Conclure les bonnes ententes parentales dans les cas de violence familiale : recherche dans la documentation pour déterminer les pratiques prometteuses
4.0 Nouvelle façon d'aborder la violence familiale
Essayer de comprendre la dynamique qui a mené à la rupture d'un mariage et de mettre de l'ordre dans les allégations de mauvais traitements et de négligence est une tâche très complexe. Lorsque des enfants sont en cause et que leur bien–être futur est en jeu, des émotions intenses pourraient troubler l'image que les parents se font de leur union et qu'ils donneront à une tierce partie indépendante, telle qu'un policier, un évaluateur ou un juge. Il existe de fortes tendances psychologiques portant à nier ou à minimiser la violence, ainsi que des tendances à teinter ses propres perceptions des responsabilités à l'égard de la rupture.
Le règlement des désaccords à propos des ententes concernant les enfants à la suite d'une séparation peut suivre de nombreux chemins. De nombreux parents sont en mesure d'établir des ententes à l'amiable de partage des responsabilités sans l'intervention des tribunaux mais dans d'autres cas, il faut évaluer la nature du conflit et la possibilité qu'il y ait violence conjugale.
Même dans les cas de violence conjugale, il y a diverses méthodes de règlements des désaccords indépendantes du système judiciaire. Dans certains cas, l'agresseur quitte la région et peut commencer une relation avec d'autres personnes et ne pas être intéressé à entretenir une relation continue avec son ancienne partenaire ou ses enfants. Dans d'autres cas, la victime de violence conjugale se sauve pour assurer sa sécurité sans que l'agresseur ne tente de la retrouver ni de retrouver ses enfants. Parfois aussi l'agresseur revient après des années de séparation lorsqu'il est obligé de verser une pension alimentaire pour ses enfants; il essaie alors de rétablir la relation avec eux et d'obtenir certains droits de garde pour éviter d'avoir à verser une pension. Un sondage auprès de victimes de violence a révélé que certaines d'entre elles évitaient tout rapport avec l'agresseur, que ce soit au sujet de questions d'argent ou des enfants, malgré les droits que la loi leur reconnaît (p. ex. certaines victimes préfèrent vivre dans la pauvreté plutôt que dans un climat de violence et de harcèlement permanents) (Jaffe et autres, 2003a).
Dans d'autres cas, la police et le système judiciaire sont entrés en jeu et il existe bien des preuves d'un cycle de violence conjugale et de violence faite aux enfants. Les préoccupations en matière de violence conjugale étant de plus en plus reconnues, les tribunaux de la famille et du droit criminel et vont généralement supprimer ou suspendre les droits de contacts entre l'agresseur et ses enfants dans ces cas, bien qu'il puisse être très difficile de protéger les victimes et leurs enfants. Les cas présentant les défis les plus importants pour les professionnels du droit et de la santé mentale dans le système judiciaire de la famille sont probablement ceux où les parties donnent des versions diamétralement opposées de leur relation, des faits survenus après la séparation et des problèmes de violence.
4.1 Évaluer les allégations de violence familiale
La décision finale concernant les conflits en cour repose sur un juge qui écoute les témoignages et décide de la validité des allégations. Les juges et les avocats peuvent accorder beaucoup d'importance aux professionnels de la santé mentale indépendants qui préparent des évaluations en matière de garde en fonction d'entrevues effectuées avec toutes les parties et d'informations diverses fournies par des professionnels du milieu et découlant d'évaluations psychologiques. Tous les professionnels du système judiciaire participent au processus d'évaluation, qu'il s'agisse d'un exercice officiel ou non officiel de collecte et d'évaluation de l'information pertinente sur les parents en conflit et leurs enfants. Pour comprendre le contexte de ces évaluations, il est important de connaître le contexte actuel des tribunaux de la famille en Amérique du Nord et ailleurs (Jaffe et Crooks, 2004). Les juges des tribunaux de la famille désirent généralement que les cas soient réglés de façon efficace et dans des délais raisonnables par des interventions précédant l'audience, telles que la médiation et les conférences de règlement. Les juges et les avocats encouragent souvent les parents à coopérer en faisant valoir que c'est dans l'intérêt de leurs enfants. Il est vrai que dans les cas où il n'y a pas de violence familiale, les enfants tirent généralement avantage du fait que leurs parents puissent régler leurs différends d'une manière coopérative et à l'amiable. La croyance populaire dans le domaine du divorce suppose que le « parent coopératif », c.–à–d. le parent étant le plus en mesure de promouvoir la relation entre les enfants et l'autre parent, est le plus en mesure de jouer le rôle de gardien. Cette idée se reflète dans des dispositions telles que l'article 16(10) de la Loi sur le divorce du Canada. Malheureusement, le concept de « parent coopératif » peut être trompeur dans les cas où la non–coopération repose sur un comportement violent (Dore, 2004).
