Rapport de recherche sur le droit de la famille au Nunavut

4. RÉSULTATS DU PROGRAMME DE RECHERCHE : FAÇONS DE FAIRE, SERVICES ET INFORMATION

La question des façons de faire sous-tend les principales questions abordées dans notre étude. Même dans le contexte de l’enquête, les participants nous ont ouvertement dit comment ils en étaient venus à conclure des ententes pour régler les questions de pensions alimentaires et de garde de leurs enfants. Cette information s’est avérée un élément quantitatif utile qui est venu s’ajouter à la mine de renseignements recueillis lors des rencontres communautaires. Il est clair que tout converge vers l’évolution du droit et la création de services.

4.1  Résoudre les problèmes liés aux pensions alimentaires et à la garde des enfants

Dans notre étude, 78 parents ne vivaient pas avec au moins un de leurs enfants. Ce nombre excède celui des personnes qui ont déclaré être séparées ou divorcées, et comprend vraisemblablement des chefs de famille monoparentale et quelques personnes qui ont mis fin à une union de fait mais qui ne se décrivent pas comme étant « séparées ». Nous avons demandé à ces parents s’il leur était arrivé de conclure une entente avec une autre personne sur la pension alimentaire ou la garde de leurs enfants. Dix d’entre eux n’ont pas répondu. Pour les autres, nous avons obtenu des résultats surprenants : près de 60 p. cent (40) ont affirmé n’avoir jamais conclu d’entente. De façon tout aussi surprenante, seulement deux parents (moins de 3 p. cent) ont déclaré avoir obtenu une ordonnance de la cour pour la garde et la pension alimentaire des enfants. Parmi les participants restants, 16 disposaient d’une entente écrite, et 10 d’une entente verbale (environ 23 p. cent et 15 p. cent respectivement)[117] (Voir la figure 4).

Il est essentiel d’envisager ces statistiques plutôt surprenantes à la lumière des recherches menées à l’échelle nationale, lesquelles montrent des résultats tout aussi surprenants sur les nombreux cas résolus sans l’intervention du tribunal. Selon deux enquêtes récentes, le quart environ des parents séparés au Canada n’ont aucune entente initiale sur la garde, le droit de visite ou sur la pension alimentaire[118]. Selon l’enquête relative aux pensions alimentaires pour enfants, la plupart des parents qui n’avaient pas d’entente n’avaient jamais cherché à obtenir de pension alimentaire pour leurs enfants, soit pour des motifs économiques, soit parce que les enfants avaient atteint l’âge adulte, soit en raison des tracasseries liées aux négociations pour parvenir à une entente. Ces constatations ont d’énormes répercussions sur le système judiciaire.

Figure 4 - Répartition des participants à l’enquête en fonction des arrangements existants au sujet des enfants

Figure 4: Répartition des participants à l’enquête en fonction des arrangements existants au sujet des enfants

[ Description ]

Le fait qu’il n’existe que peu d’ententes sur les pensions alimentaires pour enfant soulève plusieurs questions. Nous ne savons pas exactement ce qui se passe quand aucune entente n’a été négociée. Les besoins des enfants sont-ils satisfaits? A-t-on négocié une entente verbale non équivoque et bien comprise de part et d’autre? A-t-on utilisé la contrainte ou la fuite? Ce phénomène semble refléter une caractéristique généralement perçue comme inhérente à la culture inuite, soit le désir d’éviter toute confrontation [119].

Les facteurs pouvant inciter une personne à recourir ou non au tribunal dans une cause relevant du droit de la famille ont fait l’objet de longues discussions lors des rencontres communautaires. Tous les participants à l’enquête ont reconnu que peu de personnes recouraient au tribunal. En plus des difficultés pratiques que cela soulève, il semble que les gens croient que les disputes au sujet des enfants sont mauvaises pour les enfants, que cela peut même les tuer, si bien qu’on tente à tout prix d’éviter ces disputes. Un certain nombre des intervenants consultés ont également invoqué d’autres facteurs.

