Renforcement de la sécurité : Affaires de violence conjugale faisant intervenir plusieurs systèmes juridiques
(en matière de droit pénal, de droit de la famille et de protection de la jeunesse)
Perspective du droit de la famille sur la violence conjugale
Partie 6 : Évaluation du risque et persistance de la violence conjugale
6.1 Introduction
Après l'établissement du type de violence conjugale, la prochaine étape consiste à procéder à l'évaluation du risque. À cette fin, il faut non seulement déterminer le type de violence conjugale, mais également procéder à un examen détaillé des formes de comportement. Lorsque l'on décide du type de renseignements qui peuvent, devraient ou doivent être communiqués entre les systèmes judiciaires, un des facteurs les plus importants à prendre en considération est celui du niveau de risque, notamment le risque d'une issue fatale.
- Par « risque », on entend une probabilité que la violence conjugale persiste si aucune mesure n'est prise en vue de renforcer la sécurité ;
- Par « risque de létalité » ou « risque d'issue fatale », on entend le risque de décès d'une personne si des mesures et des services préventifs ne sont pas mis en place en matière de sécurité.
Dans l'étude ci-dessous, les expressions « risque de létalité » ou « risque d'une issue fatale » sont confondues. Un certain nombre de chercheurs en matière de violence conjugale emploient le terme « danger » pour décrire le même phénomène.
Même si bon nombre d'indicateurs de risque d'une issue fatale sont les mêmes que ceux liés au risque de persistance de la violence conjugale, d'autres sont propres à la létalité. En d'autres termes, les auteurs de violence conjugale qui causent la mort ont à tout le moins certaines caractéristiques qui les distinguent (à titre de groupe) des auteurs de violence conjugale continue, mais non létale. Par conséquent, dans le présent manuel, le risque et la possibilité de létalité seront examinés distinctement.
La violence et la maltraitance en milieu familial causent un préjudice non seulement à la personne ciblée, mais également aux enfants qui vivent sous le même toit. Dans un nombre limité, mais non négligeable de cas, les agresseurs tuent leur ancien partenaire intime, ou les enfants, et ensuite se suicidentNote de bas de la page 65. Il faut prévoir des mesures de sécurité conçues spécifiquement pour répondre aux circonstances particulières d'un cas relativement au risque de violence continue et d'une issue fatale.
6.2 Sources de renseignements
Les défenseurs de la lutte contre la violence conjugale, les intervenants des maisons de transition, les professionnels des services d'aide aux victimes, ainsi que les spécialistes universitaires et professionnels de la collectivité peuvent fournir des connaissances, des indications et une aide précieuse tirée de leur expérience relativement au risque.
Outre la consultation de tels spécialistes, il est également important que les avocats qui représentent les clients dans des affaires de violence conjugale prennent le temps et l'initiative d'apprendre à connaître les aspects particuliers des services de police, de la Couronne, des politiques et des services concernant les victimes, des maisons de transition, des logements sécuritaires à plus long terme, des programmes d'intervention en matière de violence conjugale et des programmes sur le rôle parental destinés aux auteurs de violence conjugale, des programmes de visites surveillées, des programmes de traitement de la toxicomanie et en santé mentale, des services liés à la culture et à l'incapacité ainsi que les services d'aide aux victimes, aux enfants et aux familles en matière de violence conjugale dans la collectivité.
Finalement, il faut se rappeler que les personnes ciblées par la violence conjugale constituent souvent les meilleures sources de renseignements en ce qui a trait au risque et à la possibilité d'une issue fatale.
6.3 Risque et létalité : similarités et différences
À titre de rappel : il est important de distinguer les faits et les caractéristiques qui se rapportent au déclenchement de la violence familiale, non seulement les faits qui indiquent la probabilité de persistance de violence conjugale, mais également ceux qui sont liés au risque d'une issue fatale. Même si certains faits, comme les caractéristiques liées à un comportement abusif et violent, relèvent de plus d'une catégorie, d'autres ne s'en rapportent qu'à une seule.
Par exemple, des travaux de rechercheNote de bas de la page 66 ont révélé que la dépression et les pensées suicidaires sont liées au risque d'une issue fatale, mais pas nécessairement à la probabilité d'actes répétés de violence conjugale; l'exposition à la violence conjugale pendant l'enfance est liée à la probabilité que la personne commette au moins un acte de violence conjugale à l'âge adulte, mais ne semble pas permettre de bien prévoir si cette personne continuera d'avoir ce genre de comportement. L'accessibilité à des armes à feu est d'un point de vue empirique liée au risque d'une issue fatale, mais ne semble pas permettre de prévoir de façon précise si une personne continuera de perpétrer des actes de violence conjugale répétitifs, mais non létauxNote de bas de la page 67. Par conséquent, la partie 6 porte sur le risque continu. La partie 7, quant à elle, porte sur le risque d'une issue fatale.