Les allégations de violence familiale invoquées dans le contexte d'une séparation sont souvent accueillies avec scepticisme et l'on craint qu'elles ne soient utilisées que pour limiter la participation de l'autre parent, particulièrement si la police et le système de justice pénale n'ont pas joué un rôle important. Formuler des allégations de violence peut être une arme à deux tranchants pour les victimes de violence. Si les allégations sont avérées en raison de la prépondérance de la preuve, la victime et ses enfants peuvent ressentir une certaine impression de sécurité, les récentes réformes judiciaires et les améliorations apportées aux ressources communautaires offrant maintenant plus de sécurité que dans le passé. Toutefois, si les allégations semblent sans fondement et que le juge estime qu'elles ont été formulées avec malveillance, la victime de violence pourrait perdre la garde. Dans certains de ces cas, les mères sont accusées d'aliénation volontaire des enfants à l'endroit de leur père. Ce type d'aliénation a même été qualifié de « syndrome », bien qu'aucune recherche n'étaye ce diagnostic (p. ex. Ragland et Fields, 2003). Les allégations de violence semblent parfois douteuses parce que l'agresseur se présente à la cour accompagné d'une nouvelle partenaire qu'il décrit en termes positifs, gardant ses propos négatifs pour son ancienne conjointe. Un tel contraste peut mener les observateurs à ne pas tenir compte d'une hostilité générale ou d'une partialité, et à croire davantage les propos concernant l'ex–conjointe (Schuldberg et Guisinger, 1991). Il est clair qu'une évaluation approfondie des allégations de violence est justifiée dans le cadre d'un processus décisionnel du tribunal de la famille, étant donné l'importance des répercussions lorsque la cour conclut à de la violence conjugale.
Un psychologue ou un travailleur social qui évalue des allégations de violence familiale doit établir s'il s'agit d'un comportement habituel ou d'incidents isolés. Les incidents de violence qui semblent moins graves en situation isolée pourraient s'avérer plus inquiétants s'ils s'inscrivent dans un cycle de violence et de domination. Il faut utiliser plusieurs méthodes et plusieurs sources d'information. La figure 3 présente les autres éléments d'évaluation nécessaires lorsqu'une des parties soulève des allégations de violence. Le niveau supérieur de la pyramide renferme les éléments principaux d'une évaluation en matière de garde et de visite dans un cas type tenant compte des besoins des enfants, des compétences des parents et de leur capacité à coopérer et des facteurs préalables à l'élaboration d'un plan parental. Dans un cas hautement conflictuel, ces premiers éléments d'évaluation restent pertinents; toutefois, le deuxième niveau de la pyramide comprend des préoccupations supplémentaires telles que l'historique du conflit parental, les stratégies d'adaptation des enfants et la désignation du parent le moins perturbateur. Dans les cas hautement conflictuels comportant de la violence familiale, les défis de l'évaluation augmentent considérablement, puisqu'il faut également tenir compte de problèmes comme le risque que la violence se répète et les risques d'homicide, et essayer de comprendre l'effet de la violence sur les enfants.
Figure 3 : Garde des enfants : évaluation des besoins spéciaux dans les cas de violence conjugale
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Adapté de JAFFE, P. G. et CROOKS, C.V. (à l'impression). Visitation and custody in cases of domestic violence. Dans J.L. Edleson et O.L. Williams (éd.). Parenting by Men Who Batter.
Pour mener à bien les dernières étapes de l'évaluation, les spécialistes doivent connaître les indicateurs de dangerosité et de létalité. Ces facteurs de risques ont été déterminés par des comités de recherche et d'examen des crimes commis à la suite d'actes de violence familiale qui ont défini les caractéristiques les plus étroitement liées aux actes de violence causant la mort (voir Campbell, 1995; Campbell et autres, 2001; Kropp et autres, 1994; Kropp et autres 2000; Hilton et autres, 2004). Les facteurs les plus fréquemment signalés sont la séparation dans un contexte où il existe des antécédents de violence conjugale, l'accès à des armes à feu, l'alcoolisme et la toxicomanie, les comportements liés au contrôle et au harcèlement, les menaces d'homicide ou de suicide et les infractions aux ordonnances d'un tribunal. Le rapport du Comité ontarien d'études sur les décès dus à la violence familiale de 2004 examine de façon plus détaillée la documentation à ce sujet (Comité ontarien d'études sur les décès dus à la violence familiale, 2004).