Chose certaine, ces résultats confirment la perception générale selon laquelle, au Nunavut, la majorité des gens n’ont pas recours aux tribunaux pour régler des questions mettant en cause leurs enfants. L’étude nationale sur la garde et le droit de visite a montré qu’à l’échelle du Canada le tiers des parents environ recouraient aux tribunaux[121], soit dix fois le pourcentage des personnes qui y recourent au Nunavut. Si le régime légal en place — la Loi sur le divorce et la Loi sur le droit de l’enfance — a un effet sur la majorité des Nunavummiuts ce n’est pas à travers les décisions judiciaires mais bien en sensibilisant les gens au besoin de négocier des ententes justes et raisonnables pour le bien de leurs enfants. Il est tout aussi probable, par ailleurs, que d’autres normes qui ne découlent pas de la loi, des normes culturelles ou autres, aient aussi un rôle à jouer. Une certaine cohérence dans l’établissement des ententes informelles semblerait indiquer l’existence d’un ensemble structuré de normes; l’absence d’une telle cohérence pourrait être le signe de normes concurrentes ou circonstancielles.

La réponse à la question de savoir si les gens cherchaient à obtenir de l’aide au moment de la séparation révèle là aussi un haut niveau d’autonomie. Soixante-six personnes ont répondu à la question. Un peu moins du tiers des participants (21) ont déclaré avoir demandé de l’aide au moment de la séparation; les deux autres tiers (45) ont affirmé ne pas en avoir demandé. Peut-être a-t-on mal compris la question, mais il n’en reste pas moins que la plupart des gens ne s’attendaient pas à obtenir une aide extérieure au moment de leur séparation. Neuf des personnes qui ont obtenu de l’aide ont déclaré avoir eu recours à un travailleur social, huit se sont tournées vers un avocat, et quatre vers un ami, un parent ou un aîné (ces groupes se recoupaient parfois). Deux personnes ont demandé l’aide d’un travailleur social auprès des tribunaux, et une autre a demandé assistance à un agent de liaison communautaire, un ancien responsable de la localité qui servait souvent de lien entre les membres de la collectivité et les différents services gouvernementaux.

4.2  Les services du droit de la famille

La question de la présence ou de l’absence de façons de faire conduit directement à celle de la présence ou de l’absence de services. La dure réalité au Nunavut, c’est que les services sociaux sont très rares dans la plupart des collectivités. Les services se concentrent généralement dans les centres régionaux ou dans les collectivités importantes et, même là, les ressources y sont limitées. Les services sont rarement spécialisés et leurs agents sont presque toujours surchargés de travail. Il en résulte que la plupart des Nunavummiuts n’ont pas accès aux services auxquels ils pourraient normalement s’attendre. Nous avons aussi, dans cette enquête, essayé de voir quels sont les services, informels ou généraux, qui pourraient combler les lacunes en l’absence de services spécialisés.

4.2.1  Les services du droit de la famille disponibles au Nunavut

Pour établir le répertoire des services, nous avons mené des entrevues téléphoniques avec des agents principaux d’administration de la plupart des collectivités du Nunavut, à l’exclusion des très petits centres et des centres régionaux (consulter la méthodologie pour plus de détails). Nous leur avons demandé avec quelle fréquence, à leur avis, une séparation ou un divorce pouvait entraîner des difficultés pour les membres de leur collectivité, et quels étaient les services dont disposaient les personnes aux prises avec ces difficultés. Selon la plupart de ces agents, la séparation était un problème assez courant alors que le divorce l’était beaucoup moins. La majorité des agents (11 sur 17) connaissaient des personnes ou des familles aux prises avec des problèmes de séparation ou de divorce. Le problème le plus fréquemment mentionné à leur avis était celui de la violence (16 sur 17 participants à l’enquête); près de la moitié des personnes interrogées ont également parlé de difficultés reliées à la garde, au droit de visite et à la pension alimentaire pour enfant. Leur point de vue est important, car ces agents principaux d’administration continuent de jouer, avec les membres du conseil de la localité, un rôle crucial dans la planification et l’établissement des budgets des collectivités.

