Analyse des options concernant la modification de la réglementation légale de la garde et du droit de visite des enfant

2001-FCY-2E

PREMIÈRE OPTION : GARDE ET DROIT DE VISITE (suite)

L'INTÉRÊT DE L'ENFANT (suite)

La règle des parents coopératifs

Le paragraphe 16(10) de la Loi sur le divorce, souvent appelé la règle des « parents coopératifs », établit le principe selon lequel « l'enfant à charge doit avoir avec chaque époux le plus de contact compatible avec son propre intérêt », et exige que le tribunal tienne compte de la volonté de chaque époux de faciliter les contacts entre l'enfant et l'autre époux. Cette disposition part du principe voulant qu'il est avantageux pour l'enfant de conserver le maximum de contacts avec ses deux parents après la séparation et le divorce.

Le principe est controversé. Plusieurs commentateurs ont fait valoir que la règle des parents coopératifs pouvait être injuste ou dangereuse dans un contexte de violence familiale, quand l'un des époux craignant la violence de l'autre se tait de peur de compromettre ses chances d'obtenir la garde(182). D'autres sont d'avis que cette disposition vise à promouvoir un principe important, celui du droit d'un enfant de demeurer en contact avec ses deux parents.

Certains commentateurs ont avancé que la Loi sur le divorce devrait contenir une présomption en faveur du maintien de la relation entre l'enfant et ses parents. Par exemple, Miklas et Bala ont plaidé que [Traduction] « il devrait y avoir une présomption selon laquelle il est dans l'intérêt supérieur de l'enfant qu'il ait des contacts fréquents et prévisibles avec ses deux parents, selon un horaire qui s'accorde avec ses besoins de développement, à moins qu'il puisse être démontré que cela constitue un risque considérable pour son bien-être physique ou émotif(183) ». Selon ces auteurs, le maintien de cette relation serait un droit de l'enfant. Tout en favorisant un principe semblable, cette présomption serait différente de la règle actuelle des parents coopératifs dans la mesure où elle [Traduction] « impose moins de 'biais' au processus de litige et de négociation en réduisant la pression qui s'exerce sur l'un des époux pour démontrer sa volonté de faciliter l'exercice du droit de visite dans un différend portant sur la garde(184) ».

Le Comité mixte spécial a jugé que les arguments pour et contre la règle actuelle des parents coopératifs avaient chacun leur mérite respectif, et a recommandé que « le principe d'un maximum de communication soit inclus dans la liste des critères utilisés pour déterminer l'intérêt supérieur de l'enfant proposée par le Comité et soit ajouté à la Loi. Ainsi, le principe du maximum de communication serait pris en considération par les juges et les parents, mais pourrait être pondéré par d'autres critères importants relatifs à l'intérêt de l'enfant(185) ».

La recommandation du Comité mixte spécial a beaucoup de mérite. Contrairement à la position mise de l'avant par Miklas et Bala, cette option est conforme à la recommandation du Comité mixte spécial, avalisée par le gouvernement fédéral, de ne pas introduire de présomption dans la Loi. De plus, en ajoutant ce principe général du maximum de communication à la liste des facteurs définissant l'intérêt supérieur de l'enfant, on permettrait aux tribunaux de jauger différents facteurs contradictoires. Ainsi, la facilitation du contact avec l'autre époux ne serait plus un facteur isolé, mais il serait plutôt tenu compte du fait qu'il est dans l'intérêt de l'enfant d'avoir un contact avec ses deux parents, et ce facteur, comme l'a fait remarquer le Comité mixte spécial, serait évalué à la lumière d'autres critères également importants. En particulier, les tribunaux pourraient apprécier le principe du maximum de communication par rapport à d'autres principes directeurs, comme l'importance de protéger les enfants contre la violence, les conflits et les mauvais traitements.

