Rapport de recherche sur le droit de la famille au Nunavut

3. RÉSULTATS DE LA RECHERCHE : ASPECTS PRINCIPAUX (suite)

3.4 Les séparations et les divorces au Nunavut

Il est difficile d’évaluer le nombre de ruptures au Nunavut. Notre échantillon est trop restreint pour donner des résultats statistiques représentatifs sur la question. D’après les réponses obtenues, les personnes séparées ou divorcées ne comptent que pour une minorité, ce qui limite notre capacité d’esquisser sans risque d’erreur une tendance générale au sein de ce segment de population. De plus, comme nous l’avons signalé précédemment, les participants à l’enquête semblaient aborder avec beaucoup de réticence les relations de couple antérieures, ce qui nous prive d’une source d’information secondaire importante. Mais nous avons insisté sur cette question dans une partie de notre étude qualitative. Les discussions lors des rencontres communautaires et des conversations que nous avons eues nous ont fourni des renseignements utiles sur les perceptions de la population à l’égard des ruptures.

3.4.1 L’ampleur du phénomène des séparations et des divorces

Dans notre enquête, sur les 151 personnes ayant été mariées, 14 ont affirmé être séparées (environ 4 p. cent), et 12 ont déclaré être divorcées (là encore environ 4 p. cent). Parallèlement, seize personnes (5 p. cent) ont répondu avoir vécu un veuvage. Il a été plus difficile de déterminer le nombre des cas de séparation au terme d’une union de fait. Les personnes qui ont affirmé avoir déjà vécu en union de fait dans le passé (215 ou 63 p. cent) étaient beaucoup plus nombreuses que celles qui ont affirmé se trouver en situation d’union de fait au moment de l’enquête (126 ou 37 p. cent). Toutefois, un nombre beaucoup plus faible de personnes vivant en union de fait (15 seulement) ont en fait déclaré être séparées et ont répondu aux questions connexes de l’enquête.

Ces statistiques, d’après notre enquête auprès des ménages, sont en gros comparables aux données du recensement de 1996 pour la région, qui indiquaient que 3 p. cent des personnes de plus de 15 ans étaient divorcées et que 3 p. cent étaient séparées[76]. Les données du recensement indiquaient que 3,4 p. cent de ces personnes étaient veuves. En revanche, les données du recensement de 1996 pour l’ensemble du Canada, et là encore pour les personnes âgées de plus de quinze ans, indiquaient des niveaux de séparation inférieurs et des niveaux de divorce supérieurs. Près de 589 000 personnes (3 p. cent) dans l’ensemble du Canada avaient indiqué avoir connu une séparation, et 1 171 (7,2 p. cent) avaient déclaré avoir vécu un divorce. Environ 6 p. cent des personnes avaient dit avoir vécu un veuvage — 1 422 000 (6,4 p. cent)[77]. Les chercheurs de Statistique Canada avaient aussi éprouvé certaines difficultés à obtenir des données claires sur les séparations au terme d’une union de fait, pour les études d’envergure nationale.

Deux éléments ressortent clairement quand on compare les chiffres de l’ensemble du Canada à ceux du Nunavut. Premièrement, dans l’ensemble, il semble y avoir moins de séparations au Nunavut. Deuxièmement, des personnes qui se séparent peu d’entre elles obtiennent en fait un divorce au Nunavut. Cette tendance fait écho aux nombreux rapports publiés sur les problèmes d’accès au système juridique dès qu’il est question de droit de la famille.

3.4.2 Les séparations temporaires

Nous avons aussi posé des questions sur les couples qui se séparent, et reprennent ultérieurement la vie commune. Les participants ont abordé le sujet avec beaucoup de réticence. Parmi les personnes mariées, 60 p. cent n’ont pas répondu à la question. Parmi celles qui ont répondu, 15 ont déclaré avoir connu une séparation puis une réconciliation, et 34 ont dit n’avoir jamais vécu de séparation. Sept des personnes qui ont rapporté une séparation temporaire ont révélé s’être séparées à plus d’une occasion. Bien que nous ayons demandé pourquoi les partenaires reprenaient la vie commune, nous n’avons obtenu que peu de réponses à cette question.

Les responsables des refuges pour victimes de violence familiale et autres agents des services sociaux ont affirmé que les séparations temporaires étaient plutôt fréquentes. Souvent, surtout dans les cas où sévit la violence, la séparation signifie quitter la collectivité pour trouver espace ou sécurité. Il arrive que ces départs nécessitent la participation des agents des services sociaux car les femmes, avec ou sans enfants, n’ont pas les moyens financiers de quitter la collectivité — et il n’existe que trois refuges de ce type au Nunavut. Les agents des services sociaux attribuent la réunification des familles au Nunavut, après une séparation temporaire, à un certain nombre de facteurs, dont : des obstacles réels et souvent imprévus qui entravent la volonté de prendre un nouveau départ dans la vie sans le/la conjointe, l’amour, la conviction que les enfants ont besoin de l’autre parent et la solitude, exacerbée par le fait que la séparation peut signifier non seulement la rupture avec le/la conjointe, mais avec la collectivité tout entière et le réseau de soutien que procure la famille élargie.

Les histoires de séparations temporaires où sévit la violence familiale font partie des histoires que racontent les aînés dans l’unikkaaqtuaq (fables et récits issus de la tradition). L’une de ces histoires parle d’une femme qui, incapable d’enfanter, et au comble du désespoir en raison des agressions répétées de son mari, le quitte finalement et s’enfuit dans la neige pour implorer la lune de venir la chercher. La lune répond à son appel et l’emmène dans le ciel, en traîneau à chiens. La femme voit le soleil — une femme embrasée, tatouée — et les étoiles. Elle vit avec taqqiq, la lune, et a un fils. Quelque temps plus tard, ayant la nostalgie de son foyer et éprouvant de la pitié pour son mari, elle sent le besoin de rentrer chez elle. Le traîneau la ramène à son foyer, avec ordre de ne pas manger de viande ni de brûler de l’huile d’animaux marins pendant toute une année après son retour. Sa marmite et sa qulliq (lampe à l’huile) seraient toujours pleines. La femme retrouve son mari qui est ravi de son retour. Pourtant, avant que ne s’écoule l’année, la colère le gagne parce qu’elle ne veut pas manger la viande qu’il lui apporte ni utiliser la graisse pour faire l’huile, et il recommence à la battre. Elle tente de l’ignorer, mais au bout du compte, elle ne peut plus supporter les coups et elle mange un tout petit morceau de viande. C’est alors qu’après l’avoir allaité, son fils meurt et sa marmite et sa qulliq cessent de se remplir. Le récit se termine par ces mots : « Aittaa, quelle tristesse[78]. »

3.4.3 Les motifs de séparation et de divorce

Parmi les 40 participants à notre enquête qui ont admis avoir vécu une séparation ou un divorce, un petit nombre (16) ont répondu à nos questions sur les raisons qui les ont mené à la séparation ou au divorce. Cinq personnes ont déclaré que la relation avait pris fin parce qu’elles n’avaient plus grand-chose en commun avec leur partenaire. Quatre ont indiqué que l’alcoolisme ou la toxicomanie avait constitué un facteur et quatre ont affirmé que leur partenaire entretenait une relation avec une autre personne. Une personne a mentionné la violence.

Même si ces chiffres ne peuvent pas être considérés comme représentatifs de la population dans son ensemble, ils contredisent néanmoins l’idée largement répandue dans la population du Nunavut selon laquelle la violence, et en particulier la violence faite aux femmes, constitue la principale raison de l’éclatement des ménages. Il ne fait aucun doute que la violence familiale constitue un grave problème au Nunavut. Certaines comparaisons avec d’autres données semblent indiquer qu’elle est nettement sous-estimée dans notre enquête[79]. S’assurer que la loi protège les victimes de violence et leur procure un recours possible est une importante priorité du droit de la famille. Il est fondamental que les services mis en place soient sensibilisés aux besoins particuliers des personnes qui ont survécu à la violence afin que, par inadvertance, ils ne reconduisent à la victimisation.