Les résultats ont aussi révélé une grave pénurie de services. Dans la plupart des collectivités (14 sur 17), c’est sur un travailleur social que repose l’ensemble des services sociaux, notamment la protection de l’enfance, la surveillance des probations et tous les autres services prioritaires. Or, il semble difficile de retenir les travailleurs sociaux dans leur emploi : six collectivités ont déclaré qu’au cours des deux dernières années, elles avaient dû se priver de leur travailleur social pour des périodes allant d’un mois à un an. Sept des treize agents principaux d’administration, appartenant à une collectivité qui bénéficie actuellement des services d’un travailleur social, ont déclaré que cette personne s’occupait des problèmes familiaux, deux autres ont dit qu’elle n’abordait pas ce type de problèmes et quatre ne savaient pas si elle fournissait des services de soutien aux familles.

On a signalé dans pratiquement le même nombre de collectivités la présence d’un professionnel du mieux-être communautaire ou d’un professionnel de la santé mentale (12 sur 17). Ces personnes fournissent un ensemble de services liés à l’alcoolisme et à la toxicomanie ainsi qu’à d’autres types de problèmes de santé mentale. Quatre autres collectivités ont un conseiller résidant sur place. On a mentionné dans une poignée de collectivités l’existence de services peu courants, par exemple un centre de ressources familiales géré par la société Ilisaqsivik à Clyde River ou un groupe pour le mieux-être des hommes à Pangnirtung. Il existe d’autres collectivités, comme Whale Cove, dans le Keewatin, qui n’ont ni agent de la GRC, ni travailleur social à temps plein, ni conseiller, ni garderie, ni refuge pour victimes de violence.

Les services mentionnés le plus fréquemment s’adressaient aux personnes aux prises avec de la violence : six des 17 collectivités disposaient de maisons d’hébergement et deux autres collectivités hors des centres régionaux avaient un refuge d’urgence. Dans une autre collectivité, on a mentionné la présence d’un refuge d’urgence « improvisé ». Plusieurs personnes ont affirmé que la GRC offrait des services aux familles. Un agent administratif a déclaré que le comité de justice communautaire procurait certains services aux personnes éprouvant des difficultés relevant du droit de la famille.

En ce concerne les services offerts aux jeunes, les étudiants peuvent avoir accès aux services d’un conseiller en orientation (10 collectivités sur 17) ou à un comité de jeunes (10 collectivités sur 17); il s’agit là d’une source importante de planification pour les jeunes qui ne vont pas à l’école. Moins de la moitié des comités de jeunes comptaient un responsable chargé de la coordination de ces groupes. Dans l’ensemble, ces comités mettent l’accent sur les programmes de loisirs mais n’offrent pas de soutien aux jeunes aux prises avec les difficultés de la vie, comme l’éclatement de la famille, par exemple. Quand nous avons visité les écoles, nous avons rapidement pris conscience du besoin criant d’information sur le fonctionnement du droit de la famille qu’ont les adolescents, non seulement en tant que personnes touchées par les difficultés de couple de leurs parents, mais également en tant que parents eux-mêmes. L’école, et en particulier la classe, grâce au programme d’études, continue d’être l’un des seuls moyens dont on dispose pour rejoindre les enfants et les jeunes dans leurs collectivités.

