Renforcement de la sécurité : Affaires de violence conjugale faisant intervenir plusieurs systèmes juridiques
(en matière de droit pénal, de droit de la famille et de protection de la jeunesse)
Perspective du droit de la famille sur la violence conjugale

Partie 8 : Procédures provisoires

8.1 Protection de la jeunesse : ordonnances de prévention, de protection

Tout ce qu'il faut parfois pour que l'enfant soit en sécurité, c'est que l'auteur de la violence soit déplacé et que soit supprimée sa capacité de maltraiter ou de contrôler le parent ciblé. Dans de nombreux ressorts, des ordonnances interdisant tout contact avec l'enfant (et en Ontario, interdisant tout contact avec la personne ayant la garde légale de l'enfant) peuvent être rendues de façon préventive, en conformité avec la législation de protection de la jeunesse. Ces ordonnances peuvent réduire ou prévenir la nécessité d'une intervention supplémentaire de l'État en vue de protéger l'enfant.

Dans plusieurs ressorts toutefois, la législation de protection de la jeunesse limite les circonstances dans lesquelles ces ordonnances peuvent être rendues ou les conditions pouvant être imposées. Parfois, elles peuvent être rendues uniquement en lien avec la prise en charge de l'enfant ou avec une ordonnance de surveillance, de garde ou de tutelle. L'article 30 de la Child, Youth and Family Enhancement Act, ch. C-12, de l'Alberta, prévoit par exemple que le « directeur » peut demander une ordonnance de non-communication dans les cas où l'enfant a été pris en charge ou fait l'objet d'une ordonnance de surveillance ou de tutelle. Voir également l'article 44 de la Child Protection Act, C. 5.1 de l'Île-du-Prince-Édouard. Dans quelques ressorts (Alberta, Colombie-Britannique, Terre-Neuve-et-Labrador, Nouvelle-Écosse par exemple), la législation précise les conditions pouvant être imposées dans ces ordonnances. Dans d'autres (Ontario, Saskatchewan, Nouveau-Brunswick par exemple), la législation comporte des dispositions visant à garantir « l'intérêt supérieur » de l'enfant ou en Ontario, sa « protection ».

On peut consulter les lois précitées sur le site public CanLII http://www.canlii.org/fr/index.html

Dans les cas où le pouvoir de prévention est restreint, les organismes de protection de la jeunesse ont peut-être la possibilité de demander que soit rendue une ordonnance civile de non-communication en vertu de la législation de prévention de la violence familiale (dans les ressorts où elle existe). Quelques lois de prévention autorisent l'intervention de tiers et divers recours susceptibles de renforcer la sécurité ainsi que le bien-être des enfants (mesures visant par exemple à prévenir la violence familiale ou à y répondre, à apporter un soutien économique, à mettre en sécurité des biens personnels ou à obtenir la possession exclusive du domicile). La Cour provinciale de l'Alberta a autorisé dans Re D.B., 2007 ABPC 318 (CanLII) le bureau de protection de l'enfance à présenter une demande d'ordonnance de protection en urgence, sur le fondement de la Protection Against Family Violence Act, R.S.A. 2000, ch. P-27. Il s'agissait de leur permettre de prendre des mesures pour protéger l'enfant en retirant le parent violent de la cellule familiale sans qu'il y ait nécessité d'une conclusion d'obligation de protection du parent ciblé. Un facteur de complication a été en l'espèce que celui-ci refusait d'entamer la demande et d'y consentir. (La Cour a conclu que son refus de consentir était probablement dû à de l'intimidation ou à de la crainte).

Les organismes de protection de la jeunesse peuvent recourir à d'autres mesures pour contraindre les auteurs de violence, garantir qu'ils soient exclus du domicile ou protéger les enfants quand leur sécurité est en jeu, notamment :

En l'absence de protocoles d'échange de renseignements ou de législation obligeant à divulguer, il y a toujours des problèmes possibles découlant du recoupement des instances relevant du droit de la famille et de la protection de la jeunesse, dans les cas où la personne ciblée par l'entente ou l'ordonnance de prévention demande l'accès à l'enfant au tribunal de la famille en vertu de la législation sur la protection de la jeunesseNote de bas de la page 96. Dans de tels cas, les avocats spécialisés en droit de la famille doivent veiller à ce que le tribunal de la famille ait connaissance de l'existence de l'ordonnance ou de l'entente de protection. Dans les cas où une instance pénale est en cours, les avocats qui représentent l'adulte ciblé doivent veiller à ce que le procureur soit averti de l'existence et des conditions de l'ordonnance ou des modalités de l'entente afin de lui permettre de s'opposer à ce que le juge y rende une ordonnance incohérente.

Les avocats spécialisés en droit de la famille de tous les provinces et territoires voudront vérifier l'existence éventuelle d'ordonnances et d'ententes antérieures et en vigueur prises en vertu de la législation pour la protection de la jeunesse.

8.2 Ordonnances de non-communication et de protection civile

8.2.1 Introduction

Les avocats spécialisés en droit de la famille qui cherchent à faire protéger au civil un client victime de violence familiale a plusieurs options. Les cours supérieures ont la compétence inhérente nécessaire pour rendre des injonctions visant à protéger des parties contre des actes d'intimidation, de harcèlement et contre l'infliction de blessures pendant le litige. Les avocats peuvent également obtenir, en vertu de pouvoirs conférés par la Loi sur le divorce L.R.C. 1985, ch. 3 (2e suppl.), des ordonnances de ne pas importuner. Dans les provinces et les territoires, des lois autorisent les ordonnances de protection en matière civile dans les affaires de droit de la famille.

En Alberta, les ordonnances de protection peuvent être rendues pour protéger de nombreuses personnes, alors qu'au Nouveau-Brunswick et en Ontario, elles ne visent que les demandeurs et les enfants, en vertu de la législation de la famille : voir l'article 128 de la Loi sur les services à la famille L.N.-B. 1980, ch. F-2.2, et pour l'Ontario, l'article 46 de la Loi sur le droit de la famille L.R.O. 1990, ch. F.3 et l'article 35 de la Loi portant réforme du droit de l'enfance, L.R.O. 1990, ch. C.12. En Colombie-Britannique, la partie 9 « Protection from Family Violence » de la Family Law Act, SBC 2011, ch. 25 prévoit des protections [TRADUCTION] « pour les membres de la famille qui sont en situation de risque ».

Les ordonnances de protection civile peuvent également être obtenues dans nombre de provinces et de territoires sur le fondement des lois visant à protéger contre la violence familiale

On peut consulter les lois sur le site de CanLII http://www.canlii.org/fr/index.html

8.2.2 Ordonnance de production civile efficace en matière de violence conjugale

En cas de violence conjugale coercitive (voir à la partie 5, la discussion des éléments distinctifs de la violence coercitive, de la violence mineure et isolée et de la violence liée à la résistance), les ordonnances de protection civile et les ordonnances de non-communication doivent, pour être efficaces, disposer notamment que les conjoints violents suivent jusqu'au bout des programmes spécialisés en intervention dans les cas de violence conjugale et en compétences parentales (dans la mesure où la loi le permet) et, s'il y a lieu, d'autres programmes, notamment sur les dépendances et la santé mentale. Le dédommagement pour les dépenses et les dommages liés à la violence conjugale, des dispositions portant sur les aliments, le partage des biens et l'accès à ceux-ci, la garde des enfants et la possession exclusive du domicile devraient être prévus dans ces ordonnances, dans la mesure où la loi le permet. En empêchant que la victime et l'enfant ne retournent dans un lieu de violence et de maltraitance, les ordonnances qui prévoient une protection large peuvent leur permettre de trouver stabilité et sécurité.

Du fait de l'importance croissante des éléments de preuve qui se trouvent dans des ordinateurs et dans des dispositifs de communication (voir les parties 4.5 et 5.8 sur les questions de preuve et de protection de la vie privée), il faut envisager de demander des dispositions explicites pour obtenir la possession immédiate de ces appareils ou pour empêcher la destruction de ces éléments de preuve. Étant donné la vitesse à laquelle des données peuvent être supprimées des ordinateurs, des ordonnances ex parte peuvent s'avérer nécessaires.

En droit de la famille et en cas de violence conjugale coercitive, si le pouvoir que confère la loi pour obtenir une ordonnance obligeant le conjoint violent à suivre un programme d'intervention fait défaut, il faut envisager de demander une disposition précisant que le fait de terminer de soi-même un programme d'intervention contre la violence conjugale comportant un contenu spécialisé sur les compétences parentales est une condition pour obtenir un droit de visite surveillée ou non concernant les enfants. Voir par exemple P.P. c. R.C., 2006 QCCA 445, Weiten c. Adair, 2001 MBCA 128; Merkand c. Merkand, 2006 CanLII 3888 (C.A. de l'Ont.), demande d'autorisation d'appel à la Cour suprême du Canada refusée : Irshad Merkand c. Tallat Merkand, 2006 CanLII 18512 (C.S.C.), TLMM c. CAM, 2011 SKQB 326.

8.2.3 Exécution

Les avocats spécialisés en droit de la famille qui sollicitent des ordonnances de protection en matière civile peuvent vouloir envisager de prévoir une « clause de signification non obligatoire » (si par exemple les deux parties sont présentes au tribunal au moment où il rend l'ordonnance), de sorte que des preuves supplémentaires de signification ne sont pas nécessaires. Il est aussi possible que le destinataire signe l'ordonnance et reconnaisse par-là avoir été avisé de la protection civile. Cette façon de procéder permet à la police d'exécuter l'ordonnance sans avoir à en localiser d'abord le destinataire ni à en prouver ensuite la signification.

Voir dans Partridge c. Partridge (2007), 213 Man. R. (2d) 305, 2007 MBQB 80 un cas d'outrage pour non-respect de conditions dont le contrevenant avait connaissance, malgré que les actes aient été commis avant la signature par le juge et le dépôt officiel de l'ordonnance signée.

Il importe d'établir clairement les procédures d'exécution applicables et de préciser dans quels cas la police peut procéder à une arrestation pour encourager la rapidité de l'exécution et dissiper la confusion chez les policiers. Les procédures d'exécution des ordonnances civiles varient selon les provinces et les territoires. Un avis concernant la possibilité de responsabilité criminelle sur le fondement de l'article 127 du Code criminel peut être judicieux dans quelques ressorts mais pas dans d'autres. Dans ceux dont la législation ne comporte pas de mécanisme d'exécution, le non-respect des ordonnances de protection civile (autres que les ordonnances relatives au versement de sommes d'argent) peut déclencher une inculpation en vertu de l'article 127 du Code criminel.

L'absence de consensus parmi les cours d'appel à cet égard est désormais résolue. La décision majoritaire R. c. Gibbons, 2012 C.S.C. 28 (CanLII) fait bien comprendre que l'application de l'exception à l'exécution en matière criminelle que prévoit l'article 127 est déclenchée uniquement dans les cas où l'intention du législateur a été de restreindre l'application de cet article et a prévu dans la loi un autre moyen exprès de traiter le non-respect des ordonnances en matière civile. « Le fait que des règles de procédure prévoient une peine ou un mode de procédure est insuffisant pour entraîner l'application de l'exception si le tribunal rend l'ordonnance dans l'exercice du pouvoir inhérent qu'il tient de la common law.... la procédure à elle seule est insuffisante pour entraîner l'application de l'exception »...

Dans les cas où des lois provinciales concernant la violence conjugale ou le droit de la famille prévoient explicitement l'infraction, la procédure, l'exécution et les peines précises applicables pour inobservation d'ordonnances rendues conformément à elles, l'exécution se fait en vertu de ces lois (à l'exception possible de l'outrage criminel). Dans les cas où la loi applicable en matière de violence conjugale ou de droit de la famille ne comporte pas de disposition précise relative à l'infraction et à la peine, l'article 127 du Code criminel peut s'appliquer : R. c. Gibbons, 2012 C.S.C. 28, R. c. Fairchuk, 2003 MBCA 59.

Les lois suivantes, relatives à la prévention de la violence conjugale, comportent des dispositions explicites relatives à l'inobservation d'ordonnances rendues conformément à elles :

8.2.4 Liste des organismes à aviser de l'ordonnance de protection civile

Lorsque les principaux intervenants du milieu et les spécialistes d'autres ressorts judiciaires sont avisés des conditions des ordonnances de non-communication ou de protection civile, l'exécution et la sécurité peuvent se trouver renforcées, et l'on peut éviter des ordonnances contradictoires. Il importe toutefois de consulter la personne ciblée à propos des personnes et des organismes qui recevront des copies de l'ordonnance de protection civile. En voici des exemples :

Remarque : il est indispensable de connaître l'avis de la partie ciblée quant à qui devrait ou non être avisé. Les personnes victimes de violence conjugale sont les mieux placées pour apprécier leurs propres besoins en matière de risque et de sécurité; ce sont elles qui savent le mieux si ces notifications renforceront la sécurité ou augmenteront le risque. Les avocats spécialisés en droit de la famille voudront travailler avec les clients sur ce point et sur les modifications éventuelles à apporter au plan de sécurité. Outre le travail en collaboration avec la « victime », il faut vérifier la loi applicable, car plusieurs lois concernant la prévention de la violence conjugale imposent des obligations de notifier ou de transmettre des copies des ordonnances de protection civile à la police, aux services aux victimes ou aux organismes de protection de la jeunesse.

8.2.5 Enfants

Des mesures de protection peuvent s'avérer nécessaires dans les ordonnances de protection civile pour garantir que les contacts entre l'enfant et le parent violent sont sûrs et bénéfiques. Ces mesures doivent correspondre au type (voir la partie 5) et au degré (voir les parties 6 et 7) de la violence familiale. Il peut être indiqué dans ces ordonnances d'interdire ou de limiter les contacts du parent violent avec les enfants dans des affaires de violence conjugale coercitive quand les faits démontrent :

Ces interdictions sont à maintenir jusqu'à ce que le conjoint violent ait terminé un programme d'intervention contre la violence familiale axé sur les compétences parentales et qu'il ait présenté la preuve que son comportement a changé, ou que la sécurité de l'enfant ait été évaluée et puisse être garantie ou que les questions de l'intérêt supérieur de celui-ci puissent être approfondies et tranchées par le tribunal de la famille ou par les organismes de protection de la jeunesse.

Dans les cas où l'accès aux enfants est bénéfique et doit être autorisé dans l'ordonnance de protection civile, celle-ci doit bien préciser les formes de communication et de rapport qui seront autorisées et celles qui seront interdites, ainsi que la façon dont les dispositions régissant l'accès aux enfants auront une incidence ou non sur les autres conditions de l'ordonnance. Voir par exemple les dispositions concernant les enfants dans Partridge c. Partridge, 2009 MBQB 196, 242 Man. R. (2d) 249 et dans Naylor c. Malcolm, 2011 ONCJ 629.

