Stratégie relative à la justice applicable aux autochtones,
Évaluation sommative
4. Principales constatations
La présente section du rapport présente les constatations de l'évaluation portant sur chaque élément de programme de la SJA. On y retrouve les renseignements provenant de toutes les sources d'information décrites dans la section 3.0.
4.1. Programmes communautaires
Environ 100 programmes de justice communautaire étaient en place au moment de l'évaluation. La présente sous-section porte sur la raison d'être de ces programmes, leur choix et leur contrôle, leur incidence sur les collectivités autochtones, ainsi que leur rentabilité.
4.1.1. Justification des programmes de justice communautaire
La justice autochtone fait appel à une approche holistique lorsqu'il s'agit de déterminer ce qui est bien et comment corriger une situation. Cette image nous rappelle que nous avons notre propre justice et que nous devons revenir à l'essentiel. Le programme de justice donne à nos gens l'occasion de choisir un sentier qui a été tracé par nos ancêtes et que nous n'empruntons plus depuis longtemps.
Source: Participant à l'exercice Photovoice
Lorsque des programmes de justice communautaire sont mis en œuvre, c'est habituellement parce qu'ils sont perçus comme un moyen de réagir au fait qu'un nombre disproportionné d'Autochtones ont des démêlés avec la justice et que les délinquants autochtones sont surreprésentés dans les établissements correctionnels du Canada. Comme il est indiqué à la sous-section 2.1, les études documentant les lacunes du système de justice traditionnel pour ce qui est de traiter les délinquants autochtones s'accumulent; pourtant il semble que cette tendance alarmante vers la victimisation, la délinquance et l'incarcération des Autochtones n'est pas sur le point de s'inverser.
On reconnaît de plus en plus la valeur d'une approche qui permet d'éviter que les délinquants autochtones soient pris en charge par le système de justice traditionnel et de les renvoyer plutôt à des programmes de justice communautaire. Au fil des ans, les gouvernements fédéral et provinciaux ont mis en œuvre des initiatives visant à améliorer la façon dont le système traite les délinquants autochtones. Il convient de mentionner particulièrement les modifications apportées en 1995 aux dispositions du Code criminel sur la détermination de la peine, et l'interprétation faite par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Gladue[9]. Ces changements sont particulièrement pertinents si l'on songe que certains délinquants autochtones et certaines infractions ne peuvent être traités que par le système de justice traditionnel. Mais il est improbable que ces changements permettent effectivement de résoudre le problème du nombre disproportionné d'Autochtones qui ont des démêlées avec la justice ou qui sont incarcérés dans les établissements correctionnels, une ou plusieurs fois. Les programmes de justice communautaire sont devenus une solution de rechange au système de justice traditionnel et permettent aux collectivités autochtones de régler certains conflits conformément à leurs propres valeurs que sont la guérison et la compassion. Comme il est indiqué dans le Rapport de la Commission royale sur les Peuples autochtones, les Autochtones et les non-Autochtones ont une opinion fondamentalement différente de ce qu'est la justice et des moyens de la rendre[10]. Les programmes de justice communautaire sont considérés comme un mécanisme qui permet à des opinions divergentes de s'exprimer au sein d'un système traditionnel.
Jusqu'à maintenant, il s'est avéré que les programmes de justice communautaire, outre qu'ils permettent de traiter les infractions criminelles, répondent également à divers besoins :
- Conflits familiaux : Dans certaines collectivités, être en mesure d'offrir des services de médiation pour résoudre les conflits familiaux constitue un puissant encouragement à mettre en œuvre des programmes de justice communautaire. La formule adoptée pour certains programmes de la SJA est particulièrement bien adaptée aux conflits familiaux.
- Mise en œuvre des accords sur l'autonomie gouvernementale : À mesure que les collectivités autochtones accroissent leur capacité d'adopter des lois conformément à leurs accords sur l'autonomie gouvernementale, ils doivent de plus en plus établir des stratégies pour appliquer ces lois d'une façon qui reflète les valeurs autochtones. Lorsqu'ils sont utilisés pour appliquer les lois autochtones, les programmes de justice communautaire permettent non seulement de traiter les infractions criminelles, mais également de traiter les questions liées à la gestion des terres, aux politiques sociales et aux politiques sur la santé et d'autres questions prévues dans les accords sur l'autonomie gouvernementale.
- Application des règlements autochtones : Les collectivités qui n'ont pas signé d'accords sur l'autonomie gouvernementale peuvent encore mettre en œuvre des programmes de justice communautaire pour appliquer les règlements qui traitent d'autres questions que les infractions criminelles.
