Analyse des options concernant la modification de la réglementation légale de la garde et du droit de visite des enfant
2001-FCY-2E
INTRODUCTION
Alors que leurs parents tentent avec difficulté de restructurer leur relation, la séparation et le divorce bouleversent la vie des enfants. Les conflits juridiques entourant les arrangements parentaux peuvent être longs et source d'amertume. La population canadienne s'interroge de plus en plus sur la capacité du régime juridique de faciliter, d'une manière qui soit favorable à l'intérêt supérieur des enfants, la restructuration des relations parentales à la suite de la séparation et du divorce.
Le gouvernement fédéral a donc mis sur pied le Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants en 1997 et lui a confié le soin d'étudier cette question. Le Comité a publié son rapport, Pour l'amour des enfants, en 1998; il y recommandait une réforme en profondeur du droit régissant la garde et le droit de visite(1). Dans sa réponse au Comité mixte spécial, énoncée dans un document intitulé Stratégie de réforme, le gouvernement a réitéré la nécessité de modifier les règles de droit actuelles(2).
Le présent document de recherche vise à évaluer trois options de réforme : la première se fonde sur la terminologie actuelle en matière de garde et de droit de visite, la deuxième propose un modèle neutre axé sur la responsabilité parentale et les ordonnances parentales, tandis que la troisième se fonde sur un modèle de partage des responsabilités parentales.
C'est sous l'angle de l'intérêt supérieur de l'enfant que nous analysons ces trois options, conformément aux obligations internationales qu'impose au Canada la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant. Selon l'article 3 de cette convention, toute mesure prise à l'égard d'un enfant « doit tenir pleinement compte de l'intérêt supérieur de celui-ci »
. Dans chaque modèle, la norme générale guidant la restructuration des relations parentales et le règlement des litiges entre les parents doit donc continuer de s'appuyer sur l'intérêt supérieur de l'enfant. Une question épineuse reste à résoudre : comment devrait-on définir cette norme générale -- ou comment déterminer ce qui est exactement dans l'intérêt supérieur de l'enfant lorsque la relation entre les parents prend fin?
Le présent document débute par un examen des objectifs de la réforme ainsi que des défis particuliers que pose toute réforme de la réglementation légale de la garde des enfants et du droit de visite. Cette première section passe en revue plusieurs thèmes et enjeux qui sont repris tout au long du document et que doivent prendre en compte les options de réforme. Parmi les enjeux, soulignons l'importance de protéger les enfants contre la violence, les situations conflictuelles et l'exercice inadéquat des responsabilités parentales; le rôle des ententes à caractère privé et des ententes parentales dans le règlement des conflits durant la séparation et le divorce; enfin, l'importance de tout un éventail de services de soutien en cas de divorce. Cette section traite également des questions plus générales que soulève chaque option de réforme, notamment le rôle que pourrait jouer un changement de terminologie en vue de réduire les conflits et de promouvoir la coopération, de même que le rôle général du droit lorsqu'on veut encourager et favoriser l'évolution des attitudes et des comportements des parents en instance de divorce.
La deuxième section du document décrit les façons dont d'autres administrations ont tenté de relever les défis inhérents à la modification des règles régissant la garde et le droit de visite. Une attention particulière sera accordée aux réformes instaurées au Royaume-Uni, en Australie, dans les États de Washington et du Maine, mais nous intégrerons aussi des exemples tirés d'ailleurs. Nous nous inspirerons ensuite de l'expérience de ces autres autorités législatives lorsque nous examinerons et évaluerons les trois options de réforme.
Dans la troisième section, nous procédons à l'analyse des trois options. Pour chacune, nous examinons divers aspects : d'abord sa forme, c'est-à-dire comment elle pourrait ou devrait être structurée. Nous explorons les choix qui doivent être pris en considération dans la conception des modèles en tentant d'évaluer les avantages et les inconvénients des divers choix et approches stratégiques. Cette discussion nous permettra ensuite d'évaluer les forces et les faiblesses relatives de chaque option, compte tenu de la mesure où chacune respecterait les principes directeurs de la réforme ainsi que ses objectifs généraux.
Le présent document envisage essentiellement la modification de la Loi sur le divorce. Cependant, comme la garde et le droit de visite font partie d'un champ de compétences mixtes réparties entre les autorités fédérales et provinciales, tout ce qui touche les dispositions de la Loi sur le divorce relatives à la garde et au droit de visite pourrait avoir de lourdes répercussions sur les provinces et les territoires. En effet, la Loi sur le divorce régit les conflits en matière de garde et de droit de visite dans les couples en instance de divorce, mais ceux qui mettent en cause des parents non mariés ou des parents mariés qui sont séparés sans avoir engagé une action en divorce tombent sous le coup des lois provinciales et territoriales(3). Bien qu'il existe des écarts déjà importants entre les lois provinciales et
territoriales pertinentes, d'une part, et la Loi sur le divorce, d'autre part (ainsi qu'entre les différents textes législatifs provinciaux et territoriaux), les règles de droit en vigueur se fondent toutes sur les termes « garde »
et « droit de visite »
. Toute réforme de la Loi sur le divorce qui délaisse cette terminologie en faveur de termes comme « responsabilité parentale »
ou « le partage des responsabilités parentales »
risque d'entraîner de sérieux problèmes pour le système de droit de la famille si elle ne fait pas l'objet d'une coordination rigoureuse avec les provinces et les territoires.