8.2.6 Conditions autorisant l'accès aux enfants dans les ordonnances rendues par les tribunaux de droit pénal, de droit civil et de la famille

Il importe de s'assurer de prendre en compte toutes les ordonnances et les ententes qui concernent la même famille et qu'imposent les tribunaux de droit pénal, de droit civil et de la famille. Par exemple, la formulation des dispositions de l'ordonnance de protection civile qui doivent prévoir des conditions visant à permettre des communications en vue de l'accès aux enfants ne doit pas être contraire aux conditions d'une ordonnance de non-communication ou d'un engagement actuellement imposées par un tribunal pénal, et devrait de préférence les reprendre et les préciser.

Les dispositions générales des ordonnances que rendent les tribunaux de droit pénal, de droit civil ou de la famille, et qui interdisent la communication entre les parents « sauf concernant les enfants » ou « sauf pour organiser l'accès aux enfants » manquent de clarté et, de surcroît, créent une situation propice tantôt à la surveillance, au harcèlement et à l'intimidation constants, tantôt à l'inobservation involontaire des conditions, ce qui rend ces ordonnances difficiles, sinon impossibles, à appliquer.

On peut au contraire éviter des problèmes si l'on précise exactement comment la communication pour prendre des dispositions à l'égard des enfants peut ou non se dérouler (par l'intermédiaire d'un tiers désigné par exemple ou en laissant un message par répondeur téléphonique ou par courriel portant uniquement sur l'organisation de l'accès aux enfants, sous réserve des préoccupations relatives au mauvais usage des technologies modernes, susmentionnées dans la partie 5.8). Voir par exemple Naylor c. Malcolm précité. Il faut discuter et résoudre les inquiétudes exprimées par le parent visé à propos de sa sécurité liée aux communications.

Les avocats spécialisés en droit de la famille voudront aussi se demander s'il faut tenir compte des répercussions possibles de telles ordonnances sur des instances subséquentes, et donc s'il faut prévoir des dispositions comme celles-ci : « sous réserve des conditions de toute ordonnance de protection rendue subséquemment au pénal ou au civil, en réaction à des faits survenus après la date de la présente ordonnance », ou « sous réserve des conditions de toute ordonnance rendue subséquemment au pénal, après avoir pris en compte les détails de la présente entente ou ordonnance », ou « sous réserve des dispositions relatives à la communication prises après la date de la présente ordonnance par les organismes de protection de la jeunesse », ou « sous réserve des dispositions relatives à la communication contenues dans l'ordonnance rendue par le tribunal de la famille après la date de la présente ordonnance de protection civile ». Il faut conseiller aux adultes ciblés de s'assurer que leur propre avocat a accès aux renseignements relatifs à toutes les ordonnances de protection civile qui ont été et qui sont en vigueur, ainsi qu'à la façon dont la partie adverse les a observées.

Il faut consulter la partie ciblée à propos des processus ou procédures afin de garantir que la police (et s'il y a lieu les agents de probation et de libération conditionnelle, les préposés aux armes à feu, les centres de visite surveillée et les services d'intervention contre la violence familiale) est informée des conditions des ordonnances de protection civile en vigueur.

8.2.7 Restrictions relatives aux armes

Dans de nombreuses affaires de violence familiale, on se sert d'armes, notamment d'armes à feu, dans les foyers canadiens pour intimider des adultes et des enfants. De nombreux homicides et suicides y sont commis avec des fusils, notamment de chasse, qui sont détenus légalement. Les armes (surtout les fusils, notamment de chasse) étant souvent employées pour intimider et pour contrôler dans des affaires de ce genre, il est recommandé de les retirer rapidement, surtout si la violence conjugale est coercitive.

Pour avoir connaissance d'office de recherches démontrant que le retrait rapide des armes peut sauver des vies dans des affaires de violence familiale, voir le paragraphe 34 de R. c. Hurrell 2002 CanLII 45007 (C.A. de l'Ont.), même dans un contexte de droit pénal.

Soulignons que les adultes victimes de violence conjugale ne savent pas toujours si l'autre partie a accès à des armes. Qui plus est, même si les armes les inquiètent beaucoup, elles peuvent hésiter à demander des ordonnances visant à en restreindre l'accès pour des raisons de culture ou par crainte de représailles. Les avocats spécialisés en droit de la famille et les procureurs de la Couronne soucieux de la sécurité se renseigneront sur l'accès aux armes et consulteront le client ciblé pour savoir s'il y a lieu de les retirer ou d'en restreindre l'accès.

Le principe juridique qui prédomine au Canada est que la possession d'armes à feu est un privilège, non un droit. La juge Charron de la Cour suprême du Canada a précisé dans R. c. Wiles, 2005 C.S.C. 84, le pouvoir légal visant à restreindre l'accès aux armes dans les affaires de protection civile. Voir aussi R. c. Montague, 2010 ONCA 141.

Les avocats spécialisés en droit de la famille qui représentent des adultes victimes de violence conjugale coercitive voudront s'assurer que les procureurs et les policiers sont au courant des inquiétudes quant à l'accès possible à des armes, notamment des fusils, et selon l'avis du client et les dispositions du Code criminel, que des mesures pénales sont prises quand le Code criminel l'y autorise pour remettre les armes et en interdire la possession à titre de condition de mise en liberté provisoire. Voir les détails et les options possibles au chapitre sur les armes à feu du 2013 Domestic Violence Handbook for Police and Crown Prosecutors in Alberta

Soulignons qu'il est important de tenir compte de la possession future et actuelle des armes ainsi que à l'accès à des armes appartenant à des tiers résidant dans le même logement. Les avocats de la défense en droit pénal conseilleront probablement à des clients inculpés de violence conjugale de se débarrasser des armesNote de bas de la page 100. Les avocats spécialisés en droit de la famille qui représentent des « victimes » devraient prévoir que des membres de la famille ou des amis de l'accusé pourraient recevoir les armes retirées. Dans les cas où la sécurité constitue une préoccupation et qu'une instance pénale est parallèlement en cours, ces avocats peuvent prendre des mesures pour rappeler aux procureurs que le fait que l'accusé n'a pas accès à une arme ou qu'il n'en possède pas au moment de l'audience de mise en liberté provisoire ne permet pas de conclure avec certitude à l'inutilité d'une interdiction relative aux armes. Il faut se demander s'il convient de se renseigner sur l'endroit où se trouvent les armes retirées et sur les possibilités d'y accéder. Également, dans les cas où l'on s'inquiète de la sécurité et de la possibilité d'accéder à des armes, l'interdiction pénale ou civile à durée limitée de possession ou d'acquisition future peut offrir la protection nécessaire.

Outre les mesures pénales, les lois portant sur la prévention de la violence familiale prévoient expressément dans quelques ressorts des ordonnances judiciaires afin de saisir ou d'interdire l'accès aux armes.

Les lois portant sur la violence familiale de l'Île-du-Prince-Édouard (Victims of Family Violence Act, R.S.P.E.I. 1988, c. V-3.2) et de la Saskatchewan (Victims of Domestic Violence Act, S.S. 1994, c. V-6.02) ne comportent pas de disposition précise relative aux armes, dont les armes à feu, mais prévoient des ordonnances de protection immédiate, notamment des mesures sur la possession temporaire de biens personnels précis.

Avertissement : malgré le fait qu'il y a violence dans de nombreuses affaires relevant du droit de la famille et que celles-ci ne sont pas moins dangereuses que des affaires de violence familiale relevant du droit pénal, nombre de lois canadiennes portant sur le droit de la famille et régissant les affaires de garde et de droit de visite ne prévoient pas expressément la saisie des armes et l'interdiction d'y avoir accès. Les avocats spécialisés en droit de la famille voudront toutefois ne pas oublier que les voies de recours pénales qui existent n'empêchent pas de recourir parallèlement à celles qui existent au civil (voir la partie 8.2.9 ci-après.). Des mesures doivent être prises pour s'assurer que les dispositions relatives aux armes dans les affaires relevant du droit de la famille et du droit pénal ne sont pas contradictoires.

Dans les cas où le tribunal peut dans des affaires civiles interdire l'accès à des armes, se demander si les indicateurs de risque (voir la partie 6 ci-dessus) ou la possibilité d'issue fatale (voir la partie 7 ci-dessus) justifient que des restrictions soient imposées.

Il y a lieu de tenir compte des faits suivants quand les faits indiquent qu'il y a risque ou danger et que les armes sont source d'inquiétude :

Dans toute l'Amérique du Nord, on signale des problèmes de suivi de l'observation et de l'exécution des ordonnances relatives à la saisie et à l'interdiction d'armes. Une cause connue en est l'absence de directives claires et détaillées dans les ordonnances quant à la remise, à la saisie et à l'entreposage des armes, ainsi que l'absence de mécanismes rapides de contrôle de l'observation par le tribunal.

Rappel : les ordonnances de protection qui manquent de précisions ou qui sont inexécutoires augmentent le risque.

Si des restrictions sont nécessaires, il faut donc veiller à ce que l'ordonnance comporte des instructions détaillées sur le moment auquel les armes doivent être remises et entreposées, et à quel organisme. Dans les cas où le risque est élevé, le retrait immédiat et la surveillance pour s'assurer de l'observation renforceront la sécurité. Il faut encourager le parent ciblé à planifier sa sécurité afin d'être mieux protégé pendant que les armes sont mises sous bonne garde.

À propos de la constitutionnalité de la Loi sur les armes à feu et des peuples autochtones, voir Bellegarde c. Canada (Procureur général) (2004), 235 D.L.R. (4th) 763, [2004] 2 C.N.L.R. 312, (2004), 247 F.T.R. 314, 2004 CAF 34 (CanLII). Des dispositions et des restrictions spéciales s'appliquent aux peuples autochtones; voir le paragraphe 2(3) et l'article 117 de la Loi sur les armes à feu, 1995 ch. 39 et le Règlement d'adaptation visant les armes à feu des peuples autochtones du Canada, DORS/98-205. On souligne également les limites du pouvoir des juges de rendre des ordonnances civiles à propos de biens personnels situés sur les réserves.

8.2.8 Ordonnance de protection mutuelle en matière civile

Il faut si possible éviter les ordonnances de protection mutuelle dans les affaires de violence conjugale coercitive. Au nombre des problèmes possibles, citons les suivants :

La meilleure façon de procéder est de tenter de déterminer la responsabilité pour le déclenchement et les formes de la violence conjugale coercitive (identification de l'agresseur dominant)Note de bas de la page 101.

8.2.9 Et si d'autres mesures sont possibles en droit de la famille ou droit pénal?

Les ordonnances de non-communication sont parfois refusées, dans les cas où :

Les voies de recours en droit pénal n'empêchent pas le recours en droit civil : Abe c. Abe, 1995 CanLII 1844 (BC S.C.); Lee c. Orban-Lee, 2009 SKQB 325 aux paragraphes 23 et 24. Les ordonnances de protection civile peuvent d'ailleurs apporter une protection supplémentaire après que l'ordonnance pénale de non-communication a pris fin. Voir par exemple : Naylor c. Malcolm, 2011 ONCJ 629.

En droit de la famille, les actions, les priorités et les exigences en matière de preuve diffèrent de celles en droit pénal. Les mesures de protection possibles au civil selon la prépondérance des probabilités peuvent ne pas l'être devant les tribunaux de droit pénal. Des problèmes de preuve peuvent faire en sorte que le ministère public ne soit pas en mesure de prouver le bien-fondé de sa cause devant le tribunal pénal, laissant ainsi des personnes réellement visées par la violence familiale sans aucune protection. Dans les affaires de violence conjugale coercitive, de multiples ordonnances de protection (civiles et pénales) peuvent renforcer la sécurité, pourvu que leurs conditions soient compatibles et ne se contredisent pas. Par ailleurs, dans de nombreux ressorts, les ordonnances de protection civile peuvent comporter des dispositions pour les aliments, la possession des biens et la sécurité des enfants qui vont au-delà des mesures possibles dans une instance pénale. Dans de nombreux ressorts, des ordonnances civiles de non-communication peuvent de plus être prononcées pour empêcher des actions non criminelles et criminelles, pour une durée prolongée, même de façon permanente dans des cas exceptionnels, ce qui permet la protection après que les mesures pénales ont pris fin. Le refus de prononcer une ordonnance simplement parce que des mesures similaires sont possibles ailleurs peut aboutir à une protection réduite ou à une absence totale de protection. Quelques lois portant sur la prévention de la violence familiale prévoient expressément que la mesure de protection ne doit pas être refusée simplement parce que des inculpations ou des ordonnances sont possibles en droit pénal. Voir par exemple la Protection Against Family Violence Act, R.S.A. 2000, ch. P-27, par. (2.1).

Les avocats spécialisés en droit de la famille qui sollicitent pour leurs clients des ordonnances de protection civile voudront obtenir des copies des conditions de la mise en liberté sous caution ou des restrictions en matière pénale qui s'appliquent à la famille, afin de s'assurer que les conditions de l'ordonnance de protection civile ne contredisent pas des ordonnances pénales.

8.2.10 Quand les parties ciblées demandent la révocation de l'ordonnance de protection

La crainte des victimes, comme on l'a discuté précédemment, a une valeur prédictive élevée, et leur donner les moyens de se prendre en main est un objectif thérapeutique important dans les affaires de violence familiale. D'un côté, si l'on ignore le point de vue de la personne ciblée sur ce qu'elle risque, cela peut aboutir à un préjudice et réduire le renforcement de l'autonomie, qui est un objectif thérapeutique important. D'un autre côté, quand les prestataires de services, les spécialistes, les avocats et le tribunal relèvent des preuves d'un risque de préjudice dont ne s'est pas aperçu la personne ciblée, peut-on ignorer les préoccupations quant au risque et à la sécurité? Qu'en sera-t-il de la confiance de la population si des indicateurs de risque sont ignorés et qu'il y a d'autres manifestations de violence familiale ou même décès? Il n'y a pas de réponse facile à ces questions. Les personnes qui subissent de la violence familiale ont le droit de prendre des décisions sur leur propre vie. De telles décisions touchent la sécurité des enfants, et des décisions de révoquer des ordonnances de protection peuvent être le résultat de pressions financières, d'intimidation, de manipulation ou de manque d'information sur le risque et le danger.

C'est pourquoi les procureurs, ainsi que les avocats spécialisés en droit de la famille qui représentent des parents ciblés, doivent analyser les circonstances entourant des demandes de révocation, à un moment et dans un lieu où la partie qui fait la demande n'est pas en présence de l'auteur de la violence ou sous son influence. Des mesures peuvent être prises pour s'assurer que la demande reflète une appréciation réaliste de la sécurité et non de la manipulation, de la coercition ou du contrôle. Avant de procéder à la révocation, on peut encourager le parent ciblé à consulter un spécialiste de la violence familiale, un défenseur des victimes de celles-ci et un spécialiste des services aux victimes. Si la sécurité constitue une préoccupation, des outils d'autoévaluation de la violence familiale peuvent être mis à la disposition de la partie ciblée afin de lui permettre de mener une autoévaluation préliminaire du degré de risque et de la possibilité d'une issue fatale (voir la partie 7 ci-dessus).