Par ailleurs, on pourrait modifier la Loi sur le divorce de manière à y inclure une déclaration de principe générale encourageant le maintien des liens entre l'enfant et ses deux parents après le divorce. Cette déclaration pourrait faire l'objet d'un article général ou faire partie d'une liste de responsabilités parentales, comme nous l'indiquons dans la section qui suit. S'il s'agit d'une déclaration générale, il serait toutefois important que le principe du maximum de communication soit assujetti à l'intérêt supérieur de l'enfant, sinon on risque d'être confronté aux mêmes problèmes qu'avec la règle actuelle des parents coopératifs. De plus, les principes directeurs indiquent clairement que le critère de l'intérêt supérieur de l'enfant doit demeurer au centre de la réforme et que le maintien et le développement des relations entre l'enfant et ses deux parents doivent être favorisés seulement si « c'est possible de le faire en toute sécurité et dans un contexte positif ».

Évaluation

Même si le fait d'inclure une telle liste de facteurs dans la Loi fournirait vraisemblablement des directives plus claires aux tribunaux, cette liste [Traduction] « accorderait aussi invariablement aux juges autant de discrétion et de souplesse qu'une déclaration de principe plus succincte, puisque les facteurs ne sont pas classés par ordre d'importance, et qu'il est clairement dit que la liste n'est pas exhaustive et que les facteurs ne sont que des circonstances parmi d'autres dont le tribunal doit tenir compte(186) ». L'American Law Institute a récemment noté que [Traduction] « au cours de la dernière décennie, on a généralement tenté de rendre le critère de l'intérêt supérieur de l'enfant plus concret en précisant les facteurs à considérer pour l'appliquer. Toutefois, l'énumération détaillée des multiples facteurs qui déterminent l'intérêt supérieur de l'enfant ne nous fournit guère plus de certitude si ces facteurs ne sont pas classés par ordre de priorité(187) ». Il est aussi important de noter qu'en pratique, les différences entre les législations provinciales, territoriales et fédérale n'ont pas d'effets vraiment importants même s'il existe des différences considérables quant aux détails fournis(188).

Il n'y a donc pas lieu de croire qu'une explicitation détaillée du critère de l'intérêt supérieur de l'enfant permettra vraiment d'augmenter la prévisibilité du résultat des différends entourant la garde et ainsi de les réduire.

Sur un plan plus général toutefois, l'inclusion d'une liste plus précise de facteurs pourrait fournir de précieux conseils aux ex-époux qui tentent de restructurer le partage de leurs responsabilités parentales sans recourir aux tribunaux. Dans la mesure où la réforme vise des objectifs pédagogiques et cherche à fixer des normes, elle attirerait ainsi leur attention sur les facteurs particuliers qu'ils devraient prendre en compte en redéfinissant leurs responsabilités parentales respectives après le divorce. De même, l'explicitation du critère de l'intérêt supérieur de l'enfant aurait pour avantage d'indiquer aux tribunaux les types de facteurs à considérer et à soupeser dans chaque cas.

LES RESPONSABILITÉS PARENTALES

Le régime actuel axé sur la garde a été critiqué car il met l'accent sur les droits des parents à l'égard de leurs enfants plutôt que sur leurs responsabilités envers eux. Certains ont fait valoir que l'idée de responsabilité parentale est davantage axée sur l'enfant en attirant l'attention sur les besoins de l'enfant et sur la responsabilité qui incombe aux parents de satisfaire ces besoins. Même si cette idée de responsabilité parentale est à la base des solutions de rechange au modèle fondé sur la garde et l'accès qui sont proposées dans la deuxième et la troisième option, elle pourrait être incorporée au régime actuel axé sur la garde et l'accès. Ainsi, la Loi sur le divorce pourrait être modifiée si on y ajoutait une référence aux responsabilités parentales ainsi qu'une définition.

La Section nationale du droit de la famille de l'Association du Barreau canadien, dans son mémoire présenté au Comité mixte spécial, recommandait de modifier la Loi sur le divorce en y ajoutant une description des responsabilités parentales. De façon plus spécifique, elle a recommandé [Traduction] « que le paragraphe 16(5) de la Loi sur le divorce dispose qu'à moins que le tribunal ne rende une ordonnance à l'effet contraire dans l'intérêt de l'enfant, le père et la mère ont à l'égard de leurs enfants les responsabilités suivantes :

Évaluation

De façon générale, l'ajout d'une liste des responsabilités parentales viserait à favoriser les aspects éducatifs et pédagogiques de la réforme. Une telle liste permettrait d'attirer l'attention des époux sur des aspects particuliers de leur rôle comme parents et pourrait les aider à restructurer leurs relations et leurs tâches parentales sans recourir aux tribunaux. En principe, elle devrait aider les parents à penser d'abord aux besoins des enfants et à la responsabilité qui leur incombe de répondre à ces besoins.