Cela étant dit, presque toutes les discussions publiques sur l’éclatement des ménages portent sur des cas de violence. Il existe peut-être un certain nombre de raison à cela. Par contre, l’absence de débat public sur les motifs de rupture dans les situations ne comportant pas de violence témoigne peut-être implicitement d’un sentiment général selon lequel la séparation est inacceptable sur le plan social, sauf dans des cas extrêmes. De nombreux membres de la communauté ont clairement exprimé qu’à leur avis le nombre des séparations était trop élevé et que la fréquence des ruptures constituait un problème social grave. Les discussions sur le droit de la famille pourront aussi porter sur la violence car la population associe en général le « droit » ou le système juridique au système de justice pénale. On a peut-être aussi tendance à penser qu’une intervention juridique en milieu familial ne se justifie que dans les cas où un acte criminel a été commis.

Quoi qu’il en soit, les résultats de notre enquête, bien que fragmentaires, laissent fortement supposer que les ruptures ne sont pas toutes motivées par des actes de violence. Cela, aussi, a d’importantes répercussions sur la mise en place des services. À l’exception du programme d’exécution des ordonnances alimentaires, la plupart des services qui traitent des cas de séparation et de divorce abordent également les problèmes de violence, y compris les refuges et les maisons de transition dans quelques collectivités, de poursuites des agresseurs au criminel, des ordonnances de bonne conduite et des ordonnances de ne pas faire. Même si ces services se sont considérablement améliorés, ils ne comblent pas la totalité des besoins des couples qui vivent une séparation, et encore moins ceux des familles monoparentales. Qu’il y ait eu ou pas violence dans le couple, il demeure nécessaire d’aborder des questions pratiques, telles que la responsabilité des soins et de la pension alimentaire à fournir aux enfants, le partage équitable des biens matrimoniaux et la pension alimentaire pour l’époux qui a été désavantagé par la relation. On ne peut s’attendre à ce que des services conçus principalement dans le but de préserver la sécurité des femmes et des enfants et de voir à l’imputabilité des criminels répondent entièrement aux besoins des parents séparés et de leurs enfants.

3.5 Le patrimoine et la pension alimentaire pour conjoint

Nous avons posé un certain nombre de questions pour recueillir de l’information sur les finances et des couples mariés et des couples en union de fait ainsi que sur les ententes en matière de pension alimentaire ou autres transferts lors d’une séparation.

3.5.1 Le paiement de la pension alimentaire pour conjoint

Selon les données de notre enquête, seul un petit nombre des personnes séparées ou divorcées reçoivent ou paient une pension alimentaire, peu importe qu’elles aient été mariées ou qu’elles aient vécu en union de fait. Il existe des différences entre les réponses des personnes divorcées par rapport à celles qui ont vécu une séparation au terme d’une union de fait. Toutefois, notre échantillon est trop petit pour être représentatif. La plupart des participants divorcés n’ont pas répondu à la question (8 personnes sur 12); deux des personnes qui ont répondu ont déclaré avoir payé ou reçu une pension alimentaire et les deux autres, non. Il y a eu un plus grand nombre de réponses de la part des personnes séparées après avoir vécu en union de fait (12 sur 15). Onze d’entre elles ont dit ne pas avoir payé ou reçu de pension alimentaire, et une seule a répondu par l’affirmative.

Le faible pourcentage de réponses et le nombre réduit des cas où les personnes recevaient ou payaient une pension alimentaire correspondaient à nos prévisions. Quelques facteurs pertinents nous avaient permis de faire des prédictions en ce sens, entre autres le manque d’information juridique et l’égalité relative des revenus.

3.5.2 La connaissance des droits

Dans notre enquête auprès des ménages, nous avons posé des questions sur l’existence d’un certain nombre de droits, notamment le droit à une pension alimentaire et au partage du patrimoine. En raison d’un problème de conception de l’enquête, seules les personnes ayant déjà eu recours à des services (par exemple, à un travailleur social, un groupe paroissial ou un avocat), ont répondu aux questions portant sur l’information juridique (31). Nous avons posé des questions sur le droit de présenter une demande au tribunal pour le partage du patrimoine. Parmi les participants ayant répondu, 19 ont dit connaître ce droit. Environ les deux tiers de ces personnes (22 sur 31) étaient d’avis qu’il s’agissait là d’une information juridique importante. Quand on le leur a demandé, presque tous les participants ont dit que le droit de demander le partage du patrimoine était important entre personnes mariées ou conjoints de fait pour des questions de justice et d’égalité. Une poignée de personnes a affirmé considérer ce droit comme un moyen important d’obtenir l’égalité, « le moyen d’obtenir ce qui vous appartient » après la séparation ou d’établir les règles d’un soutien financier pour la famille après la rupture.

Un nombre sensiblement moins élevé de participants à l’enquête (16 sur 31) ont déclaré savoir qu’une personne vivant en union de fait pouvait s’adresser à la cour pour obtenir une pension alimentaire. Onze d’entre eux ont déclaré l’ignorer. Plus de 80 p. cent (26 sur 31) ont dit penser qu’il était important pour les gens de connaître ces renseignements. Les participants ont énuméré pour cela toute une série de raisons, la plupart liées au bien-être des enfants. Peu d’entre eux y ont vu une façon de satisfaire les besoins d’un conjoint de fait après le divorce ou de répondre à certaines difficultés particulières. Une ou deux personnes ont invoqué l’équité. Deux personnes étaient d’avis que cette information était importante simplement parce que peu de gens étaient au courant et qu’il était important de connaître ses droits.

Dans l’ensemble, d’après les rencontres et les entrevues, nous avons constaté qu’au niveau des collectivités, les gens comprenaient mal leurs droits et le concept de pension alimentaire pour conjoint. Les réponses à notre enquête semblent, elles, plutôt exagérer le niveau de connaissance de ces droits. La plupart des personnes ayant assisté aux rencontres communautaires, y compris des dirigeants de collectivités, étaient apparemment peu familiers avec l’expression « pension alimentaire pour conjoint » ou avec le principe du partage des biens matrimoniaux dans le but de refléter la contribution de chacun durant la relation.

Néanmoins, lors de nos rencontres, les gens ont dit approuver la notion selon laquelle un mariage ou une union de fait constitue, entre autres choses, une association économique, et qu’un partage égal entre partenaires était tout à fait approprié. Les documents sur le sujet indiquent clairement que le partage égal entre conjoints et la reconnaissance d’une contribution égale sont compatibles avec le IQ[80]. Dans la culture inuite, on se représente souvent les conjoints du mariage comme les deux ailes d’un oiseau qui ne peut pas voler sans la contribution de chaque partie et sans qu’un équilibre s’installe entre elles[81]. L’idée d’interdépendance est très forte dans la tradition inuite et ce concept semble être fortement valorisé aujourd’hui.

3.5.3 Le revenu relatif

Le fossé somme toute négligeable entre le revenu des hommes et celui des femmes au Nunavut et la faiblesse du revenu des Nunavummiuts en général constituent un autre facteur qui affecte le versement des pensions alimentaires au conjoint et fort probablement, par la même occasion, les niveaux très bas des pensions payées ou reçues.

Environ 20 p. cent des participants à l’enquête, tant mariés que conjoints de fait, ont signalé que leur partenaire gagnait « à peu près autant » qu’eux-mêmes. À peine plus de 35 p. cent des personnes mariées ou en union de fait ont révélé un écart extrême de revenu, leur partenaire gagnant soit beaucoup plus soit beaucoup moins qu’elles-mêmes (Voir le tableau 13). Bien qu’il soit risqué de généraliser, compte tenu de la petite taille de notre échantillon, il semble que plus de femmes mariées que de conjointes de fait ont un revenu nettement supérieur ou nettement inférieur à celui de leur partenaire. Dans l’ensemble, comme pour le reste du Canada et dans les deux types de relations, plus de femmes que d’hommes ont indiqué gagner moins que leur partenaires.