S'il y a des enfants et que la sécurité constitue une préoccupation, il faut étudier la possibilité d'associer les organismes de protection de la jeunesse et encourager la partie ciblée à étudier attentivement les répercussions de la révocation de l'ordonnance de protection.

8.2.10.1 Points à vérifier dans les cas où la partie ciblée demande la révocation (au civil ou au pénal)

La version 2012 du Domestic Violence Benchbook du Michigan, mise à jour en 2013 et intitulée à présent Michigan Judicial Institute (2013) Domestic Violence: A Guide to Civil & Criminal proceedings – Third Edition, en ligne à http://courts.mi.gov/education/mji/Publications/Documents/Domestic-Violence.pdf fait état de faits indicateurs de coercition justifiant une analyse supplémentaire avant de répondre à une demande de révocation d'ordonnance de protection (au civil ou au pénal). En voici la liste, adaptée au contexte du Canada :

Étudiez la possibilité de prendre les mesures suivantes :

8.2.11 Ordonnances de protection après réconciliation

Les personnes victimes de violence familiale ont de nombreuses raisons pour reprendre la cohabitation avec des partenaires violents. Il se peut que ces raisons aient peu à voir avec la cessation de la maltraitance ou de la violence. En fait, les réconciliations à répétition sont une tendance prévue et « normale » dans les affaires de violence familiale. Les risques associés à la séparation (perte du logement, du revenu, du statut d'immigrant, du rôle de parent par exemple ou ne plus savoir où se trouve le conjoint violent) peuvent parfois sembler l'emporter sur les risques inhérents à la reprise de la cohabitation, surtout si la possibilité de la violence familiale peut être atténuée ou supprimée.

Dans les cas où l'on envisage de modifier une ordonnance afin de permettre la reprise de la cohabitation, même si quelques dispositions (interdiction de communication par exemple et possession exclusive du domicile conjugal) ne conviennent évidemment plus, d'autres, telles que celles énumérées ci-après peuvent procurer un certain degré de protection continue (si les circonstances de l'espèce s'y prêtent et si la loi l'y autorise) :

Si le risque augmente ou si la violence reprend, des dispositions en vue de renforcer la sécurité et la protection pendant la cohabitation peuvent permettre à la partie ciblée d'obtenir rapidement de l'aide (sans demande supplémentaire au tribunal).

Si les circonstances s'y prêtent et si la loi autorise ces dispositions, consulter l'adulte ciblé pour déterminer si elle ou il souhaite le maintien de ces dispositions en tout ou en partie. Noter toutefois que des ordonnances de protection civile pendant la cohabitation ne peuvent pas être rendues dans tous les provinces et territoires canadiens. Selon l'article 128 de la Loi sur les services à la famille, L.N.-B. 1980, ch. F-2.2, par exemple, le dépôt d'une demande d'ordonnance de non-communication est subordonné à la séparation.

Le fait de veiller à ce que ces ordonnances soient bien expliquées à chaque partie aide à garantir que l'auteur de la violence connaisse ses obligations et que la personne ciblée sache quand demander de l'aide.

Les avocats spécialisés en droit de la famille et en droit pénal doivent bien sûr informer leurs clients qu'ils ne peuvent pas reprendre la communication ou la cohabitation et enfreindre les conditions de l'ordonnance, et que celle-ci doit d'abord être modifiée.

8.2.12 Ordonnances de protection civile rendues ex parte

Quelques affaires indiquent que le tribunal hésite à rendre des ordonnances de non-communication sans avis à la partie adverse ou ex parte, sauf si :

Il convient d'étudier les dispositions de la loi applicable (en Ontario par exemple, la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, c. C.43, Règles en matière de droit de la famille, Règl. de l'Ont.114/99, paragraphes 14(12), (13), (14) et (15); et au Nouveau-Brunswick, Règles de procédures, Règl. du N.B. 82-73, règles 37.04(2) et (3). À propos des ordonnances de protection rendues en application de la législation sur la prévention de la violence familiale, la plupart des lois des provinces et des territoires autorisent des demandes de protection civile sans préavis (et en fixent les conditions). Les dispositions de certaines lois sont plus restrictives que d'autres.

Reconnaissant quelques-uns des dangers de prononcer des ordonnances sans avis à la partie adverse ou sans lui donner la possibilité d'être entendue, les tribunaux imposent l'obligation de communiquer tous les détails, y compris des renseignements contraires à l'intérêt personnel. Voir par exemple J.E.B. c. G.B., 2007 BCSC 1819, Rogers c. Rogers, 2008 MBQB 131, J.E.J. c. S.L.M. 2007 NBCA 33, D.B. c. H.M., 2011 CanLII 81900 (NL PC), J.P. c. R.M.1, 2006 ONCJ 189, Isakhani c. Al-Saggaf 2007 ONCA 539, au paragraphe 6.

Les avocats spécialisés en droit de la famille voudront informer leurs clients de l'importance de tout divulguer en cas de demande ex parte de protection provisoire et des répercussions possibles de divulgations à leur encontre liées des instances pénales et de protection de la jeunesse connexes, en gardant à l'esprit l'obligation professionnelle de veiller à l'exactitude de la preuve par affidavit. Ils voudront de plus s'assurer que leurs clients comprennent la possibilité de responsabilité criminelle pour production de faux renseignements dans un affidavit ou dans un témoignage. Breese Davies, Erin Dann et Joseph Di Luca, auteurs d'un rapport remis à Justice Canada en 2012, Best Practices where there is Family Violence (Criminal Law Perspective), recommandent d'ailleurs que les avocats spécialisés en droit de la famille qui représentent des auteurs présumés de violence demandent à pouvoir discuter avec des avocats de la défense du contenu des affidavits avant de déposer ceux-ci au tribunal de la famille, sans doute pour garantir l'exactitude et tenir compte des répercussions possibles du contenu dans l'instance pénale.

En réponse à la réticence du tribunal de rendre des ordonnances provisoires ex parte, les avocats spécialisés en droit de la famille voudront peut-être tenir compte du raisonnement de la Cour d'appel du Manitoba dans Baril c. Obelnicki 2007 MBCA 40, aux paragraphes 88-98, et surtout aux paragraphes 90 et 91 : [TRADUCTION] « la Cour suprême a affirmé que s'écarter de la procédure judiciaire classique est entièrement justifié dans une loi visant à soulager le préjudice causé à des personnes vulnérables ». Voir aussi le raisonnement de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans Green c. Millar (2004), 246 D.L.R. (4th) 334, (2004), 125 C.R.R. (2d) 153, 2004 BCCA 590. Il faut noter enfin les commentaires dans Baril c. Obelnicki (2007), 2007 MBCA 40, aux paragraphes 91-98, où la Cour d'appel souligne que la Cour suprême du Canada a conclu que l'ordonnance sans avis à la partie adverse convient lorsque « le délai occasionné par la signification d'un avis serait préjudiciable » ou que « l'on craint que l'autre partie n'agisse de façon irrégulière ou irrévocable si un avis lui est donné ».

Il faut tenir compte des points suivants pour décider si l'avis est susceptible de causer un préjudice en cas de violence familiale :

8.3 Garde provisoire

8.3.1 Législation

Le paragraphe 16(2) de la Loi sur le divorce, L.R.C., 1985, ch. 3 autorise les ordonnances provisoires relatives à la garde et à l'accès. Le paragraphe 16(8) prévoit que l'unique facteur à considérer est l'intérêt de l'enfant.

Même si le détail des facteurs à prendre en compte pour établir l'intérêt de l'enfant varie selon les provinces et les territoires, toutes les lois portant sur le droit de la famille énumérées ci-après prévoient que les décisions en matière de droit de la famille doivent être rendues en fonction de l'intérêt de l'enfant.

Législation des provinces et des territoires

8.3.2 Objet des ordonnances de garde provisoire

Elles visent à apporter de la stabilité dans les soins à court terme de l'enfant, jusqu'à ce que les preuves puissent être évaluées et une décision rendue. La tendance dans les affaires relevant du droit de la famille est donc de rendre les décisions en respectant le statu quo, et c'est souvent le parent avec qui les enfants vivent qui en reçoit la garde.

8.3.3 Garde provisoire : contexte de violence familiale

Les parents qui fuient une situation de violence familiale ne sont pas toujours en mesure d'emmener les enfants avec eux et ce, pour notamment les raisons suivantes :

Le fait de retirer des enfants du foyer et de l'école si l'on n'a pas les ressources qui leur sont nécessaires peut susciter des critiques de la part des juges et entraîner des désavantages au plan juridique. Et pourtant, les parents ciblés qui attendent d'avoir les ressources qui leur permettent de s'occuper des enfants avant de demander la garde peuvent éprouver des difficultés à obtenir la garde provisoire, du fait de la présomption que l'intérêt de l'enfant est le statu quo.

Ces ordonnances sont difficiles à modifier, pour les raisons suivantes :

Dans la pratique, même si les ordonnances de garde provisoire ne déterminent pas l'issue finale quant aux droits de garde et d'accès, et que des ordonnances provisoires peuvent être modifiées sans preuve de changement important de la situation (T.C.H. c. C.M., 2006 NSCA 111 par ex.), les parents qui obtiennent la garde provisoire sont souvent favorisés lors de l'instance.

En conséquence, les avocats spécialisés en droit de la famille qui représentent des clients victimes de violence conjugale coercitive devraient veiller à :

Les procureurs voudront garder à l'esprit qu'en droit de la famille, la disposition pénale obligeant l'auteur de la violence à rester chez lui pourrait avoir pour effet non voulu de le favoriser à propos de la garde provisoire pour des motifs de statu quo, surtout si le parent ciblé n'a pas pu retirer les enfants du domicile familial.

Les avocats spécialisés en droit de la famille qui présentent une demande de garde provisoire voudront peut-être porter à l'attention du tribunal les réflexions sur les relations parents-enfants exprimées par la juge MacDonald dans l'affaire de garde provisoire comportant de la violence familiale, N.D.L. c. M.S.L., 2010 NSSC 68.

Il faut examiner les facteurs énumérés par la Cour de la famille de l'Australie (2009), [TRADUCTION] « ce qui peut être pris en compte pour rendre des ordonnances parentales provisoires en attendant l'audience complète » dans Best Practice Principles for use in Parenting Disputes when Family Violence or Abuse is Alleged (tribunaux de la famille de l'Australie) :

Dans les affaires de violence familiale, la sécurité de l'enfant et la protection contre les préjudices sont les considérations essentielles, outre le statu quo, pour l'intérêt de l'enfant et pour la garde provisoire. Voir par exemple F. (J.D.) c. F. (J.L.), 2009 PESC 28, D.G. c. H.F., 2006 NBCA 36, Dorval c. Dorval, 2006 SKCA 21; V.A.W. c. R.C.L., 2004 CanLII 7043 (C.S. de l'Ont.) par. 34, E.A.G. c. D.L.G., 2010 YKSC 21, Presley c. Presley, 2009 SKQB 243.

Dans les cas où la présomption de statu quo pourrait nuire à l'enfant, des considérations liées à son intérêt peuvent prendre la priorité. Dans G.G. c. H.D., 2009 YKSC 5, par exemple, le juge Veale a conclu qu'il est prématuré de rendre une ordonnance provisoire exigeant que les visites soient surveillées avant qu'il n'y ait rapport sur la garde et l'accès et que la cour n'ait reçu des éléments établissant l'incidence de la violence familiale sur l'enfant et sur son intérêt. La Cour d'appel du Manitoba a conclu dans Kozub c. Burgess, 2013 MBCA 63 qu'il est erroné de tirer des conclusions de fait définitives à propos d'une requête interlocutoire, sur des preuves par affidavit contradictoires et d'ordonner la garde partagée, sans prendre [TRADUCTION] « en compte les graves allégations de maltraitance par le père » ni le maintien de la situation dans laquelle la mère a été la principale responsable des soins.

8.3.4 Garde provisoire: statu quo acquis par des moyens illégaux

Le statu quo peut avoir une importance limitée dans les cas où un parent obtient la garde ou la responsabilité principale de l'enfant par des moyens illégaux, par exemple : le retirer de la province ou du territoire lorsqu'il n'y a pas urgence par exemple, ne pas informer l'autre parent du lieu où se trouve l'enfant, s'enfuir avec lui, présenter de fausses demandes de garde et de protection civile ex parte, piéger l'autre parent pour le faire condamner au pénal pour violence liée à la résistance (voir la partie 5 ci-dessus), se montrer violent à la maison et forcer l'autre parent à quitter le foyer. Voir par exemple :

Même si le tribunal intervient parfois de façon provisoire pour rétablir le statu quo tel qu'il était antérieurement à la décision unilatérale de déménager : Droit de la famille 114128, 2011 QCCA 2403, il faut noter la nuance au paragraphe 35 de Jochems c. Jochems, 2013 SKCA 81 à propos de la décision unilatérale de la mère qui, en l'espèce, n'avait pas été prise pour [TRADUCTION] « fuir la maltraitance ou pour rechercher une meilleure situation pour » l'enfant.

8.3.5 Garde provisoire et procédure pénale

Les avocats spécialisés en droit de la famille prêteront attention à la possibilité de manipulation d'instances de droit de la famille par l'intermédiaire des tribunaux de droit pénal (criminaliser par exemple la violence liée à la résistance ou des actes mineurs et isolés de violence familiale).

Le jugement Shaw c. Shaw, 2008 ONCJ 130 est pertinent à cet égard. La mère en l'espèce a agressé le père. Celui-ci a attendu un mois avant de porter plainte. Après que la mère a été sous garde, il a présenté ex parte et « sous toutes réserves » une demande de garde provisoire. Lors de la révision de l'ordonnance, le père a demandé la garde provisoire sur le fondement du statu quo. La procédure pénale, dans les faits, interdisait à la mère l'accès au foyer conjugal et la privait de ses droits de garde sur ses enfants. Le juge Pugsley commente les effets de la procédure pénale sur l'affaire, qui relève du droit de la famille:

Il arrive souvent cependant que le traitement réservé à ce genre d'affaires par le système de justice pénale bouleverse complètement l'unité familiale du défendeur et du plaignant, ainsi que, en particulier, de leurs enfants. Les tribunaux de la famille statuent sur la garde et le droit de visite en s'appuyant sur la loi et la jurisprudence qui définissent l'intérêt véritable des enfants, alors que le système de justice pénale n'accorde aucune attention à cet intérêt parce qu'il n'est pas préparé à le faire et que les participants ne sont pas bien informés des répercussions des actions du système - de l'agent qui refuse de mettre le défendeur en liberté au poste de police, à l'avocat de service qui laisse le défendeur consentir à des conditions de libération inappropriées par opportunisme - sur la vie des membres de la famille du défendeur.