Dans le cas d'une évaluation où il y a allégation de violence conjugale, la collecte de toute l'information est complexe. Chaque évaluation doit comprendre plusieurs entrevues individuelles avec les deux parents. Bien que les agresseurs puissent avoir l'air de personnes très raisonnables dans certaines circonstances, le fait de les interviewer plusieurs fois et de remettre en question leur point de vue sur la base d'autres informations recueillies pourrait permettre à l'évaluateur de voir au–delà des apparences. Un autre élément important de l'évaluation est le recours à un outil structuré permettant de répertorier les comportements violents, notamment la fréquence et la gravité des comportements physiquement, sexuellement, verbalement et psychologiquement violents vécus par chaque partenaire et les préjudices subis (p. ex. Abusive Behaviour Observation Checklist; Dutton, 1992). Par la suite, une autre entrevue aide à déterminer le contexte de la violence. Les évaluateurs peuvent ainsi avoir une meilleure compréhension des effets de la violence, des techniques d'adaptation, des confidences faites aux amis, à la famille et aux professionnels et des effets sur les enfants.
Compte tenu du fait que la crédibilité des allégations et des dénégations des deux parties compte pour beaucoup dans les décisions en matière de garde et de visite, les informations accessoires sont aussi essentielles. L'évaluateur devrait donc prévoir des entrevues avec les membres du réseau de soutien officiel et non officiel, ainsi qu'un examen des dossiers (police, protection de l'enfance, médecins des services d'urgence, etc.). L'importance accordée à ces informations ne signifie pas que les allégations de violence conjugale sont crédibles uniquement si elles sont avérées par des tiers; à vrai dire, de nombreuses victimes de violence conjugale ne signalent pas la violence dont elles sont victimes à des professionnels ni à la police. Il importe plutôt d'examiner ces informations lorsqu'elles existent, tout en gardant à l'esprit que l'absence de telles preuves ne signifie pas qu'il y a eu fabrication.
Il est également important de mettre au premier plan les besoins des enfants lorsqu'on évalue la dynamique de ces relations. Quand on évalue des allégations de violence familiale, il est essentiel d'interviewer les enfants pour évaluer leur compréhension et leur perception des événements et les effets qu'elle a eus sur eux. Il faut également examiner les sources d'informations accessoires (p. ex. professeurs, médecins, conseillers) pour comprendre la réaction des enfants aux événements dont ils peuvent avoir été témoins ou victimes.
Pour analyser l'information recueillie, il faut comprendre ce qu'est la violence conjugale. Par exemple, bien que certains professionnels auraient tendance à croire que les femmes mentent ou exagèrent les allégations de violence pour obtenir la garde, les faits indiquent plutôt que les victimes de violence minimisent l'importance de la violence qu'elles endurent ou hésitent à la révéler. Par exemple, selon une étude fondée sur des entrevues avec des femmes victimes de violence, celles–ci ont déclaré être rarement disposées à fournir spontanément de l'information au sujet de la violence sexuelle que leur fait subir leur partenaire. Leur hésitation provient de sentiments de gêne, parce qu'elles ne se sentent pas en confiance ou à l'aise avec le professionnel chargé du dossier et parce qu'elles craignent qu'il ne sache pas quoi faire (Jaffe et autres, 2003a). On voit donc qu'il est important de poser des questions directes sur diverses manifestations de violence puisque les victimes peuvent hésiter à parler de questions délicates. Les auteurs de violence conjugale vont souvent nier ou minimiser la violence, ce qui fait partie de leur aptitude à ne pas se sentir responsables de leur comportement et à blâmer les autres pour toutes les difficultés (Bancroft et Silverman, 2003). Sans une analyse minutieuse de la violence conjugale, ces allégations pourraient être mal interprétées et passer plutôt pour de simples mésententes, comme ça se produit dans les divorces hautement conflictuels. Lorsque la violence conjugale a été déterminée, l'analyse doit offrir un contexte pour évaluer d'autres renseignements, tels que les habitudes de communication entre les partenaires. Par exemple, une mère qui évite de parler au téléphone avec son ancien conjoint violent pourrait être perçue comme ne voulant pas transmettre des informations sur les activités des enfants; cependant, dans un contexte de violence conjugale, ce même comportement peut être perçu comme une tentative de se protéger et de protéger ses enfants.
