Renforcement de la sécurité : Affaires de violence conjugale faisant intervenir plusieurs systèmes juridiques
(en matière de droit pénal, de droit de la famille et de protection de la jeunesse)
Perspective du droit de la famille sur la violence conjugale

Partie 4 : Collecte et échange de renseignements

4.1 Caractéristiques liées à la divulgation de renseignements sur la violence conjugale

Il ressort de nombreuses recherches empiriques, menées dans tous les pays occidentaux de common law, que la preuve de la violence familiale dans les causes relevant du droit de la famille n'est ni documentée ni présentée, lors de la médiation, des audiences et des procèsNote de bas de la page 18. Cela s'explique de différentes façons, dont les suivantes : les allégations de violence conjugale ou d'autres formes de violence familialeNote de bas de la page 19 sont retirées au cours de « négociations » hors cours en échange de concessions de l'autre partie (par exemple, l'acceptation de payer une pension alimentaire pour enfant ou de renoncer à une demande de garde conjointe); les parents non violents cèdent sous la pression, pour arriver à un règlement, exercée sur eux par les professionnels, lesquels saisissent mal l'importance des préjudices causés aux enfants par la violence familiale; la non-présentation d'éléments de preuve devant des juges qui, dans le passé, se sont montrés réticents à examiner de tels éléments de preuve ou ont eu tendance à pénaliser les parents qui cherchaient à restreindre l'accès de l'autre parent concernant les enfants; le manque de compréhension des dynamiques et des conséquences de la violence familiale, de la part des professionnels travaillant dans les systèmes d'aide à la famille et de protection de la jeunesse. Pour plus de précisions, voir les notes de bas de pageNote de bas de la page 20 et la partie 8.6 relative aux conséquences de la violence familiale sur les types de règlement.

L'exclusion peut s'expliquer également par les facteurs suivants : l'insuffisance des moyens financiers et des soutiens psychologiques nécessaires pour mener une poursuite ou pour engager des experts en matière de violence familiale; la crainte de représailles, la honte, le désir de protéger l'« honneur » familial ou culturel, l'incapacité émotionnelle à témoigner de manière cohérente en raison des préjudices causés par la violence familiale, les inquiétudes relatives à la sécurité de l'enfant (notamment la crainte que l'auteur de la violence se venge sur l'enfant). Dans les pays occidentaux, il est souvent fait état de l'omission de présenter des renseignements complets sur la violence familiale au cours des audiences.

Dans le contexte du droit pénal, la plupart des actes criminels de violence familiale ne sont, selon Statistiques Canada, pas dénoncés à la police – et font encore moins l'objet de poursuites devant les tribunaux de droit pénal. Les nombreuses raisons des victimes d'actes de violence familiale pour ne pas coopérer aux procédures pénales sont parfois valables, notamment en ce qui regarde la sécurité de la familleNote de bas de la page 21. Selon des travaux de recherche, les personnes qui ont eu une mauvaise expérience dans le système de justice pénale (notamment, les personnes qui ont fait l'objet de représailles violentes, les personnes qui n'ont pas été protégées parce que les peines étaient assorties de mesures de sécurité et de protection insuffisantes, ou les personnes ayant subi la rage de l'auteur de la violence ainsi que davantage de maltraitance et de violence à la suite d'une condamnation au criminel) pourront ne pas appeler la police lors des prochains incidentsNote de bas de la page 22. Si les avocats et les tribunaux en droit de la famille ignorent ou écartent les comportements et les incidents de violence familiale qui ne donnent pas lieu à une accusation criminelle, la grande majorité des actes criminels de violence familiale ne seront pas pris en compte dans les poursuites en matière de droit de la famille et de protection de la jeunesse.