6.4 Indicateurs de risque de violence continue
Un examen systématique des travaux de recherche révèle que les faits qui suivent sont souvent liés à la violence conjugale continue :
- Caractéristiques liées à des actes de violence et de maltraitance antérieurs de nature émotionnelle, financière, physique ou sexuelle à l'endroit des membres de la famille ;
- Violence sexuelle ;
- Contrôle financier assorti de violence ;
- Violence émotionnelle et psychologique liée à la coercition ou au contrôle ;
- Déclaration de culpabilité antérieure pour acte de violence (il ne faut pas oublier que le fait que l'on soulève pour la première fois la question de la violence conjugale ne signifie pas que c'est la première fois qu'elle se produit. La tendance habituelle est qu'il faut que la violence conjugale se produise de nombreuses fois avant qu'elle soit rapportée aux services de police ou aux avocats.) ;
- La mesure dans laquelle la violence est récente. Même si, sous réserve des mises en garde qui se trouvent dans la note de bas de page, la mesure dans laquelle la violence est récente peut constituer un facteur de risque importantNote de bas de la page 68, les travaux de recherche indiquent que les types de comportements antérieurs liés à la violence conjugale sont tout aussi importants que les renseignements concernant le dernier incident ;
- Actes de maltraitance et de violence à l'endroit d'autres membres de la famille, d'anciens partenaires intimes et de membres du public ;
- Escalade de la fréquence et de la gravité des actes de violence et de maltraitanceNote de bas de la page 69 ;
- Caractéristiques de violence généralisée à l'endroit de membres non apparentés ;
- Formes de liaison émotionnelles ou psychologiques qui relèvent du contrôle et de l'obsession (p. ex., surveillance, harcèlement criminel ainsi que possessivité et jalousie de hauts niveaux) ;
- Défaut de se conformer à des ordonnances de non-communication, de pension alimentaire et à d'autres ordonnances judiciaires ou encore abandon des programmes d'intervention en matière de violence conjugaleNote de bas de la page 70. Tous ces faits constituent des indicateurs documentés de risque accru. (Note : c'est pourquoi il est extrêmement important non seulement de tenir de façon suivie un dossier sur la conformité aux ordonnances judiciaires et aux programmes de traitement, mais également d'exiger des programmes d'intervention en matière de violence conjugale la communication de renseignements sur la participation. Lorsqu'une partie abandonne un programme, il y a un accroissement du risque, et les clients devraient prendre des mesures préventives.) ;
- Crainte de l'agresseur par la victime. On a confirmé d'un point de vue empirique que la crainte par les personnes ciblées de leurs agresseurs semble permettre de prévoir la persistance de la violence conjugale (même si l'absence de peur ne constitue pas un indicateur fiable de sécurité). Les personnes qui font l'objet de violence conjugale ne se rendent souvent pas compte du danger auquel elles sont exposées. Pour des explications supplémentaires, veuillez consulter la note de bas de pageNote de bas de la page 71 ;
- Mode de vie instable (par exemple, emplois erratiques ou refus d'assumer des responsabilités familiales) ;
- Toxicomanie (alcool ou drogue) ;
- Séparation qui est réputée constituer une période de risque accru, plus particulièrement pour les femmesNote de bas de la page 72.
Les avocats spécialisés en droit de la famille devraient également examiner les indicateurs de risque figurant plus bas dans la partie 6.4.1.
6.4.1 Facteurs de risque ciblés dans certaines études et non dans d'autres
Les faits qui ont été associés à un risque accru de persistance de la violence conjugale dans bons nombres d'études, mais pas dans d'autres sont indiqués ci-après. Il faudrait les examiner lorsque l'on examine le risque et la nécessité de mettre en œuvre des mesures de sécurité, plus particulièrement si les faits indiqués dans la partie 6.4 sont présents.