4.2 Stratégies d'intervention
Intervenir dans les conflits liés aux enfants dans les cas de violence familiale est une tâche complexe. Lorsqu'il s'agit de parents violents, il existe une foule d'interventions possibles qui dépendent de l'accès à des services appropriés et des changements prouvés dans le comportement de l'agresseur. Dans le système des tribunaux de la famille, les juges doivent examiner une gamme d'options lorsqu'ils sont en présence d'un conjoint violent. Parmi ces options, il y a l'absence de contact, les visites surveillées, les échanges surveillés, les échanges dans un endroit public, les visites non surveillées, les visites libres et régulières et la garde partagée pour le partage des responsabilités. Indépendamment de la terminologie juridique, le tribunal doit décider d'une multitude de paramètres pour conclure les ententes parentales comme la durée des visites, la pertinence d'accorder la garde de nuit et la désignation de superviseurs convenables et des endroits sécuritaires pour prendre les enfants.
Encore une fois, toutes ces options font partie d'un ensemble qui favorise la coopération et la participation des deux parents, dans la mesure du possible. Le nombre de parents séparés qui concluent une quelconque entente de garde partagée ne cesse d'augmenter. Environ 42 % des parents qui ont divorcé en 2002 ont conclu ce type d'entente (Statistique Canada, 2004b). D'après ce que nous savons, dans la plupart de ces cas, les parents ont choisi une entente après négociation ou médiation, un assez petit nombre seulement ayant été imposées par un tribunal. La garde partagée est souvent la meilleure solution pour les enfants, mais elle peut être très problématique dans les cas hautement conflictuels et probablement inappropriée (et même dangereuse) dans les cas hautement conflictuels où il y a de la violence familiale.
La figure 4 tente d'illustrer cette réalité en utilisant l'analogie d'une autoroute qui mène au partage des responsabilités et où il faut prévoir une sortie pour la violence conjugale. Il s'agit d'un schéma représentant une idée d'ensemble. Une analyse plus détaillée des facteurs particuliers aux antécédents de violence familiale figure plus loin dans le rapport. De façon générale, les antécédents de violence conjugale contre–indiquent le partage des responsabilités. Alors que la majorité des familles tirent profit des programmes éducatifs et de la médiation, dans les cas où l'on craint l'existence de violence conjugale, il faut des mesures d'intervention spécialisées dont des visites surveillées, une intervention auprès du conjoint violent et des services de soutien aux enfants. Les processus de règlement des différends qui exigent que les victimes et les auteurs participent ensemble à des séances de médiation ou à des conférences de règlement peuvent mettre en danger les victimes ou les inciter à conclure des ententes comme le partage des responsabilités susceptibles de compromettre leur sécurité ou celle de leurs enfants.
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Adapté de JAFFE, P. G. et CROOKS, C. V. (à l'impression). Visitation and custody in cases of domestic violence. Dans J.L. Edleson et O.L. Williams, (éd.). Parenting by Men Who Batter.
Les cas hautement conflictuels chez les couples sans antécédent de violence conjugale nécessitent également d'une intervention spécialisée. Bien que les craintes pour la sécurité physique soient moins grandes dans ces cas, il est clair que le fait que les enfants sont exposés à des conflits permanents leur cause du tort. L'exercice en parallèle des responsabilités parentales peut être une option dans les cas hautement conflictuels sans violence familiale ou dans un nombre restreint de cas où la violence est minime, et est un fait passé et ne s'inscrit pas dans un comportement habituel. Ce type d'entente tient compte du fait que chacun des parents est en mesure de répondre aux besoins de ses enfants. Les parents agissent plus ou moins chacun de leur côté, mais sans faire de tort aux enfants. Chaque parent a une bonne influence sur les enfants, mais tout espoir de collaboration entre eux est vaine et pourrait causer du tort aux enfants. Ce genre d'entente comporte habituellement des lignes directrices spécifiques pour réduire les contacts et la communication entre les parents. Il faut reconnaître que certains couples vivant de graves conflits peuvent réussir à conclure des ententes parentales à l'amiable à l'aide d'une intervention thérapeutique judicieuse et avec le temps. Ainsi, pour certaines familles, l'exercice des responsabilités en parallèle peut constituer une transition pendant une séparation hautement conflictuelle alors que pour d'autres familles, cette solution peut être la seule option possible à long terme.
4.3 Obstacles et défis à la prise de décisions en matière d'ententes parentales
Avant de parler de la nouvelle façon dont il faut aborder les ententes parentales après une séparation dans les cas de violence familiale, il faut d'abord examiner la question de climat qui règne actuellement dans les tribunaux de la famille. Plusieurs obstacles systémiques influent sur le signalement et l'analyse de la violence familiale : les structures multiples (p. ex. le tribunal de la famille, les services de protection de l'enfance et les procédures criminelles), le nombre croissant de personnes non représentées, les préoccupations en matière d'aliénation parentale, les désirs des enfants, la violence et les fausses allégations et l'écart entre la théorie et la pratique.
