Le point de vue de l'enfant dans la médiation et les autres méthodes de règlement extrajudiciaire des différends dans les cas de séparation et de divorce : une analyse documentaire

1.0 INTRODUCTION

Lorsque des parents se séparent ou divorcent, des décisions qui auront des répercussions importantes sur leurs enfants doivent être prises. Il faut trouver des façons de faire participer les enfants à ces décisions — en d'autres termes, de tenir compte de leur « point de vue ».

Ce n'est que récemment que l'on a commencé à favoriser la participation des enfants à la prise de décisions dans le contexte du droit de la famille. Historiquement, les enfants étaient considérés comme des sujets de préoccupation n'ayant pas la capacité de participer aux affaires relevant du droit de la famille et devant être mis à l'abri des conflits opposant leurs parents (Graham et Fitzgerald, 2005; Morrow et Richards, 1996; Roche, 1999; Taylor, Smith et Tapp, 1999) ou ne devant pas se trouver au centre des disputes de leurs parents (Emery, 2003; Warshak, 2003). On supposait à l'époque que, en isolant les enfants de la prise de décisions postérieure à la séparation, ils échapperaient à la tourmente causée par la rupture de la relation de leurs parents (Smart, 2002). On supposait également que les parents savaient ce qui était dans l'intérêt supérieur de leurs enfants (O'Quigley, 2000; Timms, 2003) et, en conséquence, que le point de vue des enfants était bien défendu par les adultes.

L'augmentation constante du nombre d'enfants vivant la séparation ou le divorce de leurs parents a suscité un intérêt pour l'aide qui pourrait être apportée aux enfants pour qu'ils expriment leurs besoins et leurs souhaits. Comme le droit de l'enfant d'être entendu et de voir ses souhaits et ses sentiments être pris en considération est devenu un aspect important de la théorie de l'enfant (Aries, 1962; Campbell, 2004; James, Jenks et Prout, 1998; Kaganas et Diduck, 2004; Lansdown, 2005; Prout et James, 1990; Smart, Neale et Wade, 2001), ainsi que des ouvrages et des recherches en sciences sociales concernant le rôle des enfants lors de l'éclatement de la famille plus particulièrement, les opinions sur la participation des enfants aux décisions entourant la séparation ou le divorce de leurs parents ont changé (Kelly, 2002, 2003a, 2003b; McIntosh, 2000; Morrow, 1998; Neal, 2002; O'Quigley, 2000; Pike et Murphy, 2006; Smart, 2002, 2004; Smart et Neale, 2000; Smith, Taylor et Tapp, 2003; Strategic Partners, 1998; Tisdale, Baker, Marshall et Cleland, 2002; Schoffer, 2005; Thomas et O'Kane, 1998; Wade et Smart, 2002; Williams, 2006; Williams et Helland, 2007).

Les enfants sont de plus en plus considérés comme des personnes titulaires de droits plutôt que comme des sujets de préoccupation ou de décision (Eekelaar, 1992; Lansdown, 2001). En outre, les ouvrages et les recherches en sciences sociales ont démontré de plus en plus que le fait de ne pas écouter les enfants peut causer plus de mal que de bien (Kelly, 2002; Lansdown, 2001; Pryor et Rogers, 2001; Smith, Gollop et Taylor, 2000) et que la participation véritable des enfants aux différends opposant leurs parents sur les questions de garde et d'accès peut les protéger alors que l'éclatement de la famille peut les mettre en danger (Amato, 2001; Butler, Scanlon, Robinson, Douglas et Murch, 2002; Cashmore, 2003).

La participation des enfants au processus de séparation ou de divorce a également été consacrée lorsque le Canada a ratifié la Convention des Nations Unies relative aux droits de l'enfant en 1991. Cette convention est un facteur important de la volonté de plus en plus grande de permettre aux enfants d'influencer davantage les décisions juridiques qui ont une incidence sur leur vie. Selon l'article 12 de la Convention :

L'article 3 exige des États qu'ils agissent dans l'intérêt supérieur des enfants :

En 1998, soit plusieurs années après que le Canada a ratifié la Convention, le Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants a recommandé qu'au Canada les enfants puissent être « entendus lorsque des décisions sur les responsabilités parentales les concernant sont prises » et aient l'occasion « d'exprimer leurs points de vue à un professionnel compétent dont le rôle serait de faire connaître ces points de vue au juge, à l'évaluateur ou au médiateur chargé de déterminer ou de faciliter les modalités de partage des responsabilités parentales »[3].

