La Cour de justice du Nunavut - Évaluation formative
8. Conclusions
- 8.1. Ressources
- 8.2. L'efficacité des systèmes de gestion et de la stratégie de gestion de l'information
- 8.3. L'impact de la CJN – effets recherchés et non recherchés
- 8.4. L'efficacité et l'accessibilité de la CJN par rapport aux tribunaux à deux niveaux
8. Conclusions
8.1. Ressources
Les relations de travail parmi les différentes composantes du système sont efficaces. Cependant, la pénurie d'avocats de la défense en matière criminelle (avocats du secteur privé et de l'aide juridique) nuit au processus de la justice pénale dans son ensemble. Les avocats de la défense assument une charge de travail déraisonnable (généralement plus de 100 dossiers, quel que soit le moment) et cela influe souvent sur leur capacité à consacrer suffisamment de temps à la préparation de chaque dossier, y compris pour les consultations avec les clients. Il y a une pénurie d'avocats criminalistes. Les avocats inuits auront un rôle à jouer à cet égard – les diplômés de l'École de droit Akitsiraq devraient combler ce besoin, au moins en partie.
Même si l'arrivée récente de nouveaux avocats en droit de la famille qui se sont joints au personnel de l'aide juridique constitue une amélioration, on déplore l'absence d'avocats dans les autres domaines du droit civil au Nunavut. Actuellement, ce sont principalement des avocats d'Ottawa et de Yellowknife qui sont chargés des affaires de nature civile. La présence d'avocats spécialisés en droit civil deviendra de plus en plus importante à mesure que le Nunavut se développera et que davantage d'entreprises s'installeront sur son territoire.
Tandis que le programme des juges de paix fonctionne bien dans certaines collectivités afin de faciliter le travail des cours de circuit de la CJN (p. ex. : Iqaluit, Rankin Inlet et Cambridge Bay), le manque de juges de paix expérimentés dans d'autres collectivités entrave le bon fonctionnement de la Cour. Il pourrait être tiré davantage parti des cours de juges de paix si ces derniers étaient plus nombreux et s'ils recevaient une meilleure formation et une accréditation à un niveau supérieur. Un programme de juges de paix plus actif aiderait à réduire le temps nécessaire au traitement des affaires par la Cour.
Moins de 50 pour cent des collectivités sont desservies par un conseiller parajudiciaire, et seules trois collectivités bénéficient d'un conseiller parajudiciaire à plein temps. De l'avis des répondants clés, avis également partagé par les membres des collectivités, un ambitieux programme portant sur les aides judiciaires permettrait d'améliorer significativement et à tout point de vue l'efficacité du système judiciaire en matière pénale. Cette responsabilité relève principalement de la compétence de la Société des services juridiques du Nunavut, sous le mandat de laquelle est mis en œuvre le programme relatif aux conseillers parajudiciaires. Il faudrait davantage de conseillers parajudiciaires locaux pour travailler avec les prévenus et les avocats de la défense, et pour préparer l'arrivée de la Cour de circuit. Selon l'avis des personnes interrogées – parmi les praticiens et les membres des collectivités – le recrutement de conseillers parajudiciaires supplémentaires améliorerait les délais de traitement des affaires et faciliterait le processus judiciaire pour les prévenus et les autres personnes qui sont concernées.
La charge de travail des juges, dont les déplacements représentent une part importante, est particulièrement lourde. On constate toujours un manque au niveau du nombre et de la fréquence des circuits, en dépit de l'aide des juges suppléants. Le personnel judiciaire et les personnes interrogées au sein des collectivités ont clairement exprimé leur souhait qu'au moins un juge résident de plus soit nommé pour se consacrer aux travaux de la Cour de circuit. De bonnes raisons militent en faveur du recrutement d'un quatrième juge, y compris le fait que cela renforcerait la qualité des services fournis à la collectivité.
La Cour se réunit de manière régulière à Iqaluit. Dans la plupart des collectivités, la Cour siège moins fréquemment et en principe tous les deux mois, hormis dans les collectivités les plus petites (p. ex., celle de Resolute Bay) dans le ressort desquelles la Cour pourrait ne siéger que tous les six mois. La Cour siège pendant une durée maximale de trois jours dans chaque collectivité, et souvent pendant seulement une à deux journées dans les collectivités plus petites. En conséquence, les rôles des causes sont longs et peuvent rarement être traités en une seule séance.