4.3.1 Systèmes multiples
Il semble y avoir une certaine confusion chez les professionnels de la santé mentale, les professionnels en services sociaux et les parents en ce qui concerne le rôle et les responsabilités de différentes composantes du système de justice à l'égard des enfants dans un contexte de violence familiale. Il y a des effets manifestes aux efforts croissants faits pour coordonner les services, partager l'information et créer une expertise dans toutes les composantes des systèmes multiples concernés. Une pratique prometteuse au Canada qui fait ressortir la complexité de ces problèmes est le travail effectué dans la région de Durham, en Ontario, où des comités interdisciplinaires tentent de faire la promotion de la sécurité et de la responsabilité au tribunal de la famille dans le cas de différends en matière de garde ou de visite où il y a de la violence familiale (Violence Prevention Council of Durham Region, 2000).
Les tribunaux où sont entendues les affaires criminelles (« tribunaux criminels ») présument de l'innocence d'une personne à moins que les allégations ne soient prouvées hors de tout doute raisonnable. La responsabilité d'enquêter sur les cas repose sur la police et celle de présenter des preuves repose sur le procureur de la Couronne. L'enquête préliminaire et le procès peuvent durer de nombreux mois, voire des années. Cependant, la victime de violence conjugale et ses enfants, qu'ils soient ou non des victimes directes, pourraient avoir besoin d'un plan de sécurité immédiat pour empêcher les contacts avec l'agresseur ou superviser les visites ou les échanges entre parents. Le défi pour le système de justice et les services communautaires est de gérer ce plan tout en respectant la présomption d'innocence. Dans certains cas, la protection peut être assurée par la détention du présumé agresseur dans l'attente du procès, mais cela n`est possible que dans certains cas si la détention est nécessaire pour assurer la présence de l'agresseur au tribunal lors d'une procédure pénale; pour assurer la protection et la sécurité du public, notamment celle des victimes et pour préserver la confiance dans l'administration de la justice [Code criminel, a. 515(10)]. Dans les cas où il y a des infractions antérieures ou des preuves qui montrent qu'il y a un risque important de récidive avant le règlement du cas, la détention est souvent ordonnée pour assurer la protection de la victime. Il arrive plus souvent que le système de justice pénale impose certaines conditions à la mise en liberté dans l'attente du procès, ce qui peut accorder une certaine protection aux victimes et aux enfants.
Les tribunaux saisis d'affaires familiales (« tribunal de la famille ») peuvent tirer des conclusions d'après la prépondérance des probabilités si des éléments de preuves adéquats sont présentés et peuvent, par exemple, conclure qu'il y a eu violence même si elle n'est pas prouvée dans un tribunal criminel. Une partie a la responsabilité de recueillir des preuves et de les présenter au tribunal de la famille, que ce soit avec l'aide d'un avocat ou par elle–même. Les cas hautement conflictuels dont sont saisis les tribunaux de la famille comportent souvent des allégations contradictoires. Les parties sont tenues de prouver leurs allégations et, en l'absence de preuves corroborantes de témoins indépendants tels que des médecins ou des policiers, le tribunal de la famille peut faire preuve d'un certain scepticisme à l'égard des allégations de violence. Le tribunal de la famille favorise les règlements à l'amiable et la coopération entre les parents séparés, et les allégations de violence familiale sont parfois rejetées à tort.
Les organismes offrant des « services de protection de l'enfance » (SPE) peuvent également être sceptiques ou réticents à s'occuper de cas d'allégations de violence familiale pour lesquels il existe déjà un différend d'ordre juridique entre les parents séparés. Le travailleur des SPE doit décider si un cas particulier nécessite la protection de l'organisme et des services de counselling, ou s'il peut être géré par les parents devant un tribunal de la famille, à l'aide de spécialistes en droit de la famille, de centres de visite supervisée, de médiateurs et d'évaluateurs. Dans certains cas, le personnel des SPE peut estimer que la victime principale de la violence conjugale ne veut pas ou ne peut pas protéger ses enfants et décider d'assumer leur garde.
