Renforcement de la sécurité : Affaires de violence conjugale faisant intervenir plusieurs systèmes juridiques
(en matière de droit pénal, de droit de la famille et de protection de la jeunesse)
Perspective du droit de la famille sur la violence conjugale

Partie 7 : Risque d'une issue fatale

7.1 Introduction

Le dépistage des faits qui indiquent le risque d'une issue fatale est extrêmement important dans les affaires de droit de la famille et de protection de la jeunesse. Cependant, les taux de signalement aux services de police sont faiblesNote de bas de la page 81. Les travaux de recherche en matière de violence conjugale, dans leur ensemble, font état d'actes de violence commis antérieurement par un conjoint dans la majorité des cas d'homicide liés à des partenaires intimes (bien que ces faits ne soient pas toujours connus des services de police ou consignés dans des rapports d'arrestation)Note de bas de la page 82. Même si, en 2010, Statistique CanadaNote de bas de la page 83 a rapporté l'existence de dossiers confirmant la présence antérieure de violence familiale dans la majorité des cas où un conjoint avait été accusé du meurtre de son partenaire intime, bon nombre de travaux de recherche et de rapports indiquent l'absence d'intervention antérieure des services de police et l'absence de dossiers dans de nombreux cas de létalitéNote de bas de la page 84. En outre, étant donné que certains indicateurs liés au risque d'une issue fatale ne sont pas de nature pénale, à défaut d'emploi des indicateurs de létalité, les services de police ne pourront pas nécessairement recueillir des renseignements relatifs à des indicateurs reconnus de risque d'une issue fataleNote de bas de la page 85. Il faudrait que les avocats spécialisés en droit de la famille, ainsi que les prestataires de service, se rappellent que la meilleure source de renseignements pour ce qui est du risque d'une issue fatale est la personne assujettie à la violence conjugale.

7.2 Faits liés au risque d'une issue fatale

Jacqueline Campbell a indiqué que près de 15 % des cas d'homicide liés à la violence conjugale ne sont pas prévisibles à l'aide des indicateurs ou des outils d'évaluation actuelsNote de bas de la page 86. Néanmoins, dans la plupart des études sur les homicides, les faits ci-après indiqués ayant trait à des cas d'homicide liés à la violence conjugale, sont remarquablement les mêmes dans l'ensemble des études sur les décès et des travaux de recherche en matière d'issue fatale, d'un ressort à l'autreNote de bas de la page 87 :

Les affaires qui font état d'un ensemble de ces indicateurs sont particulièrement préoccupantes. On sait que des comportements liés à de tels faits, ou une combinaison de ces derniers, aggravent le risque de létalitéNote de bas de la page 89.

Voir le lien Web (http://www.dangerassessment.org/ (en anglais)) en vue d'accéder à l'un des outils d'évaluation du risque le plus respecté qui a fait le plus l'objet de recherches portant sur l'évaluation du risque d'une issue fatale, et qui a été conçu par Jacqueline Campbell et ses collègues aux États-Unis.

Lorsqu'il y a plusieurs faits liés au risque d'une issue fatale, les avocats devraient également examiner les faits définis à la partie 7.3 ci-dessous, s'il y a lieu.

7.3 Renseignements supplémentaires sur la létalité

On a établi dans cette partie les faits supplémentaires qui sont souvent, mais pas toujours définis dans les travaux de recherche sur les homicides et les études sur les décès. Voici d'autres indicateurs de danger souvent mis en évidence dans les études sur l'issue fatale en cas de violence conjugale :

Les faits indiqués dans la présente partie contribuent au risque d'une issue fatale, en particulier lorsqu'ils ont rapport avec ceux indiqués à la partie 7.2 susmentionnée.

7.4 Communication obligatoire des renseignements : risque d'une issue fatale

Lorsqu'il y a des indicateurs de persistance de risque physique (voir la partie 6 ci-dessus), les prestataires de service, les professionnels et les avocats assujettis à des règles professionnelles liées au secret professionnel, devraient être autorisés et encouragés à communiquer des renseignements sur le risque et la sécurité entre les systèmes juridiques aux fins du renforcement de la sécurité.

Lorsqu'il y a un ensemble d'indicateurs de risque d'une issue fatale, il faut que les avocats, y compris ceux représentant les conjoints violents, examinent avec soin le test de préjudice imminent du Code de déontologie professionnelle. Une communication rapide des renseignements entre les secteurs judiciaires peut être nécessaire pour protéger les vies des victimes de violence conjugale et de leurs enfantsNote de bas de la page 91.

Dans le contexte du droit de la famille et de la protection de la jeunesse, il faut envisager la prise de mesures spéciales aux fins du renforcement de la sécurité, notamment la délivrance d'une ordonnance de protection civile, la référence immédiate vers des prestataires de service en matière de santé mentale (contre la dépression ou les pensées suicidaires) et de toxicomanie, la mise en œuvre de méthodes pour surveiller le respect des conditions imposées, et la supervision ou la suspension des visites jusqu'à ce que la sécurité soit évaluée et garantie. Il faut assurer un suivi en vue de veiller à la participation active aux services.