- Problèmes de santé mentale. En général, sauf peut-être l'exception du stress post-traumatique, rien ne prouve que les problèmes de santé mentale causent des comportements de violence conjugale. Toutefois, les experts conviennent que la présence de problèmes de santé mentale augmente le risque de préjudice grave. Par conséquent, lorsque des problèmes de santé mentale et des comportements de violence conjugale sont présents, il est important d'intervenir ;
- Liens d'attachement incertains par rapport à la famille d'origine et à la relation intimeNote de bas de la page 73 ;
- Nouveau partenaire dans la vie de la personne ciblée ;
- Arrestation antérieure. Selon certaines études, il y a un lien entre des arrestations antérieures et la violence continue; d'autres le contestent. Même si l'on devrait prendre en considération les arrestations antérieures relatives à des actes criminels en ce qui a trait au risque, il va sans dire que leurs absences n'indiquent pas une réduction du risque ou de la gravité ;
- Voies de fait durant la grossesse. Selon certaines études, il y a un lien entre la perpétration de voies de fait au cours de la grossesse, le risque de violence continue et d'une issue fatale (voir partie 7) ;
- Persistance des conflits relatifs aux enfants. La présence d'enfants accroît les possibilités de contact, ce qui augmente les possibilités de préjudice.
Lorsqu'un ensemble de faits liés au risque sont présentés en preuve, il faut examiner attentivement la question de savoir si les renseignements relatifs au risque devraient être rapportés aux services de police, aux services d'aide aux victimes ou aux responsables en matière de protection de la jeunesse.
En vue d'obtenir des renseignements supplémentaires sur le risque : voir Praxis International Blueprint for Safety http://www.praxisinternational.org/praxis_blue_print_for_safety.aspx, plus particulièrement « Practitioners' Guide to Risk and Danger in Domestic Violence Cases » à la page 14.
6.5 Communication de renseignements sur le risque
Même si la meilleure option pour ce qui est de la communication des renseignements pertinents liés au risque est qu'il y ait consentement du client, en son absence, il faudra que les prestataires de service et les avocats examinent attentivement les préoccupations du client en ce qui a trait à la sécurité, à la protection des renseignements personnels et à la responsabilité liées à la divulgation de certains renseignements, mais également, les préoccupations relatives à la sécurité des enfants et des adultes liés au défaut de divulgation. La plupart des Codes de déontologie professionnelle, y compris celui applicable aux avocats, autorisent la divulgation de renseignements confidentiels en présence d'un risque imminent de préjudice à l'égard de personnes identifiables. Voir par exemple, le chapitre IV, Règle 2 « Exception pour raison de sécurité publique » p. 17 du Code de déontologie du Barreau canadien (2009). Voir également les règles 3.3 et 3.3.3 du Code type de déontologie professionnelle de la Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada (2012), approuvé en décembre 2012, en vertu duquel un avocat peut divulguer des renseignements confidentiels, sans en divulguer plus qu'il ne faut, « lorsqu'il a des motifs raisonnables de penser qu'il existe un risque imminent de mort ou de blessures graves »
. Aux termes du Code, l'avocat doit examiner le caractère probable et imminent du risque, l'absence apparente de tout autre moyen réalisable de prévenir le préjudice potentiel, et les circonstances dans lesquelles les renseignements ont été acquis. Il faut également prendre en considération les facteurs énoncés dans Smith c. Jones, [1999] 1 R.C.S. 455; 169 D.L.R. (4th) 385 en vue de déterminer si la sécurité publique prime sur le secret professionnel de l'avocat.
Les représentants du gouvernement et les prestataires de service (ainsi que les avocats) devront prendre en considération les dispositions relatives à l'accès à l'information, à la protection des renseignements personnels et à la sécurité publique dans les lois pertinentes sur la protection de la vie privée et des renseignements personnelsNote de bas de la page 74.
Il faut souligner que bon nombre de lois en matière d'accès à l'information et de protection des renseignements personnels autorisent la divulgation de renseignements sans consentement dans certains cas particuliers aux fins de la protection de la santé et de la sécurité d'une personne. Voir par exemple l'alinéa 42h) de la Loi sur l'accès à l'information et la protection de la vie privée, L.R.O. 1990, Chapitre F.31. En outre, il faut toutefois souligner l'exigence, dans bon nombre de ces lois, de « situation d'urgence » et l'obligation de donner avis.
Pratiques exemplaires du point de vue de la sécurité en matière de violence conjugale : Freedom of Information and Protection of Privacy Act de la C.-B. [L.R.C.B. 1996] Chapitre 165. Cette loi autorise la divulgation de renseignements personnels se rattachant à un risque de violence conjugale. Le paragraphe (m.1) de l'article 33.1 prévoit expressément la possibilité de divulgation de renseignements personnels [TRADUCTION] « dans le but de réduire le risque qu'une personne devienne victime de violence familiale, lorsqu'il est probable que ce type de violence se produira »
. Il faut néanmoins souligner que, même si la disposition autorise la divulgation de renseignements par des prestataires de service et d'autres représentants, les avocats sont également liés par le secret professionnel et les codes de déontologie professionnelle.