Il existe un besoin évident de programmes de VIJ au Nunavut, tout particulièrement en matière de droit de la famille et de droit civil. Les résidents devraient être mieux informés de leurs droits, des choix juridiques qui s'offrent à eux et de la façon dont ils peuvent intenter une action en justice. Cette question prendra de plus en plus d'importance à mesure que la population du Nunavut et le volume des transactions commerciales augmenteront. La compréhension qu'ont les membres des collectivités de l'appareil judiciaire en général demeure insuffisante, et tant les praticiens que les résidents s'entendent pour dire qu'il s'agit d'un problème qui doit être traité. Tandis que les juges s'engagent dans des activités éducatives parascolaires (p. ex., au niveau secondaire), les activités de la Cour et le fonctionnement de l'appareil judiciaire demeurent peu connus des Nunavummiut (en particulier en matière de droit civil). Cette responsabilité relève principalement de la Société d'aide juridique du Nunavut.
Bien que cela ne relève pas de la responsabilité de la CJN, on déplore un manque d'agents communautaires des services correctionnels (agents de probation) pour diverses raisons (voir ci-dessous), y compris pour aider la Cour en fournissant des rapports présentenciels lorsque les juges en font la demande.
Les mesures de substitution en milieu communautaire sont insuffisantes au Nunavut. Cela limite les possibilités dont dispose la Cour en matière de détermination de la peine. Parmi les personnes interrogées, certains pensent que le manque de mesures de substitution en milieu communautaire nuit en bout de ligne à l'image de la Cour, parce que l'exécution des peines prononcées (p. ex., les périodes de probation et l'emprisonnement avec sursis) ne fait l'objet d'aucun contrôle ni d'aucun suivi. En l'absence d'agents communautaires des services correctionnels (agents de probation) au sein de la collectivité, c'est généralement aux travailleurs sociaux locaux que l'on demande d'assumer la responsabilité de s'assurer du respect des conditions ordonnées par la Cour. Cependant, cela n'entre pas dans la mission des travailleurs sociaux qui n'ont pas reçu de formation sur ce point, et cela les expose à une charge de travail excessive et à d'éventuels conflits d'intérêt professionnels (comme le fait de fournir ses services à la fois au contrevenant et à la victime).
La LSJPA n'a pas été bien mise en œuvre au Nunavut du fait de l'absence de programmes en milieu communautaire destinés aux jeunes. La CJN est obligée d'ordonner la mise en liberté des jeunes contrevenants au sein de la collectivité tout en sachant que les programmes nécessaires à leur réinsertion sont inexistants. Les comités de justice communautaire essaient de s'occuper des affaires relatives à la jeunesse mais ne disposent d'aucune ressource pour conseiller les jeunes ou pour contrôler leurs activités de réinsertion.
De la même manière que des recrutements sont nécessaires dans le cadre des programmes existants, il faudrait mettre en place des programmes entièrement nouveaux. Cela impliquerait des investissements importants en matière de recrutement et de formation de nouveau personnel de la part des divers ministères du gouvernement du Nunavut (notamment le ministère de la Santé et des Services sociaux et le ministère de la Justice) et du gouvernement fédéral. Il existe un besoin immédiat de programmes de traitement de la toxicomanie et de maîtrise de la colère. De même, des programmes de consultation et de soutien destinés aux jeunes contrevenants et aux contrevenants souffrant de maladie mentale sont nécessaires. Sans ce genre de programmes, la capacité de la CJN d'avoir recours à des mesures de substitution en milieu communautaire significatives demeurera limitée. D'autre part, la plupart des personnes interrogées pensent que les problèmes familiaux et la criminalité ne cesseront de croître au Nunavut tant que des mesures de substitution en milieu communautaire, notamment des programmes de prévention contre le crime destinés aux jeunes, n'auront pas été mises en place.
Les ajournements peuvent constituer une source de tension pour les individus et les familles, particulièrement en ce qui concerne les affaires de violences domestiques commises au sein de la collectivité. Dans ces affaires, les couples se réconcilient souvent longtemps avant que la Cour n'arrive pour entendre l'affaire. Si celle-ci est ajournée, elle ne sera entendue que deux mois plus tard. Cette situation peut être stressante pour les personnes concernées. Une solution à ces retards serait d'augmenter le nombre de juge de paix locaux formés au niveau 3, de sorte qu'une cour de juges de paix puisse se réunir fréquemment pour régler les affaires relativement simples. Si les juges de paix tenaient des audiences plus fréquentes, cela désengorgerait le rôle des causes de la CJN et permettrait aux juges de traiter toutes les affaires inscrites au rôle en une seule session. Récemment, des cours de juges de paix se sont réunies la veille de la venue de la CJN, ce qui a semblé désengorger la CJN et réduire les délais de traitement.