Cette évolution de la pensée est survenue dans le contexte d'un mouvement mondial plus général pour la participation des enfants et des adolescents aux questions politiques et personnelles. Les jeunes eux‑mêmes disent de plus en plus qu'ils veulent faire entendre leur voix dans les procédures judiciaires qui ont des répercussions fondamentales sur leur vie et dans les ententes postérieures à la séparation (Cashmore et Parkinson, 2008; Freeman, 1997; O'Quigley, 2000; Raitt, 2007; Smart et Neale, 2000; Parkinson et Cashmore, 2007; Parkinson, Cashmore et Single, 2006). Les recherches menées jusqu'à maintenant sur la volonté des enfants d'être inclus semblent révéler qu'ils veulent être tenus informés et qu'ils souhaitent que leurs besoins et leurs intérêts soient pris en compte. Les adolescents en particulier sont beaucoup plus susceptibles de vouloir être présents lorsque des décisions importantes les touchant sont prises et faire connaître explicitement leurs préférences au sujet de ces décisions (Neale, 2002; O'Connor, 2004).

Thomas et O'Kane (1998) affirment que la population souhaite maintenant clairement que les enfants aient leur mot à dire au regard des décisions qui ont des incidences sur leur vie. Smart, Wade et Neale (1999) soutiennent que les enfants ont beaucoup à dire au sujet du divorce et des changements touchant leur famille, par exemple sur ce qu'est la situation, sur la façon de s'y adapter et sur ce qu'elle signifie pour eux. Les auteurs indiquent que, plutôt qu'exclure les enfants, [traduction] « nous avons peut‑être beaucoup à apprendre [d'eux] au sujet du divorce si nous arrêtons de les considérer comme des biens endommagés qui ont besoin de protection » (1999, p. 366).

Certaines tensions persistent cependant lorsqu'il est question de permettre aux enfants de participer au règlement des questions connexes à une séparation ou à un divorce, parce qu'on essaie de concilier la vulnérabilité des enfants, compte tenu de leur âge et de leur niveau de développement, et leurs droits en tant que personnes. Un débat a cours également sur la façon d'atteindre l'objectif de faire participer les enfants — dans quelles circonstances et de quelles manières les enfants devraient-ils être inclus? Il y a divers points de vue sur cette question. Différents mécanismes visant à encourager la prise en considération du point de vue des enfants sont actuellement utilisés au Canada, comme les rapports sur le point de vue des enfants, les évaluations en matière de garde et d'accès, la représentation de l'enfant par un avocat, la coordination des responsabilités parentales et le recours à des coordonnateurs spécialistes des enfants. Divers modèles sont également employés dans d'autres pays.

Cependant, les ouvrages sur la participation des enfants portent généralement surtout sur les méthodes utilisées dans le cadre d'une procédure judiciaire. Même si la plupart des décisions postérieures à la séparation ne sont pas prises par le tribunal, peu d'auteurs se sont intéressés aux moyens d'intégrer le point de vue des enfants dans tous les autres aspects du système de justice familiale — les enfants ont‑ils leur mot à dire en amont du système de justice familiale, lors des discussions ou des négociations informelles au sein de la famille ou au début du processus de règlement des différends? Le cas échéant, comment?

Il y a particulièrement peu de recherches qui ont été publiées sur la participation des enfants à la médiation après la séparation ou le divorce de leurs parents (Mantle, 2001b; Saposnek, 2004). La médiation, ou négociation assistée, est une méthode extrajudiciaire de règlement des différends qui fait appel à un tiers qualifié, impartial et neutre. Des recherches récentes ont permis d'obtenir peu de renseignements systématiques sur la façon dont les enfants participent actuellement à la médiation ou aux autres méthodes de règlement extrajudiciaire des différends, sur l'effet, pour les parents, les enfants et le système de justice familiale en général, de la participation des enfants et sur les leçons qui peuvent être tirées jusqu'à maintenant.