À l'égard des limites sur la capacité de communiquer des renseignements obtenus au cours d'interrogatoires préalables, consulter la partie 8.7.
6.6 Possibilité de risque accru en raison de la culture, de l'âge et du statut social
Les facteurs ci-après indiqués de nature conjoncturelle et culturelle sont souvent associés à un risque accru : appartenir au groupe des Autochtones, des Premières Nations, des Métis, des Inuits, des jeunes (18-25) ou encore à un groupe culturel défavorisé, souffrir d'une déficience mentale ou physique, être isolé des sources d'aide en raison de croyances religieuses, de la culture, ou encore du milieu rural, vivre dans la pauvreté, faire partie d'une union homosexuelle, être conjoint de fait ou cohabiter en union libre, être enceinte, souffrir de troubles mentaux ou de toxicomanie, être dans une relation avec un partenaire intime violent qui souffre de ces maux (ou l'avoir été). En outre, on sait qu'il y a un accroissement des taux de violence conjugale dans les cas de situations d'urgence, de bouleversements sociaux et de stress. De telles circonstances peuvent accroître le risque directement ou indirectement par un accès limité aux services de soutien. Dans ces cas particuliers, il faut porter une attention toute particulière aux mesures de sécurité et aux obstacles qui limitent l'accès aux services de soutien axés sur le contexte culturel et social.
6.7 Crainte de la partie ciblée
Rappel : on a documenté de manière empirique que la crainte de la victime constituait l'un des indicateurs les plus précis de violence conjugale future. Lorsque les victimes ont peur, les avocats ainsi que les prestataires de service devraient en tenir compte, et vérifier la présence d'autres indicateurs de risque, comme établir une correspondance entre les dispositions en matière de sécurité et l'intensité de la peur.
6.8 Observations finales sur les indicateurs de risque
Si un ensemble d'indicateurs laissent entendre un risque accru de violence conjugale de nature physique, il faudrait prendre des mesures de protection, et tenir compte tout particulièrement de la nécessité de communiquer des renseignements sur le risque aux prestataires de service et aux professionnels qui peuvent fournir une protection et un soutien dans d'autres secteurs judiciaires.
6.9 Protocoles sur l'échange de renseignements
Étant donné la confusion qui entoure les circonstances dans lesquelles les renseignements sur le risque peuvent être divulgués en l'absence de consentement, il faut envisager de mobiliser la collectivité en vue de l'élaboration de protocoles sur la communication des renseignements entre les systèmes juridiques. Ces mesures viseraient à cerner les circonstances dans lesquelles les prestataires de service, les services d'aide aux victimes, les services de police, les responsables chargés de la protection de la jeunesse, les coordonnateurs judiciaires, les avocats et les autres professionnels peuvent communiquer des renseignements sur le risque élevé et en particulier sur l'évolution du risque (par exemple, lorsqu'il y a abandon par un auteur présumé de violence des programmes obligatoires ou de traitement, ou encore manquement à une ordonnance de non-communication). Il est possible de réduire les délais, de favoriser la sécurité, de faire gagner du temps aux professionnels et d'éviter des demandes difficiles devant les tribunaux par l'établissement de règles claires en matière de communication des renseignements.
Il faut souligner l'importance de veiller à la protection des renseignements confidentiels fournis par les victimes qui pourraient compromettre leur sécurité, et à ne pas communiquer plus qu'il n'est nécessaire des renseignements confidentiels en vue d'éviter un préjudice.
Un bon nombre de ressorts, par exemple l'Alberta, la Nouvelle-Écosse et certaines régions de l'Ontario et de la Colombie-Britannique, ont mis en place des comités intersectoriels en vue de donner des conseils relativement à la nécessité de collaboration et de communication rapide de renseignements dans les affaires de violence conjugale à risque élevé, et d'y répondreNote de bas de la page 75.