Tableau 13
Répartition des participants à l’enquête en fonction du revenu relatif, selon le sexe
Partenaire gagne… Marié(e), non séparé(e) ou divorcé(e), non veuf/ non veuve
Femm. Hom. Total des participants à l’enquête Total de l’échant.
Beaucoup moins que participant(e) 10
19 %
3
8 %
13
15 %
10 %
Un peu moins que participant(e) 2
4 %
8
22 %
10
11 %
7 %
À peu près autant que participant(e) 13
25 %
6
17 %
19
22 %
14 %
Un peu plus que participant(e) 8
15 %
10
28 %
18
21 %
13 %
Beaucoup plus que participant(e) 15
29 %
8
22 %
23
26 %
17 %
Ne sait pas 4
8 %
1
3 %
5
6 %
3,7 %
Aucune donnée - - - 47
34,8 %
Totaux 52
100 %
36
100 %
88
100 %
135
100 %

Partenaire gagne… Conjoint(e) de fait
Femm. Hom. Total desparticipants à l’enquête Total de l’échant.
Beaucoup moins que participant(e) 14
29 %
11
29 %
25
35 %
29 %
Un peu moins que participant(e) 4
8 %
5
13 %
9
13 %
10 %
À peu près autant que participant(e) 10
20 %
7
18 %
17
24 %
20 %
Un peu plus que participant(e) 7
14 %
6
16 %
13
18 %
15 %
Beaucoup plus que participant(e) 6
12 %
2
5 %
8
11 %
9 %
Ne sait pas 1
2 %
1
3 %
2
3 %
2 %
Aucune donnée - - - 13
15 %
Totaux 49
100 %
38
100 %
71
100 %
87
100 %

Remarque : les données ne sont pas cumulatives.

Ces résultats diffèrent considérablement des chiffres obtenus dans le Sud du Canada où l’écart des salaires entre les hommes et les femmes est plus prononcé. Statistique Canada signalait, dès 1998, que les femmes gagnaient 64,4 p. cent du salaire des hommes[82]. De plus, dans le Sud du Canada, l’écart entre les hommes et les femmes se retrouve également dans la répartition des revenus entre les couples mariés et les conjoints de fait.

En revanche, ces résultats surprennent moins quand on les examine à la lumière des taux relatifs d’emploi (et de scolarité) des femmes et des hommes au Nunavut. Au moins une étude semble indiquer que les femmes inuites s’ajustent mieux à l’économie fondée sur les salaires que leurs partenaires masculins, et que les femmes ont une situation plus enviable que les hommes, particulièrement dans les emplois du gouvernement et les emplois de bureau mieux rémunérés[83].

Par ailleurs, la pauvreté généralisée au sein de la majorité inuite et le caractère disparate des stratégies économiques de nombreux Nunavummiuts (une minorité de personnes ont un emploi à temps plein rémunéré, à peu près autant ont un soutien du revenu et près du cinquième des participants affirment tirer un revenu de sources multiples; voir le tableau 14) sont des facteurs qui expliquent l’absence relative d’écart de revenu entre les sexes et entre les différents types de relation de couple.

Tableau 14
Répartition des participants à l'enquête en fonction de la source de revenu
Source de revenu Femmes Hommes Total
Emploi à temps plein 55
30 %
51
35 %
106
32 %
Emploi à temps partiel 30
16 %
21
14 %
51
15 %
Soutien du revenu 40
22 %
34
23 %
74
22 %
Membres de la famille 20
11 %
5
3 %
25
8 %
Activités traditionnelles 4
2 %
9
6 %
13
4 %
Emploi à temps partiel et soutien du revenu 7
4 %
2
1 %
9
3 %
Emploi à temps partiel et activités traditionnelles 5
3 %
4
3 %
9
3 %
Emploi à temps plein et activités traditionnelles 2
1 %
  2
1 %
Activités traditionnelles et soutien du revenu 5
3 %
7
5 %
12
4 %
Autres (notamment « sans travail ») 16
9 %
15
10 %
31
9 %
Totaux 184
100 %
148
100 %
332
100 %

Enfin, le phénomène de la famille élargie tend sans doute à réduire l’importance accordée à la comparaison des revenus entre les deux partenaires d’une relation conjugale. La présence au sein du ménage d’autres pourvoyeurs ou d’autres adultes responsables de l’éducation des enfants a vraisemblablement de profondes répercussions sur les ressources de l’ensemble de la famille.

En résumé, d’après notre recherche, relativement peu de personnes versent ou reçoivent une pension alimentaire au Nunavut. Néanmoins, la communauté semble appuyer fortement les lois qui prescrivent le versement de ces pensions et le partage du patrimoine familial comme une question d’équité et comme une ressource importante pouvant profiter aux enfants. Le faible nombre de demandes d’aide financière est sans aucun doute dû au manque de connaissances relativement aux droits à une pension alimentaire pour conjoint et au partage du patrimoine. Dans la même veine, comme nous le verrons plus loin, l’accès aux tribunaux pose également un problème sérieux. La rareté des demandes de pension alimentaire est peut-être aussi liée à des facteurs sociaux plus généraux, qui n’ont rien à voir avec les droits des personnes mariées ou des conjoints de fait qui vivent une séparation. En particulier, il est peu probable de voir survenir des transferts monétaires substantiels entre conjoints puisque dans la plupart des cas l’écart des revenus est relativement faible et que ces revenus eux-mêmes sont relativement faibles. Au gré des changements qui surviendront au Nunavut dans les années à venir — surtout grâce au développement d’une classe moyenne inuite plus nombreuse (ou d’une élite) — nous verrons sans doute ce droit prendre de plus en plus d’importance. Pour l’instant, il ne semble pas constituer une priorité dans le cadre du droit de la famille.

3.6 Le domicile conjugal

Quand les revenus sont faibles, la principale question d’ordre économique que soulève la séparation est celle du domicile conjugal. Pour de nombreuses familles, il s’agit là du seul bien dont elles disposent et tout règlement portant sur le patrimoine familial tient lieu de toute autre forme de règlement.

De l’ensemble des provinces et des territoires du Canada, le Nunavut et les Territoires du Nord-Ouest ont mis au point les droits de propriété les plus larges pour les conjoints de fait, leur accordant les mêmes droits qu’aux personnes mariées pour la jouissance et la propriété du domicile conjugal. Il existe cependant des différences considérables dans les modèles de propriété entre les conjoints de fait et les couples mariés. La grande majorité des deux groupes confondus sont locataires (les trois quarts des participants à l’enquête ont affirmé être locataires de leur logement). Cette situation n’a rien de surprenant puisque la plupart des 60 p. cent des Nunavummiuts qui vivent dans des logements sociaux sont locataires (à l’exception des résidents d’environ 500 unités d’« accès à la propriété » dont les paiements hypothécaires sont établis en fonction du revenu). En revanche, un nombre légèrement plus important de participants mariés étaient propriétaires de leur lieu de résidence (environ 20 p. cent des personnes mariées comparativement à 15 p. cent des conjoints de fait). Nous avons observé une différence plus marquée venant du fait qu’un nombre considérable de conjoints de fait ayant participé à l’enquête (environ 7 p. cent) ont affirmé vivre dans la maison de quelqu’un d’autre (Voir le tableau 15). Dans l’ensemble, au Nunavut, le pourcentage de propriétaires correspond à moins de la moitié du pourcentage national. Le recensement du Canada indique qu’à l’échelle nationale, 64,5 p. cent des ménages sont propriétaires de leur maison (avec ou sans hypothèque) tandis que 36 p. cent sont locataires[84].

Tableau 15
Répartition des types d’habitation des participants à l’enquête, selon le type de relation de couple et selon le sexe
Type d’habitation Marié(e), non séparé(e) ou divorcé(e), veuf / veuve
Femme Hom. Total des participants à l’enquête Total de l’échant.
Propriété 13
26 %
8
26 %
21
26 %
16 %
Location 34
68 %
23
74 %
57
70 %
42 %
Maison de quelqu’un d’autre - - - -
Autre 3
6 %
0 3
4 %
2 %
Aucune donnée - - - 54
40 %
Totaux 50
100 %
31
100 %
81
100 %
135
100 %

Type d’habitation Conjoint(e) de fait
Femme Hom. Total des participants à l’enquête Pourcent. échant. total
Propriété 5
10 %
8
22 %
13
15 %
15 %
Location 42
88 %
22
60 %
64
75 %
74 %
Maison de quelqu’un d’autre 1
2 %
5
14 %
6
6 %
7 %
Autre   2
2 %
2
2 %
2 %
Aucune donnée - - - 2
2 %
Totaux 49
100 %
38
100 %
85
100 %
87
100 %

Remarque : ces chiffres ne sont pas cumulatifs.

