surveillance après les heures de travail (c.-à-d., les soirs et les fins de semaine); un deuxième commentaire indiquait que les tribunaux devaient définir leurs attentes et les surveillants posséder les compétences voulues; un autre signalait le besoin de normaliser les services de visites sous surveillance.
5.4.3 Est-ce que les travailleurs s'occupant du droit de visite sous surveillance devraient fournir des services d'évaluation et de traitement?
Les écrits montrent certes qu'il y a consensus sur le besoin de services d'évaluation et de traitement, mais il existe une controverse quant à savoir qui doit se charger de la prestation de ces services. Selon l'étude de Pearson et Thoennes (1998), la plupart des juges et des administrateurs du tribunal (86 p. 100) ont souligné qu'il était « très important »
ou « plutôt important »
que le surveillant donne sa recommandation au tribunal sur la validité de l'allégation qui a conduit au renvoi. Cela aide en effet le tribunal à déterminer les arrangements convenables pour la garde et le droit de visite. Les surveillants affectés aux visites ont également déclaré qu'ils aimeraient jouer un rôle plus actif en donnant au tribunal leurs commentaires sur les familles (80 p. 100) et en proposant des modèles de comportement
valables de rapports parents-enfants (60 p. 100). Les directeurs de programme ont exprimé les préoccupations suivantes au sujet des surveillants ayant un rôle d'évaluation :
- la compétence des surveillants pour faire des recommandations auprès des tribunaux au sujet du droit de visite ou de la garde des enfants;
- la crainte qu'ils perdraient leur neutralité perçue et de cette façon diminueraient leur capacité à traiter les parents d'une manière efficace;
- les questions concernant leur responsabilité.
Des préoccupations de même nature ont été soulevées en Angleterre et au Pays de Galles (Furniss, 1998), où une controverse a actuellement lieu sur la nécessité d'évaluer les centres, de leur donner une forme plus définitive et d'améliorer la formation et les compétences du personnel plutôt que d'accroître la surveillance par des organismes bénévoles. Il est reconnu que l'évaluation des risques est davantage la responsabilité des professionnels travaillant avec les familles que des bénévoles non formés.
5.4.4 Augmentation des coûts pour les dossiers portant sur des allégations de violence
Étant donné la complexité des dossiers touchant des allégations de violence dans les cas où les parents sont séparés, il n'est pas surprenant que le traitement de ces dossiers soit parfois très coûteux. Parmi les nombreux facteurs qui contribuent à l'augmentation des coûts pour toutes les parties concernées, mentionnons :
- les enquêtes plus longues et plus approfondies effectuées par les services de protection de l'enfance et par la police;
- les services d'évaluation;
- les frais juridiques;
- la rémunération des témoins experts;
- le coût de la surveillance des visites;
- les services de traitement et de soutien pour les parents et les enfants.
Les litiges concernant les allégations de violence sont très coûteux et nombreux sont les parents qui n'ont pas les ressources nécessaires pour s'assurer les services d'experts. Le fait que les examinateurs désignés ou les enquêteurs des organismes publics n'aient pas les connaissances ou les compétences voulues ou qu'ils fassent preuve de partialité peut être très grave et même porter un tort irréversible aux parents et aux enfants dont le dossier n'a pas été évalué correctement.
Si les ressources nécessaires à la surveillance des visites ne sont pas disponibles et si le père ou la mère n'ayant pas la garde ne peut pas payer les services financés par l'utilisateur, le contact entre un agresseur soupçonné et l'enfant pourrait ne pas être possible.