1.1 Objectifs

Le présent examen s'inscrit dans une analyse plus large de la participation des enfants aux processus de séparation ou de divorce. Il aborde un aspect relativement nouveau et controversé du système de justice familiale : la médiation et les autres méthodes de règlement extrajudiciaire des différends relatifs à la séparation, au divorce ou à la garde qui incluent l'enfant. Nous explorerons plus précisément des initiatives qui contribuent à donner une voix à l'enfant dans les décisions concernant les ententes familiales postérieures à une séparation, par opposition aux programmes thérapeutiques ou éducatifs qui aident les enfants à s'adapter socialement, émotionnellement ou psychologiquement au processus de séparation et aux ententes familiales qui en découlent. Nous ne traiterons pas de la participation des jeunes à la médiation en matière de protection de l'enfance et nous nous attarderons seulement à la médiation et aux autres méthodes de règlement extrajudiciaire des différends incluant l'enfant qui sont utilisées dans les cas de séparation ou de divorce.

Le présent examen a un double objet. Premièrement, il traite des questions soulevées par la participation des enfants à la médiation et aux autres méthodes de règlement extrajudiciaire des différends (RED) pouvant être utilisées en cas de séparation, de divorce et de garde. Il passe notamment en revue les différents points de vue théoriques et les leçons apprises au sujet de cette participation. En outre, il énonce des questions irrésolues qui doivent être étudiées davantage.

Deuxièmement, le présent document analyse les différentes méthodes qui sont employées, au Canada et dans d'autres pays, pour permettre aux enfants d'exprimer leur point de vue dans le cadre d'une médiation ou d'autres méthodes de RED concernant la séparation, le divorce ou la garde.

1.2 Méthodologie

Pour connaître les textes écrits sur le sujet, des recherches ont été effectuées dans des index universitaires de périodiques spécialisés, notamment :

Des recherches visant à trouver des articles traitant de manière accessoire du point de vue des enfants et de leurs souhaits, ainsi que de la séparation ou du divorce ont aussi été réalisées à l'aide de moteurs de recherche juridique, par exemple :

Des recherches d'articles conservés à titre provisoire comme des manuscrits non publiés, des documents de conférence, des bibliographies spécialisées et des listes de curriculum vitae ont également été effectuées à l'aide des moteurs de recherche sur Internet :

Les termes de recherche suivants ont notamment été utilisés, dans différentes combinaisons, pour toutes les recherches électroniques : âge et stade de développement des enfants; droits des enfants; souhaits des enfants; point de vue de l'enfant; point de vue des enfants dans le cadre de la séparation ou du divorce; médiation incluant l'enfant; règlement extrajudiciaire des différends; évaluations en matière de garde; représentation de l'enfant par un avocat; garde de l'enfant; accès à l'enfant; participation de l'enfant; spécialiste auprès des enfants; procédures du tribunal de la famille; entrevues avec un juge; développement de l'enfant; développement; divorce; séparation; garde et accès; programmes concernant les pensions alimentaires pour enfants; coordination des responsabilités parentales; ressources pour les enfants.