Dans ce contexte, bien qu’il soit nécessaire de prévoir des mécanismes pour le partage équitable du patrimoine conjugal, et de protéger les personnes contre une appropriation indue des biens, la plupart des Nunavummiuts sont touchés bien plus directement par les dispositions législatives concernant la propriété de la maison. Dans la nouvelle Loi sur le droit de la famille[85], les dispositions relatives au domicile familial s’appliquent aux logements locatifs comme aux logements sociaux du Territoire. Il est possible d’obtenir du tribunal la jouissance exclusive du domicile. Plusieurs facteurs entrent alors en ligne de compte, dont l’intérêt supérieur des enfants, la disponibilité d’autres lieux de résidence, la situation financière des parties, la violence et les ordonnances déjà émises par le tribunal.

Il s’agit d’un sujet qui semble grandement préoccuper les membres de la communauté. Comme pour d’autres questions touchant le droit de la famille, ils ne semblent pas très bien informés de leurs droits. Qui plus est, les difficultés d’accès aux tribunaux et les périodes d’attente ont de graves répercussions sur la volonté du conjoint ou de la conjointe de revendiquer la jouissance du domicile auquel il ou elle peut avoir droit, démarche qui peut s’avérer être dans l’intérêt supérieur des enfants.

Certaines considérations pratiques créent aussi des difficultés quand il s’agit de faire reconnaître ses droits à l’occupation exclusive d’un logement. Premièrement, la cour doit examiner la possibilité de solutions de rechange en matière de logement. Étant donné la crise du logement qui sévit au Nunavut, il peut être très difficile d’émettre une ordonnance qui obligerait une personne à quitter son domicile si elle doit se retrouver sans abri ou si elle doit emménager dans la demeure déjà surpeuplée d’un autre membre de sa famille. Les organismes locaux d’habitation ont la responsabilité de gérer les demandes de logement au sein de la collectivité et la plupart de ces organismes ont recours à des critères d’urgence pour accorder à certaines personnes une priorité d’accès aux logements disponibles. Dans la plupart des cas, d’après le personnel de la société d’habitation, ces critères seraient appliqués pour venir en aide à un parent sans domicile et à ses enfants[86]. Mais, il y a des limites à la capacité de ces organismes locaux d’établir des priorités puisqu’« il n’existe pas un seul logement social disponible au Nunavut. »[87]

La pénurie de logements, et le fait de dépendre de comités locaux pour obtenir des unités d’habitation peut aussi poser des problèmes aux personnes qui envisagent une séparation. Car cette situation peut permettre aux membres du comité de logement, surtout s’ils ont des liens familiaux ou amicaux avec le conjoint qui refuse la séparation, d’exercer des pressions dans le sens d’un maintien de la relation du couple. Ce problème ne nous a pas été rapporté directement au cours des rencontres communautaires, mais le cas s’est présenté dans d’autres communautés autochtones[88]. Il correspond à certaines des préoccupations exprimées par Pauktuttit (l’association des femmes inuites) et d’autres intervenants face aux difficultés que rencontrent les femmes qui, vivant dans de petites collectivités où les membres entretiennent entre eux des liens très étroits, cherchent à obtenir de l’aide pour quitter un partenaire violent.

Ces questions pratiques ne seront pas résolues, tant s’en faut, par la loi. En revanche, il pourrait s’avérer utile d’examiner la possibilité de modifier la loi pour en faciliter les objectifs actuels. Il ne fait aucun doute que la possibilité de rester dans le domicile familial a un effet déterminant sur les conflits portant sur la garde et le droit de visite; c’est aussi une importante question de sécurité. À la lumière de l’importance de cette question, il serait bon d’examiner des choix susceptibles de faciliter des prises de décision rapides, sans délai, sur la prise de possession du domicile. Il pourrait même s’avérer approprié de déléguer ces décisions, sous réserve d’une révision de la cour de justice du Nunavut, à des décideurs locaux, tels que les juges de paix ou les membres des CJC, s’ils sont prêts à en prendre la responsabilité. Des CJC, dont la composition serait suffisamment diversifiée, pourraient représenter un forum adéquat pour ce genre de situation; ils pourraient négocier de façon originale et satisfaisante une solution dans laquelle le parent qui n’a pas la garde des enfants pourrait rester dans le logement. Les décisions des autorités locales (juges de paix ou CJC) sur la jouissance exclusive du domicile devraient être exécutoires, au même titre que les décisions de la cour, et soumises à un contrôle judiciaire.

3.7 Les enfants et leur famille

Chez les Inuits, les enfants représentent une grande richesse. Avec l’essor démographique que connaît actuellement le Nunavut, un plus grand nombre de familles ont des enfants et le nombre d’enfants par famille se multiplie. Dans l’ensemble, les familles avec enfants constituent un plus grand pourcentage de la population que dans le reste du Canada. Les données du recensement de 1996 indiquaient que 11 835 enfants vivaient chez eux au Nunavut dans 5 275 familles. Le nombre moyen d’enfants vivant dans leur famille, selon les données du recensement, était de 2,2, et tout le monde s’entend pour dire que ce nombre est en hausse depuis. Ces chiffres tranchent avec les données de Statistique Canada pour l’ensemble du Canada où les familles avec enfants constituent 67 p. cent de l’ensemble des ménages, avec en moyenne 1,2 enfant à la maison[89].

Les données de notre enquête concordent avec les chiffres du recensement. Quatre-vingt-un participants à l’enquête (23 p. cent environ) ont affirmé ne pas avoir d’enfants. Soixante-dix-sept p. cent des participants (261), chiffre bien supérieur à la moyenne canadienne, ont dit avoir des enfants. De plus, selon l’information recueillie au cours de notre enquête, chaque participant avec enfants a un nombre d’enfants plus élevé, soit 3 enfants (3,5) en moyenne.

3.7.1 La structure des familles avec enfants

Il existe aussi des différences substantielles entre les types de famille au Nunavut et les types de famille dans le reste du Canada. Au Nunavut, selon les résultats de notre enquête, les conjoints de fait ont des enfants dans une proportion équivalant aux deux tiers (61, ou 27,4 p. cent de toutes les familles avec enfants[90]) des chiffres correspondant aux personnes mariées (96, ou 43 p. cent de toutes les familles avec enfants). Le nombre des familles monoparentales, y compris les parents divorcés ou séparés et les personnes n’ayant jamais été mariées, est assez considérable (49, soit 22 p. cent de toutes les familles avec enfants) (Voir la figure 3).

En revanche, dans l’ensemble du Canada, les couples mariés avec enfants comptent pour 69 p. cent des familles avec enfants tandis que les conjoints de fait sont parents dans une proportion de 8,5 p. cent et que les familles monoparentales représentent 22 p. cent des familles[91].

Figure 3 - Structure des familles avec enfants

Figure 3: Structure des familles avec enfants

[ Description]

Bien qu’il soit impossible de mesurer directement les tendances, nos données semblent indiquer que les types de famille se sont grandement modifiés avec le temps au Nunavut. La plupart des participants à l’enquête dont les parents formaient un couple au moment de leur naissance ont indiqué avoir vécu avec leurs deux parents tout au long de leur enfance (80 p. cent ou 197 des 247 participants). Qui plus est, 85 p. cent de ces personnes ont déclaré que leurs parents étaient mariés devant la loi.

3.7.1.1 Les familles monoparentales

Au Nunavut, comme dans l’ensemble du Canada, les chefs de famille monoparentale sont la plupart du temps des femmes. Notre échantillon est beaucoup trop petit pour être représentatif mais il semble, selon notre enquête, que les trois quarts des ménages à un seul parent (34 sur 46) soient dirigés par des femmes. Ce résultat est comparable à ce qui existe dans le reste du Canada et indique que quatre fois sur cinq, les chefs de famille monoparentale sont des femmes[92].

Notre enquête donne un aperçu général de la situation matrimoniale des personnes actuellement chefs de famille monoparentale. Bien que certaines soient divorcées (3 sur 51) ou séparées (5 sur 51), une proportion beaucoup plus grande de l’échantillon n’a jamais été mariée, ne vit pas actuellement en union de fait (18 sur 51) ou est veuve ou veuf (13 sur 51) (Voir le tableau 16)[93]. Par contre, dans le reste du Canada en 1991, seulement 22 p. cent des chefs de famille monoparentale étaient célibataires et n’avaient jamais été mariés[94].