Les personnes qui ont fait l'objet de menaces ou qui ont appris à craindre l'intervention de la police ou des organismes de protection de la jeunesse (notamment, les personnes nouvellement arrivées au Canada qui proviennent de pays où règne l'oppression), et celles qui craignent les conséquences néfastes pour elles d'une condamnation au criminel, notamment l'expulsion ou les représailles de l'auteur de la violence, se détournent parfois complètement du système de justice pénale mais sont susceptibles d'intenter des procédures en droit de la famille, afin de protéger leurs enfants. Il n'est pas nécessairement vrai que les affaires relevant du droit de la famille comportant de la violence conjugale sont moins graves ou présentent un moins grand danger que les affaires pénales. En fait, certaines présentent même un plus grand danger.

Bref, il est peu probable que les dossiers de la cour et de la police, même si ce sont des sources de renseignements importantes, documentent bien les détails de la violence conjugale et les autres formes de violence familiale.

Pour les avocats en droit de la famille, cela implique:

4.2 Caractéristiques liées à la divulgation de la violence conjugale : survivants

Il n'est pas rare que les personnes ciblées par la violence familiale affichent des comportements déconcertants pour les professionnels du droit – par exemple, lorsqu'elles protègent l'auteur de la violence, lorsqu'elles retirent leurs plaintes, lorsqu'elles font peu de divulgations au début et plus tard divulguent les formes les plus graves de violence conjugale subie pendant une période prolongée, lorsqu'elles commettent des actes de violence liée à la résistance, lorsqu'elles exhibent des comportements agressifs, lorsqu'elles s'administrent une automédication sous la forme d'alcool et de drogues, lorsqu'elles réagissent de manière excessive au stress et lorsqu'elles retournent encore et encore dans des foyers où règne la violence. Cependant, ces comportements sont tous des réactions fréquentes à la violence conjugale. La violence conjugale peut provoquer des réactions de santé mentale scientifiquement vérifiables, notamment le stress post-traumatique, la dépression, l'anxiété et le trouble panique, l'hyper vigilance ainsi qu'une diversité d'états pathologiques physiques de durées courte et longue. Ces réactions psychologiques sont des façons pour les victimes de surmonter psychologiquement la violence et la maltraitance; il est souvent possible de les gérer ou d'y mettre fin lorsque la violence et la maltraitance cessent, particulièrement si une aide est fournie. De tels comportements de survie ne nuisent pas nécessairement à la capacité d'être parentNote de bas de la page 23.

Le lien entre le fait d'avoir fait l'objet de violence et le stress post-traumatique (SPT) est maintenant bien établi. Le SPT, ainsi que l'état pathologique mental diagnostiqué qui lui est associé, l'état de stress post-traumatique (ESPT)Note de bas de la page 24 est un état pathologique psychologique bien documenté qui constitue une réaction à l'exposition à la violence. L'ESPT n'est pas particulière à un sexe. Toute personne faisant l'objet d'une violence grave ou répétée (à la maison, dans la collectivité ou en temps de guerre) peut développer ce trouble. La cause en est l'exposition à une violence grave ou répétée.

L'état de stress post-traumatique peut avoir une incidence sur la façon de témoigner et le témoignage d'une « victime » : en lui rendant difficile de donner un témoignage dans un ordre linéaire et chronologique; en lui rendant difficile de se souvenir des faits incidents entourant la violence; en provoquant en elle le détachement émotionnel (par ex., le témoignage peut être donné d'une manière non émotive, sèche, détachée); en suscitant l'incapacité ou la difficulté de divulguer toute l'information sur la violence et la maltraitance (en raison de la réaction de protection consistant à minimiser ou à éviter de tels souvenirs); et en suscitant chez elle des réactions de surprise et de défense exagérées, ressemblant à de la colère, de l'hostilité et de l'agression. On peut s'attendre à ce que les témoins qui ont subi de la violence familiale présentent de tels problèmes dans leur façon de témoigner et dans leur comportementNote de bas de la page 25. Le comportement du témoin n'est donc pas fiable dans le contexte de la violence conjugale, dans lequel les préjudices causés peuvent donner lieu à des réactions de défense ressemblant à de l'hostilité ou à un comportement agressif.