6.10 Outils d'évaluation du risque
6.10.1 Introduction
La liste des indicateurs de risque fournie précédemment est tirée d'un examen et d'une analyse des travaux de recherche en matière d'évaluation du risque, s'échelonnant sur une décennie, menés au Canada, aux États-Unis, en Australie, en Angleterre et en Nouvelle-ZélandeNote de bas de la page 76. Les indicateurs dont il est fait état sont régulièrement mentionnés dans les études et les ressorts Ils sont indiqués dans ce document à l'intention des avocats et d'autres professionnels aux fins de l'établissement d'une correspondance entre les services/les mesures de sécurité et le niveau de risque.
Cependant, ces indicateurs ne sont pas pondérés en fonction de la prévisibilité, c'est-à-dire que même s'ils sont utiles parce qu'ils permettent d'établir une correspondance entre les mesures de sécurité appropriées mises en place et le niveau de risque, les listes ne constituent pas un outil de prévision pour ce qui est de l'évaluation du risque.
L'expression « outil d'évaluation du risque » renvoie à des outils actuariels de nature professionnelle relatifs à l'évaluation du risque et à d'autres outils du même type conçus en vue d'aider les services de police et d'autres professionnels à évaluer et à prévoir le risque de violence conjugale dans l'avenir. Au Canada, il existe actuellement l'outil d'évaluation du risque de violence conjugale (ERVC) et celui d'évaluation du risque de violence familiale en Ontario (ERVFO) qui ont fait l'objet d'un plus grand nombre de travaux de recherche. Ces deux outils ont dans une certaine mesure été vérifiés par des travaux de recherche, même s'il y a toujours des controverses quant à la validité prédictiveNote de bas de la page 77.
En ce qui a trait au risque d'une issue fatale, voir la partie 7 ci-dessous.
6.10.2 Forces et limites
Tous les outils de prévision du risque en matière de violence conjugale ont des limites. Les travaux de recherche indiquent que de tels outils dans 20 à 30 pourcent des cas ne permettent pas de prédire la persistance de la violence conjugale de nature physique. De plus, dans près de 20 % des cas, les outils ont qualifié des personnes d'agresseurs à risque élevé alors qu'elles ont cessé par la suite d'avoir des comportements liés à la violence conjugaleNote de bas de la page 78. Néanmoins, les travaux de recherche indiquent également que les outils d'évaluation du risque peuvent prédire avec exactitude, selon l'outil utilisé, la persistance de la violence conjugale (dans 66 à 77 pourcent des cas), et que l'utilisation des outils représente une amélioration par rapport au seul jugement professionnel.
Par conséquent, des renseignements recueillis au moyen d'outils d'évaluation du risque peuvent être particulièrement utiles dans un contexte lié aux services de police en matière pénale s'ils sont pris en considération de concert avec un examen et une analyse en profondeur des éléments de preuve détaillés en matière de violence conjugale et les circonstances particulières de chaque casNote de bas de la page 79.
Toutefois, dans les contextes du droit de la famille et de la protection de la jeunesse, l'utilité de ces outils est plutôt limitée étant donné que ceux-ci portent principalement sur le risque de persistance de comportements violents de nature physique (par exemple, les voies de fait) et non sur d'autres formes de violence conjugale qui peuvent être tout autant préjudiciables aux familles et aux enfants (comme le harcèlement continu, la violence de nature économique et psychologique, la violence envers les enfants, les formes de manipulation, la coercition et les comportements parentaux néfastes).
Toutefois, compte tenu que l'évaluation du risque peut aider les avocats à prévoir le niveau de risque lié à la persistance de la violence physique, il est possible que les avocats spécialisés en droit de la famille qui représentent les survivants de la violence conjugale cherchent à obtenir, plus particulièrement lorsque l'on estime que le risque de violence continue est modéré ou élevé, les conclusions relatives à l'évaluation du risque des services de police. Ces renseignements peuvent être pris en considération au cours des discussions aux fins de règlement en vue de veiller à ce que l'on porte une attention suffisante à la prévention du risque de persistance de violence physique future. Ils peuvent également être présentés, en plus d'autres facteurs applicables au risque, aux tribunaux de la famille et de la protection de la jeunesse.
De même, il se peut que les avocats spécialisés en droit de la famille qui représentent les auteurs de violence conjugale veuillent demander des renseignements relatifs à l'évaluation du risque aux services de police en vue de les présenter aux tribunaux, si l'on estime, dans le cadre de l'évaluation, que le risque est faible.
Toutefois, l'obtention de ces renseignements pourrait entraîner des délais et des difficultés. Consulter la partie 8, ci-dessous, quant aux options possibles, lorsque les services de police sont dans l'impossibilité de consentir à la divulgation des renseignements.