Tableau 16
Répartition des participants, chefs de famille monoparentale, selon leur situation matrimonial
e
Situation matrimoniale
A déjà été marié(e) mais séparé(e), divorcé(e) ou veuf/veuve Jamais marié(e) ni conjoint(e) de fait Non précisé*
Fem. Hom. Total Fem. Hom. Total Fem. Hom. Total
Avec enfants seulement 7 4 11 9 1 10 6 0 6
Avec d’autres membres de la famille 7 3 10 7 1 8 5 1 6
Totaux 14 7 21 16 2 18 11 1 12

N=51 participants à l’enquête ont dit avoir des enfants mais ne pas avoir de conjoint dans le ménage.
* « Non précisé » se rapporte aux participants à l’enquête qui n’ont pas déclaré leur situation matrimoniale, et les personnes qui ont défini leur situation actuelle comme étant mariées ou conjointes de fait (N=3, toutes ces personnes vivent avec d’autres membres de la famille).

La forte proportion des familles vivant sous le même toit qu’un autre membre adulte de la famille, près de la moitié (24 sur 51) est également typique des familles monoparentales du Nunavut. Cette situation a un certain nombre de conséquences possibles. D’abord, l’éducation et le soin des enfants pèsent moins lourd sur le chef de la famille monoparentale qui vit avec sa famille. Deuxièmement, le fardeau financier du parent peut ainsi être réparti entre plusieurs membres, même quand le parent non résident n’y participe pas.

Dans le reste du Canada, la famille monoparentale type a été grandement associée à tout un ensemble de tendances sociales importantes[95] :

3.7.1.2 Les familles reconstituées

Au Nunavut, un pourcentage de personnes légèrement supérieur à la moyenne canadienne affirme vivre dans des « familles reconstituées ». En 1995, dans environ un couple sur dix comptant des enfants jamais mariés et vivant à la maison, au moins l’un des enfants était élevé par un parent naturel ou adoptif, et une belle-mère ou, en général, un beau-père. De ces 10 p. cent des couples, un sur trois avait des enfants de différents parents[96]. Nous n’avons pas obtenu de chiffres facilement comparables. Toutefois, notre enquête indique que 8,1 p. cent des participants ont affirmé avoir élevé un enfant de leur conjoint. Et, comme l’indique le tableau 11, au moins 32 personnes (9,4 p. cent) ont déclaré que leur conjoint avait eu des enfants d’une relation de couple antérieure. Considérées dans leur ensemble, ces données indiquent qu’un nombre significatif d’enfants du Nunavut grandissent dans des familles reconstituées. De plus, selon leur propre expérience, un très grand nombre de participants à l’enquête ont signalé avoir un demi-frère ou une demi-sœur (34 p. cent)[97].

3.7.2 Le lieu de résidence des enfants

Même si, au départ, l’enquête visait à obtenir de l’information pour nous permettre d’énoncer des résultats sur le nombre d’enfants vivant avec un ou deux ou aucun des deux parents, nos données sur les enfants se sont révélées moins complètes que prévu. Les enquêteurs devaient poser certaines questions aux participants à propos de leurs enfants. Si l’expérience de vie des enfants différait grandement d’un enfant à l’autre sur certains points (l’enfant a un parent différent, il a quitté le foyer, il a été adopté, il a un tuteur, etc.), l’enquêteur posait à nouveau la même série de questions pour chacun des enfants ayant des antécédents différents. Les enquêteurs devaient indiquer le nombre d’enfants couverts par chacune de ces parties de l’enquête. Or, les participants ont rempli un nombre considérablement plus faible que prévu de parties portant sur les « autres enfants ». Par conséquent, malheureusement, nos hypothèses ne se rapportent directement qu’à nos participants et nous avons dû parfois exprimer nos résultats de façon détournée.

Afin de pouvoir utiliser les données de cette partie, nous avons dû émettre des hypothèses sur le nombre de participants à l’enquête dans une situation donnée, plutôt que sur le nombre d’enfants concernés. De plus, comme nous avions de sérieuses réserves au sujet des parties concernant près de 40 « autres enfants », nous avons décidé, pour être conséquents, de n’utiliser que les renseignements consignés dans la première partie sur les enfants des participants à l’enquête, renonçant ainsi à un nombre important de données.

Tout bien considéré, l’enquête a été conçue de façon inutilement complexe.

Nous avons demandé aux participants à l’enquête s’ils vivaient avec leurs enfants tout le temps, une partie du temps ou jamais. Dans un premier groupe de réponses, 222 personnes ont répondu vivre avec un enfant tout le temps (85 p. cent), six ont déclaré vivre avec au moins un enfant une partie du temps (2 p. cent ) et 32 personnes (12 p. cent) ont affirmé qu’au moins un de leurs enfants ne vivait pas avec elles[98]. Parmi les personnes ayant affirmé qu’au moins un de leurs enfants ne vivait pas avec elles, huit ont indiqué avoir donné l’enfant en adoption[99].

Des personnes qui ont déclaré qu’au moins un de leurs enfants vivait avec elles en tout temps, 123 ont dit que l’autre parent de l’enfant ou des enfants vivait également sous le même toit. Soixante-trois personnes ont affirmé que l’autre parent ne vivait pas sous le même toit, et sept ont répondu que l’autre parent était décédé. Un nombre important de personnes n’ont pas répondu à cette question (43), ce qui empêche d’énoncer avec certitude le pourcentage de parents qui ont des enfants ne vivant pas avec eux. Toutefois, ce résultat donne à penser qu’un grand nombre de participants — plus du tiers et peut-être même la moitié — ont des enfants qui, au moment de l’enquête, ne vivaient pas avec leurs deux parents.

Les participants ont signalé qu’un grand pourcentage des enfants qui ne vivaient pas avec eux ou qui vivaient avec eux une partie du temps seulement, ne vivaient pas non plus avec l’autre parent. Il semble au contraire que près de la moitié des 38 participants[100] qui se sont reconnus dans ce groupe ont indiqué qu’un enfant ne vivant pas avec eux vivait avec un membre de la famille autre qu’un parent. Seize personnes ont indiqué qu’au moins un de leurs enfants vivait avec l’autre parent naturel ou adoptif. Trois participants ont indiqué qu’au moins un de leurs enfants vivait avec un conjoint[101]. Sept personnes ont indiqué qu’au moins un de leurs enfants vivait avec un autre membre de la famille (un frère ou une sœur, un grand-parent, une tante). Trois personnes ont affirmé que l’enfant vivait avec une personne ne faisant pas partie de la famille.

La question des ententes relatives à l’éducation et l’aide financière des enfants qui ne vivent pas avec leurs deux parents pourrait, du moins en théorie, être tranchée dans le cadre des responsabilités découlant du droit de la famille. Les données dont nous disposons semblent esquisser un certain nombre de tendances significatives. Premièrement, il est rare que les parents signalent l’existence d’ententes sur le partage de l’éducation des enfants. Notons également que pas un seul des participants à l’enquête ayant un enfant ou plus vivant avec lui au moins une partie du temps, ou qui a déclaré rendre visite très souvent à l’enfant ou aux enfants visés dans la première partie, n’a décrit sa relation avec l’enfant en termes de « garde partagée ». Lors des rencontres communautaires également, à peu près personne n’était familier avec cette expression. Bien entendu, il faut aussi souligner que parmi les participants à l’enquête ayant un enfant vivant avec eux une partie du temps, pas un seul n’a signalé avoir eu recours au système judiciaire. Lors des rencontres, on ne semblait pas faire la distinction entre la garde physique et la garde légale des enfants, et on utilisait l’expression « garde des enfants » simplement pour désigner les ententes sur le lieu de résidence des enfants.

Aussi, les résultats de l’enquête soulignent l’importance de tenir compte de la famille élargie au moment de prendre des décisions sur la garde et le droit de visite. Il faut s’attendre à ce que les membres de cette famille élargie ne se contentent pas de faire valoir leur droit de visite. Que ces cas soient ou non déférés à la cour, un nombre important de personnes autres que les parents naturels ont la garde physique d’enfants qui ne vivent pas avec leurs parents.