La sécurité personnelle des juges et du personnel judiciaire demeure une préoccupation à Iqaluit, en dépit de l'emménagement dans le nouveau palais de justice. Le bureau du shérif est chargé de la sécurité générale du palais de justice, ainsi que de la sécurité dans les salles d'audience à Iqaluit et dans les collectivités (pendant les procès devant jury), une fonction pour laquelle le personnel du bureau du shérif n'est pas suffisamment formé. La sécurité personnelle du personnel judiciaire et la formation des employés du bureau du shérif sont sources de préoccupation.
Des ressources fiscales sont nécessaires afin de disposer de meilleures installations de conservation pour les dossiers archivés. Les besoins à ce niveau sont manifestes. Cette question relève actuellement de la responsabilité du ministère des Services communautaires et gouvernementaux du Nunavut.
Les services d'interprétation se sont grandement améliorés au cours des dernières années. Cependant, la CJN doit en permanence être prête à recruter et à former de nouveaux interprètes, en fonction des besoins.
8.2. L'efficacité des systèmes de gestion et de la stratégie de gestion de l'information
Le personnel de supervision est chargé de la surveillance du travail du personnel du greffe, ainsi que de la formation et du mentorat du personnel. Le besoin d'assurer en permanence la surveillance, la formation et le mentorat du personnel a diminué au cours des deux dernières années à mesure que le personnel a acquis de l'expérience et que le maintien du personnel a augmenté. Néanmoins, compte tenu du roulement du personnel, ces activités demandent encore beaucoup de temps au personnel de supervision, ce qui représente un problème au vu de la charge de travail du greffe.
Avec l'aide d'un programmeur, le personnel de la Cour continue de mettre au point les systèmes informatisés de gestion des dossiers. En ce qui concerne les dossiers de nature pénale, le système informatique a démarré en 2001, même si les dossiers ont été conservés de manière adéquate et fiable à compter de 2002. Pour ce qui est des dossiers en droit civil et en droit de la famille, le système informatique fonctionne depuis 2003 (réellement depuis 2004). Avant cela, tous les dossiers étaient tenus sur papier. Le système informatique semble bien fonctionner, bien qu'il ne soit pas aussi flexible pour les utilisateurs que ceux-ci l'auraient souhaité. Les travaux sur ce système sont toujours en cours.
Le personnel est formé à l'utilisation des systèmes informatiques. Cependant, la formation continue qui est rendue nécessaire par la mise au point des systèmes en cours pose certaines difficultés. Cela est dû à la lourdeur de la charge de travail du greffe de la Cour et au manque de temps de formation pour la direction et le personnel.
La sécurité des données a été accrue depuis la mise en place du système informatisé de gestion des dossiers. Cependant, les dossiers antérieurs à l'année en cours sont conservés dans les installations de conservation des dossiers du Gouvernement du Nunavut et ne semblent pas être en sécurité comme ils le devraient. La sécurité des données et des dossiers de la Cour soulève des inquiétudes.
8.3. L'impact de la CJN – effets recherchés et non recherchés
Les retards et les délais de traitement des affaires ont été réduits et la CJN poursuit ses efforts pour améliorer davantage la situation. Le présent rapport a distingué plusieurs stratégies (p. ex. : la réunion d'une cour des juges de paix la veille de l'arrivée de la CJN). Cependant, il demeure un certain nombre de mesures à prendre, qui pour la plupart nécessitent d'augmenter le niveau des ressources humaines et fiscales. En particulier, il faudrait au moins un juge résident supplémentaire, des juges de paix plus qualifiés, des conseillers parajudiciaires mieux formés et davantage d'avocats de l'aide juridique.
Le programme des juges de paix s'améliore d'année en année pour ce qui est du nombre de juges de paix au sein des collectivités et de leur niveau de formation. Pour autant, la pénurie de juges de paix n'est pas réglée. L'idéal serait que chaque collectivité compte au moins trois juges de paix, et que les trois soient au moins qualifiés au niveau 3. On s'assurerait ainsi que (a) un juge de paix qui ne se trouve pas en situation de conflit d'intérêt soit toujours disponible dans chaque collectivité et que (b) une cour des juges de paix puisse se réunir afin de faciliter la gestion du rôle des causes qui doivent être entendues par les juges de la CJN.
Les membres des collectivités prennent part à la mise en œuvre du système judiciaire dans la mesure où les comités de justice communautaire sont actifs dans la plupart des collectivités. De même, dans la plupart d'entre elles, les juges ont recours aux services d'aînés qui jouent un rôle consultatif lors de la détermination de la peine et en s'adressant aux contrevenants. Par ailleurs, les juges font appel à des groupes de jeunes gens pour les conseiller sur le choix de la peine dans certains types d'affaires (c.-à-d. essentiellement les affaires concernant des adolescents, à l'exclusion des affaires d'agression sexuelle et d'agression grave).