Dr Peter Jaffe, directeur des études du Canadian Centre of Research & Education on Violence Against Women and Children, indique qu'une analyse des facteurs liés au risque d'une issue fatale, selon des études sur les décès dus à la violence conjugale, a fait ressortir qu'il n'y avait aucune différence entre les faits liés à une issue fatale à l'égard des enfants et ceux liés au risque d'une issue fatale à l'égard des adultes ciblésNote de bas de la page 92. La conclusion est conforme aux observations que l'on trouve dans l'ensemble des ouvrages publiés en matière de létalité. Lorsqu'il y a des indicateurs liés au risque d'une issue fatale, autant les enfants que les adultes sont en danger. La suspension des visites jusqu'à ce que le risque et la sécurité soient évalués et garantis est la mesure la plus sécuritaire. Par ailleurs, si on envisage des visites supervisées, il faut veiller à ce que le centre de visites supervisées : ait une connaissance approfondie du risque continu et de la possibilité d'une issue fatale, possède des copies des ordonnances de protection et des conclusions judiciaires relatives au risque (s'il y a lieu), ait en place des mesures de sécurité spécialisées et des politiques de prévention en matière d'enlèvements d'enfants, comprenne bien le type de supervision requis, ait reçu une formation spécialisée dans le domaine de la violence conjugale tant sur le plan des compétences parentales que sur les indicateurs de risque d'une issue fatale. En outre, les superviseurs devraient être adaptés culturellement et devraient connaître la langue parlée entre le parent violent et l'enfantNote de bas de la page 93. Les travaux de recherche sur les visites supervisées indiquent de graves préoccupations en matière de sécurité dans les cas de violence conjugale coercitiveNote de bas de la page 94.

Bien que la meilleure solution, même dans le cas où il y a des indicateurs de danger, est que le client consente à la communication des renseignements, les avocats, en cas de défaut de communication de renseignements sur le danger, examinent minutieusement la responsabilité éventuelle de préjudice grave, voire létal, à l'égard des adultes et des enfants. Comme nous l'avons indiqué précédemment, en ce qui a trait au risque (voir la partie 6.5 ci-dessus), la plupart des Codes de déontologie professionnelle autorisent les avocats à divulguer des renseignements confidentiels en cas de risque imminent de préjudice. Cela dit, la règle 3.3.3 du Code type de déontologie professionnelle de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada (2012), approuvée en décembre 2012, autorise l'avocat (sans l'y obliger) à divulguer des renseignements confidentiels strictement essentiels « lorsqu'il a des motifs raisonnables de penser qu'il existe un risque imminent de mort ou de blessures graves, et que la divulgation est nécessaire pour prévenir cette mort ou ces blessures graves ».

Les conseils formulés dans le commentaire associé à la règle 3.3.3 du Code type de 2012 pourraient empêcher les avocats de réagir en temps utile. Selon le commentaire, les renseignements ne peuvent être divulgués que « dans des situations tout à fait exceptionnelles ». De plus, même si, à la lumière du commentaire, les avocats doivent se rappeler ce qui a été énoncé dans Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455; 169 D.L.R. (4th) 385, soit qu'une blessure psychologique grave peut constituer une blessure grave si elle nuit à la santé ou au bien-être, il faut également qu'ils :

Même s'il est extrêmement important de préserver le secret professionnel de l'avocat du point de vue de la sécurité en matière de violence conjugale, la mise en œuvre d'une règle habilitant expressément les avocats à communiquer des renseignements portant sur les indicateurs connus de risque d'une issue fatale dans les dossiers de violence conjugale pourrait sauver des vies au Canada.

7.5 Faux positifs : les faits pourraient ne pas entraîner la mort

Les faits indiqués ci-dessus sont liés à des dossiers dans lesquels il y a eu une issue fatale. Les travaux de recherche ne démontrent pas que tous les auteurs de violence conjugale, dont le dossier fait état d'une combinaison de ces facteurs, seront des meurtriers. Néanmoins, de tels facteurs indiquent que le partenaire intime et l'enfant sont exposés à un risque de danger grave qui nécessite des mesures préventives immédiates aux fins de la sécurité.

7.6 Des mesures préventives portent-elles atteinte aux droits?

Dans le contexte du droit de la famille, le risque d'une issue fatale est pris en compte aux fins de prévention. L'objectif est de renforcer la sécurité et non de prévoir les agissements éventuels d'un auteur de violence conjugale, ou encore de le punir.

En ce qui concerne les questions de droit de la famille : les adultes n'ont pas le droit de communiquer avec un ancien partenaire intime ou encore d'exercer un contrôle sur lui, et le droit de visite est un droit qui appartient à l'enfant, et non aux parents. Les dispositions qui limitent la communication d'un conjoint violent avec un ancien partenaire ou avec un enfant jusqu'à ce que l'on puisse garantir la sécurité ne portent donc pas atteinte aux droits. De telles dispositions peuvent plutôt sauver des vies, y compris celles des adultes violents.

7.7 Faits qui devraient être pris en considération

Voici certains faits qui ne devraient pas être pris en considération avant de décider si des mesures préventives doivent être prises en vue de réduire le risque d'une issue fatale : situation socioéconomique et professionnelle, âge, sexe, culture et origine ethnique.

Faits :

Néanmoins, il est vrai que les homicides dus à la violence conjugale qui sont suivis d'un suicide dépassent les facteurs liés au sexe, à l'âge, à la situation socioéconomique, professionnelle et culturelle.

7.8 Pratiques exemplaires : gestion du risque et du danger

Un certain nombre d'administrations ont établi des comités de surveillance de nature intersectorielle, intégrée et communautaire en matière de violence conjugale en vue de coordonner les services et de veiller à la communication rapide des renseignements liés au danger dans les cas à risque élevéNote de bas de la page 95. Outre leur participation à des comités relatifs à la communication des renseignements, les avocats spécialisés en droit de la famille peuvent envisager de concevoir et de mettre en œuvre des formulaires de consentement visant la communication de certains renseignements précis relatifs à l'accroissement du risque et à la possibilité d'une issue fatale dans les dossiers de violence conjugale.