3.8 Les contacts avec les parents qui vivent hors du domicile familial

L’une des principales questions liées aux situation de rupture est de savoir dans quelle mesure les enfants continuent d’avoir des contacts avec les parents qui ne vivent plus auprès d’eux. Les données sont faussées en ce sens que nombre des participants à l’enquête n’ont pas répondu à ces questions. Nous avons toutefois pu esquisser quelques conclusions générales.

Les participants à l’enquête ont semblé indiquer que, dans la plupart des cas, les contacts étaient maintenus entre les enfants et leurs parents vivant hors du domicile familial. Néanmoins, près de 20 p. cent des participants à l’enquête ont affirmé avoir perdu le contact avec au moins un de leurs enfants. Ces chiffres sont à peu près les mêmes qu’à l’échelle du pays. Une importante étude nationale révèle qu’environ le sixième des pères affirment avoir perdu tout contact avec leurs enfants et environ un quart des mères signalent que leur enfant n’a plus aucun contact avec leur père[102].

La visite aux enfants durant la journée représente le type de contact le plus fréquent. Un nombre plus restreint de personnes ont affirmé passer la nuit auprès des enfants ou avoir simplement des contacts téléphoniques. À l’échelle nationale, les chiffres ont démontré que les enfants qui n’ont pas de rapports directs, en personne, avec le parent qui n’en a pas la garde n’entretiennent pas non plus de liens téléphoniques ou épistolaires avec ce parent[103]. Malgré le caractère restreint de l’échantillon, près de la moitié des parents vivant loin de leurs enfants ont dit maintenir un lien par téléphone ou par lettre (Voir le tableau 17).

Nous espérions être en mesure d’indiquer le temps que les participants à l’enquête consacraient à leurs enfants ne résidant pas avec eux. Or, nous n’avons pas suffisamment de données pour que les résultats soient pertinents. Nous sommes malheureusement incapables de déterminer combien de temps en moyenne les participants à l’enquête consacrent à leurs enfants qui ne résident pas avec eux au cours d’un mois ou au cours d’une année.

Tableau 17
Types de contacts entre l'enfant et le parent vivant hors du domicile familial selon le sexe du participant à l'enquête*
Femmes Hommes Total des participants à l'enquête Total de l'échantillon
Visite durant la journée 5
42 %
2
18 %
7
30 %
22 %
Téléphone/lettre 2
17 %
4
36 %
6
26 %
19 %
Aucun lien 3
25 %
4
36 %
7
30 %
22 %
Nuitée 2
17 %
1
10 %
3
10 %
9 %
Données manquantes - - - 28 %
Totaux 12
100 %
11
100 %
23
100 %
32
100 %

N=32 participants à l’enquête ont dit avoir des enfants qui ne vivaient pas avec eux tout le temps.
* Le tableau ne reflète que l’information consignée dans la première partie sur les enfants, qu’ont remplie les participants à l’enquête.

3.8.1 L’éloignement

Nous avons pu recueillir des données sur un facteur qui affecte particulièrement la permanence du droit de visite des parents, soit la proximité relative du domicile des enfants de celui des parents non résidents. En raison des distances et des dépenses considérables qu’entraînent les déplacements par avion, les déménagements ont des conséquences particulièrement bouleversantes et insolubles. Nos résultats montrent que près de la moitié des participants à l’enquête qui ne vivaient pas avec leurs enfants ne pouvaient rejoindre le domicile de ces derniers que par la voie des airs (Voir les tableaux 17 et 18).

Les avocats spécialisés en droit de la famille au Nunavut ont indiqué que le droit de visite est un des problèmes les plus difficiles à résoudre quand un des parents décide de quitter la collectivité où habitait le couple. Les avocats nous ont affirmé qu’il existe assez peu de latitude pour en venir à un compromis sur cette question dans la plupart des familles, vu le manque de ressources nécessaires aux déplacements réguliers sur de longues distances. Lors des rencontres communautaires à Pond Inlet et à Coral Harbour, nous avons entendu des gens mécontents exprimer le sentiment d’avoir perdu leurs enfants du fait qu’ils avaient quitté la collectivité avec un parent, sans possibilité d’y revenir en visite sur une base régulière.

Tableau 18
Répartition des types de contacts entre les parents non résidents et les enfants, en fonction de la distance qui les
sépare
10 km(même collectivité) collectivité des environs accessible par voie de terre (10 hres) Collectivité plus au nord (NU/T.N.-O., accessible par avion
Visites de jour
P. cent/rang
P. cent/colonne
5
71 %
50 %
2
29 %
22 %
Téléphone/lettre
P. cent/rang
P. cent/colonne
1
17 %
50 %
4
67 %
44 %
Aucun lien
P. cent/rang P. cent/colonne
3
43 %
30 %
1
14 %
50 %
3
43 %
33 %
Nuitées
P. cent/rang
P. cent/colonne
2
100 %
20 %
Données manquantes - - -
Totaux
P. cent/rang
P. cent/colonne
10
45 %
100 %
2
9 %
100 %
9
41 %
100 %

Au Canada ou aux É.-U., hors NU/T.N.-O. Total des participants à l'enquête Total de l'échant.
Visites de jour
P. cent/rang
P. cent/colonne
7
100 %
32 %
-
22 %
Téléphone/lettre
P. cent/rang
P. cent/colonne
1
17 %
100 %
6
100 %
27 %
-
19 %
Aucun lien
P. cent/rang
P. cent/colonne
7
100 %
32 %
-
22 %
Nuitées
P. cent/rang
P. cent/colonne
2
100 %
9 %
-
6 %
Données manquantes - - -
31 %
Totaux
P. cent/rang
P. cent/colonne
1
5 %
100 %
22
100 %
100 %
32
-
100 %

Il est intéressant de noter qu’il n’existe aucune relation étroite entre les cas de parents ayant affirmé que l’enfant vivait loin d’eux et les cas de parents qui ont indiqué n’avoir aucun contact avec leurs enfants. Le nombre de parents vivant dans la même collectivité que leurs enfants et n’ayant aucun contact avec eux est le même que dans les cas où les enfants vivent loin. Il semble donc évident que la relation entre les parents, et entre les parents et leurs enfants, demeure la clef de voûte du maintien des contacts.

Néanmoins, la distance reste importante en ce sens que la plupart des parents qui vivent loin de leurs enfants ont indiqué n’avoir aucun lien avec eux, ou seulement des liens par téléphone ou par lettre[104]. Dans un cas seulement, un parent a rapporté que ses enfants n’avaient pas seulement quitté la communauté mais le Nord. Ce fait peut surprendre quand on sait que la communauté, très réticente à voir les enfants quitter le Grand Nord lorsque les parents se séparent, redoute les conséquences possibles de ces départs, surtout pour les enfants inuits. Le droit essaie aussi de prévenir ce phénomène puisque les tribunaux, aux termes de la Loi sur le droit de l’enfance, doivent obligatoirement tenir compte de la continuité des liens entre les enfants, leur culture et leur réseau familial. Cette obligation revêt une importance beaucoup plus grande pour les gens d’ici que pour les parents confrontés au même problème dans le reste du Canada, quand un parent désire s’installer dans un endroit éloigné, car la plupart du temps les quelques réinstallations possibles entraînent des déplacements par avion. En dépit d’un mécontentement évident de la communauté face au statu quo, la question n’a pas été tranchée par les tribunaux. On ne trouve aucune jurisprudence sur le sujet découlant soit de la Loi sur le droit de l’enfance soit de la Loi sur le divorce depuis 1998, année de l’adoption de ces mesures législatives dans les Territoires.

3.8.2 Le degré de satisfaction et les efforts pour modifier les ententes

Dans l’ensemble, les participants à l’enquête se sont montrés assez satisfaits des ententes relatives aux contacts avec les enfants. Seuls quatre, des 32 participants ne vivant pas avec au moins un de leurs enfants en tout temps, ont dit ne pas être satisfaits à cet égard. Dix-huit ont affirmé être satisfaits et huit n’avaient pas d’opinion. Trop peu de personnes ont répondu à cette question pour que nous puissions en déduire avec précision les raisons de leur satisfaction ou de leur insatisfaction. La plupart des personnes qui ont déclaré être satisfaites pouvaient voir leurs enfants à volonté et avaient toujours l’impression d’appartenir à la famille. Parmi les participants insatisfaits, l’un a déclaré que la mère ne lui permettait par de voir son enfant, et un autre a déclaré que son enfant habitait trop loin (deux n’ont pas répondu à la question).