Les retards dans la communication des faits sont prévisibles et peuvent être considérés comme des effets des comportements de minimisation et d'évitement associés avec le stress post-traumatique, particulièrement lorsque des questions précises et appropriées ne sont pas posées à la personne ciblée par la violence. Le fait que les incidents de violence d'abord révélés sont peu nombreux et que les détails des actes de violence ne soient révélés qu'ensuite, au fur et à mesure de la progression de l'affaire, ne signifie pas de manière certaine que les révélations subséquentes ne seront pas fiables.

Lorsqu'une personne, qui a subi des actes de violence familiale ou conjugale, donne d'abord peu de détails sur la violence subie, en révèle de plus en plus par la suite, raconte les faits d'une manière détachée émotionnellement, est incapable de les relater d'une manière linéaire ou omet des faits pertinents, il faut envisager de la faire examiner relativement au SPT, préférablement par une personne qui soit également un expert en matière de violence familiale.

En conséquence, les avocats en droit de la famille devraient s'assurer de :

4.3 Caractéristiques liées à la (non)-divulgation de la violence conjugale : auteurs de la violence

Les personnes qui se livrent à des formes coercitives de violence conjugale (voir la partie 5.4.3 ci dessous) tendent à nier leur violence et à en minimiser la gravité – à eux mêmes ainsi qu'aux thérapeutes, aux chercheurs, aux avocats et aux juges. Il n'est pas rare qu'ils admettent des incidents mineurs et non fréquents de violence, tout en niant des incidents de violence plus grave, afin de se rendre plus crédiblesNote de bas de la page 27.

En fait, de nombreux auteurs de violence conjugale croient probablement vraiment que l'autre partie ment quant à la gravité de la violence, car, de leur point de vue, la violence et la maltraitance constituent des incidents sporadiques dans un comportement qui, par ailleurs, est bon. Les personnes ciblées par la violence conjugale, toutefois, subissent cette violence – tant quant à leur perception de la violence que quant aux préjudices qu'ils leur sont causés – de manière cumulative, chaque incident augmentant psychologiquement les préjudices ayant résulté des incidents antérieurs.

Une autre caractéristique fréquente de l'auteur de la violence, qui a une incidence sur la question de savoir s'il révélera la violence conjugale, est le rejet sur autrui de la responsabilité. En voici des exemples : l'auteur de la violence soutient avoir infligé la violence en légitime défense ou à cause de la mauvaise conduite de l'autre personne; il affirme que la violence et la maltraitance étaient mutuelles; il déclare que la partie ciblée est trop sensible en raison de la violence qu'elle a subie étant enfant ou de la part d'un ex-partenaire intime; il prétend ou sous-entend que les perceptions de violence conjugale résultent de l'instabilité mentale ou d'une maladie. Lorsque la partie ciblée a été physiquement blessée, l'auteur de la violence attribue parfois les blessures à la susceptibilité de la victime (par ex., « elle se blesse facilement ») ou prétend qu'elle se serait blessée elle même (par ex., « elle s'est balafré le visage avec un couteau de cuisine »).

En conséquence, les avocats en droit de la famille qui représentent des parties accusées d'acte de violence conjugale devraient veiller à :

4.4 Obtention de renseignements

Les experts, notamment diverses associations judiciaires, comme le National Council of Juvenile and Family Court Judges aux États Unis, ont recommandé à de nombreuses occasions d'évaluer, dans toutes les causes relevant du droit de la famille et de la protection de la jeunesse, la probabilité que des actes de violence conjugale soient perpétrés. De nombreux outils spécialisés pour recueillir des renseignements ont été mis au point dans divers pays.

Des exemples en sont donnés à la partie 3.1 ci-dessus. Certains outils de dépistage de la violence conjugale sont mieux que d'autres.

Tous les examens visant à déceler la violence familiale devraient viser à obtenir des renseignements sur ce qui suit :

Il est particulièrement important, dans le contexte du droit de la famille et en ce qui concerne le type de violence et les risques, de recueillir des renseignements complets sur les actes de violence et de maltraitance commis par chacune des parties et sur les comportements de coercition, de pouvoir et de contrôle dans la relation (en ne se limitant pas à une période particulière). Voir les parties 6 et 7 en ce qui concerne les renseignements ayant trait aux risques.

