Rapport de recherche sur le droit de la famille au Nunavut
ANNEXE I : MÉTHODOLOGIE ET RECOMMANDATIONS POUR LES RECHERCHES À VENIR
Ce projet de recherche a utilisé une variété d’approches méthodologiques. Les résultats diffèrent pour chacune des quatre composantes. Un examen plus détaillé des sources suit, accompagné d’un examen des pièges à éviter et des améliorations possibles pour les recherches à venir, particulièrement si les chercheurs se proposent de procéder à une étude quantitative dans le Nord.
1. Examen des statistiques existantes : les sources
Notre examen des statistiques a tenu compte des données du Recensement de 1996 sur les familles et les ménages, de l’Enquête sur l’usage des drogues et de l’alcool dans les T. N.-O. de 1998 et de l’Enquête sur la population active du Nunavut de 1999. Nous avons aussi consulté d’autres recueils de données, notamment le Rapport du ministère de la Justice sur les statistiques choisies relatives au crime (2000) (qui donne, au niveau de la communauté, les données relatives aux taux d’inculpation et au taux de libération de la Gendarmerie royale du Canada); le Rapport du gouvernement du Nunavut sur le logement au Nunavut (2000); et d’autres données compilées par le Bureau de la statistique du Nunavut et par celui des T.N.-O., tel qu’il existait avant le partage en deux du territoire nordique.
Nous n’avons pas été en mesure de tirer partie de plusieurs études nationales importantes portant plus directement sur le droit de la famille car elles n’incluaient pas les territoires du Canada. Il s’agit, en particulier, de l’Enquête sociale générale, incluant le Cycle 10 sur la famille et les amis (1995) et de l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (enquête biennale menée depuis 1994). Les coûts élevés de la recherche quantitative dans le Nord, joints à certaines difficultés logistiques, n’ont pas permis d’accumuler suffisamment de données sur la vie de la famille dans les territoires. Le gouvernement du Nunavut a donc décidé qu’une étude quantitative portant sur le détail des relations familiales et sur l’éclatement des familles serait un outil de planification utile et pourrait contribuer à combler le fossé entre ce que l’on sait au Sud du Canada et ce que l’on sait au Nord.
2. L’enquête auprès des ménages
L’échantillon
L’enquête a été administrée dans le cadre d’entrevues individuelles menées auprès de 342 personnes dans cinq collectivités du Nunavut.
Nous avons appliqué la méthodologie de l’ESG de sorte que, dans chaque ménage, une seule personne âgée de plus de quinze ans a participé à l’entrevue. Dans chacune des entrevues, le ou la participant(e) à l’enquête a été choisi(e) en fonction de sa date d’anniversaire, laquelle devait être la plus rapprochée, en aval, de la date de l’entrevue. En tout, 193 femmes et 149 hommes ont participé à l’enquête. Le plus âgé de tous avait 82 ans.
Les cinq collectivités devaient être aussi représentatives que possible des différences géographiques du Nunavut. Chaque région du Nunavut a été représentée. L’enquête a été menée dans deux collectivités de l’île de Baffin, deux collectivités de la région du Kivalliq (Keewatin) et une collectivité du Kitikmeot. La taille des collectivités variait de la plus grande, Iqaluit (la capitale, 4 627 habitants)[129], à l’une des plus petites, Chesterfield Inlet (363 habitants). Comme la plupart des résidents du Nunavut vivent dans des collectivités comptant entre 1 000 et 1 500 habitants, nous avons choisi, dans deux régions différentes, deux collectivités ayant une population comprise dans cette fourchette : Pond Inlet (1 276 habitants), dans la région de Baffin et Cambridge Bay (1 387 habitants) dans la région du Kitikmeot. Enfin, Coral Harbour (822 habitants), dans la région du Kivalliq, a été choisie pour représenter les collectivités de petite à moyenne envergure sur le Territoire.
Dans chaque collectivité, la taille de l’échantillon était à peu près proportionnelle au pourcentage de Nunavummiuts résidant dans une collectivité d’envergure comparable. Nous avions à l’origine l’intention de procéder à 500 entrevues. Compte tenu de la population totale, nous avons estimé qu’environ 20 p. cent des participants à l’enquête devaient être d’Iqaluit puisque près de 5 000 personnes y habitent. Vingt p. cent des participants devaient provenir de Cambridge Bay, puisque près de 5 000 personnes résident dans les deux centres régionaux. À peine moins de 10 000 Nunavummiuts vivent dans huit collectivités importantes qui ne sont pas des centres régionaux, chacune d’elles comptant de 1 000 à 1 500 résidents. Par conséquent, environ 30 p. cent des participants devaient résider à Pond Inlet. Comme les sept collectivités de moyenne envergure comptant de 500 à 1 000 habitants représentent un autre 20 p. cent de la population du Territoire, 20 p. cent de notre échantillon a donc été choisi à Coral Harbour. Enfin, les petites collectivités ayant une population inférieure à 500 habitants constituent environ 10 p. cent de la population du Nunavut, et Chesterfield Inlet a représenté ce 10 p. cent de l’échantillon.