Enfin, on a demandé à ces mêmes parents s’ils avaient déjà cherché à modifier les ententes sur le lieu de résidence de leurs enfants. Peu d’entre eux (seulement quatre des 31 participants à l’enquête qui ont répondu à cette question) avaient déjà cherché à modifier les ententes concernant les contacts avec les enfants qui ne vivaient pas avec eux. Bien qu’on le leur ait demandé, aucun d’entre eux n’a indiqué pourquoi il avait ou n’avait pas essayé de modifier l’entente.

Nous avons demandé aux participants séparés ou divorcés s’ils savaient qu’une personne pouvait avoir recours au tribunal pour obtenir la garde ou le droit de visite. La majorité des participants à l’enquête (22 sur 31) ont déclaré savoir qu’on pouvait s’adresser au tribunal mais six ont répondu l’ignorer. Un groupe un peu plus important a répondu à une question sur l’importance de connaître l’existence d’un recours judiciaire; 29 ont affirmé que cette information était très importante et seulement trois ont déclaré ne pas accorder beaucoup d’importance aux décisions judiciaires.

En résumé, les parents n’ont pas exprimé un mécontentement généralisé à l’égard des ententes sur les contacts entre les parents résidant hors du domicile familial et leurs enfants. La majorité des visites ont lieu pendant la journée et un plus petit nombre de parents affirment passer la nuit auprès de leurs enfants ou n’avoir que des contacts par téléphone. Dans un nombre considérable de cas, cependant, les parents résidant hors du domicile familial ont indiqué perdre de vue leur(s) enfant(s). Les avocats et les membres de la communauté s’entendent pour dire que l’une des principales raisons de cette situation est un problème d’éloignement, problème pratiquement insoluble dans les collectivités isolées du Nunavut. Par contre, le problème de la distance n’est pas le seul facteur explicatif du manque de contacts ou d’autres problèmes.

3.9 Le paiement des pensions alimentaires

Depuis les dix dernières années, les pensions alimentaires pour enfants sont une importante priorité du droit de la famille au Nunavut. La mise sur pied du bureau du Programme d’exécution des ordonnances alimentaires est le seul projet en matière de droit de la famille à avoir été institutionnalisé et financé de façon régulière. Le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest a adopté les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, lesquelles ont été reprises dans les lois du Nunavut, et les deux ordres de gouvernement ont alloué des sommes substantielles à la diffusion de ces lignes directrices et à des campagnes de sensibilisation visant à promouvoir leur utilisation au sein de la population. Néanmoins, il est clair que dans la majorité des cas où les parents ne vivent pas avec leurs enfants, la pension alimentaire n’est pas versée; les lignes directrices ne sont pas bien connues et on utilise peu les services d’exécution, compte tenu du nombre possible de cas ouvrant droit à des obligations alimentaires.

Dans notre enquête, une petite minorité de parents ont indiqué recevoir une pension alimentaire pour au moins un de leurs enfants. Sept seulement ont affirmé recevoir une aide financière, tandis que 18 participants à l’enquête ont dit ne recevoir aucune pension. Quatre parents ont indiqué recevoir différents types d’aide matérielle autres que de l’argent, et 20 parents ont affirmé n’obtenir aucune aide matérielle[105]. Jusqu’à présent, dans les recommandations de la réforme du droit de la famille, on a insisté pour faire de l’aide non financière une aide tout à fait appropriée, qui s’inscrit dans l’obligation de subvenir aux besoins des membres de la famille selon les modes traditionnels (en procurant de la viande, par exemple) particulièrement quand les personnes ont de faibles revenus[106]. Toutefois, nos résultats tendent à démontrer que cette pratique n’est pas très répandue au Nunavut[107]. Voilà un domaine où une certaine forme d’éducation de la population pourrait être utile et en même temps perçue comme culturellement appropriée.

Une minorité plus importante de parents non résidents ont, par contre, signalé verser une pension alimentaire pour au moins un de leurs enfants. Quinze parents ne vivant pas avec leurs enfants ou seulement à l’occasion, ont indiqué payer une pension alimentaire. Dix-sept personnes du même groupe ont affirmé ne pas avoir payé de pension alimentaire[108]. Les membres de ce groupe ont affirmé, dans des proportions identiques, avoir fourni ou ne pas avoir fourni d’aide matérielle à leurs enfants. Les participants ont également déclaré qu’une minorité de leurs conjoint(e)s avaient contribué au soutien financier d’enfants de moins de 18 ans : huit personnes ont affirmé que leur conjoint avait fourni une aide financière et douze ont affirmé le contraire[109].

Il semble y avoir plus de cohérence entre les réponses de ceux (celles) qui versent les pensions et les réponses de ceux(celles) qui les reçoivent, en termes de fréquence des paiements. La majorité des personnes de ces deux groupes ont déclaré qu’elles recevaient ou versaient une pension régulièrement, ce qui signifie au moins une fois par mois[110]. Un plus petit nombre de personnes dans ces deux groupes ont dit verser ou recevoir une pension alimentaire « assez régulièrement »[111], au moins plusieurs fois par année. Un nombre encore plus restreint de personnes ont affirmé verser ou recevoir une pension alimentaire « à l’occasion » ou quand la personne dans l’obligation de payer avait un emploi[112].

On a demandé aux parents résidant hors du domicile familial pour quelle raison ils payaient ou ne payaient pas de pension alimentaire pour enfant. Les parents qui versent une pension alimentaire ont invoqué une certaine responsabilité envers les enfants, le fait que les enfants restaient des membres de la famille, et l’existence d’une entente. Plusieurs raisons ont été aussi invoquées pour justifier l’absence de versement d’une pension alimentaire. Le plus grand nombre des parents de ce groupe ont déclaré ne pas payer de pension alimentaire parce qu’on ne leur en avait pas fait la demande. Plusieurs personnes ont dit ne pas payer parce qu’elles n’en avaient pas l’obligation ou parce qu’elles ne vivaient plus avec l’enfant. Quelques personnes ont affirmé ne pas payer parce qu’elles devaient subvenir aux besoins d’une nouvelle famille. Notons que parmi les personnes admissibles à une pension alimentaire mais qui n’en recevaient pas, le tiers environ (sept participants à l’enquête) avaient demandé une pension alimentaire tandis que les deux autres tiers ne l’avaient pas fait (13 participants à l’enquête).

3.9.1 Exécution des ordonnances et des ententes

On peut comparer ces résultats à ce qui se passe à l’heure actuelle au niveau de l’exécution des ordonnances et des ententes dans le cadre du Programme d’exécution des ordonnances alimentaires[113]. En janvier 2001, le bureau du Nunavut comptait 166 dossiers actifs. Parmi ces dossiers, un tiers seulement (56) concernait des cas du Nunavut exclusivement, c’est-à-dire que la personne qui versait et la personne qui recevait la pension alimentaire vivaient toutes deux au Nunavut. Dans l’ensemble, moins de la moitié des destinataires de l’aide (81 seulement) vivaient au Nunavut. Parmi les destinataires vivant au Nunavut, le cinquième (16) vivait à Iqaluit et les autres étaient disséminé(e)s dans tout le Territoire. Les dossiers prévoyaient en majorité (85) une exécution réciproque des jugements quand le (la) destinataire vivait dans une autre province ou un autre territoire. Un nombre beaucoup plus faible de cas comportaient l’exécution réciproque des jugements par une autorité différente du Nunavut, quand la personne ayant l’obligation de payer vivait hors du Territoire et que le (la) destinataire résidait au Nunavut (25 dossiers, soit 15 p. cent).

Cette information soulève un certain nombre de questions.

Premièrement, bien qu’il soit difficile de d’obtenir des chiffres précis, il semble qu’il y ait entre trois et huit fois plus de personnes qui versent des pensions alimentaires que d’ordonnances ou d’ententes enregistrées dans le cadre du Programme d’exécution des ordonnances alimentaires[114]. Selon l’interprétation que l’on donne aux questions demeurées « sans réponse », il semble qu’entre 12 p. cent et 28 p. cent des participants à l’enquête reçoivent une pension alimentaire pour enfant. En revanche, les destinataires des pensions enregistrés auprès du PEOA ne représentent que 5 p. cent du tiers des familles du Nunavut (environ 1 750) où l’un des parents a quitté le domicile familial.