L’autre institution communautaire et universelle de chaque village ou hameau du Nunavut est l’église. Dans la plupart des collectivités, l’église, contrairement à de nombreux autres programmes, est dirigée par les Inuits. Nous avons entendu beaucoup d’anecdotes sur des groupes paroissiaux participant au travail d’orientation des couples traversant une séparation ou un divorce. Mais plusieurs des personnes interrogées ont mentionné que l’aide de l’église était limitée, car la séparation et le divorce sont contraires aux principes religieux de la plupart des principaux groupes organisés. C’est la raison pour laquelle plusieurs personnes ont affirmé qu’elles n’iraient pas chercher de l’aide à l’église si elles faisaient face à un problème de séparation ou de divorce.

Mis à part ces services, mentionnons une poignée de groupes divers (groupe d’aînés, parents-substituts); dans l’ensemble, les autres agents d’administration n’ont fait état d’aucun autre service dans les collectivités.

Cette pénurie de services a des conséquences évidentes pour toute réforme législative. Toute réforme qui tend à prévoir le recours à des services comme mesure préalable au divorce ou à l’intervention du tribunal risque d’ériger une barrière que pourront difficilement franchir les petites collectivités du Nord. Pour elles, il sera impossible d’offrir ces services obligatoires sur une base régulière. Les collectivités ne disposent d’aucun service de médiation; les programmes de sensibilisation parentale devront se limiter à la présentation de documents vidéos; les services d’orientation ne sont pas toujours présents et, dans bien des cas, les conseillers disposent de connaissances limitées ou sont en situation de conflit d’intérêts.

4.2.2    Connaissance de l’existence des services du droit de la famille et utilisation de ces services

Dans notre enquête auprès des ménages, nous avons posé des questions sur la connaissance et l’utilisation de plusieurs types de services importants tout particulièrement orientés vers le droit de la famille. Les réponses ont révélé de façon constante que les répondants ne connaissaient pas l’existence de ces services[122].

La majorité des personnes ne connaissaient que les services offerts par les travailleurs sociaux et les groupes paroissiaux pour venir en aide aux personnes aux prises avec des difficultés liées au droit de la famille. Environ la moitié des participants à l’enquête savaient que l’Aide juridique pouvait représenter les individus lors de différends familiaux. Curieusement, les personnes sachant pouvoir obtenir de l’aide des comités de justice communautaire étaient plus nombreuses que celles connaissant le recours au Programme d’exécution des ordonnances alimentaires. Cette constatation a de quoi surprendre, car les CJC n’ont ni pouvoir officiel en matière de droit de la famille ni formation particulière à cet égard. Néanmoins, la présence de ces comités dans la collectivité attire de toute évidence un certain nombre de personnes et en font une ressource (Voir le tableau 20).

Tableau 20
Répartition des participants à l’enquête en fonction de leur connaissance de certains services choisis du droit de la famille

Avez-vous entendu parler de… Fem. Hom. Total des participants à l’enquête Pourcentage de l’échantillon total
Aide juridique (différends familiaux) Oui 94
56
64
52
158
54 %
46 %
Non 74
44 %
60
48 %
134
46 %
39 %
Programme d’exécution des ordonnances alimentaires Oui 36
21 %
20
16 %
56
19 %
16 %
Non 133
79 %
103
84 %
236
81 %
69 %
Services relatifs à la pension alimentaire pour enfant Oui 55
33 %
38
31 %
93
32 %
27 %
Non 114
68 %
85
69 %
199
68 %
58 %
Travailleurs sociaux (comme conseillers familiaux) Oui 124
73 %
78
63 %
202
69 %
59 %
Non 45
27 %
46
37 %
91
31 %
26 %
Groupes paroissiaux (comme conseillers familiaux) Oui 94
55 %
81
65 %
175
60 %
51 %
Non 75
44 %
43
35 %
118
40 %
35 %
Comités de justice communautaire (différends familiaux) Oui 74
44 %
50
40 %
124
43 %
36 %
Non 94
56 %
74
60 %
168
58 %
49 %
Total   168 124 292 342

Nous avons ensuite demandé lesquels de ces services avaient été utilisés par les participants. Là encore, on utilisait peu les services, mais cette constatation n’a rien de surprenant vu le nombre de ruptures, dans l’ensemble.