Cependant, l'incorporation d'une telle liste dans le cadre législatif actuel pourrait créer un certain nombre de difficultés juridiques, et on peut douter qu'elle puisse s'inscrire dans le cadre d'un régime axé sur le droit de garde et le droit de visite.

Suivant la recommandation de la Section nationale du droit de la famille de l'ABC, la Loi sur le divorce préciserait que tous les parents sont investis de ces responsabilités à l'égard de leurs enfants, sauf ordonnance contraire de la cour. Même si la liste de responsabilités parentales peut sembler relativement inoffensive, elle soulèverait d'importantes questions de droit. Par exemple, quel lien y aurait-il entre ces responsabilités parentales et les droits et responsabilités découlant des ordonnances relatives à la garde et au droit de visite? L'ajout de cette liste de responsabilités parentales viendrait-il modifier de façon significative les droits et les responsabilités conférés par une ordonnance de garde exclusive? Faudrait-il que ce type d'ordonnance précise que les responsabilités parentales sont conférées exclusivement au conjoint ayant la garde? Par exemple, parmi la liste des responsabilités parentales suggérées, il y a l'obligation de consulter l'autre conjoint sur les principales décisions concernant la santé, l'éducation, la religion et le bien-être de l'enfant. Cette obligation viendrait-elle restreindre l'autorité accordée par ailleurs au conjoint ayant la garde? Faudrait-il que le tribunal lui confère cette autorité de manière spécifique?

Ces questions ne sont pas accessoires, mais sont directement liées à l'attribution de l'autorité parentale dans un régime de droit de garde et de visite. L'énoncé général selon lequel les deux conjoints ont ces responsabilités envers leurs enfants constitue un pas vers un nouveau type de régime parental, mais un pas inavoué. En d'autres termes, on vise à atteindre les objectifs d'un régime parental qui met l'accent sur le maintien et le partage des responsabilités envers les enfants sans abandonner pour autant les concepts de garde et d'accès. On peut donc se demander si une liste de responsabilités parentales est compatible avec le régime actuel fondé sur la garde et l'accès ou si elle peut s'y arrimer. Il faut insister sur le fait que cet argument ne vise pas à nier la possibilité d'inclure une liste de responsabilités parentales dans le cadre de cette option de réforme, mais à souligner les problèmes que cela pose dans un régime qui continuerait d'être fondé sur le droit de garde et le droit de visite.

Comme dans le cas de l'explicitation du critère de l'intérêt supérieur de l'enfant, l'ajout d'une liste de responsabilités parentales n'est donc pas susceptible de produire des résultats plus prévisibles et ainsi de réduire les litiges. Au contraire, cela pourrait les multiplier en introduisant une plus grande incertitude dans le régime fondé sur la garde et l'accès. Au-delà d'une certaine utilité pédagogique, les avantages à espérer de cette liste demeurent incertains, tout comme l'usage qu'en feraient les tribunaux au moment de déterminer l'intérêt supérieur de l'enfant et d'accorder le droit de garde et le droit de visite.

VIOLENCE, CONFLITS GRAVES ET EXERCICE INADÉQUAT DES RESPONSABILITÉS PARENTALES

L'un des défis que doit relever toute réforme du régime fondé sur la garde et l'accès est de protéger les enfants contre la violence, les conflits et les mauvais traitements. L'actuelle Loi sur le divorce ne contient aucune disposition particulière concernant la violence, les conflits graves ou l'exercice inadéquat des responsabilités parentales, ainsi que la résolution des différends entourant la garde et le droit de visite. Dans cette partie, nous examinerons les modifications qui pourraient être apportées à la Loi sur le divorce afin d'y introduire une référence à ces questions dans le cadre du régime actuel fondé sur la garde et l'accès.