Cette situation est encourageante car elle permet de croire que les enfants du Nunavut qui reçoivent, au moins partiellement, la pension alimentaire qui leur est due sont plus nombreux que les cas où le gouvernement doit intervenir. Il n’y a bien entendu que peu de renseignements disponibles sur le montant ou la régularité des versements dans ces cas, de sorte qu’il est impossible de savoir si les personnes n’ayant pas eu recours au système reçoivent en fait des montants comparables à ceux que fixerait une ordonnance de la cour ou à ceux qui seraient obtenus dans le cadre du programme.

Les statistiques sur l’exécution réciproque des jugements fournissent elles aussi matière à réflexion. En fait, près de la moitié des personnes qui ont recours au programme pour obtenir une pension alimentaire ne vivent pas au Nunavut. Cette situation soulève certaines questions sur comment développer le principal programme de droit de la famille du Territoire de façon à ce qu’il serve d’abord les Nunavummiuts, sans venir contrecarrer les engagements fédéraux.

Notons au passage que peu de Nunavummiuts demandent l’exécution des ordonnances contre les personnes résidant hors du Territoire. La communauté a le sentiment que nombre des enfants des femmes célibataires sont conçus par des individus « de passage », lesquels viennent bien souvent du sud. Nous avons appris que ces mères célibataires — ainsi que leurs parents — se sentaient incapables d’obtenir une aide de ces pères absents. De nombreux membres de la communauté, même parmi les plus réticents vis à vis de l’exécution des obligations alimentaires, ont fortement soutenu le recours à la loi pour obliger les pères qui font des enfants « à la sauvette » à prendre leurs responsabilités. Vu la complexité, tant sur le plan juridique que logistique, des efforts à déployer pour retrouver ces pères, prouver leur paternité, faire valoir ses propres droits dans leur province de résidence, il est de première nécessité de mettre sur pied des services traitant tout particulièrement de ces problèmes.

Le manque d’information sur le Programme d’exécution des ordonnances alimentaires est l’un des principaux facteurs expliquant son usage relativement peu fréquent. On a demandé aux participants à l’enquête ce qu’ils savaient de ce Programme et des activités du gouvernement en vue de recouvrer les pensions alimentaires pour enfant. En général, la population connaît assez mal ces services. Seulement 16 p. cent des participants à l’enquête ont affirmé avoir entendu parler du PEOA[115]. Un nombre de personnes sensiblement plus important (27 p. cent) savaient que le gouvernement fournissait des services d’exécution des ordonnances alimentaires pour enfant (Voir le tableau 19).

Tableau 19
Répartition des participants à l’enquête en fonction de leur niveau de connaissance du Programme d’exécution des ordonnances alimentaires et des services relatifs aux pensions alimentaires pour enfant
s
  Entendu parler des services? Pourcentage de l’échantillon total
Programme d’exécution des ordonnances alimentaires Oui 56
19 %
16 %
Non 236
81 %
69 %
Services relatifs aux pensions alimentaires pour enfant Oui 93
32 %
27 %
Non 199
68 %
58 %
Total des participants à l’enquête   292
100 %
342
100 %

Même si les gens n’étaient pas familiers avec l’existence des services du Programme d’exécution des ordonnances alimentaires, de nombreux participants ayant connu une séparation (21 sur 30) ont dit savoir que la loi exigeait des parents qu’ils subviennent aux besoins de leurs enfants. Et même parmi ce groupe de parents séparés, à peine la moitié (16 sur 29) ont dit connaître les services d’exécution des ordonnances fournis par le gouvernement. Pratiquement la totalité des participants à l’enquête (28 sur 31) étaient d’avis que ces services étaient très importants. On a invoqué à cela de nombreuses raisons, notamment les difficultés pour un parent seul de pourvoir aux besoins d’un enfant, le coût élevé de l’éducation et l’obligation pour chaque personne de travailler pour subvenir aux besoins de ses enfants.

Ces résultats évoquent fortement le besoin de mieux faire connaître sur le Territoire les services du Programme d’exécution des ordonnances alimentaires. De plus, le nom du programme « Programme d’exécution des ordonnances alimentaires » est un nom que peu de Nunavummiuts semblent reconnaître ou associer aux activités du bureau. Il serait peut-être préférable de nommer différemment ces services pour que la population puisse les reconnaître et les identifier plus facilement.

De plus, il est également clairement ressorti qu’il était important d’aborder la question de la perception négative des pensions alimentaires pour enfant ou du Programme d’exécution des ordonnances alimentaires. Bien que les membres des collectivités s’entendent fortement sur le principe selon lequel les parents doivent subvenir aux besoins de leurs enfants, ils pensent aussi qu’il n’est pas juste d’exiger des sommes importantes de personnes ayant peu de moyens. Ils étaient très inquiets que des personnes à faible revenu puissent accumuler de grosses dettes qu’elles ne pourraient jamais rembourser. Ce point a été clairement défini comme le problème majeur associé au PEOA et, bien sûr, au principe de la pension alimentaire pour enfant. Plusieurs personnes ont également soulevé le cas de la personne qui doit payer de grosses sommes en vertu d’une ordonnance antérieure et qui ne peut plus subvenir à ses propres besoins ou à ceux de sa nouvelle famille.

Dans une large mesure, le problème de l’incapacité de payer vise surtout les arrérages. La majorité des payeurs (47) avaient de lourds arrérages. La moyenne des arrérages dus aux parents ayant la garde des enfants pour chacun des 166 dossiers était de près de 10 200 dollars, pour un total de 1 690 417 dollars. Des efforts soutenus ainsi que l’exécution rigoureuse des ordonnances depuis la création du bureau au Nunavut, il y a un an, ont permis de réduire considérablement le problème[116]. À l’heure actuelle, on constate dans un grand nombre de dossiers du PEOA que les versements, au Nunavut, se font régulièrement. Ainsi, sur 56 dossiers, des paiements mensuels sont versés dans 43 cas.

Il faudra aborder ces questions, ne serait-ce que pour assurer la crédibilité du système. Les personnes dans l’obligation de payer devraient faire modifier leurs ordonnances ou leurs ententes pour qu’elles tiennent compte de leur situation véritable. Au cours des quelques dernières années, les ordonnances n’ont pratiquement pas été modifiées. Il pourrait s’avérer utile de faire connaître la possibilité d’obtenir une modification d’ordonnance de la cour ou de permettre aux personnes dans l’obligation de payer et aux destinataires de s’entendre pour effacer une partie des arrérages, ou encore d’accepter une aide matérielle, comme par exemple de la nourriture, plutôt qu’une contribution financière. Le Programme d’exécution des ordonnances alimentaires devrait reconnaître ce genre d’ententes, lesquelles devraient être enregistrées à la cour. Pendant des années, il n’y a pas eu non plus au Nunavut d’audiences pour défaut de paiement. On espère que les premières audiences auront lieu cette année. Au fil du temps, elles fourniront aux personnes dans l’obligation de payer l’occasion de faire modifier des ordonnances impossibles à respecter, en plus de fournir un mécanisme de recouvrement efficace des sommes non versées par les personnes qui négligent volontairement leurs obligations alimentaires.

En résumé, les résultats de la recherche sur les pensions alimentaires pour enfants sont assez troublants. Une minorité de parents ayant la garde des enfants affirment recevoir une pension alimentaire et une minorité à peine plus grande de parents n’ayant pas la garde des enfants affirment en verser une. Nous avons insisté dans cette enquête sur l’aide financière aux enfants et non sur d’autres formes d’aide, telle qu’une aide sous forme de nourriture, par exemple. Le Programme d’exécution des ordonnances alimentaires n’intervient que dans une minorité de cas où une pension alimentaire est versée. Il a considérablement élargi ses activités au cours des dix dernières années et connaît désormais un certain succès pour la perception des versements prévus pour ses dossiers actifs. Toutefois, la recherche a révélé certaines failles du programme, notamment que les Nunavummiuts n’en sont pas pour l’instant les premiers bénéficiaires, et que la population dans son ensemble en ignore les tenants et les aboutissants.