La décision des SPE s'inscrit dans le contexte d'un cadre législatif visant à protéger les enfants et à faire en sorte que la victime ne se sente pas victimisée à nouveau par l'intervention (c.–à–d. à ne pas lui laisser entendre que tout en étant victime de violence, elle est aussi un mauvais parent puisqu'elle a laissé ses enfants vivre dans la violence). Cet équilibre est très difficile et parfois impossible à atteindre. Dans son deuxième rapport annuel, le Comité ontarien d'études sur les décès dus à la violence familiale a indiqué : « Sans blâmer qui que ce soit dans les cas que nous avons étudiés, il semble que les travailleurs des SPE étaient bien intentionnés à l'égard de la victime de violence, mais qu'ils n'ont pas été en mesure d'évaluer l'agresseur, de bien planifier la sécurité
et la réduction des risques ni de coordonner leurs efforts avec ceux d'autres professionnels. »
[traduction] (Comité ontarien d'études sur les décès dus à la violence familiale, 2004, p. 40 dans la version anglaise).
4.3.2 Parties à un litige se représentant elles–mêmes
Ce qui vient également compliquer le règlement des cas hautement conflictuels, surtout ceux qui comportent de la violence familiale, c'est le nombre croissant de parties à un litige se représentant elles–mêmes, qui ne connaissent peut–être pas les recours judiciaires et les services communautaires disponibles (Thompson 2002, Trussler 2002). Si une victime de violence conjugale n'a pas d'avocat, elle pourrait très bien être facilement intimidée et amenée à conclure une entente injuste qui ne lui offre pas une protection suffisante à elle ni à ses enfants. Les régimes d'aide juridique au Canada accordent à l'heure actuelle une certaine priorité au fait d'assurer aux personnes à faibles revenus victimes de violence conjugale présumée l'accès à des services juridiques, mais cette situation n'aide que les victimes qui sont prêtes à faire appel aux fonctionnaires de l'aide juridique; de plus, les seuils de revenus pour être admissible sont près des seuils d'accès à l'aide sociale, de sorte qu'un bon nombre de femmes ne sont pas admissibles.
Il n'est pas rare qu'une partie, ou les deux, ne soit pas représentée dans les cas hautement conflictuels. Certains hommes violents ont de la difficulté à accepter les conseils des avocats et peuvent en fait préférer ne pas faire appel à eux de façon à pouvoir confronter directement leur ancienne partenaire, notamment au moyen d'un contre–interrogatoire. Les cas où une des parties ou les deux se représentent sont plus chargés d'émotions, sont moins informatifs et exigent beaucoup de la part des juges. Un avocat compétent en droit de la famille sert de tampon entre des parents antagonistes; il recueille et présente les preuves et peut faciliter la communication entre les parents et avec le juge.
4.3.3 Les désirs des enfants
Au moment de faire des plans concernant les enfants à la suite d'une séparation, les juges, les évaluateurs et les parents accordent généralement beaucoup d'importance aux désirs des enfants, particulièrement de ceux qui ont atteint ou presque atteint l'adolescence. En effet, les désirs des enfants sont expressément énumérés comme critères dont il faut tenir compte dans l'intérêt des enfants dans la plupart des provinces. Les désirs des enfants peuvent toutefois être un facteur très problématique dans les situations de violence conjugale. Dans certains cas, le parent violent peut contraindre ses enfants ou les menacer pour qu'ils expriment des opinions qui lui sont favorables; dans d'autres cas, le parent maltraité peut sembler faible et « inefficace », ce qui peut porter les enfants à vouloir se liguer avec le parent « plus fort », plus puissant et violent. Un parent violent peut être passé maître dans l'art de manipuler et de dénigrer l'autre parent et peut ainsi influer sur la relation de l'enfant avec la victime.
Les juges et les évaluateurs ont besoin d'une formation en matière de violence familiale, notamment pour comprendre ses effets sur les désirs exprimés par les enfants. Même si l'on devrait toujours tenir compte de l'opinion des enfants, le désir exprimé par un enfant de vivre avec un agresseur devrait peser moins lourd dans la balance dans les cas où il y a violence conjugale que dans d'autres situations (Bala, 2004). De plus, les prétendues raisons d'un enfant de vouloir vivre avec l'auteur de violence conjugale pourraient permettre d'obtenir une perspective importante sur la dynamique sous–jacente qui fait qu'un parent mine l'autre ou expose ses enfants à de l'information inappropriée.
Dans les cas où il y a des antécédents de violence familiale, la victime et ses enfants peuvent continuer d'avoir peur du partenaire violent, même lorsqu'il semble ne plus y avoir de menace immédiate. Si un enfant exprime ses peurs et des attitudes négatives envers un parent en fonction d'antécédents de violence, il faut leur accorder une très grande importance avant de conclure des ententes de garde.