6.11 Évolution de la situation
Il faut se rappeler que le risque dépend de la situation et change selon les circonstances. Il se peut qu'il y ait un accroissement du risque (par exemple lorsque l'auteur de la violence ne travaille plus, lors de périodes de stress ou d'urgence, ou lorsque la partie ciblée cherche à s'établir ailleurs). Il est également possible qu'il y ait une diminution du risque (par exemple à la suite de programmes d'intervention, d'acceptation de la séparation, de programmes de traitement liés à des troubles de santé mentale, ou lorsque la partie ciblée est bien protégée par les services communautaires). Par conséquent, outre le fait de tenir compte de renseignements, s'il y a lieu, provenant d'outils d'évaluation du risque, il faudrait contrôler de façon continue les faits liés au risque (indiqués ci-dessus), et tenir compte des réseaux de soutien offerts aux parties. Il faudrait revoir les plans de sécurité en conséquence.
6.12 Évaluation du risque dans les affaires relatives au droit de la famille et à la protection de la jeunesse - admissibilité et utilisation
En général, dans les affaires relatives au droit de la famille, il est vraisemblable que la pertinence et la valeur probante des éléments de preuve des outils d'évaluation du risque et de la sécurité priment sur le risque de préjudice en raison de la manière dont les éléments de preuve sont utilisés. Les craintes liées au risque de préjudice découlant de faux positifs, même si elles sont importantes, seront moins préoccupantes dans les affaires de droit de la famille que dans celles de droit pénal, dans lesquelles un faux positif pourrait avoir des répercussions sur la liberté personnelle. Dans les affaires de droit de la famille, les éléments de preuve sont examinés et utilisés à des fins différentes; ils sont utilisés de manière préventive pour établir la nécessité de mesures de protection et les besoins en matière de services, ainsi que répondre à l'intérêt supérieur des enfants.
De plus, il faut tenir compte du fait que les éléments de preuve relatifs à l'évaluation du risque en matière de violence conjugale ne devraient pas être considérés comme concluants, en particulier si d'autres éléments de preuve indiquent la nécessité de mesures de sécurité. Voir par exemple : Roach c. Kelly, 2003 CanLII 1991 (C.S de l'Ont.) (CanLII).
Pour terminer, il faut se rappeler que les outils d'évaluation du risque en matière de violence conjugale tendent à mesurer le risque continu de certaines formes de violence conjugale de nature physique seulement. Ainsi, ces outils peuvent être utiles dans la mesure où ils nous rappellent de la nécessité de prendre des mesures de sécurité, mais ne devraient pas être utilisés en vue de minimiser la nécessité de mesures de protection, plus particulièrement, celle de se protéger contre d'autres formes de violence conjugale dans un contexte de droit de la famille. Cette question est abordée plus en détail à la partie 6.14.
6.13 Mise en garde : signification de la cote « faible risque de violence conjugale »
Que signifie l'obtention de la cote « faible risque » d'un outil reconnu d'évaluation de violence conjugale (comme l'échelle d'évaluation du risque de violence conjugale (SARA) ou l'évaluation du risque de violence familiale en Ontario (ERVFO))? Elle signifie simplement que d'autres personnes qui ont commis des actes de violence conjugale qui présentent des caractéristiques semblables et qui se sont trouvées dans des situations comparables à celle du sujet concerné n'ont, en général, pas récidivé. Cette cote signifie également que la plupart des personnes qui récidivent en la matière ont des caractéristiques et une situation différente de celle du sujet. Il ne s'agit pas d'une conclusion absolue. De plus, étant donné que le risque est lié à la situation, il peut changer rapidement selon l'évolution des circonstances. En outre, l'obtention de la cote « faible risque » n'exclut pas la possibilité que la personne se trouve dans des circonstances inhabituelles que les outils d'évaluation du risque ne mesurent pas. L'évaluation du risque et de la sécurité ne devrait pas se faire une seule fois, mais avoir lieu périodiquement.
De plus, dans le contexte du droit de la famille, étant donné que les outils d'évaluation du risque mettent en général l'accent sur la violence physique, par opposition à d'autres formes de violence conjugale, l'obtention de la cote « faible risque » n'est pas forcément très rassurante pour ce qui est des autres formes de violence conjugale, notamment les formes de coercition liées à la violence envers les enfants et l'insuffisance de compétences parentales.