Globalement, 72 p. cent[123] des participants à l’enquête ont dit n’avoir jamais eu recours à l’un ou à l’autre des services mentionnés. Le plus grand nombre, et de loin, des personnes restantes ont dit avoir eu recours à un travailleur social (certaines personnes ont dit avoir utilisé plus d’un de ces services, donc certains sont comptés deux fois) (Voir le tableau 21).

Nous avons demandé aux participants de nous dire dans quel but ils avaient utilisé ces services, et nous avons obtenu un éventail de réponses beaucoup plus large que prévu. La définition d’un problème familial, dans l’esprit des participants à l’enquête, débordait le cadre de nos prévisions. Nous pouvons affirmer que les gens ont utilisé les services tant pour porter des accusations criminelles contre leur enfant que pour résoudre des problèmes de famille d’accueil, de violence, de santé mentale, de garde, de droit de visite ou de pensions alimentaires pour enfants ou encore pour obtenir des services de consultation et d’orientation. D’autres personnes n’ont pas voulu décrire leurs problèmes en détail et ont répondu, par exemple, par « problème conjugal » ou « enfants » à la question de savoir pourquoi elles avaient eu recours aux services. Par conséquent, nous n’avons pas pu créer de catégories d’utilisation des services. Les gens n’étant pas en mesure d’obtenir des services spécialisés, il n’est pas surprenant de les voir définir leurs problèmes familiaux en termes généraux. C’est là un exemple des difficultés que l’on rencontre lorsque l’on tente d’obtenir des renseignements précis sur un problème ou un service juridique particulier dans le Nord.

Tableau 21
Répartition des services utilisés par les participants selon le type de service et le sexe du participant

Femme Homme Total des
participants à l'enquête (Réponses multiples acceptées)
Pourcentage de l'échantillon total
Services sociaux 31
60 %
12
44 %
43
54 %
13 %
Aide juridique 18
35 %
7
26 %
25
32 %
7 %
Groupes paroissiaux 9
17 %
5
19 %
14
18 %
4 %
Programme d'exécution des ordonnances alimentaires 10
19 %
3
11 %
14
18 %
4 %
Comités de justice communautaire 4
8 %
5
19 %
9
11 %
3 %
Tribunal 4
8 %
  3
5 %
1 %
Autre   2
7 %
2
3 %
1 %
Total 52 27 79 342

4.2.3  Les services prioritaires

Nous avons constaté lors des rencontres communautaires que tout le monde s’entendait sur un certain nombre de services jugés utiles. Nous avons retenu trois messages principaux. La plupart des gens ont identifié comme utiles les services de consultation et d’orientation pour les personnes aux prises avec des difficultés conjugales. La demande pour ce type de service est générale. Ensuite, les participants n’ont pas véritablement exprimé un besoin d’information sur le plan juridique. Pour eux, une information sans services adéquats n’améliorerait pas beaucoup la situation du droit de la famille. Enfin, au moment de l’enquête, les participants ont affirmé que, pour eux, les services juridiques ne semblaient pas disponibles quand on en avait besoin.

Les membres de la communauté ont abondamment discuté de l’importance de pouvoir recourir à des services de consultation, surtout pour les personnes qui envisagent une séparation. Toutefois, nous avons constaté des divergences de vue sur l’objectif de ces services. Pour certains, les services de consultation devraient avoir pour fonction d’encourager les conjoints à faire le nécessaire pour tenter de sauver le couple. Les personnes exprimant cette opinion étaient souvent parmi les plus âgées. D’autres y voyaient une façon d’intervenir à un moment de crise pour amener un changement de comportement : si le problème découlait en partie d’un abus d’alcool, de l’usage de drogues ou même d’actes de violence perpétrés par l’un des conjoints, on estimait que les services de consultation pourraient faciliter le changement de ces modèles de comportements destructeurs. Des hommes et des femmes d’âges différents étaient de cet avis. Souvent, pour eux l’objectif était de sauver la relation, mais seulement par le « ressourcement ». Certains membres du groupe ont aussi insisté sur les questions de sécurité. D’autres encore ont considéré les services de consultation au moment d’une crise entre conjoints comme le moyen d’apporter un soutien à ces personnes pendant une période difficile de leur existence, sans envisager nécessairement le retour à la vie commune comme la panacée à leurs problèmes conjugaux.