Dans le but d'obtenir un portrait plus complet des questions soulevées par la participation des enfants à la médiation et aux processus de RED en cas de séparation ou de divorce et d'en apprendre davantage sur les différentes méthodes utilisées à cet égard, au Canada aussi bien qu'à l'étranger, des praticiens de la justice familiale (p. ex. des médiateurs familiaux, des spécialistes auprès des enfants et des avocats œuvrant dans le domaine du droit de la famille collaboratif) ont été contactés par téléphone et questionnés au sujet des méthodes utilisées actuellement pour que le point de vue de l'enfant soit pris en compte. Des gestionnaires supérieurs des installations rattachées aux tribunaux et des conseillers en politiques du système de justice pénale ont aussi été contactés par téléphone afin de mieux connaître les avantages et les limites de la participation des enfants à la médiation et aux autres méthodes de RED. Finalement, des entrevues ont été menées avec des avocats de l'Alberta, du Québec et du Bureau de l'avocate des enfants de l'Ontario qui représentent des enfants devant le tribunal dans des affaires relatives à une séparation ou à un divorce[4]. Des questions normalisées[5], adaptées à chaque groupe d'intervenants, ont été posées afin d'obtenir de l'information sur les différentes méthodes employées actuellement. Nous avons tenté de détecter les méthodes les plus efficaces et les moins efficaces et de comprendre ce qu'exige la participation de l'enfant à la médiation et aux autres processus de RED.

1.3 Structure du document

Le document est divisé en cinq grandes parties. Après la présente introduction, nous passons en revue,

1.4 Limites

Il y a plusieurs limites importantes à l'information contenue dans le présent document qu'il faut connaître. D'abord, l'examen n'avait pas pour but de faire l'inventaire de toutes les initiatives pratiques relatives à la médiation et aux autres méthodes de RED incluant l'enfant au Canada et à l'étranger, mais plutôt d'examiner les questions soulevées par l'utilisation de ces méthodes en matière de séparation ou de divorce. Il ne porte pas non plus sur la participation des jeunes à la médiation en matière de protection de l'enfance[6].

Ensuite, les répondants ont été choisis parmi les praticiens du droit, de la santé mentale, de la recherche et des politiques du Canada et ailleurs qui possédaient une expertise en matière de pratique et de recherche concernant la participation des enfants à la médiation et aux autres processus de RED[7]. Par conséquent, l'information obtenue n'est pas représentative de tous les professionnels œuvrant dans ce domaine spécialisé du droit de la famille.

Les entrevues ont été particulièrement importantes pour obtenir des renseignements additionnels étant donné que, si on fait abstraction de la recherche empirique réalisée en Australie et de la recherche qualitative effectuée en Nouvelle‑Zélande sur le rôle des enfants dans le cadre de la médiation, peu de recherches rigoureuses ont été effectuées dans ce domaine. Plusieurs examens et résumés d'excellente qualité donnent de l'information sur les différentes méthodes de médiation et de RED incluant l'enfant et sur les ressources et les programmes offerts aux enfants touchés par le divorce ou la séparation de leurs parents (Ministry of Attorney General, Colombie-Britannique, 2007; O'Connor, 2004; Williams et Helland, 2007). Aucun examen exhaustif ne porte cependant à la fois sur les recherches empiriques, les ouvrages de sciences sociales et l'expérience pratique des cliniciens de la santé mentale et des experts en droit et en politiques.

Par ailleurs, contrairement à d'autres projets de recherche qui font appel à une méthodologie et à une procédure rigoureuses concernant l'analyse d'entrevues téléphoniques (une analyse thématique enregistrée sur bande sonore par différents programmes qualitatifs générés par ordinateur), le présent examen est fondé sur des entrevues téléphoniques moins structurées avec les participants. Cependant, les thèmes sont tirés des commentaires des différents répondants et font ressortir des options en matière de pratique, de recherche et de planification stratégique.

Finalement, en raison de contraintes de temps et de questions de consentement et de confidentialité, aucun jeune n'a été interrogé au sujet de ses expériences et de sa participation à la médiation et aux autres processus de RED.

1.5 Cadre théorique

Sur le plan théorique, la documentation en sciences sociales et les travaux de recherche sont présentés du point de vue des théories de l'habilitation ou de l'amélioration, laquelle est fondée sur le fait que les enfants et les adolescents ont des forces et de l'expertise qui devraient être reconnues et mises à profit dans leur intérêt. De plus, ce cadre repose sur la conviction que les enfants et les adolescents peuvent changer leur situation et devenir des « acteurs sociaux » plus efficaces s'ils sont tenus informés de ce qui se passe et sont autorisés à participer aux décisions familiales qui les touchent (Biddulph, Biddulph et Biddulph, 2003; Birnbaum, 2007).