En outre, des questions conçues pour obtenir des renseignements particuliers sont recommandées dans les cas ayant trait à des membres des Premières nations et à d'autres Autochtones, aux personnes ayant une incapacité, aux immigrants au Canada, aux personnes ayant des relations intimes avec des personnes du même sexe ou des deux sexes et aux membres de groupes minoritaires. La culture, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'appartenance ethnique et le statut d'immigration constituent tous des facteurs associés à des formes particulières de violence conjugale et à des obstacles à l'obtention de services et de soutien. Idéalement, des spécialistes de la violence conjugale et des cultures devraient être recrutés dans chaque province pour aider à concevoir des outils de dépistage particuliers convenant à la composition culturelle et aux caractéristiques juridiques de chaque province.

En conséquence, les avocats en droit de la famille devraient :

4.5 Collecte des éléments de preuve : où chercher?

Dans un contexte pénal, étant donné les taux élevés de rétractations des « victimes » (dont il sera davantage question à la partie 9.5 ci‑dessous), les experts recommandent d’utiliser des méthodes spécialisées de collecte d’éléments de preuve, qui ne dépendent pas de la coopération des « victimes ». Dans le contexte du droit pénal, le document de 2013 intitulé Domestic Violence Handbook For Police and Crown Prosecutors in Alberta (en anglais), contient des renseignements utiles sur cette question, de même que le document de 2013 du Michigan Institute, intitulé Domestic Violence: A Guide to Civil & Criminal Proceedings – Third Edition (en anglais)

En ce qui a trait aux affaires de droit de la famille, Elizabeth Jollimore propose une liste utile d'éléments de preuve pertinents dans le document intitulé « Aide mémoire : meilleures pratiques de représentation d'un client dans un dossier de violence familiale » (ministère de la Justice). Plus particulièrement, elle recommande aux avocats en droit de la famille qui représentent des personnes ciblées par la violence conjugale de tenter d'obtenir :

Pour les avocats qui représentent les « victimes » d'actes de violence conjugale, des sources additionnelles d'éléments de preuve sont notamment :

En Ontario, aux termes de l'article 21 de la Loi portant réforme du droit de l'enfance, les requêtes relatives à la garde d'un enfant ou au droit de visite doivent être accompagnées d'un affidavit contenant des renseignements sur la participation actuelle ou antérieure de la personne dans des instances en droit de la famille, y compris les instances relatives à la protection des enfants ou les instances pénales. Même si, en Ontario, l'obligation de faire rapport devrait permettre de réduire le risque que les tribunaux et les avocats en droit de la famille ne soient pas au courant que la famille participe à d'autres instances judiciaires, les chercheurs soutiennent que les parties ne donneront pas toujours des renseignements completsNote de bas de la page 28. Cette situation risque fortement de se produire dans les instances parallèles en matière de protection de la jeunesse (par exemple, lorsque des conclusions relatives à la sécurité de l'enfant donnent une piètre image des deux parents). Des renseignements incomplets peuvent mettre la sécurité de l'enfant et des adultes en danger. Des protocoles bien conçus de communication de l'information entre les organismes de protection de la jeunesse et les tribunaux de la famille (ainsi que les juges et les juges de la paix qui rendent des ordonnances en vertu des lois sur la prévention de la violence conjugale) pourraient aider à réduire les risques auxquels les enfants sont exposés ainsi que le danger des ordonnances contradictoiresNote de bas de la page 29. Les avocats en droit de la famille peuvent contribuer à la réduction des risques en nouant des relations de travail étroites avec les organismes de protection de la jeunesse dans les affaires de violence conjugale.

4.6 Obtention de renseignements auprès des enfants

Il faut procéder avec prudence pour déterminer s'il y a lieu d'obtenir d'un enfant des renseignements sur la violence conjugale ou d'autres formes de violence familiale ou des renseignements sur le rapport parent-enfant. Généralement, les tribunaux canadiens ont tendance à souscrire à l'idée selon laquelle il est rarement dans l'intérêt supérieur de l'enfant de témoigner directement pour le compte d'un parent contre l'autre dans des causes de garde ou de droit de visite, par exemple : Woodhouse c. Woodhouse, 1996 CanLII 902 (C.A. de l'Ont.).