- Prévention communautaire : Finalement, les programmes de justice communautaire répondent également au besoin d'offrir aux particuliers et aux familles une aide en matière de règlement des conflits. Dans ces cas, les programmes de justice communautaire constituent principalement des mesures de prévention.
En somme, une bonne raison de mettre en œuvre des programmes de justice communautaire est que sans ces programmes, les délinquants autochtones sont susceptibles d'être réacheminés vers un système de justice traditionnel qui s'est révélé problématique et que d'autres questions abordées par l'intermédiaire des programmes de la SJA resteraient tout simplement sans solution.
4.1.2. Niveau d'activités
À la suite d'une augmentation initiale, le nombre de programmes de justice communautaire appuyés par la SJA est demeuré relativement constant au cours des trois dernières années. À la fin de 2005-2006, la SJA appuyait 110 de ces programmes, qui étaient en place dans 433 collectivités autochtones (voir le tableau 2). Les fluctuations du nombre de collectivités visées par les programmes résultaient en grande partie d'une initiative ponctuelle de mise en œuvre en 2003 et en 2004. Le montant total du financement engagé pour les programmes de justice communautaire s'est accru de 12 % depuis 2002.
Tableau 2 : Aperçu des programmes de justice communautaires financés par la SJA selon l'exercice
La répartition des programmes entre les provinces et les territoires est également demeurée très constante. Le seul changement important s'est produit au Nunavut, où le nombre de programmes est passé de un, en 2002-2003, à treize, en 2003-2004 (voir le tableau 3).
Tableau 3 : Nombre de programmes selon l'administration et l'exercice
Le financement accordé à chaque administration reflète le nombre de programmes que chaque province ou chaque territoire a mis en œuvre. Environ 40 pour cent du financement accordé aux programmes de justice communautaire est destiné à la Saskatchewan et à la Colombie-Britannique.
La plupart des programmes de justice communautaire financés par la SJA sont des programmes de mesures de déjudiciarisation ou des programmes de mesures de rechange. Ces types de programmes constituent systématiquement près de 80 pour cent de tous les programmes financés (voir le tableau 5). Un certain nombre de collectivités offrent également une combinaison de modèles qui pourraient inclure des mesures de déjudiciarisation ou des mesures de rechange.
Tableau 5 : Nombre de programmes selon le modèle de programme et l'exercice
4.1.3. Processus de sélection des programmes de la SJA
La Direction de la justice applicable aux Autochtones a choisi peu de nouveaux programmes de justice communautaire pendant la période actuelle d'affectation des fonds à la SJA. Puisqu'elles sont considérées comme des programmes et non des projets, ces initiatives de justice communautaire demeurent habituellement en place aussi longtemps qu'elles satisferont aux conditions du financement. Dans de nombreuses régions, cela signifie que le financement accordé pour la SJA a assuré le maintien de programmes qui ont été mis en place avant 2002.
Lorsque des fonds sont devenus disponibles parce que certains programmes existants avaient pris fin, la Direction de la justice applicable aux Autochtones et les gouvernements provinciaux ou territoriaux respectifs ont habituellement examiné les propositions existantes pour allouer le financement disponible. Ils n'ont pas lancé d'appel de propositions afin d'éviter de susciter des attentes qui ne pourraient être comblées. À ce jour, les collectivités autochtones qui sont intéressées à mettre en œuvre un programme de justice communautaire peuvent soumettre leur proposition tout au long de l'année, mais les nouveaux programmes ne seront financés que lorsque des fonds seront disponibles.
Le processus de sélection des nouveaux projets actuel selon les administrations. Les conditions qui s'appliquent aux accords de contribution signés en vertu de la SJA servent à déterminer les critères à prendre en considération lors de l'examen des propositions, mais ne précisent pas le processus de sélection à utiliser pour les nouveaux projets. S'il n'existait aucun comité officiel d'examen de propositions, les gouvernements provinciaux ou territoriaux ont joué un rôle important dans le choix des nouveaux programmes. La Direction de la justice applicable aux Autochtones et les gouvernements provinciaux ou territoriaux ont examiné les propositions existantes et travaillent en collaboration avec la collectivité pour mettre en œuvre le programme.