Les renvois postérieurs à la mise en accusation sont pris en charge de manière efficace par les comités de justice communautaire dans la plupart des collectivités, même s'il faudrait davantage de formation dans les autres. Dans certaines collectivités qui sont déjà en mesure de prendre en charge un nombre significatif de renvois, l'augmentation du nombre de renvois postérieurs à la mise en accusation est justifiée. La plupart des comités ont besoin d'un soutien plus important de la part du gouvernement, pour ce qui est des locaux, de la formation en matière de médiation, et des postes de coordinateurs administratifs avec une rémunération et une formation suffisantes.
Il existe un consensus suivant lequel la CJN fournit des services au sein des collectivités d'une manière qui est adaptée sur le plan culturel. Parmi les exemples de moyens grâce auxquels la Cour y parvient, on peut citer la bonne qualité des services d'interprétation, les groupes consultatifs d'aînés et de jeunes ainsi que les renvois postérieurs à la mise en accusation devant les comités de justice communautaire. Certaines personnes interrogées ont émis des réserves sur ce point, en affirmant que le système judiciaire canadien connaît toujours aussi peu la culture inuite et demeure incompatible avec celle-ci.
Les personnes interrogées conviennent que les principes qui sous-tendent Gladue sont appliqués de manière conforme au Nunavut. Bien que les juges ne soient pas toujours explicites lorsqu'ils questionnent l'accusé ou qu'ils s'adressent à ce dernier ou aux jurés, il ne fait aucun doute que l'identité autochtone de l'accusé est prise en considération.
Le recours à des mesures de substitution à l'incarcération qui soient adaptées sur le plan culturel et axées sur la collectivité, représente toujours une difficulté pour la Cour. La CJN a adhéré aux principes d'une justice réparatrice, dans la mesure du possible au vu du peu de ressources en milieu communautaire. Les comités de justice communautaire sont actifs en règle générale et se voient renvoyer des affaires par la Cour, par l'entremise des procureurs de la Couronne, après le dépôt d'accusations. Cependant, la justice communautaire est restreinte par le manque de programmes de médiation, de consultation et de traitement en milieu communautaire, ainsi que par le manque de mesures de substitution à l'incarcération en raison du manque d'agents des services correctionnels situés au sein de la collectivité.
Les juges suppléants apportent une contribution importante à l'administration de la justice au Nunavut. Toutefois, il semble que les juges suppléants nécessitent que le personnel judiciaire et le doyen des juges leur consacrent beaucoup de temps. Le consensus parmi les personnes interrogées donne à penser que le recrutement d'au moins un juge résident supplémentaire permettrait de réduire ces demandes et améliorerait de manière générale l'efficacité des services judiciaires.
La CJN atteint son objectif visant à améliorer l'accès à la justice, y compris en matière civile et familiale, dans l'ensemble du Nunavut.
8.4. L'efficacité et l'accessibilité de la CJN par rapport aux tribunaux à deux niveaux
Pour traiter de cette question, il est instructif de retourner aux objectifs généraux de la nouvelle Cour tels qu'ils sont vus par les ministères de la Justice fédéral et territorial et la magistrature du Nunavut (voir page 8, ci-dessus) :
- garantir aux justiciables les mêmes droits substantiels et procéduraux que ceux dont jouissent les autres Canadiens
- fournir des services judiciaires d'une manière juste et universelle
- établir un système judiciaire efficace, accessible et propre à répondre aux besoins particuliers du Nunavut.
Les répondants clés et les membres des collectivités s'accordaient généralement pour dire que les deux types de tribunaux font un travail efficace afin de garantir les mêmes droits que ceux dont jouissent les autres Canadiens. En ce qui concerne les deuxième et surtout troisième objectifs, les renseignements recueillis dans le cadre de la présente évaluation donnent à penser que la CJN a apporté des améliorations en matière d'administration de la justice dans les collectivités de l'ensemble du territoire. À quelques exceptions près, les répondants clés et les membres des collectivités ont affirmé au cours du processus d'évaluation que la CJN s'acquitte bien de sa mission consistant à rendre la justice, eu égard notamment aux difficultés auxquelles elle est confrontée. Les Nunavummiut ont quelques préoccupations, comme on pouvait s'y attendre, mais ils sont généralement satisfaits de la Cour et des améliorations auxquelles elle a procédé avec le temps.
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