6.14 Sécurité des enfants : limites actuelles des outils d'évaluation du risque
Étant donné que les outils d'évaluation du risque en matière de violence conjugale concernent principalement la violence physique entre des partenaires intimes adultes ou d'anciens partenaires intimes, et ne sont pas conçus pour évaluer le risque touchant les enfants, ils ne devraient pas être utilisés dans le contexte du droit de la famille pour évaluer la sécurité des enfants, ou pour justifier le refus, la réduction ou le report de l'aide; ils ne devraient pas non plus être utilisés pour remplacer une analyse approfondie des données factuelles. Par exemple, dans Roach c. Kelly, 2003 CanLII 1991 (C.S. de l'Ont.) (CanLII) susmentionné, malgré les conclusions des spécialistes de risque faible de violence conjugale, mais de risque modéré de violence, le juge du procès s'est fondé sur les éléments de preuve de comportements antérieurs, et a refusé le rétablissement de visites surveillées aux motifs que la crainte de la mère aurait eu des répercussions négatives sur ses compétences parentales et que la famille ne devrait pas vivre dans la peur constante. (Le père se servait des visites supervisées pour interroger l'enfant à propos des déplacements de celui-ci et de la mère.)
Rappel : le principal facteur pour les enfants est le niveau de stress et ses répercussions, notamment le niveau de conflit persistant entre les parents, le préjudice lié au traumatisme continu découlant de la violence conjugale et familiale antérieure ayant lieu à la maison, les effets du contact sur l'enfant et sur le parent prestataire de soins, la présence ou l'absence de pratiques parentales qui reflètent les éléments coercitifs de la violence conjugale, ainsi que la présence ou l'absence de violence envers les enfants. Les éléments psychologiques et les effets de la violence conjugale de nature coercitive sont aussi, si ce n'est peut-être plus, dommageable à long terme sur les enfants. Néanmoins, lorsque le risque de violence conjugale de nature physique est élevé pour un parent, ou que ce dernier est en danger, c'est également le cas pour les enfants. Par conséquent, même si on ne devrait pas utiliser les évaluations du risque pour déterminer le risque que courent les enfants, lorsque celles-ci indiquent qu'il y a un risque élevé et, plus particulièrement, le risque d'une issue fatale à l'égard d'un parent, les enfants doivent faire l'objet de mesures de sécurité. Pour une analyse plus approfondie, consulter la partie 7.
6.15 Quand devrait-on faire appel aux services d'un spécialiste en matière de violence conjugale?
La Cour suprême du Canada reconnaît dans R. c. Lavallée, [1990] 1 R.C.S. 852, [1990] 4 W.W.R. 1, (1990), 55 C.C.C. (3d) 97, (1990), 76 C.R. (3d) 329, (1990), 67 Man. R. (2d) 1, (1990), 67 Man. R. (2e) 1, 1990 CanLII 95 (C.S.C.) (CanLII), que la violence conjugale constitue un phénomène complexe qui dépasse l'expérience et la compréhension de la plupart des juges et des avocats canadiens. Les idées fausses dans ce domaine sont courantes. Par conséquent, les témoignages des spécialistes seront souvent utiles, en particulier dans les cas suivants : lorsqu'il y a une ambigüité quant aux questions liées à une probabilité de risque et à la sécurité, lorsqu'il est nécessaire d'obtenir des renseignements supplémentaires en vue de déterminer la nécessité de mesures de sécurité, lorsque les partenaires ont tous les deux été violents et qu'ils formulent des allégations de violence conjugale l'un contre l'autre, lorsqu'il est nécessaire de comprendre les répercussions psychologiques de la violence conjugale sur un enfant et sur un parent ciblé, lorsqu'il serait utile pour le tribunal de comprendre les rapports entre la perpétration de la violence conjugale et celle de la violence envers les enfants, lorsque l'on ne dispose pas de suffisamment d'éléments de preuve pour permettre au tribunal de conclure que la personne ciblée (adulte ou enfant) doit faire l'objet de mesures de protection contre la violence conjugale et la violence envers les enfants, ou encore des pratiques parentales destructrices et manipulatrices futures.
Il est rare qu'une formation de base en matière de violence conjugale confère les compétences requises à un évaluateur ou à un spécialiste. Bon nombre de « spécialistes » qui effectuent des évaluations parent-enfant pour les tribunaux ne possèdent pas de connaissances spécialisées en matière de violence conjugale. Évaluer les besoins ou les intérêts des enfants dans le contexte de la violence conjugale requiert des connaissances considérables non seulement quant aux éléments de complexité liés à la violence conjugale, mais également quant aux besoins en matière développementale et sociale des enfants. Même si le Canada manque de normes nationales pour ce qui est de la définition de « spécialiste en matière de violence conjugale », il y a un certain nombre de questions qu'il est possible de se poser en vue de définir un spécialiste :
- La personne a-t-elle été certifiée d'un point de vue professionnel par un organisme en matière éducative ou professionnelle reconnu à titre de spécialiste en violence conjugale? Quelles étaient les exigences aux fins de la certification?