Le juge Pugsley a critiqué les conditions courantes de mise en liberté sous caution, en particulier les ordonnances qui aboutissent à l'exclusion du domicile du parent principal responsable des soins, ce qui place l'autre parent en situation de supériorité dans l'affaire relevant du droit de la famille pendant au moins un an, pendant que l'affaire pénale est en voie de résolution. Voir aussi E.A.W. c. M.J.M., 2012 NSSC 216.

Les racines du problème sont quadruples :

Voir à la partie 8.5 ci-après comment les avocats de droit pénal et de droit de la famille peuvent travailler ensemble à prévenir de telles situations en examinant très attentivement les conditions de mise en liberté sous caution.

8.4 Mise en liberté provisoire (mise en liberté sous caution)

8.4.1 IntroductionNote de bas de la page 104

Les avocats spécialisés en droit de la famille, qui représentent des personnes ayant survécu à la violence familiale, voudront, sous réserve des instructions et du consentement de celles-ci, s'assurer que les policiers et les procureurs disposent rapidement de renseignements complets sur la forme de la violence familiale, la présence d'armes notamment de fusils, la présence de problèmes de santé mentale ou de toxicomanie et sur la façon dont l'accusé a antérieurement observé les ordonnances. Ces renseignements sont indispensables au processus décisionnel de la police et aux présentations du ministère public à propos de la mise en liberté provisoire. Ils aident la police et le ministère public à évaluer la sécurité des victimes et des témoins, la probabilité que la violence se poursuive, la nécessité d'interdictions d'arme et la nécessité de dispositions pour traiter des problèmes de santé mentale et de toxicomanie, en vue de réduire la possibilité de récidive. Sans ces renseignements détaillés, la police et le ministère public ne pourront proposer des dispositions adaptées aux besoins particuliers de la victime, des enfants et d'autres membres de la famille en matière de sécurité.

Dans les cas de violence conjugale coercitive où la police ou le tribunal remet l'accusé en liberté en attendant le procès pénal, le risque pour les victimes et les enfants peut fortement augmenter, surtout dans les ressorts ne disposant pas de programme pour surveiller de près les conditions de mise en liberté sous caution, plus particulièrement si la personne ayant survécu à la violence familiale n'est pas informée des modalités appropriées, ni consultées à leur égard. Les actes de violence familiale sont différents des autres actes criminels. Du fait du degré d'intimité, les rapports sont beaucoup plus probables avant le procès pénal dans les affaires de violence familiale que dans d'autres affaires pénales. Dans les cas où le risque est constant, la connaissance intime du comportement social du plaignant accroît la possibilité de préjudice. En fonction de l'importance discutée précédemment de la distinction entre les victimes de violence familiale et les agresseurs dominants, les personnes qui survivent à la violence conjugale coercitive sont les mieux placées pour connaître les dangers qu'entraîne la mise en liberté provisoire (ou ses avantages, par exemple, la possibilité de communiquer à propos du soin aux enfants ou pour maintenir l'emploi). L'ordonnance de non-communication n'est pas souhaitable dans toutes les affaires pénales de violence familiale. Cela dépend beaucoup du type de violence, du degré de risque, des circonstances de l'espèce, de l'intérêt des enfants et du point de vue de l'adulte ciblé.

Les avocats spécialisés en droit de la famille qui représentent le parent ciblé et les organismes de protection de la jeunesse voudront s'assurer que la police et le ministère public disposent de copies des ordonnances de protection civile, des ordonnances de non-communication et des ententes ou ordonnances touchant les droits de garde et d'accès qui sont en vigueur, ainsi que des procédures visant la protection des enfants. La police et le ministère public voudront peut-être étudier la possibilité de prévoir dans ces ordonnances et ententes une disposition obligeant l'accusé à observer toutes les dispositions concernant la sécuritéNote de bas de la page 105, à titre de condition de mise en liberté provisoire. Cette mesure pourrait aider à améliorer la cohérence et à rendre homogènes les dispositions relatives à la sécurité dans tous les secteurs de la justice. Elle aiderait aussi à garantir que ceux-ci travaillent à un objet commun. Des dispositions sans cohérence peuvent engendrer de la confusion, des violations involontaires des conditions de la mise en liberté provisoire et de l'exploitation des incohérences de la part de l'auteur de la violence. Il faut se rappeler toutefois que ces ordonnances de protection civile peuvent avoir été rendues ou que ces arrangements pour protéger les enfants peuvent avoir été conclus avant l'incident criminel. En pareil cas, des dispositions supplémentaires de mise en liberté provisoire peuvent être justifiées afin de renforcer la sécurité.

La non-communication de renseignements détaillés à la police et au ministère public peut aussi entraîner des conditions trop restrictives de mise en liberté sous caution. S'ils ne disposent pas de renseignements complets, la police et le ministère public peuvent demander des conditions restrictives, normales dans les affaires de violence familiale, qui sont inutiles étant donné les circonstances de l'espèce (s'il s'agit par exemple d'un incident de violence mineur et isolé, lié à la séparation, ou de violence liée à la résistance isolée). Le maintien de la communication peut parfois être sécuritaire et bénéfique pour la victime et pour les enfants, moins souvent toutefois dans les affaires de violence conjugale coercitive. Des dispositions trop restrictives peuvent entraîner de la confusion, le recours à des manœuvres judiciaires, par exemple piéger la partie condamnée pour violence liée à la résistance de sorte qu'elle commette des violations de pure forme, ou bien le parent ciblé encourage le parent violent à ne pas observer les conditions de sa mise en liberté sous caution. En pareil cas, la sécurité est mise en péril.

Il est donc extrêmement important que les avocats spécialisés en droit de la famille vérifient les détails et les circonstances de la violence familiale ainsi que le point de vue du parent ciblé sur la mise en liberté provisoire et, sous réserve de leurs obligations déontologies vis-à-vis de la confidentialité et du secret professionnel, veillent à ce que la police et le ministère public soient tenus au courant de ces questions. Ils peuvent renforcer la sécurité de tous en prenant des mesures pour garantir ce qui suit:

Excepté dans les affaires où l'enfant est le plaignant ou qu'il doit témoigner au procès pénal, les parents ayant survécu à la violence coercitive seront généralement les mieux placés, en consultation avec leur avocat, pour connaître l'intérêt de leurs enfants et conseiller le procureur à cet égard, pour les relations éventuelles avec l'accusé avant le procès. Nombre de personnes ayant survécu à la violence familiale encouragent les relations entre l'autre parent et les enfants, à condition que des dispositions soient prises pour garantir que celles-ci seront bénéfiques et sécuritaires.

Les procureurs, les policiers et les avocats spécialisés en droit de la famille voudront aussi étudier l'effet possible de la mise en liberté provisoire sur la préservation des preuves et sur la coopération des personnes ayant survécu ou des victimes. Le nombre de rétractations des victimes (et des enfants) est très élevé dans les affaires pénales de violence familiale. La rétractation des victimes est discutée à la partie 9.5, mais il convient de souligner à propos de la mise en liberté provisoire combien il est important que les policiers, les procureurs et les avocats spécialisés en droit de la famille expliquent aux plaignants les possibilités de manipulation ou d'intimidation avant le procès pénal. On peut montrer aux victimes de violence familiale comment prouver ces aspects et à qui s'adresser en pareil cas. Voir les détails à la partie 9.5 ci-après.

8.4.2 Mise en liberté provisoire : perspective de la protection de l'enfance

Katherine Kehoe indique dans son article intitulé Intersection of criminal and family proceedings in domestic violence cases : suggestions for criminal court judges que les autorités ontariennes de protection de l'enfance travaillent de plus en plus avec les parents qui cherchent à se réconcilier, malgré des antécédents de violence familiale. Elle souligne que des conditions de mise en liberté provisoire interdisant à l'accusé de communiquer avec l'autre parent et avec les enfants avant la fin de l'audience pénale (qui peut énormément tarder) peuvent empêcher le travail thérapeutique des organismes de protection de l'enfance, alors que la réunification pourrait, s'agissant de la protection des enfants, être sûre pour ceux-ci et bénéfique pour la famille. Le problème est compliqué par les délais rigides que prévoit la législation pour la protection de l'enfance. L'impossibilité de travailler avec le parent accusé et l'enfant pendant une période prolongée en raison de conditions restrictives de mise en liberté provisoire pourrait empêcher que l'enfant retourne dans sa famille, entraîner la perte de compétence et le retour de l'enfant sans intervention thérapeutique. Selon Mme Kehoe, [TRADUCTION] « en Ontario, les enfants de moins de six ans qui ont vécu en foyer d'accueil pendant un an au total doivent retourner dans la famille ou dans la collectivité, ou bien devenir pupille de l'État ». Les délais varient selon les provinces et les territoires, mais la législation canadienne pour la protection de l'enfance prévoit des dispositions similaires (conçues pour répondre aux besoins du développement des enfants). Si donc l'affaire pénale dans laquelle la famille est mise en cause se prolonge au-delà des délais prévus par la législation pour la protection de l'enfance, des conditions de mise en liberté provisoire qui interdisent la communication pourraient empêcher que les organismes de protection de l'enfance mènent leur travail thérapeutique avec la famille dans les délais prévus par la loi.

Ce problème de procédure est amplifié par des considérations liées au développement des enfants, qui valent à la fois dans les affaires relevant du droit de la famille et dans celles de protection de l'enfance. Plus particulièrement, les jeunes enfants ont besoin de contacts fréquents (tous les jours ou au moins toutes les semaines, mais de façon soutenue) afin de maintenir des liens d'attachement. D'un côté, si des contacts avec le parent accusé sont bénéfiques pour le jeune enfant (si par exemple le parent accusé est le principal responsable des soins et l'inculpation a trait à des actes de violence mineurs et isolés ou à de la violence liée à la résistance, ou si l'auteur de la violence a une influence positive sur la vie de l'enfant) et s'il est prévu qu'avec le soutien, la famille sera en mesure de se réconcilier en toute sécurité, les contacts fréquents sont d'une importance capitale pour que l'enfant puisse maintenir des liens d'attachement. D'un autre côté, les jeunes enfants sont particulièrement susceptibles au stress et au préjudice que cause le fait d'être exposé à de la violence familiale. Tous les enfants qui ont été victimes de violence conjugale coercitive ont besoin de sécurité et de stabilité; quelques-uns auront besoin d'une période sans stress afin de se remettre. Quand des contacts avec le parent inculpé gênent l'attachement de l'enfant à l'autre parent ou aux parents de la famille d'accueil, les contacts fréquents avec le parent perturbateur peuvent être contreproductifs pour la sécurité de l'enfantNote de bas de la page 106. De plus, dans les cas de violence familiale, on étudie le bien-fondé de conserver la solidité de la relation de l'enfant avec chaque parent par rapport à d'autres besoins liés à la présence de la violence familiale, surtout le besoin de sécurité et de stabilité dans la vie de l'enfant. Plus l'enfant est jeune, plus il faut agir vite pour lui assurer des attachements stables et sûrs avec des adultes, soit avec le parent ciblé ou avec un autre adulte (parents de la famille d'accueil par exemple) si le parent ciblé risque de ne pas pouvoir répondre aux besoins de l'enfant dans un délai raisonnable.

Afin de préserver la relation parent-enfant en vue de permettre une possible réunification de la famille, les organismes de protection de l'enfance doivent, après avoir pris en compte le type de violence (mineure, isolée, de résistance ou coercitive - voir la partie 5 ci-dessus), comparer les avantages des contacts fréquents avec le parent inculpé à leur incidence sur chacun des facteurs suivant :

Les tribunaux de droit pénal n'ont pas en principe la spécialisation nécessaire pour apprécier ces facteurs. La responsabilité de protéger les enfants est confiée aux organismes de protection de l'enfance. Dans toutes les affaires de violence familiale, les procureurs voudront donc bien s'assurer si celles-ci s'occupent de la famille et, si oui, ils voudront bien les consulter (et si l'affaire relève aussi du droit de la famille, consulter les avocats spécialisés en droit de la famille) à propos des conditions des mises en liberté provisoire qui touchent des enfants. Les organismes de protection de l'enfance pourront peut-être proposer des services, le droit de visite étroitement surveillé par exemple ou l'accès à des programmes - d'intervention en cas de violence familiale, d'acquisition des compétences parentales, de traitement de la toxicomanie, dont l'alcool, ou des problèmes mentaux – qui sont susceptibles d'aider toute la famille à se rétablir tout en protégeant aussi les enfants.

Mme Kehoe met en garde contre les types suivants de condition de mise en liberté provisoire :

Mme Kehoe recommande plutôt les conditions suivantes de mise en liberté provisoire :

En pratique, l'une des difficultés est toutefois qu'en l'absence de dispositions légales (comme celles de l'Ontario), la divulgation obligatoire des renseignements sur le procès pénal, les instances relatives à la protection de l'enfance, les négociations et sur les audiences de règlement peut aboutir à ce que les détails du procès pénal et des instances relatives à la protection de l'enfance auxquels la famille est partie ne soient pas discutés en médiation ou à ce qu'ils ne soient pas présentés aux juges du tribunal de la famille avant la signature des ordonnances rendues sur consentement. Voir à la partie 8.6 ci-après la discussion sur les procédures de règlement et les options possibles.

Les organismes de protection de l'enfance ne portent pas toujours assez attention dans ces affaires aux problèmes particuliers liés à la sécurité des enfants et des adultes en présence de violence familiale : c'est là un problème récurrent, dont attestent les chargés de recherche dans de nombreux ressorts. Des rapports continuent de faire état que des enfants sont morts dans des affaires de violence familiale, en dépit de l'intervention d'organismes de protection de l'enfanceNote de bas de la page 107. Si elle est possible, la meilleure solution est de consulter un spécialiste de la violence familiale.

Étant donné qu'on ne peut prévoir tout l'éventail des circonstances qui pourraient se produire en raison du recoupement de la protection de l'enfance et du droit pénal, le plus important est qu'à propos de la formulation des conditions de mise en liberté provisoire qui concernent des enfants, la police et le ministère public établissent des relations de travail solides et efficaces avec des spécialistes de la violence familiale et avec des organismes de protection de l'enfance. De même, si les responsables de la protection de l'enfance interviennent dans une affaire dans laquelle des poursuites pénales sont en cours, elles voudront se mettre immédiatement en rapport avec la police et avec le ministère public.