Pour nombre de raisons, la répartition finale des réponses n’a pas correspondu exactement à la structure originale de l’enquête. Dans quelques collectivités, en particulier à Cambridge Bay, nous avons obtenu un nombre de réponses considérablement plus faible que prévu. Le fait que Cambridge Bay se soit retrouvée avant-dernière sur la liste des collectivités que nous avons visitées explique peut-être son faible taux de réponses. Mais, cette situation peut aussi refléter des problèmes liés au recrutement des enquêteurs. À Iqaluit, la collecte des données a pris fin abruptement après qu’un hypothétique participant à l’enquête eut enfermé l’enquêteur dans une maison et l’eut menacé. Nous avons été très heureux de constater que les enquêteurs avaient mené le nombre d’enquêtes prévu à Pond Inlet et à Chesterfield Inlet[130]. Aux fins de ce rapport d’ensemble, les données n’ont pas été réparties en fonction des collectivités. Bien que trop fragmentaires pour être représentatifs du Nunavut dans son ensemble, les résultats n’en fournissent pas moins un échantillon significatif sur de nombreuses et importantes questions liées à la vie de la famille.
L’outil de l’enquête
L’enquête s’appuie dans une large mesure, sur l’Enquête sociale générale (ESG), Cycle 10, « la famille et les amis »
, menée par Statistique Canada. L’ESG de 1995 portait sur un large éventail de questions touchant la famille, notamment la composition des ménages, le mariage, les unions de fait, les antécédents familiaux et la mutation des rôles familiaux. Elle examinait les attitudes et les opinions sur un éventail de questions liées à la vie de la famille, et cherchait à recueillir des renseignements financiers détaillés sur les membres de la famille. Il a fallu en adapter certains aspects pour pouvoir mener dans le Nord une enquête similaire à l’ESG. Nous avons choisi d’abandonner certaines des orientations de la recherche portant sur les attitudes, les perceptions et la situation financière des participants à
l’enquête. Nous avons augmenté le nombre des questions relevant directement du droit de la famille comme tel. Nous avons posé des questions sur les rapports entre les enfants et les parents, sur l’aide financière et matérielle, et sur les connaissances de la population vis à vis du système juridique. Autant que possible, nous avons essayé d’identifier les domaines dans lesquels il était important d’incorporer des normes culturellement différentes. Par exemple, les questions relatives à l’adoption et à la tutelle ont été redéfinies pour tenir compte des différences entre l’adoption ordonnée par la cour, l’adoption selon les coutumes autochtones et les ententes informelles de tutelle.
Le dernier changement important a été d’adapter l’enquête, conçue sous la forme d’une entrevue téléphonique assistée par ordinateur, pour en faire un questionnaire sur papier, afin de faciliter les entrevues individuelles.
L’outil de l’enquête a été traduit en inuktitut, mais ne l’a pas été en inuinaqtun, dialecte du Nunavut occidental. Les enquêteurs avaient en main un exemplaire de la traduction en inuktitut pour fins de référence.
Les entrevues et les enquêteurs
Des enquêteurs inuits bilingues ont été choisis dans les collectivités où nous avons mené notre enquête. La plupart du temps, pour recruter les enquêteurs, nous avons suivi les recommandations des dirigeants de la localité. L’inconvénient inhérent à ce choix — les participants à l’enquête devaient partager certains renseignements privés avec des personnes qu’ils connaissaient — fut largement compensé, à notre avis, par une réduction importante des coûts et une confiance accrue des participants envers les enquêteurs. Nous avons été très heureux d’apprendre que les enquêteurs à l’extérieur d’Iqaluit n’avaient eu aucune difficulté pour convaincre les personnes de participer à l’enquête. À notre avis, le fait d’utiliser des enquêteurs locaux a facilité les échanges d’information et permis aux Nunavummiuts de percevoir cette enquête comme utile pour la population du Nunavut.