- La personne offre-t-elle des cours de formation à des professionnels ou à des étudiants? La personne est-elle un professeur titulaire ou en voie de titularisation dans une université reconnue?
- La personne a-t-elle effectué des travaux de recherche en matière de violence conjugale? Le cas échéant, dans quels domaines?
- La personne a-t-elle publié des articles ou des livres en matière de violence conjugale? S'agissait-il de publications revues par un comité de lecture?
- Quels cours ou programmes particuliers la personne a-t-elle suivis ou enseignés en matière de violence conjugale? (Quelle date? Pendant combien de temps?)
- Depuis combien d'années la personne œuvre-t-elle dans le domaine de la violence conjugale ou effectue-t-elle des travaux de recherche dans ce domaine? Au cours de cette période, ses travaux ou ses recherches ont-ils porté principalement sur la violence conjugale?
- Si l'expertise de cette personne repose sur l'expérience plutôt que sur une expertise universitaire ou de recherches, combien d'affaires en matière de violence conjugale a-t-elle évaluées, conseillées ou traitées? Dans quels contextes sociaux ou culturels?
- La personne est-elle une autorité reconnue en la matière dans la collectivité? L'a-t-on consultée à l'égard de l'élaboration de politiques en matière de violence conjugale?
- Un tribunal a-t-il reconnu cette personne à titre de spécialiste en matière de violence conjugale?
En l'absence d'une expertise en matière de violence conjugale, les évaluations des parents et des enfants dans le contexte de la violence conjugale peuvent être trompeuses. Il faudrait veiller à ce que les personnes qui évaluent les parents et les enfants dans des affaires de violence conjugale soient reconnues comme étant des spécialistes dans ce domaine; si ce n'est pas possible, il faudrait qu'elles consultent un spécialiste en la matière.
Un des problèmes qui découle du recoupement des procédures en matière de droit pénal, de protection de la jeunesse et de droit de la famille est que les spécialistes qui effectuent régulièrement des évaluations dans les poursuites judiciaires possèdent différents types et niveaux d'expertise. Par exemple, des professionnels qui évaluent l'intérêt supérieur de l'enfant dans le contexte de la protection de la jeunesse ou celui du droit de la famille peuvent posséder une expertise considérable en ce qui a trait au développement de l'enfant, mais une compréhension limitée de la manière dont la violence conjugale a des répercussions sur le rôle parental et sur les enfants. Les agents des services de police du système de justice pénale peuvent avoir reçu de la formation spécialisée en matière d'évaluation du risque de persistance de la violence conjugale dans le contexte du droit pénal, mais peuvent mal saisir des questions pertinentes liées au développement de l'enfant et à sa sécuritéNote de bas de la page 80. En outre, peu nombreux sont les évaluateurs qui comprennent bien la manière dont une évaluation dans un secteur peut avoir des répercussions sur la famille dans un autre contexte juridique.
En vue d'optimiser les ressources, il faut envisager, en collaboration avec un spécialiste en matière de violence conjugale, des consultations conjointes entre des spécialistes de tous les secteurs juridiques en vue de coordonner et de regrouper des renseignements pertinents, et de s'entendre sur la manière dont ceux-ci seront utilisés dans les divers systèmes juridiques.
6.16 Cas dans lesquels les services d'un spécialiste en matière de violence conjugale ne sont pas nécessaires
L'aide et le témoignage d'un spécialiste peuvent être coûteux en temps et en argent. Bon nombre de familles aux prises avec la violence conjugale ont des ressources financières limitées, et donc une capacité limitée à faire appel aux services d'un spécialiste. Il se peut qu'il ne soit pas nécessaire d'obtenir des renseignements provenant d'experts, si les éléments de preuve sont clairs et que les parties conviennent que les actes de violence conjugale étaient manifestement mineurs et isolés. Il en serait de même lorsque le niveau de risque est évident et que des mesures de sécurité ont été examinées avec soin et mises en place aux fins de la protection du parent et de l'enfant ciblés.
Lorsque l'expertise en matière de violence conjugale n'a pas été prise en considération ou n'est pas disponible, la meilleure solution est de privilégier la prudence et la sécurité.
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