8.4.3 Mise en liberté provisoire: perspective du droit de la famille

Les procureurs voudront se rappeler que le contexte du droit de la famille diffère de celui de la protection de la jeunesse. En droit de la famille, les parties ne cherchent pas la réunification. C'est plutôt la séparation qui intervient ou qui est imminente, période notoire de risque élevé. De plus, après la séparation, le parent ciblé ne sera plus présent quand le parent accusé aura accès aux enfants. Si celui-ci a commis des actes de violence conjugale coercitive, cela peut avoir des répercussions négatives sur le bien-être et la sécurité des enfants.

De surcroît, même si des organismes de protection de l'enfance continuent de s'inquiéter au sujet de la sécurité des enfants, elles n'interviennent pas toujours quand des familles sont parties à des instances relevant du droit de la famille et à des poursuites pénales. Voici quelques exemples : le parent qui n'est pas accusé a intenté une action au tribunal de la famille, selon les instructions des organismes de protection de la jeunesse, afin d'obtenir une ordonnance de protection des enfants (pour qu'il y ait surveillance des visites par le parent accusé par exemple); l'accusé n'habite plus au domicile et les organismes de protection de la jeunesse n'ont pas d'inquiétude sur les compétences parentales du parent ciblé. Souvent, si l'on estime que l'ordonnance familiale sur les droits de garde et d'accès peut garantir une fois rendue la protection adéquate des enfants, les organismes de protection de la jeunesse n'interviendront plus activement dans l'affaire. Celle-ci devient à ce moment-là une affaire privée sur les droits de garde et d'accès. En pratique, le problème toutefois est, ainsi que l'a démontré la recherche socio juridique, que de nombreuses demandes de protection des enfants (sans doute la majorité) sont abandonnées pendant les procédures de règlement et de négociation en droit de la famille. En pareil cas, le tribunal de la famille peut ne jamais avoir connaissance des éléments de preuve à l'appui de la demande dont on s'est désisté, et les dispositions de protection en raison desquelles les organismes de protection de la jeunesse se sont retirés peuvent ne jamais être mises en œuvre. Voir à la partie 8.6 ci-après des commentaires supplémentaires sur les procédures de règlement. C'est l'une des raisons pour lesquelles, sous réserve de l'avis du parent ciblé sur la sécurité des contacts du parent accusé avec les enfants, il est important que les organismes de protection de la jeunesse demeurent actifs dans les affaires de violence familiale relevant du droit de la famille (voir la partie 5 ci-dessus), surtout si le risque est élevé (voir les parties 6 et 7 ci-dessus) et que l'on s'inquiète pour la sécurité des enfants (voir la partie 5.10 ci-dessus), jusqu'à ce 1) que le risque soit évalué et que le tribunal de la famille rende une ordonnance subséquente qui protège adéquatement les enfants, ou 2) que les organismes de protection de la jeunesse soient convaincues que le parent accusé ne constitue plus une menace pour l'enfant ou pour la familleNote de bas de la page 108.

Il faut néanmoins ne pas perdre de vue que, dans l'ensemble, la relation avec le parent accusé est plus bénéfique qu'elle ne présente de risque affectif et physique pour l'enfant; des contacts réduits entre le parent violent et l'enfant peuvent nuire à celui-ci et à la famille. C'est pourquoi dans les cas où les contacts parent-enfant sont bénéfiques pour l'enfant, il faut aussi tenir compte de circonstances qui sont favorables et qui encouragent les contacts fréquents entre l'enfant et l'accusé, notamment :

Dans quelques affaires – par exemple dans les cas de violence sans coercition ni contrainte (violence mineure, isolée ou de résistance) ou dans des affaires de violence familiale à faible risque causé par le SPT (en fonction du degré de risque et de la participation active au traitement), et dans d'autres affaires à faible risque dans lesquelles les enfants demandent à maintenir des contacts avec l'accusé et en tirent profit, les avocats spécialisés en droit de la famille voudront peut-être demander au ministère public et à la police d'exempter les enfants des ordonnances de non-communication et d'établir des conditions claires pour les modes et les moments de la communication en vue d'organiser les contacts parent-enfant et le détail des contacts qui seront autorisés.

Si l'enfant est susceptible de témoigner pour le ministère public dans une instance pénale connexe, celui-ci ou bien la police voudra peut-être, dans les conditions de la mise en liberté provisoire, refuser totalement que l'accusé voie l'enfant avant le procès. Il demeure que, même en pareil cas, si l'enfant tire profit des visites, il faut envisager d'autres conditions, qui permettent de préserver la relation parent-enfant, les contacts étroitement surveillés par exemple qui permettent de préserver les preuves, surtout si les poursuites pénales sont susceptibles d'être retardées.

De façon générale, les tribunaux de la famille ont plus d'expérience et de pouvoir que les tribunaux de droit pénal relativement à l'intérêt des enfants, et pour prendre en compte le type et la forme de la violence familiale. Il importe donc que ces derniers ne restreignent pas la capacité des premiers d'apprécier quel est l'intérêt des enfants dans ces affaires et d'y répondre.

Sans que l'on perde de vue ces questions, nombre des recommandations exposées aux parties 8.4.1 et 8.4.2 continueront de s'appliquer en fonction des circonstances de l'espèce, par exemple,

Voir à la partie 9 ci-après l'interprétation de la preuve par les tribunaux de droit pénal et celle des décisions en droit de la famille.

8.4.4 Mise en liberté provisoire: restrictions relatives aux armes

Voir à la partie 8.2.7 ci-dessus l'importance de la collaboration entre la police, le ministère public et les avocats spécialisés en droit de la famille à propos des restrictions relatives aux armes.

8.4.5 Dispositions de protection dans les cas où l'accusé demeure en détention

Le taux de rétractation des victimes est élevé dans les affaires pénales de violence familiale. Les recherches, dont il est question à la partie 9.5 ci-après, attestent que les victimes sont intimidées et manipulées à partir des prisons. Après avoir consulté la victime « cliente », les avocats spécialisés en droit de la famille, la police et le ministère public voudront peut-être se pencher sur la pertinence des dispositions du paragraphe 515 (12) du Code criminel, selon lequel le juge peut ordonner à l'accusé détenu de s'abstenir de communiquer avec la victime ou avec des témoins. S'il y a inclusion de conditions de s'abstenir de communiquer, il faut remettre des copies de celles-ci au lieu de détention de l'accusé.

Si les contacts sont autorisés entre l'accusé sous garde et le plaignant ou aussi pour organiser les visites des enfants, il importe de s'assurer que les modes possibles de communication sont bien précisés dans le document. Si les communications pour organiser les visites des enfants doivent se faire par l'intermédiaire d'un tiers (qui convient aux deux parents), il faut bien sûr communiquer avec le tiers pour s'assurer qu'il accepte les conditions. On pourra sinon étudier la possibilité d'interdire la communication sous réserve des dispositions relatives aux relations avec les enfants de l'ordonnance que rendra ultérieurement le tribunal de la famille ou qu'autorisent les organismes de protection de la jeunesse après la date de l'interdiction ordonnée par le tribunal pénal.

8.5 Enlèvement d'enfant: droit de la famille, droit pénal et droit international

8.5.1 Introduction

Les avocats spécialisés en droit de la famille doivent être conscients que l'enlèvement d'enfant est possible dans les affaires de violence familiale. Traditionnellement, c'est le parent qui a le droit de visite qui enlève l'enfant au parent qui est le principal responsable des soins. De plus en plus, de nombreux enlèvements sont aujourd'hui commis par le principal responsable des soins, qui fuie des situations ou des collectivités où la relation de maltraitance a eu lieuNote de bas de la page 109. La recherche empirique définit d'ailleurs la violence familiale comme l'un des indicateurs du risque d'enlèvement d'enfant (tant par le parent violent que par le parent ciblé)Note de bas de la page 110.

Une discussion complète sur cette question dépasse certes la portée du présent rapport, mais le sujet ne peut être tout à fait ignoré, étant donné la documentation empirique du risque et des rapports entre les réponses civiles et pénales.

On enlève des garçons et des filles; beaucoup sont d'âge préscolaireNote de bas de la page 111. L'enlèvement peut être commis par l'un ou l'autre des parents. De plus en plus de mères qui ont la garde enlèvent leur enfantNote de bas de la page 112 et nombre d'entre elles fuient la violence dans leur familleNote de bas de la page 113. L'enlèvement par les parents vise à menacer, à intimider ou à contrôler les enfants ou l'autre parent ou à se venger de lui; des parents victimes de violence familiale enlèvent leur enfant s'ils craignent que ce soit la seule façon de se protéger et de protéger leurs enfantsNote de bas de la page 114. Le risque est particulièrement élevé en cas de problèmes mentaux et psychologiques chez les parentsNote de bas de la page 115.

Les avocats spécialisés en droit de la famille doivent à tout le moins dissuader leurs clients d'enlever leur enfant et informer ceux qui envisagent de déplacer l'enfant de son lieu de sortir du territoire canadien avec l'enfant du préjudice possible pour celui-ci et des conséquences pénales possibles pour eux-mêmes en vertu des paragraphes 282(1) et 283 (1) du Code criminel. Voir par exemple R. c. Melville, 2011 ONSC 5697. Il faut aussi informer les clients que le fait de sortir du territoire canadien avec son enfant sans ordonnance du tribunal peut avoir des conséquences graves et négatives sur les décisions ultérieures quant aux droits de garde et d'accès.

Si la violence familiale est si grave que des spécialistes conseillent au client de sortir du territoire canadien, la meilleure solution est d'obtenir une ordonnance provisoire ex parte pour la garde autorisant le déménagement en urgence. En cas d'extrême urgence, il faut s'assurer que la police et les organismes de protection de la jeunesse interviendront et appuieront la décision de sortir du territoire canadien avec les enfants et que ces derniers sont disposés à étayer leur conseil de partir ainsi que le degré de danger encouru.

8.5.2 Aspects civils de l'enlèvement d'enfant au Canada

Dans le cas où un parent déplace un enfant de son lieu de résidence habituelle, sans ordonnance et sans le consentement de l'autre parent, celui-ci présente souvent en urgence une demande ex parte de garde provisoire et de retour de l'enfant. En pareille situation, l'ordonnance (souvent appelée ordonnance de retour) est souvent accordée. Chaque province et territoire du CanadaNote de bas de la page 116 prévoit la non-exécution et la modification d'ordonnances de garde rendues dans d'autres ressorts s'il est établi qu'un « préjudice grave » serait causé à l'enfant si celui-ci devait retourner sous la garde du parent qui ne l'a pas déplacé. Ces dispositions relatives au préjudice grave sont toutefois à l'origine de deux courants jurisprudentiels pour ce qui est de savoir si la violence familiale constitue un « préjudice grave ».

À propos des enlèvements qui ont lieu à l'intérieur du Canada, quelques tribunaux ont conclu que la violence familiale peut constituer un grave risque de préjudice pour le principal responsable des soins de l'enfant, et donc une preuve de préjudice grave possible pour l'enfant, ce qui entraîne la non-exécution. La Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse par exemple a reconnu dans R.K.G. c. M.A.G., 1997 CanLII 9857 (C.A. N.-É.) (CanLII) les facteurs de sécurité et d'intérêt de l'enfant pour confirmer la décision de première instance de ne pas exécuter les ordonnances attributives de garde extraprovinciale avant de tenir une audience d'évaluation de la sécurité de l'enfant. Voir aussi S. c. S., 2004 CanLII 1233 (C.S. de l'Ont.) (CanLII) aux paragraphes 23-24, une discussion des rapports entre le fait d'être exposé à la violence familiale et le risque grave de préjudice psychologique pour l'enfantNote de bas de la page 117, ainsi que S.A.G. c. C.D.G., [2009] YKSC 21 aux paragraphes 30 à 33; Pollastro c. Pollastro (1999), 43 O.R. (3d) 485, (1999), 171 D.L.R. (4th) 32, (1999), 45 R.F.L. (4th) 404, (1999), 118 O.A.C. 169, 1999 CanLII 3702 (ON C.A.) (CanLII). Il faut souligner que ce sont souvent des affaires de violence familiale grave et coercitive.

D'autres tribunaux concluent cependant que, de façon générale, la violence familiale (sans maltraitance directe de l'enfant) ne constitue pas une preuve de préjudice grave pour l'enfant aux fins de la non-exécution des ordonnances au Canada. Voir par exemple Brooks c. Brooks (1998), 41 O.R. (3d) 191, (1998), 163 D.L.R. (4th) 715, (1998), 39 R.F.L. (4th) 187, (1998), 111 O.A.C. 177, 1998 CanLII 7142 (C.A.de l'Ont.) (CanLII); Peynado c. Peynado, 2004 ONCJ 36 CanLII et Pelletier-Murphy c. Murphy, 2006 ONCJ 190. En pareil cas, le tribunal peut ordonner le retour de l'enfant. Si une ordonnance de garde provisoire (ou de retour) est rendue, l'enfant peut à son retour faire l'objet d'une ordonnance attribuant sa garde provisoire au parent qui ne l'a pas déplacé. En pareil cas, il peut être très difficile pour le parent qui l'a enlevé, sans éléments précis prouvant la violence familiale grave et coercitive ou que la partie adverse maltraitait l'enfant, de réfuter la présomption défavorable d'avoir agi pour empêcher l'autre parent de communiquer avec l'enfant.

En bref, le fait pour un parent de quitter sa province ou son territoire avec un enfant sans ordonnance du tribunal peut avoir pour lui de graves répercussions négatives même si c'est pour échapper à la violence familiale.

8.5.3 Enlèvement international d'enfant

Toutes les provinces et tous les territoires canadiens adhèrent à la Convention du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de l'enlèvement international d'enfants de la Conférence de La Haye de droit international privéNote de bas de la page 118. Voir une discussion de réflexions en réponse à une demande de retour d'un enfant dans un État non-partie à la Convention comportant de la violence familiale dans Isakhani c. Al-Saggaf, 2007 ONCA 539 (CanLII), Shortridge-Tsuchiya c. Tsuchiya, 2010 BCCA 61 (CanLII), autorisation d'appel rejetée avec dépens : Theresa Shortridge-Tsuchiya c. Sakae Tsuchiya, 2010 CanLII 37857 (C.S.C.) et dans Droit de la famille – 131294, 2013 QCCA 883.

En 2007, deux tiers des enlèvements au sens de la Convention sont commis par le parent qui est le principal responsable des soins; nombre de ces parents cherchent semble-t-il à échapper à la violence familialeNote de bas de la page 119. Même si l'on considère que dans l'ensemble le fonctionnement de la Convention est une réussite internationale, de nombreux universitaires et de nombreux magistrats s'inquiètent de ce fonctionnement dans les affaires de violence familiale.