Les concepteurs de l’enquête ont sillonné chaque collectivité pour diriger un atelier d’une journée dans le but d’aider les enquêteurs à se familiariser avec l’outil de l’enquête. On a ensuite demandé aux enquêteurs d’effectuer leurs entrevues sur la base d’un échantillonnage pris au hasard. En fonction de la collectivité concernée, nous avons obtenu cet échantillonnage de différentes façons. À Iqaluit, nous avons simplement utilisé une liste d’adresses établie au hasard, fournie par la Division de la recherche et de la statistique du gouvernement du Nunavut. Dans les collectivités de moindre envergure, où l’échantillon représentait une proportion plus importante des ménages, nous avons utilisé un échantillonnage plus approximatif. Par exemple, à Pond Inlet, nous devions mener 150 entrevues pour 325 habitations. Nous avons donc demandé aux enquêteurs de mener l’entrevue toutes les deux maisons dans une région en particulier que nous avons désignée sur la carte, et nous avons partagé la carte entre trois enquêteurs. Nous avons adopté une démarche comparable dans toutes les autres collectivités : il y a eu une enquête toutes les quatre habitations à Chesterfield Inlet, et ainsi de suite. Les enquêteurs ont reçu une rémunération pour chaque questionnaire rempli.
L’analyse des données
Une sous-traitante a procédé à la saisie des réponses au questionnaire, dans une base de données SPSS (progiciel de statistiques pour les sciences sociales) de sa conception. Par la suite, nous avons dû effectuer un travail considérable pour calculer les données cumulatives et les structurer de manière à ce qu’elles répondent à nos principales préoccupations.
3. Le répertoire des services
Nous avons établi le répertoire des services par téléphone, peu avant le début de l’enquête auprès des ménages. Les chercheurs ont mis au point les questionnaires en fonction de ce qu’ils savaient des services existants dans plusieurs collectivités. Les questionnaires ont ensuite été remis aux responsables municipaux, soit à l’agent principal d’administration (APA), soit à son adjoint (APAA) et, dans certains cas, à l’un et à l’autre. Comme en général cet agent était un qallunaat (non-Inuit), et que l’adjoint était un Inuit, nous avons voulu savoir si ces deux groupes avaient des connaissances différentes des services disponibles et si leur perception des problèmes différait, ce qui ne s’est pas vraiment concrétisé.
Nous avons mené des entrevues dans 17 des 23 collectivités du Nunavut, ce qui ne comprend pas les cinq collectivités visées par l’enquête auprès des ménages, où nous avons pu dresser par nous-mêmes un tableau assez complet de la situation. Nous avons aussi exclu les collectivités de très petite taille dont la population était inférieure à 150 habitants. Vu certaines des difficultés que nous avons eues pour en rencontrer les responsables, nous ne sommes pas allés au centre régional Rankin Inlet de Kivalliq.
4. Les groupes de consultation et les entrevues individuelles
Dans chaque collectivité où nous nous sommes rendus pour mener notre enquête, nous avons aussi utilisé tout un éventail de stratégies de recherche qualitative et d’interventions directes.
Par-dessus tout, nous avons tenu des rencontres communautaires. Ces rencontres avaient lieu soit dans les centres communautaires, soit au bureau de la localité. Avant de nous adresser à une collectivité, nous avons communiqué avec un certain nombre de personnes et annoncé la tenue des rencontres à la radio locale. Nous avons obtenu à ces rencontres des taux de participation très variables, allant d’un important groupe de 40 personnes à Pond Inlet à un petit groupe de cinq personnes à Cambridge Bay, où la rencontre a dû être reportée en raison des funérailles d’un aîné. La composition de l’assistance était très variée : certains militants et militantes de la collectivité, bien sûr, mais aussi des gens de tout âge (des bébés aux grands-parents) qui avaient entendu parler des rencontres à la radio ou par le bouche à oreille.
Les rencontres étaient structurées de façon assez libre et comportaient une courte présentation des principes de base du droit de la famille au Nunavut (les pensions alimentaires pour conjoint ou pour enfant, les décisions concernant la garde et le droit de visite, et les droits des conjoints de fait), suivie d’une période de questions et de commentaires. Les réunions se déroulaient principalement en inuktitut, mais une traduction vers l’anglais était disponible pour l’avocat ou pour quiconque en avait besoin.
Nous avons aussi mené des entrevues individuelles avec des personnes intéressées, notamment des travailleurs sociaux, des membres des CJC, des avocats, le juge principal, la directrice des adoptions et de la protection de l’enfance et des ministres du culte. Lors de nos interventions directes, nous avons aussi rencontré un nombre important de personnes que la question intéressait, notamment des parents, des grands-parents, des jeunes, des enseignants et autres. Enfin, nous avons recueilli des commentaires et de l’information de la MQ et du groupe de travail sur le droit de la famille du Nunavut qui, comme nous l’avons mentionné précédemment, comprend des représentants des services de la santé et des services sociaux et des représentants du ministère de la Justice mais aussi des avocats du droit de la famille, des juges, le curateur public et le tuteur public.