Bien que nous n’ayons pas examiné la question à fond, il ne semblait pas y avoir eu de consensus quant à la forme que devraient prendre ces services. Les gens ne semblaient pas plus privilégier les consultations individuelles que les consultations en couple. Nous n’avons pas abordé la question de la sécurité ou des déséquilibres de pouvoirs dans le contexte des consultations; cette question n’a pas été soulevée au niveau de la communauté. Nous n’avons pas non plus abordé les services de consultation ou les séances d’information obligatoires. Tout type de programme obligatoire aurait sans doute soulevé beaucoup de résistance, vu l’inquiétude omniprésente que représente la violence[124]. De plus, comme nous l’avons mentionné précédemment, tout programme de services obligatoires poserait d’énormes problèmes logistiques équivalant à un véritable déni de justice. Enfin, vu le faible nombre de personnes qui utilise le processus judiciaire, les programmes obligatoires n’atteindraient de toute façon qu’un nombre limité d’individus.

En ce qui a trait à la demande de services juridiques, les gens ont exprimé du mécontentement face à la méconnaissance de leurs droits, mais plus encore face à cette incapacité de ne pas pouvoir compter sur le système du droit de la famille pour trouver des solutions à leurs problèmes[125]. De nombreuses personnes ont exprimé des doutes sur la pertinence de recevoir de l’information sous forme de publicité ou de dépliant, sans accès aux services qui leur permettraient d’exercer les droits énoncés. Sans aide, les personnes qui comprenaient leurs droits ont signalé se sentir complètement impuissantes lorsqu’elles essayaient d’obtenir une pension alimentaire pour leurs enfants ou voulaient régler une autre question de droit de la famille.

La volonté d’être représenté par un avocat n’exprimait pas nécessairement un désir de confrontation. En fait, l’aspect accusatoire du système est toujours considéré, par tous ceux qui se sont exprimés sur le sujet, comme un problème en soi.

Les membres de la communauté s’entendaient généralement sur les type de cas nécessitant les services d’un avocat : quand l’autre partie vit à l’extérieur de la collectivité et bien souvent hors du Territoire, quand une femme demande une pension alimentaire pour ses enfants ou quand une personne est défenderesse dans une procédure engagée par quelqu’un d’autre. Les femmes qui recourent à un avocat (et au droit) pour obtenir une pension alimentaire pour leurs enfants, y voient là un moyen de faire valoir leurs droits. Dans les autres cas (la majorité), les gens recourent aux services d’un avocat davantage pour gérer une situation trop complexe que pour faire valoir un droit en particulier.

Les difficultés pratiques pour se faire représenter par un avocat restent nombreuses. La pénurie d’avocats dont nous avons parlé dans le premier chapitre continue d’être le principal obstacle. La Commission des services juridiques a engagé deux avocats à temps plein, spécialisés en droit de la famille, en l’an 2000. Moins d’un an plus tard, ils devaient gérer près de 250 nouveaux dossiers[126]. Cependant, même si l’on dispose d’un avocat spécialisé en droit de la famille dans chaque région, le problème d’une représentation adéquate ne sera pas réglé. Les conflits d’intérêts représentent toujours un énorme problème. De nombreuses personnes qui auraient pu faire valoir leurs droits n’ont pu le faire parce que la même clinique juridique représentait leur conjoint dans une cause criminelle — où, bien souvent, elles étaient la victime. Les délais trop courts pour l’échange de documents ne tiennent pas compte de l’isolement des collectivités en termes de ressources juridiques, et les retards inévitables pour obtenir un avocat peuvent parfois causer de graves préjudices. Le coût des services d’un avocat représente aussi un grave problème pour les personnes non admissibles à l’Aide juridique.