L'article 3 de la Convention n'exclut pas expressément de la définition de déplacement ou de non-retour illicites le déménagement en vue d'échapper à la violence familiale. De plus, le fait que le parent qui part avait une ordonnance attributive de garde ne constitue pas forcément un moyen de défense. Le terme « garde » n'a pas le même sens dans la Convention que dans les affaires relevant du droit de la famille au Canada. Au sens de la Convention, la garde est liée aux soins de la personne de l'enfant, en particulier au droit de décider de son lieu de résidence. Ce droit de garde est interprété de façon large. Le parent qui exerce un droit de visite limité sous surveillance peut être réputé avoir des droits de garde si, concernant le lieu de résidence de l'enfant, il conserve le droit d'y apporter un refus, un consentement, une limite ou celui d'en décider. De même, le tribunal conserve des droits de garde aux fins de la Convention en vertu d'ordonnances provisoires et d'autres ordonnances qui réservent au tribunal le droit de décider du lieu de résidence de l'enfantNote de bas de la page 120. Des ententes et des ordonnances qui limitent le droit du parent détenteur de la garde de modifier sans avis ni consentement le lieu de résidence de l'enfant peuvent ainsi créer des droits de garde aux fins de l'application de la Convention, si le parent qui a la garde déménage avec l'enfant sans que le tribunal ne l'y autorise par ordonnanceNote de bas de la page 121. Des droits de garde aux termes de la Convention peuvent découler de la loi, d'une décision administrative ou d'une entente ayant portée juridiqueNote de bas de la page 122.

Les exceptions au retour de l'enfant sont exposées aux articles 13 et 20. Le tribunal n'est pas tenu d'ordonner le retour de l'enfant si, par exemple, la partie qui s'y oppose établit que la partie adverse n'exerçait pas le droit de garde à l'époque du déplacement ou avait consenti ou a acquiescé postérieurement à celui-ciNote de bas de la page 123 ou qu'il « existe un risque grave que le retour de l'enfant ne l'expose à un danger physique ou psychique, ou de toutes autres manières ne le place dans une situation intolérable », ou encore si l'enfant s'oppose à son retour et a atteint un âge et une maturité où il se révèle approprié de tenir compte de cette opinionNote de bas de la page 124. Il faut souligner la nature discrétionnaire de ces dispositions et l'importance de tenir compte de la mesure dans laquelle l'enfant a été influencé par le parent l'ayant enlevé. Voir par exemple dans Beatty c. Schatz, 309 D.L.R. (4th) 479, 69 R.F.L. (6th) 107, 2009 BCCA 310 (CanLII) l'approbation par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique de la décision de la juge Martinson dans Beatty c. Schatz, 2009 BCSC 706 (CanLII), 2009 BCSC 706. Le tribunal peut aussi refuser d'ordonner le retour après qu'une année complète s'est écoulée et que l'enfant est bien intégré dans son nouveau milieu. La Cour d'appel de la Colombie-Britannique a approuvé dans Kubera c. Kubera, 2010 BCCA 118 (CanLII) la conclusion de la juge Donna Martinson que le bon moment pour évaluer si l'enfant est « bien intégré » est celui de l'audience.

Les exceptions au retour ont été interprétées de façon restrictive: W.(V.) c. S.(D.), [1996] 2 R.C.S. 108, (1996), 134 D.L.R. (4th) 481, (1996), 19 R.F.L. (4th) 341, 1996 CanLII 192 (C.S.C.) (CanLII) au paragraphe 37. Dans les affaires de violence familiale, l'opposition au retour fondé sur la Convention est plus susceptible d'être soulevée à propos d'allégations que le retour exposerait l'enfant à un risque grave de danger. Selon la perspective fondée sur des données probantes, il serait rarement dans l'intérêt de l'enfant d'ordonner que celui-ci ou celle-ci quitte le lieu où il vit avec le parent ciblé pour retourner dans l'État de sa résidence habituelle ou sous la garde de l'auteur de la violence familiale qui commet des actes de violence conjugale coercitive. Néanmoins, les affaires de retour fondées sur la Convention ne sont pas tranchées uniquement en fonction de l'intérêt de l'enfant. Après établissement du déplacement ou du non-retour illicite, la partie qui s'oppose au retour doit prouver que celui-ci exposerait l'enfant à un risque grave de danger, conformément à l'alinéa 13(1)b)Note de bas de la page 125.

Le paragraphe 37 de l'arrêt W.(V.) c. S.(D.), [1996] 2 R.C.S. 108, (1996), 134 D.L.R. (4th) 481, (1996), 19 R.F.L. (4th) 341, 1996 CanLII 192 (C.S.C.) (CanLII) fixe les critères canadiens du « risque grave » de « danger ». Les juges y affirment qu'il est préférable dans l'intérêt des enfants qui ont été déplacés de façon illicite qu'ils reviennent dans l'État de leur résidence habituelle pour que la garde soit décidée sur le fond.

Il appartient à la partie qui fait valoir l'exception de prouver le risque grave que court l'enfant en vertu de l'alinéa 13(1)b) : Thomson c. Thomson, [1994] 3 R.C.S. 551, (1994), 119 D.L.R. (4th) 253, [1994] 10 W.W.R. 513, (1994), 6 R.F.L. (4th) 290, (1994), 97 Man. R. (2d) 81, 1994 CanLII 26 (C.S.C.), Ellis c. Wentzell-Ellis, 2010 ONCA 347 (CanLII). Des tribunaux d'appel approuvent les critères suivants : le risque grave que le retour de l'enfant n'expose l'enfant à un danger physique ou psychique est-il plus important que le bouleversement psychologique normal lié au déplacement? Constitue-t-il une situation intolérable (Thomson c. Thomson)?Note de bas de la page 126 La preuve qu'il y a violence familiale a-t-elle suffisamment de poids pour surpasser la considération de l'intérêt de l'enfant? Il appartient ainsi au tribunal de la résidence habituelle de l'enfant de décider de l'intérêt de celui-ci, sauf si la décision est le non-retour de l'enfant (Thomson c. Thomson).

Dans les cas où on a conclu que la violence familiale constitue un risque grave, les faits reflétaient une forme de violence conjugale coercitive qui touche la sécurité. En pareil cas, le risque de préjudice au parent ayant la charge de l'enfant peut être examiné par rapport au risque pour l'enfant. L'arrêt Pollastro c. Pollastro (1999), 43 O.R. (3d) 485, (1999), 171 D.L.R. (4th) 32, (1999), 45 R.F.L. (4th) 404, (1999), 118 O.A.C. 169, 1999 CanLII 3702 (C.A. de l'Ont.) (CanLII) 128 précise ainsi : « Il était donc pertinent d'examiner si le retour de l'enfant […] le plaçait dans une situation intolérable, de prendre en compte la sérieuse possibilité de danger physique ou psychique que pourrait subir le père ou la mère dont l'enfant dépend totalement. » Voir aussi Husid c. Daviau, 2012 ONCA 655, Uri Landman Husid c. Hélène Marie Thérèse Daviau, 2013 CanLII 6706 (C.S.C.) demande d'autorisation d'appel rejetée avec dépens, Droit de la famille – 111062, 2011 QCCA 729, L.M. c. E.A. 2011 CanLII 82379 (CSC) demande d'autorisation d'appel rejetée sans dépens. La juge Murray affirme clairement dans Achakzad c. Zemaryalai, 2010 ONCJ 318 que le risque grave de danger pour la principale responsable des soins à l'enfant peut constituer un risque grave de danger pour celle-ci. Le juge Perkins a refusé dans une affaire de violence familiale, Landman c. Daviau, 2012 ONSC 547 (CanLII), une demande que l'enfant retourne au Pérou, au motif que ce retour la placerait dans une situation intolérable, et plus particulièrement [TRADUCTION] « une crainte constante que sa mère ne soit accostée et vilipendée publiquement […], et d'être obligée de demander à la police d'intervenir, ou pire, d'être enlevée ou détenue de façon illicite par son père et par la famille de celui-ci qui auraient recours à la force physique pour arriver à leurs fins ».

Toutefois, on considère souvent la violence familiale comme une question qui relève de l'intérêt de l'enfant plutôt que des risques graves pour lui ou elle: Grymes c. Gaudreault 2004 BCCA 495 (CanLII), Mahler c. Mahler, [1999] M.J. no 580 (M.B.Q.B.), [2000] M.J. no 46 (C.A. MB) (QL), Ellis c. Wentzell-Ellis, 2010 ONCA 347 (CanLII), Finizio c. Scoppio-Finizio 1999 CanLII 1722 (C.A. de l'Ont.) (CanLII), Cannock c. Fleguel, 2008 ONCA 758 (CanLII), T.B. c. M.T., [2004] R.D.F. 174 (CS du Qué.) [2004] R.D.F. 28 (QCCA) (QL)Note de bas de la page 127. Voir aussi Ireland c. Ireland, 2011 ONCA 623.

Les tribunaux canadiens ont souvent recours à des engagements et aux dispositions concernant le retour pour traiter la difficulté d'équilibrer les objectifs de la Convention et les inquiétudes quant à la sécurité dans les affaires de violence familiale, sauf si la preuve fait état de graves inquiétudes quant à la sécurité (comme dans Pollastro ou dans Achakzad c. Zemaryalai). Selon les recherches sur la violence familiale cependant, on s'inquiète beaucoup que les engagements et les dispositions concernant le retour n'aboutissent peut-être pas à des résultats satisfaisants.

Ce problème fait actuellement l'objet d'une attention considérable sur le plan international. Les avocats spécialisés en droit de la famille voudront peut-être consulter les sources suivantes pour se renseigner plus avant: La Lettre des juges, de la Conférence de La Haye de droit international privé, en ligne à http://www.hcch.net/index_fr.php?act=publications.listing&sub=5 et The Hague Domestic Violence Project, à http://gspp.berkeley.edu/global/the-hague-domestic-violence-project.

8.5.4 Commentaires de conclusion sur l'enlèvement d'enfant à l'intention des avocats spécialisés en droit de la famille

En bref, il faut dissuader les parents de quitter le territoire canadien avec leur enfant, sans ordonnance, sans avis et sans consentement manifeste et écrit de l'autre parent, ou sans des éléments prouvant clairement une situation de danger avec si possible à l'appui des documents sur le risque de la part de la police ou des organismes de protection de la jeunesse.

8.6 Processus de règlement: droit pénal et droit de la famille

Il importe que les procureurs tiennent compte des répercussions des négociations de plaidoyer sur les instances relevant du droit de la famille et sur celles relatives à la protection de la jeunesse. Le procureur du ministère public qui connaît l'avocat spécialisé en droit de la famille du plaignant peut envisager de discuter les répercussions des négociations de plaidoyer possible avec lui et, s'il y a lieu, avec les responsables de la protection de la jeunesse. Les tribunaux en matière de droit de la famille, ou de protection de la jeunesse, peuvent par exemple considérer que la décision de recourir à un engagement de ne pas troubler l'ordre public plutôt que de porter une accusation criminelle indique que l'affaire n'est pas très grave. Même si les décisions peuvent tout à fait convenir dans quelques affaires, dans d'autres, où elles sont basées sur des critères autres que des préoccupations restreintes quant à la sécurité, elles peuvent susciter de la confusion dans le contexte du droit de la famille.

De plus, les éléments relatifs aux engagements de ne pas troubler l'ordre public même s'ils sont informatifs et pertinents pour prouver la crainte de la partie adverse, ne sont pas forcément une preuve concluante de l'admission de la responsabilité criminelle.

Pour des raisons de même nature, le ministère public et les avocats de la protection de la jeunesse voudront se rappeler la nature des processus de règlement en droit de la famille. Les affaires relevant du droit de la famille sont en grande majorité réglées par la négociation, la médiation ou le règlement judiciaire des différends. Le fait que la violence familiale a été constatée et que des demandes de protection civile et de protection des enfants (demandes de droit de visite surveillé par exemple) ont été présentées dans les documents préliminaires du tribunal de la famille ne garantit pas que la preuve et les demandes seront présentées au juge du tribunal de la famille, au médiateur ou à l'arbitre (et encore moins qu'elles seront acceptées). La réalité que la grande majorité des affaires relevant du droit de la famille n'aboutit pas à des audiences avec contestation, suivies de la décision du tribunal. Dans des affaires de violence familiale, des gens qui sont violents dans leur famille obtiennent souvent le droit de visite sans surveillance, et même la garde des enfants, en dépit de circonstances indiquant le risque de préjudice. Ce résultat est souvent le produit du règlement plutôt que de la décision prononcée par le tribunalNote de bas de la page 128. Il arrive que des parents ignorent le danger que certaines personnes violentes font courir à des enfantsNote de bas de la page 129. Qui plus est, l'analyse systémique d'affaires de violence familiale relevant du droit de la famille démontre que les demandes de protection sont majoritairement abandonnées au cours de la négociation et de la médiation avant les procès et les audiencesNote de bas de la page 130. Ces abandons peuvent certes être tout à fait appropriés dans quelques-unes de ces affaires, les inquiétudes pour la sécurité s'étant dissipées, mais la recherche empirique fait état d'un phénomène bien établi selon lequel, dans des affaires de violence familiale, des parents acceptent des arrangements parentaux après la séparation malgré des inquiétudes graves et permanentes pour la sécurité de l'enfantNote de bas de la page 131. Ce phénomène peut être dû à des pressions et à de l'intimidation de la part du parent violent, et aussi à un manque de ressources, à des suggestions de règlement provoquées sous l'influence de la violence familiale, à un manque d'outils pour la déceler et de connaissances spécialisées en la matière. Une discussion plus détaillée figure en note de bas de pageNote de bas de la page 132.

Il ne faudrait pas que les organismes de protection de la jeunesse supposent que la demande de protection présentée par un parent, conformément aux instructions qu'ils ont données, sera maintenue pendant la procédure du droit de la famille. Le mieux est que ces organismes se tiennent au courant de l'évolution de l'affaire, afin de pouvoir intervenir au besoin pour garantir des protections adéquates pour les enfants.

8.6.1 Discussion en vue du règlement: du droit de la famille au droit pénal

Les communications et les divulgations ayant lieu pendant des processus de règlement -médiation, règlement judiciaire des différends - ainsi que les négociations préalables au règlement sont en principe assujetties aux règles de preuve concernant le privilège relatif aux règlements. Une discussion complète dépassant notre propos, on peut lire une discussion utile sur les exceptions et la jurisprudence pertinente dans les arrêts Sable Offshore Energy Inc. c. Ameron International Corp., 2013 C.S.C. 37 et Brown c. Cape Breton (Regional Municipality), 2011 NSCA 32.

Dans des affaires de violence familiale où les risques sont élevés, les avocats spécialisés en droit de la famille et les médiateurs voudront peut-être relever l'exception relative à la sécurité publique énoncée dans Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455. La Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a commenté précisément dans Brown l'applicabilité des exceptions relatives à la sécurité publique à toutes les formes de privilège, dont celui relatif aux règlements. Dans les cas où des divulgations faites au cours des discussions pour le règlement révèlent des degrés élevés de risques et en particulier la possibilité d'une issue fatale, les avocats spécialisés en droit de la famille voudront peut-être tenir compte des exceptions relatives au privilège et à la confidentialité énoncés dans les arrêts Brown et Smith c. Jones.