La violence

Il s'agit de déterminer comment tenir compte de la présence ou du risque de violence pour résoudre les différends relatifs au partage des responsabilités parentales, et comment la Loi sur le divorce pourrait être modifiée à cette fin. Nous examinons deux options de réforme : (1) inclure la violence familiale comme élément du critère de l'intérêt supérieur de l'enfant; (2) inclure des dispositions particulières précisant les mesures que les tribunaux doivent prendre en cas de violence familiale. Nous examinons ensuite les conditions qui pourraient s'appliquer à l'exercice du droit de visite et les conséquences de la violence familiale sur les ententes parentales et les services à l'intention des personnes divorcées.

Il y a lieu de noter que toute stratégie de réforme qui viserait spécifiquement la violence familiale en lien avec le règlement d'un différend relativement à la garde ou à l'accès pourrait inclure une référence aux éléments de preuve requis en matière de violence familiale (comme une preuve crédible) comme nous en avons discuté plus haut(190).

Éléments du critère de l'intérêt supérieur de l'enfant

La Loi sur le divorce pourrait être modifiée et comporter une référence à la violence familiale dans l'explicitation du critère de l'intérêt supérieur de l'enfant, comme l'ont suggéré la Section nationale du droit de la famille de l'ABC ainsi que le Comité mixte spécial.

De nombreuses administrations ont adopté cette approche, faisant de la violence et des mauvais traitements des facteurs dont il fallait tenir compte au moment de déterminer l'intérêt supérieur de l'enfant. La Family Law Act de l'Australie, par exemple, comprend les éléments qui suivent :

[Traduction]

  • (g) la nécessité de protéger l'enfant contre les souffrances physiques ou psychologiques causées ou susceptibles d'être causées
    • (1) par l'exposition aux abus, aux mauvais traitements, à la violence ou autre comportement, ou
    • (2) par l'exposition directe ou indirecte aux abus, à la violence ou autres comportements dirigés contre une autre personne ou pouvant l'affecter;…
  • (i) toute violence familiale mettant en cause l'enfant ou un membre de sa famille;
  • (j) toute ordonnance en matière de violence familiale qui s'applique à l'enfant ou à un membre de sa famille(191).

De même, la Domestic Relations Act de l'État du Maine prévoit ce qui suit :

[Traduction]

  • (L) L'existence, passée ou présente, de violence conjugale entre les parents, et les incidences de cette violence sur :
    • (1) l'équilibre psychologique de l'enfant;
    • (2) la sécurité physique de l'enfant;
  • (M) Tout antécédent de violence faite à un enfant par la mère ou le père;
  • (N) Tous les autres facteurs ayant des incidences raisonnables sur le bien-être physique et psychologique de l'enfant(192).

Le New Jersey, le Michigan, le Montana, la Pennsylvanie, le Rhode Island, le Vermont et le Wyoming stipulent aussi que les tribunaux doivent tenir compte de la violence familiale lorsqu'ils ont à déterminer l'intérêt supérieur de l'enfant ou à rendre une ordonnance de garde. Plusieurs États stipulent aussi que l'existence avérée de violence familiale devrait être le principal facteur pour déterminer l'intérêt supérieur de l'enfant et rendre l'ordonnance de garde(193).

Le paragraphe 31(3) de la Children's Law Act de Terre-Neuve porte directement sur la question de la violence :

[Traduction]

Lorsqu'il évalue les capacités parentales d'une personne, le tribunal vérifie si cette personne s'est déjà comportée de manière violente envers :

  • (a) son époux ou son enfant;
  • (b) le père ou la mère de son enfant;
  • (c) un autre membre du ménage.

Par ailleurs, le tribunal ne doit prendre en compte le comportement passé de la personne que s'il estime qu'il a une incidence sur ses capacités parentales(194).

Cette disposition pourrait servir de modèle pour inclure une référence à la violence dans la définition de l'intérêt supérieur de l'enfant dans la Loi sur le divorce.

Cette inclusion de la violence comme facteur à prendre en compte pour déterminer l'intérêt supérieur de l'enfant constituerait une nette amélioration par rapport au régime actuel. Cependant, elle a l'inconvénient de ne pas préciser de quelle manière la violence devrait être prise en compte.