Dans un contexte de violence conjugale, le risque de préjudice auquel est exposé un enfant à qui on demande de témoigner directement contre l'un des parents ou les deux prend la forme :

D'autres considérations ont trait aux conclusions de diverses études selon lesquelles les enfants souffrent lorsqu'il leur est maintes fois demandé, dans le cadre de procédures multiples, de donner des renseignements sur la violence qu'ils ont subie et celle touchant leurs parentsNote de bas de la page 30. De plus, les techniques d'interrogatoire devraient être appropriées à l'âge de l'enfant et à son stade de développement, car des techniques inappropriées (particulièrement l'utilisation de questions suggestives) peuvent avoir pour effet de vicier le témoignage de l'enfant dans les instances pénales et les instances ayant trait à la protection de la jeunesse.

Il faut en outre prendre en compte le besoin de spécialisation de façon à ce que les points de vue et les renseignements obtenus de l'enfant soient interprétés correctement dans le cadre approprié relatif à la violence conjugale et au développement de l'enfant.

Quoique des cas puissent se produire dans lesquels les enfants plus âgés sont en mesure de donner des renseignements directs sur la violence, sur les préférences quant à la garde ou sur les pratiques parentales, l'intervention la plus prudente, dans un contexte de droit de la famille, consiste souvent à demander à un expert (ou au moins à un tiers neutre ou à un représentant de l'enfant) d'obtenir le témoignage de l'enfant et de le présenter à la cour.

Lorsqu'un enfant participe simultanément à des instances pénales, de protection de la jeunesse et de droit de la famille, il convient d'envisager d'organiser une réunion entre la Couronne et les organismes de protection de la jeunesse pour qu'ils s'entendent sur la façon de recueillir et de présenter le témoignage de l'enfant, afin qu'il ne devienne pas vicié, et de réduire le stress subi par l'enfant à qui on impose à plusieurs reprises la tâche de donner des renseignements, de présenter des éléments de preuve et de témoigner.

Si l'enfant doit donner un témoignage direct dans une cause relevant du droit de la famille, il importe d'obtenir l'opinion d'un expert en matière de violence conjugale, d'insister sur la nécessité de poser des questions appropriées à l'âge de l'enfant et d'envisager la protection du témoin (voir la partie 9.9 ci-dessous).

4.7 Échange de renseignements entre les systèmes juridiques

En gardant à l'esprit les comportements typiques susmentionnés de divulgation ou de non-divulgation de renseignements sur la violence conjugale, il est crucial pour la sécurité de la famille et de l'enfant que les renseignements pertinents sur les risques soient mis en commun dans tout le système de justice. L'échange des renseignements peut permettre l'évaluation précise et cohérente des risques et de la possibilité d'une issue fatale (voir à ce sujet les parties 6 et 7 ci dessous), ainsi que l'utilisation sans interruption, bien coordonnée et cohérente des services à la collectivité et des ressources thérapeutiques. En outre, la mise en commun des renseignements entre tous les secteurs du système de justice décourage le harcèlement procédural comme le dépôt de requêtes non fondées auprès de divers tribunaux. L'échange de renseignements empêche également les ordonnances et les ententes contradictoires. Les commentateurs canadiens ont à maintes reprises fait ressortir l'insuffisance de la protection accordée dans les causes de violence conjugale, qui parfois entraîne la mort, en raison de l'omission de recueillir et de communiquer les renseignements dans l'ensemble du système de justiceNote de bas de la page 31.