Dans tous les cas hautement conflictuels, il faudrait fortement dissuader les parents de demander directement à leurs enfants quelles sont leurs préférences en matière de conditions de résidence, car les enfants peuvent vivre d'énormes conflits de loyauté, se sentir coupables ou avoir peur d'exprimer leurs préférences. Dans ces cas, l'entrevue effectuée avec un enfant pour connaître ses préférences devrait être menée par un évaluateur convenablement formé ou par un avocat nommé pour représenter l'enfant. Le professionnel doit s'assurer de faire connaître les opinions de l'enfant aux parents et au tribunal avec sensibilité et d'une manière adaptée au contexte. Pour ce faire, les évaluateurs et les avocats pour enfants doivent recevoir une formation appropriée axée notamment sur la complexité des cas d'allégations de violence familiale.
4.3.4 Aliénation parentale
Un des problèmes les plus épineux lorsqu'il s'agit de dresser des plans pour les enfants à la suite d'une séparation est l'aliénation parentale, c'est–à–dire les cas où un enfant rejette activement et fortement un de ses parents. Feu Richard Gardner (1998a; 1998b), psychiatre américain, a d'abord décrit ce phénomène comme le « syndrome d'aliénation parentale » et a proposé un cadre pathologique selon lequel un parent (Gardner estimait généralement qu'il s'agit des mères) conseille ses enfants et leur fait subir un « lavage de cerveau » afin qu'ils rejettent l'autre parent (Gardner estimait généralement qu'il s'agit du père). Aucune preuve empirique du « syndrome d'aliénation parentale » ne permet de le classer comme une catégorie de diagnostic (Garber, 2004). D'autre part, il est évident que certains parents séparés minent activement les relations des enfants avec l'autre parent. Cependant, les enfants peuvent rejeter activement un parent à la suite d'une séparation pour une foule de raisons.
Plus récemment, des cadres de plus en plus compliqués ont été proposés pour comprendre le processus de rejet et définir des interventions adéquates (Bala et Bailey, 2004; Drozd et Olesen, 2004; Johnston et Kelly, 2005; Johnston, 2005). Dans les cas hautement conflictuels, il arrive très souvent que les deux parents fassent des commentaires hostiles et désobligeants aux enfants au sujet de l'autre parent et tentent de les mêler à leurs conflits. Bien que les enfants en souffrent au plan émotif, il semble que la plupart d'entre eux essaient de conserver une relation avec les deux parents, malgré leur comportement. Lorsque les enfants rejettent un parent, il faut examiner le rôle des deux parents dans la vie de leurs enfants et les circonstances particulières entourant l'enfant. Dans certains cas, un enfant peut se liguer avec le parent le plus chaleureux et le plus efficace et rejeter l'autre parent afin de vaincre ses sentiments conflictuels de loyauté.
Il est tout particulièrement contre–indiqué de procéder à une analyse de l'aliénation dans les cas de violence familiale où la réticence des enfants à être en contact avec le parent est davantage perçue comme de l'hypervigilance ou de la peur (Drozd et Olesen, 2004). Drozd et Olesen ont proposé une structure décisionnelle pour aider les juges, les avocats et les évaluateurs à résoudre les problèmes difficiles entourant l'aliénation perçue. Les autres outils dans ce domaine comprennent un cadre permettant d'examiner une multitude de facteurs contribuant au rejet du parent, dont l'étape du développement des enfants, les événements entourant la séparation, le comportement du gardien principal et celui du parent rejeté (Johnston et Kelly, 2004).
Contrairement à la notion non étayée empiriquement du syndrome d'aliénation parental, les modèles suivants plus complexes et multidimensionnels s'appuient sur des recherches préliminaires. Il est essentiel d'évaluer globalement les raisons du rejet pour établir le fondement d'une intervention convenable. Si un parent est principalement rejeté pour des raisons telles que la pensée moraliste des enfants (p. ex. la pensée liée au stade de développement), le manque de ressources (p. ex. il n'y a pas autant de jouets dans la maison de l'autre parent) et des commentaires négatifs formulés par le parent qui a la garde, une intervention thérapeutique est donc indiquée pour rétablir la relation entre le parent rejeté et les enfants. En revanche, si une évaluation consciencieuse permet de constater que le rejet est davantage lié aux antécédents de violence du parent qui n'a pas la garde et aux tentatives répétées de surveiller et de harceler les enfants et le gardien principal, il est plus important d'assurer la sécurité des enfants et du parent gardien que de s'occuper de « l'aliénation ».