4.1.4. Surveillance des accords de contribution
Les coordonnateurs régionaux et les analystes de programmes au service de la Direction de la justice applicable aux Autochtones et les représentants du gouvernement provincial ou territorial participent à la surveillance des programmes de justice communautaire. Le processus de surveillance comporte trois éléments clés :
- Des représentants du gouvernement fédéral et du gouvernement de la province ou du territoire effectuent conjointement des visites sur les lieux et fournissent un soutien non officiel et continu aux collectivités participantes. Des entrevues menées auprès des fonctionnaires compétents du gouvernement fédéral et du gouvernement provincial ou territorial ont révélé que les deux ordres de gouvernement jouent des rôles complémentaires et travaillent en étroite collaboration pour aider les collectivités. En dépit des différences entre les régions, les coordonnateurs régionaux de la Direction de la justice applicable aux Autochtones s'emploient plutôt à accorder une aide aux collectivités pour assurer une mise en œuvre réussie de l'accord de contribution. Pour leur part, les représentants des provinces et des territoires tâchent de répondre aux questions de fond liées aux mesures de rechange ou examinent certaines questions particulières avec les tribunaux, les poursuivants ou les services de police. Les coordonnateurs de la justice qui travaillent dans les collectivités autochtones et qui ont participé au sondage ont exprimé essentiellement le même point de vue. Environ 77 pour cent des personnes interrogées au sujet de l'utilité de l'aide fournie par la Direction de la justice applicable aux Autochtones aux collectivités pour qu'elles puissent relever les défis auxquels elles font face au cours de la mise en œuvre d'un programme ont déclaré que cette aide avait été utile ou très utile. Il faut noter que les coordonnateurs régionaux à l'emploi de la Direction de la justice applicable aux Autochtones jouent un rôle moindre dans l'exécution des programmes offerts dans les Territoires du Nord-Ouest et au Nunavut. La Direction de la justice applicable aux Autochtones a conclu, avec ces deux administrations, des « accords de transfert» aux termes desquels le gouvernement fédéral transfère des fonds aux gouvernements territoriaux et ne participe pas autrement à la mise en œuvre des programmes de justice communautaire.
- Les rapports que les collectivités participantes doivent présenter sont énumérés dans les accords de contribution. Il s'agit notamment des états des flux de trésorerie, des états financiers provisoires, des états financiers en fin d'exercice, des rapports provisoires et de fin d'exercice sur les activités et de rapports statistiques. Au moment où l'évaluation a été faite, bon nombre de collectivités participantes avaient toujours du mal à respecter les exigences relatives à la reddition des comptes. Les fonctionnaires des gouvernements fédéraux et provinciaux consultés dans le cadre de cette évaluation ont reconnu que les collectivités font leur possible pour se conformer à ces exigences mais qu'elles éprouvent encore des difficultés. Le sondage mené auprès des coordonnateurs de la justice en poste dans les collectivités autochtones confirme que la présentation de rapports demeure problématique et que l'amélioration de ce processus est considérée comme un moyen qui permettrait d'améliorer l'exécution des programmes de justice communautaire. Par ailleurs, le sens que l'on donne aux activités visées par ces rapports varie d'une région à l'autre. Il n'y a pas de définition universelle de ce que constitue un « dossier» ou un « renvoi», ou encore un « client» ou un « service». Il est donc difficile de présenter des rapports nationaux ou ceux qui sont présentés sont incomplets. Ces problèmes se posent toujours seize ans après que les premiers programmes de justice communautaire ont été mis en place dans le cadre de l'Initiative de justice applicable aux Autochtones, ce qui dénote une lacune fondamentale au chapitre de la capacité organisationnelle.
L'évaluation formative de la SJA faite en 2005 contenait des recommandations concernant la mise en œuvre d'une « stratégie de gestion du rendement qui permettrait de recueillir des données pertinentes sur le rendement »
[11]. On s'attend à ce que cette question soit examinée dans le cadre du processus de renouvellement de la SJA.
Trois vérifications sur le terrain, portant à la fois sur les programmes et les finances, sont menées chaque année. De façon générale, les évaluations sont effectuées à tour de rôle dans les différentes administrations, et les programmes visés sont recommandés par les coordonnateurs. Ceux-ci font également partie de l'équipe d'évaluation car ils sont chargés d'évaluer le dossier pour s'assurer que les objectifs du programme sont remplis et que les conditions de l'accord sont respectées (délais, produits livrables).
4.1.5. Incidence du programme - portée
Liberté : "Les personnes que je connais qui ont été soumises aux procédures du système judiciaire en ville n'en ont pas bénéficié. Les détails exacts ne sont pas divulgués en cour. Les Autochtones connaissent notre situation. [Grâce au programme], nous pouvons chercher la source du problème et mener les gens vers la voie de la guérison. Les bienfaits pour les gens et leur famille sont visibles."