L'étude intitulée Looking at Family Court-Involved Domestic Violence and Child Abuse Fatality Cases Through a Lens of Prevention (en anglais), disponible à l'adresse : http://cdm16501.contentdm.oclc.org/cdm/ref/collection/famct/id/193 (en anglais) (Institute for Court Management, Florida) est l'une des rares à examiner les homicides dus à la violence conjugale se rattachant aux tribunaux de la famille. L'étude recense, quoique dans un contexte américain, les décès d'enfants et de parents dans des causes de violence conjugale, qui sont survenus malgré l'intervention de la cour. Un lien a été établi entre l'omission de tenir compte de la participation des mêmes familles dans d'autres instances judiciaires et l'absence d'intervention et de protection adéquate malgré de claires indications de risque. Les trois quarts des familles avaient eu des démêlés antérieurs avec les organismes de protection de la jeunesse. Dans la moitié des cas d'homicides, les enfants en avaient été témoins directement ou indirectement. Des préoccupations semblables sont formulées par Mary Ellen Turpel-Lafond au Canada dans son rapport intitulé Honouring Kaitlynne, Max and Cordon: Make Their Voices Heard Now (2012)Note de bas de la page 32. Ces rapports constituent un avertissement pour les avocats en droit de la famille et les tribunaux de la famille, qui donne à réfléchir et démontre l'importance cruciale d'obtenir et de communiquer des renseignements dans tous les systèmes juridiques.

Il faut noter, toutefois, les limites qui s'appliquent à la communication des renseignements (voir à ce sujet la partie 8 ci-dessous), particulièrement la nécessité d'informer les clients en droit de la famille que les renseignements divulgués à la police, à la Couronne et, dans quelques provinces ou territoires, selon les liens avec les services de police, aux services d'aide aux victimes, doivent être communiqués à la défense (et donc au délinquant présumé) pour lui permettre de présenter une défense pleine et entière, conformément à R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326 et à la jurisprudence subséquente en matière pénale. Par conséquent, les avocats en droit de la famille auront intérêt à discuter avec leurs clients des conséquences de telles divulgations et à s'assurer que toute augmentation du risque découlant de la divulgation se traduise par la mise à jour des plans de sécurité. Sous réserve des commentaires de la partie 6 ci-dessous, ayant trait aux risques, et de la partie 7, ayant trait au risque d'une issue fatale, les personnes ciblées par la violence conjugale sont habituellement les mieux placées pour déterminer si la divulgation d'un renseignement particulier augmentera ou diminuera les risques. La conduite la plus convenable est de demander le consentement du survivant à la violence à ce que des renseignements soient divulgués et de collaborer avec lui pour réduire toute inquiétude relative aux risques.

Les avocats et les fournisseurs de service devraient veiller à ce que les parents ciblés par la violence aient accès à des services d'aide et de représentation des victimes de la violence conjugale, qui soient distincts de ceux de la police et de la Couronne, de façon à préserver la confidentialité dans les cas où des divulgations pourraient compromettre la sécurité. Les clients ciblés par la violence conjugale nécessitent un accès continu à la planification de la sécurité.

Les personnes ciblées par la violence conjugale ne comprennent pas toujours bien le niveau des risques auxquels elles mêmes ou leurs enfants sont exposés. Les personnes qui représentent des parties ciblées par la violence conjugale auront intérêt à garder à l'esprit les critères de risque formulés aux parties 6 et 7 ci dessous, en particulier lorsque les risques sont élevés ou que la sécurité d'un enfant est préoccupante. Dans les cas de risques élevés ou d'une issue potentiellement fatale, les inquiétudes quant à la sécurité personnelle peuvent dicter la divulgation des renseignements pour permettre la protection et le soutien sans consentement. Pour plus de détails, voir les parties 6 et 7.

Quant aux délinquants qui commettent des actes de violence conjugale, il est peu probable qu'ils consentent à l'obtention ou à la divulgation des renseignements. Cela met les fournisseurs de services et les avocats dans une situation difficile lorsque les divulgations sont pertinentes quant au risque de persistance de la violence ou d'une issue fatale. De nombreux programmes d'intervention dans les causes de violence conjugale, particulièrement ceux qui suivent des normes recommandées pour de tels programmesNote de bas de la page 33, requièrent le consentement pour la divulgation de renseignements pertinents relativement aux risques, comme condition de participation au service. Les avocats en droit de la famille qui représentent des délinquants ayant prétendument commis des actes de violence conjugale auront intérêt à informer les clients et à discuter avec eux des conséquences possibles de la signature de tels formulaires de consentement. Voir la partie 10 ci dessous, relativement aux évaluations des programmes d'intervention dans les affaires de violence conjugale, et les parties 6.5 et 7.4, relativement à la communication de renseignements.