La difficulté d’obtenir une représentation adéquate découle directement des problèmes généraux d’accès à la justice que connaît le Nord. Les tribunaux siégeant très peu souvent dans la plupart des collectivités, les occasions d’entendre une cause en présence de toutes les parties sont rares. La Commission d’examen des lois a constaté que le processus de gestion des procédures de droit familial non contestées comportait souvent des échanges de requêtes entre avocats en l’absence des parties. Comme ces affaires sont entendues en dehors de la collectivité, ses membres encore moins l’occasion de comprendre le déroulement du processus ou d’intervenir. Malgré la formation d’interprètes, la langue est aussi un obstacle pour beaucoup, étant donné qu’à l’heure actuelle, un seul avocat au Nunavut parle l’inuktitut. Les avocats qui travaillent avec les Inuits n’ont pas toujours les aptitudes transculturelles nécessaires, ce qui peut entraîner aussi de graves malentendus. Car, si les victimes de violence ont une mauvaise expérience du tribunal, elles peuvent cesser de le considérer comme l’endroit approprié pour résoudre adéquatement leurs problèmes.

Compte tenu de ces résultats, nous croyons fortement qu’il nous faut travailler à mettre en place, pour gérer les problèmes du droit de la famille, un système indépendant des tribunaux et accessible au niveau de la collectivité. Dans sa Stratégie en matière de droit de la famille (annexe IV), qui découle aussi de cette recherche, le ministère de la Justice du Nunavut s’est engagé, avec le soutien du gouvernement fédéral, à former des médiateurs. Cette formation mettra l’accent sur le respect du concept de l’Inuit Qaujimajatuqangit et s’appuiera sur une collaboration entre des médiateurs formés dans le Sud et des membres respectés de la communauté. L’élaboration d’un processus non judiciaire au niveau des collectivités pourrait permettre à la plupart des Inuits d’obtenir plus que de l’information sur le droit de la famille, il pourrait aussi leur permettre d’obtenir une certaine forme d’aide par le biais d’ententes exécutoires par le tribunal.

Plusieurs aspects de ce projet devront être précisés au fur et à mesure des consultations menées par la MQ et par le ministère. Comme l’indique le répertoire des services, la plupart des services du Nunavut ne sont pas « autonomes » mais intégrés à un ensemble. Des médiateurs formés au droit de la famille peuvent faire partie d’un autre groupe, par exemple, des comités de justice communautaire. Selon la commissaire en chef, les CJC dans le Nord de Baffin se sont dits très intéressés par les questions familiales, si on leur conférait suffisamment de pouvoirs. D’autres comités ont toutefois exprimé des réserves considérables quant à la possibilité de se voir conférer plus de responsabilités, en particulier, pour régler des conflits familiaux[127]. Lors de notre consultation, un travailleur social a suggéré que ces médiateurs travaillent avec les comités de prise en charge qui doivent être mis sur pied en vertu de la Loi sur les services à l’enfance et à la famille.