Ces rencontres ont permis de recueillir une information précieuse pour toute planification ultérieure. Certains commentaires aux vastes incidences ont mis en lumière certains aspects cruciaux du développement du droit de la famille dans le Territoire.
5. Recommandations pour les recherches à venir
Quand on décide d’entreprendre une tâche de cette ampleur, il est inévitable de commettre certaines erreurs, mais aussi de connaître certains succès et de tirer du processus des leçons utiles.
Avec le recul, nous reconnaissons avoir commis une erreur de taille en choisissant un outil aussi complexe pour l’enquête auprès des ménages. Nous avions choisi cet outil parce que nous avions comme objectif de comparer les résultats du Nunavut à ceux du reste du Canada. Or, nous avions sous-estimé les difficultés importantes qui allaient surgir au moment d’adapter l’entrevue téléphonique assistée par ordinateur pour en faire un questionnaire sur papier adapté à des entrevues porte à porte, mais aussi au moment de codifier les résultats et d’analyser les données. De plus, l’enquête portait sur un plus grand nombre de sujets que nécessaire, ce qui a occasionné une perte de temps et d’énergie. Nous aurions pu éviter ce problème en définissant plus étroitement les objectifs de la recherche. Autre grave erreur, celle d’avoir omis de concevoir la base de données en même temps que l’outil de l’enquête, ce qui aurait simplifié l’analyse. À l’avenir, au moment d’entreprendre un projet analogue, il serait préférable de retenir les services d’une personne experte en recherche quantitative et en programmation beaucoup plus tôt dans le processus.
L’investissement des Inuits dans le projet a été un grand succès, notamment leur participation au processus d’adaptation de l’outil de l’enquête, leur aide à déterminer les collectivités à visiter, à l’organisation et à l’animation des rencontres communautaires, à l’administration du questionnaire et aux observations qu’ils ont pu faire sur le rapport final. À chaque étape, une connaissance de la collectivité était essentielle pour déterminer les questions à poser, comment les poser et à quel moment afin de recueillir les renseignements importants et de créer les conditions favorables à un échange d’information. À l’avenir, il serait souhaitable, si possible, de maintenir cette participation jusqu’à l’étape de la rédaction du rapport final. De plus, comme le processus d’adaptation du questionnaire existant a suscité des difficultés inattendues, il serait important d’essayer de bâtir l’outil de l’enquête proprement dit en s’appuyant encore davantage sur une approche participative.
Un autre succès de la recherche — qui présentait pourtant des difficultés — a été de lier le projet de recherche directement à son objectif, soit la conception de programmes et de politiques. Les Inuits et autres habitants du Nord expriment souvent des réserves face aux projets de recherche à grande échelle parce qu’ils ont le sentiment de ne pas en retirer d’avantages. Comme la recherche a donné des résultats tangibles (notamment la mise en place de services de médiation, la formation de médiateurs et la création d’un bureau d’aide à la famille), nous espérons que les personnes qui ont consacré du temps à titre de participants sentiront que leur contribution a produit des résultats concrets pour le bénéfice de la communauté.
Vu la méfiance de la communauté à l’égard des projets de recherche en général — et vu les besoins considérables qui ressortent de ce rapport — nous croyons qu’il vaut mieux ne pas entreprendre de projet de recherche quantitative dans un avenir rapproché. Toute recherche quantitative devrait porter sur le sous-groupe de personnes ayant vécu une séparation ou un divorce afin de recueillir plus de renseignements sur ces deux aspects du droit de la famille particulièrement importants; ce faisant, par ailleurs, il ne faudrait pas négliger des facteurs tels que la structure de la famille élargie et le rôle de l’adoption selon les coutumes autochtones.
Un secteur en particulier exige des recherches plus poussées : il faudrait procéder à une étude qualitative auprès des aînés et des participants âgés, pour examiner les approches et les principes traditionnels et contemporains en matière de droit de la famille. Ce travail permettrait de rendre compte de façon plus précise des différentes normes régissant la séparation, les décisions relatives aux enfants, les obligations liées au soutien des membres de la famille, l’égalité entre conjoints, la résolution des problèmes, la violence et la santé des familles. Il serait extrêmement précieux de pouvoir étudier comment ces normes interagissent avec le système juridique officiel.
La MQ fera un suivi de la présente recherche en mettant en place des mécanismes de consultation pour évaluer nos résultats et nos recommandations de réforme du droit. Cependant, une fois cette consultation terminée, le véritable défi — qui exigera les efforts conjugués de tous les intervenants du droit de la famille sur le Territoire — sera de concrétiser ces résultats par des programmes et des politiques qui répondront à la réalité du Nord.
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