4.8 Exigences en matière de divulgation : législation sur la protection de la jeunesse

Les avocats en droit de la famille devraient rappeler à leurs clients que les agents de police et les fournisseurs de service, qui offrent des services d'intervention dans les cas de violence conjugale, des services d'aide aux toxicomanes et des services de soins de santé, ont souvent l'obligation légale de rapporter les signalements de violence conjugale touchant les enfants, ainsi que d'actes de violence envers les enfants, aux organismes de protection de la jeunesse, en vertu des lois provinciales et territoriales sur la protection de la jeunesse.

La violence conjugale est l’un des critères applicables à la question de savoir si un enfant a besoin de protection dans les provinces et les territoires suivants : l’Alberta : la Child, Youth and Family Enhancement Act, chapitre C-12 alinéa 1(3) c ); le Nouveau‑Brunswick : la Loi sur les services à la famille, chapitre F-2.21983, chapitre 16, article 1 paragraphe 31(1) ; Terre‑Neuve‑et‑Labrador : Children and Youth Care and Protection Act, SNL 2010, chapitre C-12.2 article 10 – cette loi fait référence à la violence; les Territoires du Nord‑Ouest : la Loi sur les services à l’enfance et à la famille, LTN‑O 1997, chapitre 13 alinéa 7(3)j ); la Nouvelle‑Écosse : la Children and Family Services Act, S.N.S. 1990, chapitre 5 alinéa 22 i ); le Québec : la Loi sur la protection de la jeunesse, L.R.Q., chapitre P-34.1. – la violence conjugale est visée à l’article 38 dans une liste de critères relatifs aux « mauvais traitements psychologiques »; l’Île‑du‑Prince‑Édouard : Child Protection Act, chapitre 5.1 alinéa 9(m)(n ); la Saskatchewan : Child and Family Services Act, S.S. 1989-90, chapitre C-7.2 sous-alinéa 11a)(vi ). La Loi sur les services à l’enfance et à la famille du Yukon, L.Y. 2008, ch. 1’alinéa 4(1)j) prévoit que la violence familiale et ses effets sur l’enfant constituent, lorsque l’on doit choisir la personne qui donnera les soins, un critère de définition de l’intérêt supérieur de l’enfant plutôt qu’un indicateur de la nécessité de l’intervention de l’État. L’organisme CanLII, géré par la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, offre au grand public l’accès aux lois fédérales, provinciales et territoriales, à l’adresse suivante : http://www.canlii.org/fr/index.html.

Il importe, toutefois, de noter que les lois requièrent diverses circonstances en plus de la violence conjugale pour qu'un enfant soit considéré comme nécessitant une protection – par exemple que l'enfant en subisse des conséquences préjudiciables. Les détails varient selon la loi; il faut vérifier le libellé de la loi applicable.

Quoique la violence conjugale ne constitue pas l'un des critères mentionnés dans la Loi sur les services à l'enfance et à la famille, L.R.O. 1990, ch. 11, le manuel sur le bien être de l'enfant actuellement en usage en Ontario mentionne la violence conjugale comme un indicateur des risques pour l'enfant. Quoique les lois sur la protection de l'enfance dans certaines provinces canadiennes ne prévoient pas expressément que la violence conjugale requière nécessairement de protéger l'enfant, toutes les lois partout au Canada autorisent une intervention de protection lorsqu'un enfant est exposé à un risque ou qu'il subit des préjudices émotionnels en raison de la violence conjugale ou d'un autre fait.

En somme, les fournisseurs de services dans la plupart des provinces et des territoires ont l'obligation de communiquer des renseignements ayant trait à la violence conjugale qui a des conséquences préjudiciables sur un enfant; les clients devraient donc en être informés.