Le partage des compétences sème depuis longtemps la confusion chez les parents aux prises avec des conflits relevant du droit de la famille, quand les parents ne savent pas si ces conflits relèvent des lois fédérales ou du droit provincial ou territorial et ne savent pas non plus s'ils doivent s'adresser à une cour provinciale ou supérieure. Une modification des lois fédérales régissant la garde et le droit de visite qui ne serait pas assortie d'un engagement à apporter des changements semblables aux règles provinciales ou territoriales ne ferait qu'ajouter à la confusion et à la frustration qu'expriment souvent les parents. Les couples non mariés et les couples mariés qui se sont séparés mais n'ont pas encore engagé une action en divorce seraient visés par les lois provinciales ou territoriales relatives à la garde et au droit de visite, tandis que les couples en instance de divorce seraient assujettis aux dispositions fédérales concernant la responsabilité parentale ou le partage des responsabilités parentales.
Bien qu'il n'entre pas dans la portée du présent document d'examiner les lois provinciales et territoriales en détail, toute réforme de la Loi sur le divorce ne peut, de façon réaliste, s'effectuer qu'à la suite de consultations étroites avec les provinces et les territoires. Chaque administration devra alors examiner les conséquences, pour son propre cadre législatif, des modifications proposées. Les choix stratégiques dont s'accompagnent la conception et la réforme du droit régissant la garde et le droit de visite, de même que les avantages et les inconvénients des trois options de réforme suggérées, s'appliqueraient aux initiatives de réforme tout aussi bien des autorités fédérales que provinciales et territoriales.
OBJECTIFS ET DÉFIS DE LA RÉFORME
OBJECTIFS
Lorsqu'on évalue les trois options proposées, il faut d'abord considérer les objectifs de la réforme. Plusieurs principes directeurs sous-tendent cette réforme et la présente section commence par un bref aperçu de ces principes, tels qu'ils ont été énoncés par le Comité fédéral-provincial-territorial sur le droit de la famille, de même que dans la réponse du gouvernement au Comité mixte spécial. Nous tentons ici de donner forme à ces principes et à circonscrire les objectifs de réforme sous-jacents. Nous nous appuyons ensuite sur ces principes directeurs et objectifs pour évaluer et élaborer les options de réforme.
Le Comité fédéral-provincial-territorial sur le droit de la famille a énoncé les principes directeurs qui doivent régir toute réforme des règles en matière de garde et de droit de visite.
- Il faut s'assurer que l'intérêt supérieur et le bien-être des enfants sont primordiaux.
- L'approche choisie doit reconnaître qu'il n'existe aucun modèle idéal qui s'applique à tous les enfants en matière d'exercice des responsabilités parentales après la séparation et qui tient compte de la façon dont les enfants et les adolescents, à différentes étapes de leur développement, vivent la séparation et le divorce.
- Il faut appuyer des mesures qui protègent les enfants contre la violence, les conflits, les mauvais traitements et les difficultés économiques.
- Il faut reconnaître qu'il est à l'avantage des enfants et des adolescents de pouvoir nouer et maintenir des rapports étroits avec les deux parents, lorsqu'il est possible de le faire en toute sécurité et dans un contexte sain.
- Il faut reconnaître qu'il est à l'avantage des enfants et des adolescents de pouvoir nouer et maintenir des rapports étroits avec leurs grands-parents et d'autres membres de leur famille étendue, lorsqu'il est possible de le faire en toute sécurité et dans un contexte sain.
- La culture et la religion peuvent avoir une influence positive sur la vie des enfants.
- Il faut promouvoir des mécanismes non antagonistes de règlement des conflits, tout en conservant l'intervention des tribunaux comme solution de dernier recours.
- Il faut énoncer clairement dans les lois les responsabilités à l'égard du soin à donner aux enfants.
- Il faut reconnaître le chevauchement des compétences relatives à la garde et au droit de visite au Canada et s'efforcer de faire en sorte que les dispositions législatives et les services soient coordonnés et complémentaires.