Source: Participants à l'exercice Photovoice
La SJA finance maintenant des programmes dans chaque province et territoire. Tel qu'indiqué dans le tableau 3 (page 16), il n'y avait aucun programme à Terre-Neuve-et-Labrador avant 2003-2004. De plus, le nombre de programmes au Nunavut s'est considérablement accru (passant d'un programme en 2002-2003, à 13 programmes en 2003-2004), portant à 25 p. 100 le taux d'augmentation du nombre total de programmes financés par la SJA au cours des quatre premières années de la période actuelle d'affectation des fonds.
Malgré ces progrès, les programmes de justice communautaire ne desservent qu'une petite portion des délinquants autochtones. De nombreuses collectivités autochtones n'ont pas accès à de tels programmes et dans les collectivités où de tels programmes existent, les services ne sont pas toujours accessibles à tous les délinquants autochtones qui pourraient en bénéficier.
Les statistiques sur la criminalité représentent une image incomplète, mais utile, de cette importante lacune au chapitre de la portée du programme. En 2004-2005, les programmes financés par la SJA ont été offerts à environ 7 400 personnes[12]. Parmi celles-ci, environ 4 500 avaient été trouvées coupables d'infractions sans violence au Code criminel. Au cours de la même année (2004), 28 600 personnes ont été accusées au Canada d'infractions commises dans une réserve. En tout, 17 126 d'entre elles ont été accusées d'infractions sans violence, soit le type d'infraction qui entraîne habituellement un renvoi à un programme de justice communautaire[13].
Bien qu'incomplètes, surtout parce qu'elles ne contiennent pas de données sur les infractions commises hors des réserves par des Autochtones, ces statistiques révèlent l'immense lacune chapitre de la portée des programmes, car même si près de 4 500 Autochtones sont dirigés vers un programme de justice communautaire, plus de 17 000 délinquants autochtones sont pris en charge par le système de justice traditionnel même s'ils ont commis une infraction sans violence. Si l'on n'élimine pas cette lacune, il est peu probable que la SJA entraînera un changement important dans les tendances nationales dans le domaine de la victimisation, de la criminalité et de l'incarcération.
Dans son discours du Trône de 2001, à la veille du renouvellement de la SJA, le gouvernement du Canada a déclaré ce qui suit :
Par ailleurs, et c'est une réalité tragique, une trop forte proportion d'Autochtones ont des démêlés avec la justice. Le Canada doit s'employer à réduire sensiblement le pourcentage d'Autochtones aux prises avec l'appareil de justice pénale, de manière à niveler cette proportion avec la moyenne canadienne d'ici une génération[14].
Peu importe le niveau de succès de chaque programme financé par la SJA, la portée actuelle de cette dernière fait en sorte que les programmes sont peu susceptibles de contribuer, du moins dans une grande mesure, à la réalisation de cet objectif stratégique.
Il existe d'autres programmes qui peuvent contribuer à la réalisation des objectifs établis de la SJA. Par exemple, les initiatives de prévention du crime, la police des Premières nations, les initiatives de la justice pour les jeunes, le Programme d'assistance parajudiciaire autochtone et les initiatives sur la violence familiale, pour n'en nommer que quelques-uns, sont des initiatives connexes qui viennent compléter les programmes financés par la SJA, mais elles ne peuvent pas combler les lacunes actuelles au chapitre de la portée des programmes.
4.1.6. Incidence des programmes sur les délinquants, les victimes et les collectivités autochtones
Les programmes de justice communautaires ont une incidence positive sur les délinquants autochtones à plusieurs égards. Lorsqu'ils sont appropriés, ces programmes constituent une bonne solution de rechange au système de justice traditionnel.
Les programmes financés par la SJA permettent la réalisation du processus de réadaptation au sein des collectivités. Selon un Autochtone participant à un programme de justice communautaire, cette approche convient bien aux petites collectivités et est plus conforme aux valeurs autochtones :
Le processus judiciaire est froid, difficile à comprendre, aliénant et correspond peu à la façon dont une petite collectivité comme la nôtre fonctionne. Le traitement des questions de justice fait partie de la vie en collectivité, du moins, pour celles qui sont prêtes à prendre des mesures pour améliorer la vie de leurs membres[15].