4.3  L’information juridique

C’est une travailleuse sociale de Pond Inlet qui a le mieux résumé notre principale conclusion sur l’information juridique à fournir à la population : « Quel peut bien être l’avantage de voir ses droits imprimés sur une affiche ou sur un dépliant, a-t-elle demandé, si l’on n’a même pas de numéro de téléphone où appeler pour tenter de les exercer? » Le manque d’information est un grave problème même s’il ne constitue pas le principal obstacle auquel sont confrontés les Nunavummiuts quand ils cherchent à résoudre leurs conflits familiaux. Malgré un niveau relativement élevé de connaissances dans les réponses aux questions posées dans notre enquête auprès des ménages, nous avons été frappés par le besoin constant toujours plus grand d’information sur tout un ensemble de questions liées au droit de la famille et aux droits de la personne. En voici quelques exemples :

Les membres de la communauté avaient tout un éventail de suggestions sur la manière d’informer la population sur ces droits et sur les sources privilégiées d’information en cas de séparation et de divorce. Bien qu’un nombre important de personnes n’aient pas indiqué quelles étaient, à leur avis, les sources d’information les plus adéquates, celles qui l’ont fait ont manifesté leur choix de façon claire : la plupart des personnes consulteraient un avocat ou un travailleur social pour avoir de l’information sur le divorce. Très peu tenteraient d’obtenir cette information d’un ministre du culte, d’un groupe paroissial ou d’un travailleur social auprès des tribunaux (Voir le tableau 22).

Tableau 22
Répartition des participants à l’enquête en fonction des sources d’information privilégiée
s

Source d’information privilégiée Total des participants à l’enquête (Réponses multiples acceptées) Pourcentage de l’échantillon total
Avocat(e) Oui 119
43 %
35 %
Non précisé 158
58 %
46 %
Travailleur social* Oui 97
35 %
28 %
Non précisé 178
65 %
52 %
Aîné(e) Oui 67
24 %
20 %
Non précisé 207
76 %
61 %
Ami(e) Oui 58
21 %
17 %
Non précisé 216
79 %
63 %
Famille Oui 42
15 %
12 %
Non précisé 232
85 %
68 %
Travailleur social auprès des tribunaux* Oui 28
10 %
8 %
Non précisé 247
90 %
72 %
Groupe paroissial Oui 20
7 %
6 %
Non précisé 254
93 %
74 %
Centre communautaire Oui 16
6 %
5 %
Non précisé 258
94 %
75 %
Autre Oui 11
4 %
3 %
Non précisé 263
96 %
77 %
Totaux 274
100 %
342
100 %
* N=275 participants à l’enquête.

Pour ce qui est de la transmission de l’information sur le droit de la famille par les médias, de nombreuses personnes ont dit préférer la radio. Les gens écoutent beaucoup la radio au Nunavut. Elle ne coûte pas cher et est en grande partie gérée par les Inuits. Elle constitue assurément un type privilégié de communication. La télévision et les journaux comptaient un nombre égal d’adeptes. Ces deux médias coûtent beaucoup plus chers que la radio. De plus, les journaux ont un public moins large en raison de l’analphabétisme. L’Internet n’est pas perçu comme un choix fiable, ce qui n’est pas surprenant étant donné la rareté relative des connexions Internet dans les Territoires, leur lenteur et le coût élevé du service en dehors d’Iqaluit et de Rankin Inlet, où se trouvent les seuls fournisseurs de services Internet.

Les participants à l’enquête avaient également tout un éventail de suggestions créatives pour permettre la diffusion de l’information, notamment des aimants pour réfrigérateur avec des numéros de téléphone, l’utilisation d’organismes et de réseaux communautaires, des brochures, des rencontres communautaires, et ainsi de suite (Voir le tableau 23).

Tableau 23
Répartition des participants à l’enquête en fonction du média préféré pour transmettre l’information

Média Total des participants à l’enquête Pourcentage de l’échantillon total
Internet Préféré 51
16 %
15 %
Non préféré 262
83 %
77 %
Journal Préféré 136
43 %
40 %
Non préféré 177
57 %
52 %
Affiches Préféré 70
23 %
20 %
Non préféré 239
77 %
70 %
Radio Préféré 210
69 %
61 %
Non préféré 104
33 %
30 %
Télévision Préféré 143
46 %
42 %
Non préféré 171
54 %
50 %