8.7 Restrictions relatives à la divulgation en matière pénale: interrogatoire préalable et obligation de divulgation

Dans toutes les provinces et dans tous les territoires, le droit de la famille et la législation sur la protection de la jeunesse prévoient la communication de documents et bien souvent l'interrogatoire des parties préalablement aux audiences et aux procès. Il se peut, en l'absence de consentement, par un pouvoir expressément prévu par la loi ou une ordonnance judiciaire que les avocats spécialisés en droit de la famille, ceux chargés de la protection de la jeunesse et les clients qui obtiennent des renseignements de la partie adverse au cours de la divulgation obligatoire avant le procès, ne puissent pas communiquer ces renseignements à la police.

La Cour suprême du Canada a affirmé dans Juman c. Doucette, [2008] 1 R.C.S. 157, qu'en l'absence de circonstances exceptionnelles, les parties à une action civile ne sont pas libres de divulguer sans ordonnance à la police ou à des tiers parties au litige des éléments de preuve obtenus au cours de l'interrogatoire préalable – y compris des preuves de comportement criminel. La Cour a conclu que les parties divulguent des renseignements du fait de l'obligation légale de participer pleinement à la communication dans des actions civiles, en vertu de l'engagement implicite et d'une mesure de protection.

La Cour suprême a déclaré que, même si les tribunaux ont le pouvoir discrétionnaire d'accorder des exemptions à l'égard de l'engagement ou de le modifier, sauf si une exemption légale expresse prime sur l'engagement implicite, il incombera au demandeur de l'exemption de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l'intérêt public est plus important que les valeurs visées par l'engagement implicite.

Des engagements implicites similaires en matière de confidentialité ont été reconnus à propos de documents communiqués par des parties adverses dans des actions civiles, consécutivement à des obligations de production; voir Ring c. Canada (Attorney General), 2009 NLCA 45 et International Brotherhood of Electrical Workers, Local 213 c. Hochstein, 2009 BCCA 355.

Il ne faut pas perdre de vue toutefois le critère d'exemption légale définie dans l'arrêt Juman c. Doucette. Il y a lieu de vérifier si les règles de procédure, les dispositions du droit de la famille et la législation de protection de la jeunesse qui s'appliquent prévoient le pouvoir de divulguer. Les auteurs Davies, Dunn et Di Luca soulignent par exemple dans un rapport récent, préparé en 2012 pour le ministère de la JusticeNote de bas de la page 133 que le paragraphe 20(25) sur l'interrogation d'un témoin et la divulgation des Règles en matière de droit de la famille, Règl. de l'Ont. 114/99 prévoit que les états financiers et les documents communiqués au cours de l'interrogatoire préalable peuvent être communiqués dans certaines circonstances et, par exemple, qu'ils « peuvent être utilisés à d'autres fins:

  1. si la personne qui a présenté les preuves y consent;
  2. si les preuves sont déposées auprès du tribunal ou présentées ou mentionnées à une audience;
  3. dans une cause subséquente qui oppose les mêmes parties ou leurs ayants droit, si la cause dans laquelle les preuves ont été obtenues a été retirée ou rejetée. »

Dans les cas où des exemptions légales s'appliquent, il peut être possible de divulguer des renseignements sans ordonnance, à condition que les critères qu'impose la loi soient satisfaits. Il faut de plus souligner celui de « danger grave et immédiat » énoncé dans Juman c. Doucette, particulièrement à propos des affaires de violence familiale : « en cas de danger grave et immédiat, le demandeur serait fondé à s'adresser directement à la police sans ordonnance judiciaire ». Il faut cependant signaler aussi le commentaire en l'espèce qu' « [i]l vaut mieux toutefois laisser aux tribunaux le soin de décider s'il y a lieu d'accorder des exemptions […] révélant des infractions criminelles qui ne représentent pas un danger grave et immédiat. »

La Cour suprême du Canada énonce dans Juman c. Doucette des facteurs que les tribunaux peuvent prendre en considération à propos de l'intérêt public, pour décider d'autoriser ou non la divulgation :

La Cour déclare par ailleurs que l'intérêt public dans la lutte contre la criminalité « n'éclipse pas nécessairement le droit d'un citoyen à sa vie privée ».

8.7.1 Restrictions du recours à la divulgation obligatoire en matière civile dans les poursuites pénales

La Cour suprême du Canada a conclu dans R. c. Nedelcu que le témoignage forcé fourni dans une action civile est admissible dans un procès criminel afin de contre-interroger l'accusé et d'attaquer sa crédibilité si le témoignage n'est pas incriminant. R c. Nedelcu [2012] 3 R.C.S. 311. (Voir aussi Juman c. Doucette aux paragraphes 56 et 57.)

Dans le contexte de la violence familiale et à propos de la sécurité des victimes et des enfants, il y a d'une part des inquiétudes sur le fait que des preuves pertinentes de l'affaire relevant du droit de la famille ou relatives à la protection de la jeunesse ne sont pas admises ni prises en compte dans le procès pénal. D'autre part, dans les cas où l'accusé est protégé de témoignages auto-incriminants de sorte que des témoignages forcés lors de l'affaire relevant du droit de la famille ou relatifs à la protection de la jeunesse ne peuvent être utilisés contre lui dans le procès pénal (sous réserve de « poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires »), les inquiétudes relatives à l'audition de l'affaire relevant du droit de la famille ou de la protection de la jeunesse avant la détermination de la peine dans l'affaire pénale peuvent être atténuées. L'atténuation des inquiétudes quant à l'application régulière de la loi pourrait permettre à l'affaire relevant du droit de la famille ou relative à la protection de la jeunesse d'être entendue plus rapidement pendant que progresse l'affaire pénale.

8.8 Règles de protection des renseignements personnels qui touchent la divulgation : pertinence de la LPRPDÉ dans les litiges civils

La publication du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : La LPRPDÉ et votre pratique – Guide sur la protection de la vie privée à l'intention des avocats (Ottawa : Gouvernement du Canada, 2011) contient des conseils à cet égardNote de bas de la page 134.

8.9 Demandes de communication de dossiers présentées par l'auteur de la violence en vertu de la législation sur l'accès à l'information

Pendant toute la procédure de droit de la famille, les avocats spécialisés en la matière qui représentent des victimes de violence familiale voudront entretenir des relations de travail solides avec la police, le ministère public et, s'il y a lieu, avec les organismes de protection de la jeunesse.

On peut prévoir que l'auteur de la violence demandera à avoir accès aux dossiers d'enquête de la police le concernant sur le fondement des lois sur l'accès à l'information, surtout si les accusations sont retirées ou s'il est acquitté. La démarche peut être motivée par la volonté d'obtenir des renseignements sur des témoins qui se sont plaints à la police, par l'idée que les dossiers peuvent contenir des renseignements pouvant être utilisés pour embarrasser des témoins ou l'adulte ciblé ou attaquer leur crédibilité, par la volonté de contester les procédures policières dans des affaires de violence familiale, ou par l'idée que les dossiers peuvent contenir des renseignements qui le disculperaient. Pour le parent ciblé, les inquiétudes quant à la communication de ces renseignements concernent, outre sa sécurité personnelle, la protection de la vie privée, la possibilité de faire mauvais usage des renseignements, la possibilité de représailles contre les enfants et contre d'autres personnes qui ont fourni des renseignements à la police, la possibilité de harcèlement ou d'intimidation des personnes qui ont prêté leur assistance. Ces demandes sont régies par des règles et des principes qui diffèrent de ceux pour la divulgation dans les affaires civiles, car dans ces affaires, l'auteur de la violence demande à avoir accès aux dossiers de la police qui le concernent. Toutefois, des renseignements divulgués pourraient être vraisemblablement utilisés aux fins de l'affaire relevant du droit de la famille ou relative à la protection de la jeunesse, notamment pour le contre-interrogatoire.

Les avocats spécialisés en droit de la famille voudront bien noter l'évolution de la jurisprudence sur cette question, essentiellement en Ontario où les policiers ont réussi à s'opposer à la divulgation complète de leurs dossiers dans des affaires de violence familiale, au motif de la protection de la vie privée, du privilège relatif à l'exécution de la loi ou parce que la divulgation révèlerait les outils d'enquête qu'ils utilisent dans les affaires de violence familiale:

Voir également l'arrêt Ontario (Sûreté et Sécurité publique) c. Criminal Lawyers' Association, 2010 C.S.C. 23 (CanLII), [2010] 1 RCS 815 à propos des exceptions à la divulgation que prévoit la Loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, ch. F.31 pour le secret professionnel de l'avocat et le pouvoir discrétionnaire en vue d'exclure les divulgations concernant l'exécution de la loi.

Voir Woodstock (City) (re), 2012 CanLII 10571 (ON IPC)Note de bas de la page 135 à propos d'auteurs présumés de violence demandant, sur le fondement de la législation à l'accès à l'information à avoir accès à des dossiers professionnels et à des évaluations des risques touchant les nouvelles obligations des employeurs, en Ontario, de protéger leurs employés de la violence familiale.

8.10 Communication et production des relevés de condamnations pénales pour utilisation en matière de droit de la famille ou de protection de la jeunesse

8.10.1 Introduction

Les détails des dossiers du ministère public et de ceux de la police peuvent être très utiles dans les affaires relevant du droit de la famille et concernant la protection de la jeunesse, pour les raisons exposées en note de bas de pageNote de bas de la page 136, mais dans la pratique, il peut s'avérer difficile pour les parties civiles d'obtenir ces dossiers, du fait des inquiétudes quant à la protection des renseignements personnels et des ressources limitées, surtout dans des affaires de droits de garde et d'accès. Sans consentement, les procédures visant à obtenir la communication sont souvent lourdes, longues et coûteuses. Le coût dépasse souvent les moyens de nombreuses parties, surtout dans les ressorts où les programmes d'aide juridique sont limités. Étant donné la complexité juridique de la jurisprudence sur la communication des casiers judiciaires en droit de la famille et en matière de protection de la jeunesse, la discussion ci-après se bornera à présenter un aperçu général des réflexions pertinentes. Une discussion détaillée dépasse la portée de notre propos.

8.10.2 Condamnations pénales

Dans les affaires de droits de garde et d'accès, quelques ressorts exigent à présent la communication automatique des dossiers de protection de la jeunesse et des relevés de condamnations pénales. Ces renseignements peuvent souvent être obtenus par consentement ou par assignation. Voir aussi les articles 12 et 23 de la Loi sur la preuve au Canada. La plupart des lois sur la preuve des provinces et des territoires comportent des dispositions semblables. Voir la partie 9 ci-après à propos des jugements antérieurs.

8.10.3 Communication et production des dossiers de la police dans des affaires en matière de droit de la famille et de protection de la jeunesse

La meilleure solution, évoquée ci-dessus est que les avocats spécialisés en droit de la famille et ceux de la protection de la jeunesse rencontrent rapidement les procureurs et les policiers pour discuter quels renseignements de l'enquête et du procès criminel peuvent être communiqués et échangés par consentement. Les règles relatives à la communication étant plus larges que celles relatives à l'admission, il peut être utile d'étudier et de chercher à consolider des ententes intersectorielles sur l'admission subséquente et l'utilisation de ces renseignements (sous réserve bien sûr des décisions sur la preuve judiciaire en lien avec l'admissibilité touchant notamment la pertinence, la fiabilité, le ouï-dire, la protection des renseignements personnels et l'intérêt public).

Selon la jurisprudence, le ministère public et la police peuvent, sur le fondement de l'immunité d'intérêt public, s'opposer à la communication pendant que l'enquête ou le procès criminel sont en cours, afin de protéger celle-ci. Sans consentement, il faudra peut-être une requête ou une demande de communication, après notification au procureur général, à la police ou au ministère public.

8.10.3.1 Communication des dossiers de la police aux organismes de protection de la jeunesse

Dans la plupart des provinces et des territoires, la législation sur la protection de la jeunesse autorise la communication de dossiers de tiers, dont ceux de la police, aux organismes de protection de la jeunesse. Au Manitoba, la police est tenue à la divulgation aux termes du paragraphe 18.4 (1.1) de la Loi sur les services à l'enfant et à la famille, C.P.L.M. c. C80. De façon générale, les exigences mininales pour la communication sont relativement faibles.

La plupart du temps, les tribunaux se prononcent en faveur de la communication des dossiers de la police aux organismes de protection de la jeunesse. Voici quelques affaires pertinentes:

La décision Children's Aid Society of Algoma c. P.(D.) comporte toutefois un critère à propos de la divulgation, et affirme que les dossiers de nature exceptionnellement délicate sur des affaires privées pourraient échapper à la communication, mais que [TRADUCTION]« dans la plupart des cas, la remise des dossiers judiciaires appropriés à la société d'aide à l'enfance ne portera pas atteinte aux attentes raisonnables en matière de vie privée ». Le critère et les processus de contrôle connexes peuvent néanmoins créer des obstacles et des retards pour la communication. De plus, Breese Davies, Erin Dunn et Joseph Di Luca indiquent dans leur rapport « Pratiques exemplaires dans les cas de violence familiale (perspective du droit pénal) », rédigé en 2012 pour le ministère de la Justice, qu'en pratique, les organismes de protection de la jeunesse continuent de faire état de problèmes pour obtenir que la police communique de façon complète et en temps utile dans les affaires de protection de la jeunesse touchant la violence familiale. Il est donc impératif de s'occuper au plus tôt des questions de communication, surtout dans le domaine de la protection de la jeunesse où s'appliquent des délais obligatoires.

8.10.3.2 Production des dossiers de la police et du ministère public aux parties dans des affaires en matière de droit de la famille autres que celles concernant des organismes de protection de la jeunesse

La jurisprudence indique que, sans consentement, les parties dans des affaires relevant du droit de la famille ont plus de difficultés à obtenir des documents que les organismes de protection de la jeunesse dans des affaires concernant la protection de la jeunesse. De façon générale, à propos de la communication à des tiers, les règles fixées par la loi exigent de prouver qu'il ne serait pas équitable d'instruire l'affaire civile sans les documents et que ceux-ci ne sont pas protégés. Voir la loi applicable, en Ontario, par exemple le paragraphe 19 (11) des Règles en matière de droit de la famille, Règl. de l'Ont. 114/99.

Des ordonnances de communication de casiers judiciaires et de dossiers du ministère public sont néanmoins rendues si les questions pénales sont liées à l'intérêt de l'enfant, par exemple dans Porter c. Porter, 2009 CanLII 18686 (CS de l'Ont.) et dans Bellerive c. Hammond, 2003 CanLII 68790 (ONCJ).