4.3.5 Écart entre la théorie et la pratique
On entend des opinions contradictoires à propos des progrès des professionnels du droit et de la santé mentale en ce qui a trait au phénomène de la violence conjugale. Évidemment, il y a eu une augmentation du nombre de programmes de formation offerts pour aider les divers professionnels à mieux connaître la dynamique de la violence familiale et à augmenter leurs compétences en stratégies d'intervention. Le débat est axé sur la rapidité du changement dans la pratique actuelle. De toute évidence, jusqu'à il y a environ une dizaine d'années, la plupart des professionnels œuvrant dans le système juridique ne se rendaient pas compte des effets de la violence conjugale sur les enfants témoins de cette violence ou vivant dans des foyers où elle a lieu, mais il y a eu depuis plus de recherche et d'éducation à ce sujet. Néanmoins, les données nécessaires à un changement systémique général restent peu concluantes.
Dans une étude de cas liés au droit de la famille menée au Nouveau–Brunswick de 1998 à 2001, L. C. Neilson (2004) a découvert que de nombreux médiateurs, avocats de la famille et juges ne se rendaient pas encore compte des effets de la violence conjugale sur les enfants. En l'absence d'une preuve claire de mauvais traitements physiques des enfants, lors de conférences de règlement, les médiateurs, les avocats et les juges exerçaient régulièrement une pression sur les mères victimes de violence physique pour qu'elles acceptent de conclure des ententes permettant à leurs anciens partenaires violents de voir souvent leurs enfants et d'accepter le partage des responsabilités parentales. On accordait assez peu d'attention à la sécurité des mères lors du règlement, même lorsqu'il y avait des antécédents évidents de violence conjugale.
Dans le domaine des ententes de garde et de visite des enfants, deux études récentes présentent des portraits très différents de l'ampleur du changement dans les pratiques. Bow et Boxer (2003) ont interviewé des évaluateurs en matière de garde aux États–Unis et ont découvert que la grande majorité d'entre eux reconnaissait désormais que la violence conjugale était un facteur important dans leur travail. Ils ont indiqué qu'ils envisageaient utiliser des ressources spécialisées en matière d'évaluation et faisaient des recommandations différentielles en matière de garde et de visite dans les cas de violence conjugale. En revanche, des études récentes menées dans les tribunaux de Louisville, au Kentucky, ont indiqué que les évaluations du tribunal ne tenaient pas souvent compte de la violence conjugale. Une analyse des rapports d'évaluation en matière de garde révèle que la violence conjugale ne constitue pas un facteur dans les recommandations, même lorsqu'elle est mentionnée dans un rapport (Horvath, Logan et Walker, 2002). De plus, une analyse des dossiers judiciaires a permis de découvrir que les méthodes de règlement en cour (p. ex. la médiation, les décisions) ne variaient pas selon que les familles avaient ou non des antécédents de violence conjugale. Il pouvait tout aussi bien arriver que l'on conseille à des parents ayant des antécédents de violence conjugale d'opter pour la médiation, malgré la nature inappropriée de la médiation dans ces cas. De plus, les résultats en ce qui a trait à la garde ne différaient pas entre les familles ayant ou non des antécédents de violence (Logan, Walker, Horvath et Leukefeld, 2003).
Il n'est pas facile de savoir jusqu'à quel point ces conclusions peuvent être généralisées; néanmoins, il est possible que des vérifications semblables dans un bon nombre d'autres tribunaux se solderaient par des conclusions semblables. Toujours dans l'optique de l'écart entre la théorie et la pratique, une récente étude en Californie a permis de montrer que les médiateurs tenaient des séances conjointes dans près de la moitié des cas où une entrevue de sélection indépendante avait permis d'étayer des allégations de violence conjugale, ce qui constitue une violation flagrante des règlements de l'État imposant la tenue de séances distinctes dans ces cas (Hirst, 2002). De plus, d'autres travaux de recherche ont indiqué que les médiateurs étaient plus susceptibles de conclure une entente avec des conjoints violents ayant la garde qu'avec des hommes n'ayant pas maltraité leurs partenaires (Johnson et Saccuzzo, 2005). Certains auteurs de violence conjugale sont capables de faire bonne impression.
4.4 Trouver une nouvelle façon de voir
En résumé, nous avons présenté des arguments pour instaurer une autre manière de régler les cas concernant les enfants à la suite d'une séparation lorsqu'il y a des antécédents de violence familiale. Même dans cette vaste catégorie de cas, il faut tenir compte d'un grand éventail de considérations pour respecter les particularités des familles. Dans la prochaine section, nous déterminons l'éventail des ententes parentales et des considérations générales dont il faudrait tenir compte pour déterminer quelle entente est appropriée. Nous passons ensuite à l'examen des trois facteurs les plus importants servant à choisir l'entente la plus appropriée : le type de violence, le moment où elle est signalée et l'accès aux ressources.
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