Maintenant, ils sont de nouveau unis et ils font des efforts. Leurs enfants sont heureux. Ils grandissent. C'est un dénouement positif pour notre collectivité. Grâce au programme, ils ont appris à communiquer, à echanger, à pleurer, et à s'exprimer. Le programme réunit les familles. Je suis très heureux qu'un tel programme soit en place.
Comme ils tiennent compte des valeurs autochtones, ces programmes sont axés sur la guérison et la compassion plutôt que sur la punition et l'isolation :
[Le programme] est fondé sur la spiritualité, ce qui constitue un élément central de notre culture; il existe depuis des milliers d'années et c'est ce qu'utilisaient toujours (nos ancêtres). À l'époque des pensionnats indiens, on l'a mis de côté, mais aujourd'hui nous le redécouvrons à nouveau. Nous ne pointons personne du doigt et nous n'attribuons aucun blâme; ce n'est pas la personne qui est mauvaise, ce sont ses gestes […] Nous pouvons passer l'éponge, nous pouvons nous occuper de la personne et l'aider à retrouver le droit chemin[16].
Un élément fondamental de la justice communautaire est le principe selon lequel on demande aux délinquants de reconnaître leurs torts et aux victimes de participer au processus de réadaptation. Une victime qui a participé à un programme de réadaptation a fait l'affirmation suivante : « Il est impressionnant de constater la franchise et la bonne volonté des participants [au cercle]. J'ai pu parler au délinquant, prendre part davantage au processus et donner mon avis quant à la mesure disciplinaire »
[17]. En bout de ligne, le processus même de mise en œuvre des programmes de justice communautaire touche plusieurs membres de la collectivité autres que les délinquants et les victimes :
En faisant part de leurs propres expériences dans un cercle, par exemple, d'autres personnes participant à la résolution d'une infraction, notamment les membres du comité de justice, les membres de la famille et les aînés ont également un moyen de guérir. Qui plus est, les programmes permettent également aux membres de la collectivité de participer au processus de justice dans leur collectivité[18].
Ces avantages se font sentir dans des programmes visant des problèmes autres que les infractions criminelles. Par exemple, les programmes de médiation en matière familiale permettent à la collectivité de régler les conflits entre ses membres et d'éviter que ces conflits dégénèrent en infractions criminelles.
Le plus important indicateur de la réussite du programme est sans doute le fait que les participants des programmes financés par la SJA sont moins susceptibles de récidiver que les personnes qui n'y prennent pas part[19]. L'âge, le sexe et le nombre de déclarations antérieures de culpabilité sont tous des facteurs étroitement liés à la récidive. Une étude menée récemment par le ministère de la Justice, dans le cadre de laquelle on a tenu compte de ces facteurs, appuie fortement l'affirmation selon laquelle les participants aux programmes financés par la SJA sont moins susceptibles de récidiver que les délinquants qui ont été renvoyés à ces programmes, mais qui n'y ont pas participé. Ces tendances en matière de récidive se manifestent à court et à long terme[20] :
Pourcentage de récidive après… | Participants de la SJA | Non-participants |
---|---|---|
6 mois | 6 % | 13 % |
4 ans | 27 % | 49 % |
8 ans | 32 % | 59 % |
Source : Ministère de la Justice (2006). Évaluation de l'incidence de la stratégie de justice applicable aux Autochtones sur le taux de récidive.
En permettant aux collectivités de régler les conflits conformément aux traditions et aux valeurs autochtones, en fournissant un processus de rechange aux délinquants qui sont prêts à reconnaître leurs torts et en offrant aux victimes l'occasion de participer activement au processus de réadaptation des délinquants, les programmes de justice communautaire constituent une bonne solution de rechange au système de justice traditionnel et se sont avérés plus efficaces que celui-ci pour ce qui est de permettre la réadaptation de délinquants autochtones.
4.1.7. Appui au sein du personnel du système de justice traditionnel
L'incidence positive de la SJA se fait sentir, non seulement auprès des collectivités autochtones, mais également auprès du personnel du système de justice traditionnel. Les coordonnateurs de la justice qui travaillent dans les collectivités autochtones et qui ont participé à l'enquête d'évaluation ont signalé que les employés du système de justice traditionnel, notamment les juges, appuient fortement les programmes de justice communautaire.
Policiers | Poursuivants | Juges | |
---|---|---|---|
Très positive | 18 % | 34 % | 41 % |
Positive | 62 % | 56 % | 47 % |
Pas positive | 12 % | 12 % | 0 % |
Négative | 0 % | 0 % | 0 % |
Je ne sais pas/aucune réponse | 9 % | 9 % | 12 % |
Source : Sondage auprès des coordonnateurs de la justice (n=34) Comme les pourcentages ont été arrondis, il est possible que le total ne corresponde pas à 100 %.