Dans son document intitulé Stratégie de réforme, le gouvernement a énoncé des principes semblables pour orienter la réforme des règles en matière de garde et de droit de visite. Ces principes sont les suivants :
- l'optique de l'enfant : l'adoption de réformes centrées sur l'enfant qui cherchent à réduire le plus possible les répercussions négatives du divorce sur les enfants et font en sorte que le droit de la famille met l'accent non plus sur les droits parentaux mais bien sur les responsabilités des parents;
- le maintien de rapports étroits : il est de l'intérêt de l'enfant de pouvoir établir et maintenir des rapports étroits avec son père et sa mère ainsi qu'avec les membres de sa famille étendue;
- la gestion des conflits : l'approche choisie doit viser à limiter les conflits entre les parents et à favoriser la coopération de ces derniers, mais reconnaître également l'existence de degrés divers entre les conflits qui peuvent surgir à l'occasion d'une action en séparation et en divorce, puis élaborer des réponses spécifiques permettant de résoudre ces conflits en fonction de leur degré de gravité;
- l'absence de solution universelle : il n'existe aucun modèle applicable à tous les enfants en ce qui a trait à l'exercice des responsabilités parentales après la séparation et toute stratégie de réforme doit offrir la souplesse qui répond aux besoins de chaque famille aux prises avec une séparation ou un divorce.
D'après ces grands principes, il est possible d'énumérer plusieurs objectifs généraux qui orienteront la réforme de la réglementation légale de la garde d'enfants et du droit de visite. La réforme vise à réduire les conflits et les litiges entre parents, à encourager la coopération parentale et à favoriser l'établissement de rapports étroits entre les enfants et leurs parents à la suite de la séparation et du divorce. En même temps, elle doit tenir compte des besoins de chaque famille, notamment de la nécessité de protéger les enfants contre les conflits graves, la violence et l'exercice inadéquat des responsabilités parentales.
D'un point de vue général, la réforme se veut éducative et incitative. Elle vise également à établir des normes : les règles de droit relatives à la garde et au droit de visite devraient fixer des normes et des principes généraux qui orientent les parents en instance de séparation et de divorce de manière à ce qu'ils puissent restructurer leurs relations de parents dans un sens qui favorise l'intérêt supérieur de l'enfant. Autrement dit, le législateur cherche à modifier l'attitude des parents. Suivant en cela l'exemple des réformes législatives mises sur pied en Grande-Bretagne et en Australie, réformes dont nous traitons en détail plus loin, la réforme canadienne a principalement pour but de changer la façon dont les parents s'occupent de leurs enfants et règlent leurs conflits après une séparation ou un divorce.
Ces principes généraux permettent de croire, plus particulièrement, que la réforme est censée influer sur les relations entre les parents et les enfants après une séparation, encourageant les parents à continuer de participer véritablement à la vie de leurs enfants. La réforme vise également à faciliter la résolution des conflits parentaux, à inciter les parents à s'entendre. Ces deux objectifs sont toutefois soumis au principe de l'intérêt supérieur de l'enfant, c'est-à-dire que le maintien des relations et les ententes parentales de coopération ne doivent être favorisés que dans la mesure où ils sont compatibles avec la protection de l'intérêt supérieur des enfants.
Par ailleurs, toute réforme doit répondre aux besoins des enfants dont les parents ne peuvent s'entendre ni coopérer, et elle doit fournir aux tribunaux des principes clairs à appliquer pour le règlement des conflits qui perdurent. La réforme législative doit donc aspirer à la clarté des dispositions mises en place, de manière à ce que les tribunaux puissent s'appuyer sur des principes clairs et prévisibles pour résoudre les conflits parentaux dans le sens de l'intérêt supérieur de l'enfant.
Ces objectifs généraux, de même que les principes directeurs spécifiques, sont pris en considération lorsque nous examinons ci-après chacune des options de réforme. Le présent document évalue la mesure dans laquelle chaque option peut permettre d'atteindre ces objectifs et de respecter ces principes.
- 1 Parlement du Canada, Pour l’amour des enfants : Rapport du Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants, décembre 1998.
- 2 Réponse du gouvernement du Canada au Rapport du Comité mixte spécial sur la garde et le droit de visite des enfants : Stratégie de réforme, mai 1999.
- 3 Voir les lois suivantes : Alberta — Domestic Relations Act, R.S.A. 1980, Colombie-Britannique — Family Relations Act, R.S.B.C. 1979, Manitoba — Loi sur l’obligation alimentaire, L.R.M. 1987, Nouveau-Brunswick — Loi sur les services à l’enfant et à la famille et sur les relations familiales, L.N.-B. 1980, Terre-Neuve — Children’s Law Act, R.S.N. 1990, T.N.-O. — Domestic Relations Act, R.S.N.W.T. 1988, Nouvelle-Écosse — Family Maintenance Act, R.S.N.S. 1989, Ontario — Loi portant réforme du droit de l’enfance, L.R.O. 1990, Île-du-Prince-Édouard — Custody Jurisdiction and Enforcement Act, R.S.P.E.I. 1988, Saskatchewan — Children’s Law Act, S.S. 1990, Yukon — Children’s Act, N.S.Y. 1986. Au Québec, c’est le Code civil du Québec, L.Q. 1994, qui réglemente les conflits parentaux; il fait l’objet d’un document d’information distinct.
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