L'arrêt P.(D.) c. Wagg, (2004), 71 O.R. (3d) 229, (2004), 239 D.L.R. (4th) 501, (2004), 184 C.C.C. (3d) 321, (2004), 120 C.R.R. (2d) 52, (2004), 187 O.A.C. 26, 2004 CanLII 39048 (C.A. de l'Ont.) énonce un critère qui régit la communication des dossiers du ministère public et de la police. Il expose la procédure appropriée de l'examen des documents par le ministère public avant la communication, de l'examen des droits relatifs à la vie privée et pour décider si l'intérêt public en matière de non-communication prime sur l'intérêt de la société que [TRADUCTION] « justice soit faite au civil comme au pénal ».

Voir également N.G. c. Upper Canada College, 2004 CanLII 60016 (ONCA) à propos de la remise au défendeur de l'affaire civile d'un enregistrement vidéo du plaignant réalisé par la police pour utilisation dans l'affaire pénale; le ministère public s'opposait à la communication. L'arrêt adhère à l'utilisation du mécanisme d'examen et d'approbation énoncé dans Wagg. SW c. EB, 2012 SKQB 108 (CanlII) élargit l'application de Wagg à la Saskatchewan à propos de l'allégation, dans une affaire relevant du droit de la famille, par le père qu'il consentirait à ce que l'évaluateur désigné par le tribunal pour son enfant visionne les enregistrements des interrogatoires par la police au sujet de possibilités d'agression sexuelle de sa part, uniquement s'il recevait des copies des enregistrements. Voir également Wong c. Antunes, 307 D.L.R. (4th) 385, 95 B.C.L.R. (4th) 73, 2009 BCCA 278 2009 BCCA 278 et College of Physicians and Surgeons of Ontario c. Metcalf (2010), 98 O.R. (3d) 301.

Il est recommandé, afin de prévenir les retards, d'engager au plus tôt les procédures de communication et de production, étant donné la probabilité de retard associée aux procédures d'examen préalable à la communication (sans mentionner les retards dus aux questions complexes d'admissibilité).

8.10.3.3 Communication et production des dossiers de la police et du ministère public: autres possibilités

Il existe d'autres options, notamment les suivantes :

8.11 Répondre à des demandes de dossiers médicaux

8.11.1 Dossiers médicaux: contexte de violence familiale

Dans les affaires de violence familiale, les avocats spécialisés en droit de la famille voudront être prêts à répondre à des demandes de communication de dossiers médicaux et de dossiers de consultation psychologique pour utilisation dans des affaires en matière de droit de la famille, de protection de la jeunesse ou de droit pénal. Il est probable que des clients victimes de violence familiale s'inquièteront de l'utilisation possible de ces renseignements, surtout si la demande de communication est présentée de la part de l'auteur présumé de la violence familiale. Les préoccupations concernent l'utilisation possible des renseignements aux fins suivantes :

Les victimes de violence familiale s'inquiètent notamment de ce qui suit :

Les recherches socio juridiques sur la violence familiale établissent les situations à prendre en compte pour réfléchir à la pertinence et à la valeur probante de ces dossiers :

8.11.2 Dossiers médicaux: contexte juridique

Selon les juges La Forest, Sopinka, Cory, McLachlin, Iacobucci et Major dans l'arrêt M.(A.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157, (1997), 143 D.L.R. (4th) 1, [1997] 4 W.W.R. 1, (1997), 42 C.R.R. (2d) 37, (1997), 4 C.R. (5th) 220, (1997), 29 B.C.L.R. (3d) 133, [1997] 1 R.C.S. 157, 1997 CanLII 403 (C.S.C.), la prémisse de départ est que « toute personne a une obligation générale de faire un témoignage pertinent quant à la question dont le tribunal est saisi, de manière à ce que la vérité puisse être découverte ».

En droit de la famille, la communication des dossiers médicaux peut avoir lieu:

8.11.2.1 Pertinence

Les parties qui demandent la communication des dossiers médicaux, notamment de santé mentale, d'autres membres de la famille doivent en démontrer la pertinence, et satisfaire aux exigences des règles des cours provinciales et des lois applicables. Notre discussion se limite aux principes généraux.

La jurisprudence indique que l'obligation de divulguer l'existence de documents et celle de les communiquer est distincte. La première concerne tous les documents pertinents.

Les demandes de communication visant des tiers qui ne sont pas parties à l'instance devront peut-être comporter des preuves supplémentaires relativement à la grande pertinence et à l'iniquité d'instruire l'action sans examen du document. Selon la jurisprudence, il appartient à la partie qui demande la communication de démontrer la pertinence (et si des tiers sont concernés, la grande pertinence et l'iniquité) : F., K. (Litigation guardian of) c. White (2001), 53 O.R. (3d) 391, (2001), 198 D.L.R. (4th) 541, (2001), 142 O.A.C. 116, 2001 CanLII 24020 (C.A. de l'Ont.); Grewal c. Hospedales (2004), 33 B.C.L.R. (4th) 294, 2004 BCCA 561.

La jurisprudence indique de plus que la pertinence relativement à la communication doit être davantage qu'une « recherche à l'aveuglette », et se fonder sur la preuve, et non sur des affirmations hypothétiques ou sur un raisonnement discriminatoire ou stéréotypé : A.(L.L.) c. B.(A.), [1995] 4 R.C.S. 536, (1995), 130 D.L.R. (4th) 422, (1995), 103 C.C.C. (3d) 92, (1995), 33 C.R.R. (2d) 87, (1995), 44 C.R. (4th) 91, (1995), 88 O.A.C. 241, [1995] 4 R.C.S. 536, 1995 CanLII 52 (C.S.C.); Cojbasic c. Cojbasic, 2008 CanLII 8256 (C.S. de l'Ont.).

En droit de la famille, la pertinence est souvent liée à la preuve, selon la prépondérance des probabilités que les documents révèlent des problèmes médicaux, notamment de santé mentale, associés à la capacité de s'occuper d'un enfant. La partie qui demande la communication a-t-elle démontré la pertinence relativement aux compétences parentales ou à l'intérêt de l'enfant?

Les demandes de communication sont refusées si le demandeur ne peut faire la preuve de la pertinence. Toutefois, la jurisprudence indique qu'une fois établie la pertinence substantielle, il appartient à la partie qui revendique le privilège de convaincre le tribunal que les documents ne doivent pas être communiqués pour des motifs de protection de la vie privée et de privilège.

8.11.2.2 Protection de la vie privée et privilège: communication des dossiers médicaux, notamment de santé mentale, droit de la famille

Les dossiers médicaux, notamment de santé mentale, sont aussi régis par les lois provinciales et territoriales sur la santé, y compris sur la santé mentale. Sans consentement ou renonciation de la part des clients, des spécialistes, notamment ceux de la santé et de la psychiatrie et des institutions ont souvent l'obligation, déontologique ou prévue par la loi, de s'opposer à la communication à des tiers (c'est-à-dire à des personnes qui ne sont pas des patientes ni des clientes), au motif que celle-ci causerait un préjudice ou gênerait le traitement. À propos des médecins, l'article 9 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec reconnaît le secret professionnel. L'intérêt de la population à encourager les victimes de violence familiale à obtenir du soutien psychologique et l'inquiétude que l'accès facile aux dossiers pourrait dissuader des personnes, souffrant de la violence dans leur famille, de rechercher de l'aide sont au nombre des questions de politique publique.

La jurisprudence indique qu'une fois établie la pertinence, il appartient à la partie qui revendique le privilège de convaincre le tribunal que les documents ne doivent pas être communiqués pour des motifs de protection de la vie privée et de privilège. Dans l'arrêt A.(L.L.) c. B.(A.), [1995] 4 R.C.S. 536, (1995), 130 D.L.R. (4th) 422, (1995), 103 C.C.C. (3d) 92, (1995), 33 C.R.R. (2d) 87, (1995), 44 C.R. (4th) 91, (1995), 88 O.A.C. 241, [1995] 4 R.C.S. 536, 1995 CanLII 52 (C.S.C.), les juges La Forest, L'Heureux-Dubé et Gonthier proposent une définition large, ouverte et évolutive de « dossier privé ». « Les dossiers privés, ou dossiers donnant ouverture à une attente raisonnable en matière de respect de leur caractère privé, peuvent comprendre des dossiers médicaux ou thérapeutiques, des dossiers scolaires, des journaux intimes, des notations de travailleurs sociaux, etc. »

Le privilège est évalué selon les principes établis dans M.(A.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157, (1997), 143 D.L.R. (4th) 1, [1997] 4 W.W.R. 1, (1997), 42 C.R.R. (2d) 37, (1997), 4 C.R. (5th) 220, (1997), 29 B.C.L.R. (3d) 133, [1997] 1 R.C.S. 157, 1997 CanLII 403 (C.S.C.) et selon le test du professeur Wigmore. Selon la jurisprudence, les dossiers médicaux, notamment de santé mentale, ne font pas forcément l'objet d'un privilège générique : A.(L.L.) c. B.(A.), [1995] 4 R.C.S. 536, (1995), 130 D.L.R. (4th) 422, (1995), 103 C.C.C. (3d) 92, (1995), 33 C.R.R. (2d) 87, (1995), 44 C.R. (4th) 91, (1995), 88 O.A.C. 241, [1995] 4 R.C.S. 536, 1995 CanLII 52 (C.S.C.); M.(A.) c. Ryan, [1997] 1 R.C.S. 157, (1997), 143 D.L.R. (4th) 1, [1997] 4 W.W.R. 1, (1997), 42 C.R.R. (2d) 37, (1997), 4 C.R. (5th) 220, (1997), 29 B.C.L.R. (3d) 133, [1997] 1 R.C.S. 157, 1997 CanLII 403 (C.S.C.).

Si le privilège n'est pas générique ni prévu par la loi, il doit être fondé sur les circonstances de chaque cas, selon les principes de la common law et le test de Wigmore :

Selon la jurisprudence, les tribunaux s'attendent à ce que les parties aux litiges civils acceptent des atteintes dans la mesure nécessaire pour obtenir la vérité, ce qui n'autorise cependant pas à fouiller dans les affaires privées de la partie adverse. Les tribunaux empêchent la communication de dossiers de consultation conjugale et infantile (L.M.B c. I.J.B, 2005 ABCA 100 par exemple), mais en cas de revendication de privilège et de protection de la vie privée, ils imposent souvent des conditions à l'étendue de la communication ou à l'utilisation des renseignements. Des ordonnances de communication partielle sont par exemple assorties des conditions suivantes : communication d'un nombre limité de documents, révision par le tribunal pour supprimer des passages non essentiels, imposition de conditions relatives à la consultation et à la reproduction des documents (consulter l'arrêt Saskatchewan (Social Services) c. RW, 2012 SKCA 75 à propos des préoccupations relatives aux restrictions concernant les organismes de protection de la jeunesse), suppression des renseignements identifiant des tiers, imposition de conditions pour le retour des documents, précisions de la façon dont les atteintes à la vie privée doivent se limiter à la mesure nécessaire pour rendre justice dans les actions civiles:

Dans les cas où les parties sont en cause dans de multiples instances (droit de la famille, droit pénal, protection de la jeunesse), les avocats spécialisés en droit de la famille, les organismes de protection de la jeunesse, les avocats de la défense en matière pénale et le ministère public voudront donc étudier très attentivement les effets positifs et négatifs de l'inclusion de conditions limitant l'étendue de la communication et l'utilisation possible des dossiers dans d'autres instances. Les avocats spécialisés en droit de la famille qui représentent des victimes de violence familiale voudront peut-être consulter le ministère public et aussi, selon les circonstances de l'espèce, l'avocat de la protection de la jeunesse pour le client, à propos de l'utilisation des dossiers médicaux de la victime dans les autres instances. De même, les avocats spécialisés en droit de la famille qui représentent des auteurs présumés de violence voudront peut-être consulter l'avocat qui défend leur client devant le tribunal pénal et l'avocat de la protection de la jeunesse à propos de l'utilisation des dossiers médicaux, notamment de santé mentale, de l'accusé dans d'autres instances.

8.11.2.3 Communication des dossiers médicaux, notamment de santé mentale : protection de la jeunesse

La communication des dossiers médicaux, notamment de santé mentale, sur les parents est souvent autorisée par la loi et ordonnée par le tribunal dans les affaires de protection de la jeunesse.

Dans les affaires concernant la protection de la jeunesse, les considérations essentielles de l'intérêt de l'enfant liées aux dossiers médicaux des parents (dossiers relatifs par exemple à leur surconsommation de stupéfiants et d'alcool, à leurs antécédents médicaux, notamment de santé mentale, aux consultations psychologiques de traitement en matière de [victimes] ou d'intervention [parent violent]) prévaudront souvent sur le droit à la protection de la vie privée. Voir par exemple: Nova Scotia (Minister of Community Services) c. B.L.C., (2007), 254 N.S.R. (2d) 52, (2007), 282 D.L.R. (4th) 725, (2007), 37 R.F.L. (6th) 326, 2007 NSCA 45 (CanLII).

Et pourtant, l'une des raisons attestées pour lesquelles des victimes de violence familiale ne divulguent pas de renseignement dans des affaires relevant du droit de la famille ou ne collaborent pas dans des procédures pénales est la crainte que les renseignements puissent être utilisés contre le parent ciblé dans des instances relatives à la protection de la jeunesse. Étant donné les exigences générales de communication dans les instances relatives à la protection de la jeunesse et l'utilisation possible des dossiers dans ces instances ainsi que dans des instances de droit pénal ou de droit de la famille, il est primordial que les avocats spécialisés en droit de la famille (chaque parent ayant son propre avocat, puisqu'en cas de violence familiale, chacun est considéré comme ayant des intérêts opposés) établissent des relations de travail solides avec les organismes de protection de la jeunesse, le ministère public ou les avocats de la défense en droit pénal afin de protéger le droit à la vie privée de leurs clients et de protéger contre l'utilisation inappropriée de ces dossiers dans d'autres instances.

8.12 Répondre aux demandes de communication du dossier du litige civil présentées par des avocats de la défense en droit pénal

Consulter les principes dans l'arrêt R. c. McClure, 2001 C.S.C. 14, [2001] 1 R.C.S. 445. L'accusé, inculpé pour avoir commis des infractions d'ordre sexuel, a demandé la communication du dossier relatif à l'action civile intentée par le plaignant. Ce dossier portait sur une demande de dommages-intérêts pour les mêmes infractions d'ordre sexuel. L'appel a été accueilli et l'ordonnance de communication a été annulée.

La Cour suprême a souligné que « le secret professionnel de l'avocat est un principe qui revêt une importance fondamentale », mais « il n'est toutefois pas absolu et, dans des circonstances limitées, il peut céder le pas pour permettre à un accusé de présenter une défense pleine et entière. Il faut donc appliquer rigoureusement « le critère de la démonstration de l'innocence de l'accusé » :