5.5 Questions de fond sur le plan de la sensibilisation et de la formation
5.5.1 Dynamique et caractéristiques des allégations fondées et des fausses allégations de violence envers les enfants
Une étude a établi que le taux d'allégations de violence sexuelle était de moins de 2 p. 100 dans les familles qui se disputent le droit de visite et la garde des enfants. Les auteurs ont néanmoins trouvé que ce taux était six fois plus élevé que le taux des actes de violence sexuelle signalée dans la population générale. Ils avancent plusieurs causes expliquant la fréquence plus élevée de violence sexuelle envers les enfants dans les situations de rupture de mariage que dans les familles unies. En premier lieu, la violence sexuelle envers les enfants peut créer un climat de tension qui conduit à la rupture du mariage ou c'est la découverte de la violence qui est en réalité la cause de la rupture du mariage. Deuxièmement, la séparation peut donner des occasions de violence qui n'existent pas dans les familles unies. En troisième lieu, l'enfant est plus susceptible de divulguer la violence commise par un des parents après la séparation, car il est plus difficile pour l'agresseur de l'empêcher de parler et l'autre conjoint est plus disposé à croire l'enfant (Thoennes et Tjaden, 1990; Fahn, 1991; Fassel, 1988).
Comme il est remarqué ci-avant, plusieurs raisons peuvent expliquer des allégations non fondées après une séparation des parents. Selon Green (1991), certains comportements peuvent être mal interprétés et se traduire par une fausse allégation, par exemple : une interprétation erronée des soins habituels donnés; une interprétation erronée des comportements sexuels normaux des enfants; une interprétation erronée de symptômes psychologiques courants après une séparation des parents; une interprétation erronée des signes physiques et des symptômes observés chez l'enfant. Penfold (1997) affirme que d'autres conditions peuvent conduire à des allégations non fondées de violence sexuelle ou peuvent les influencer, y compris : le manque de maturité d'un jeune enfant dans ses relations sociales et sa capacité de communiquer; la présence d'autres sortes de violence familiale; la violence attribuée à la mauvaise personne ou la psychopathologie de l'enfant et des parents; l'influence sur les parents qui font des allégations du matériel concernant la violence sexuelle diffusé par les médias; l'hostilité et la méfiance réciproques des parents; l'enfant exposé à la pornographie; l'enfant présent à des scènes de sexualité par des animaux ou des adultes; les techniques d'entrevue insidieuses et coercitives; le nombre trop élevé d'entrevues; la faible documentation.
Le présent document indique qu'une majorité des cas d'allégations non fondées sont le résultat d'un manque de communication ou d'une erreur de bonne foi et non le produit d'une manipulation ou d'un mensonge délibéré. Les parents doivent être informés des effets d'une séparation sur les enfants et recevoir de la formation pour améliorer la communication afin de réduire le nombre d'allégations non fondées et d'aider les enfants à mieux faire face à la situation.
5.5.2 Manque de formation des professionnels enquêtant sur les cas de violence présumée
La compréhension et les connaissances concernant les allégations de violence envers les enfants dans les cas où les parents sont séparés est un domaine en développement. Peu de travaux de recherche ont été réalisés et une grande partie de l'information diffusée par les médias est tendancieuse et relate des cas hors du commun.
L'information très limitée fournie par les répondants clés est que la plupart (six sur sept policiers ou travailleurs chargés de la protection de l'enfance) ont déclaré que leur organisme n'offrait pas de formation particulière sur la dynamique d'allégations de violence envers les enfants dans des situations où les parents se séparent. Les répondants clés suggèrent de mieux sensibiliser les examinateurs, les médiateurs, les travailleurs chargés de la protection de l'enfance, les travailleurs dans les refuges, les policiers, les avocats et les juges, de même que les parents. Ils demandent également une amélioration de la qualité du processus d'enquête, en particulier la mise en place de techniques d'entrevue pertinentes et un traitement plus rapide des dossiers.
Il existe un vrai besoin en recherches appliquées sur la psychologie et le développement et de l'enfant pour aider les policiers, les travailleurs de la protection de l'enfance, les examinateurs et les autres professionnels de la santé mentale à mieux distinguer les fausses allégations de celles qui sont fondées. Les juges et les avocats ont aussi besoin de programmes et de matériel didactique qui traitent de ces cas posant un grand défi.
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