Les employés du système de justice traditionnel qui ont participé à l'enquête d'évaluation étaient également de cet avis. Comme on pouvait s'y attendre, le degré élevé de soutien parmi les employés du système de justice traditionnel augmente systématiquement les chances de réussite du programme :
Une chose est certaine : un degré élevé d'appui et d'engagement des policiers à l'égard du programme contribue à l'efficacité du programme. […] Ce dossier prouve que les agents de la GRC qui connaissent bien le programme, qui l'appuient et qui y participent contribuent à la réussite du processus de médiation. Également, cette participation permet aux membres de la GRC de créer de bonnes relations avec la collectivité qu'ils desservent et, dans ce cas, avec les jeunes[21].
Les responsables de l'évaluation formative de la SJA menée en 2005 ont recommandé que la Direction de la justice applicable aux Autochtones, en collaboration avec les partenaires provinciaux et territoriaux, déploie des efforts pour sensibiliser davantage les employés du système de justice traditionnel[22]. Il reste de nombreux obstacles à surmonter, mais les collectivités où on a mis en œuvre les programmes financés par la SJA paraissent bénéficier d'un appui considérable de la part du personnel du système de justice traditionnel.
4.1.8. Rentabilité des programmes de justice communautaire
Tel que mentionné ici, bien qu'ils occasionnent certains coûts additionnels pour le gouvernement fédéral, les programmes de justice communautaire représentent une stratégie rentable à l'intention des délinquants autochtones.
Pour déterminer la rentabilité des programmes de justice communautaire, il est d'une importance cruciale de tenir compte de certains facteurs et de certaines contraintes méthodologiques :
- Les programmes de justice communautaire ne traitent pas seulement des infractions criminelles. Comme il est mentionné dans ce rapport, ces programmes répondent à certains des besoins de la collectivité, dont les conflits familiaux, les interventions préventives ainsi que la sensibilisation et l'information accrue sur les questions liées à la justice communautaire. Par conséquent, mettre fin à tous les programmes de la SJA ne ferait pas en sorte que tous les participants seraient redirigés vers le système de justice traditionnel. Cette démarche annoncerait plutôt la perte pour les collectivités d'un mécanisme de règlement des conflits, qu'ils soient ou non liés à une infraction criminelle.
- En ce qui concerne les infractions criminelles, les programmes financés par la SJA représentent en eux-mêmes une solution de rechange au système de justice traditionnel. Nous n'avons trouvé aucun autre moyen de remplacer ces programmes, à part le système de justice traditionnel. Par conséquent, on suppose qu'en l'absence d'un tel programme, les délinquants autochtones seront redirigés vers le système de justice traditionnel ou les accusations seront retirées. Ce dernier scénario est particulièrement plausible si l'on songe que les programmes de justice communautaire servent principalement à traiter les infractions punissables par procédure sommaire, qui sont des infractions moins graves, et pour lesquelles les accusations risquent le plus d'être retirées.
- Bien qu'il y ait des statistiques sur le coût des déclarations de culpabilité par procédure sommaire dans le système de justice traditionnel, il s'agit de moyennes provinciales qui ne tiennent pas compte des coûts des procès tenus dans une région éloignée. La grande majorité des programmes de la SJA sont mis en œuvre dans des localités situées à l'extérieur des zones urbaines (dans les réserves, dans les territoires ou dans des zones rurales situées à l'extérieur des réserves). Nous devons donc supposer que le traitement d'une accusation impliquant les participants de la SJA par le système de justice traditionnel entraînera des dépenses supérieures aux moyennes provinciales.
- Bien que le gouvernement fédéral paie la moitié des coûts associés aux programmes de la SJA, les provinces sont généralement responsables de payer pratiquement tous les coûts liés aux procédures sommaires (dépenses des tribunaux, juges, poursuivants[23] et aide juridique). En ce sens, si on mettait fin à tous les programmes de la SJA, cette décision supprimerait un élément des coûts directs que doit supporter le gouvernement fédéral, et les provinces devraient supporter tous les autres coûts découlant de la prise en charge des participants de la SJA par le système de justice traditionnel. Puisque le nombre de participants représente environ un pour cent de toutes les personnes accusées d'infractions criminelles chaque année au Canada[24], il est difficile de calculer avec précision les répercussions financières de cette prise en charge.
- D'autres coûts, tels que les coûts liés aux services de police ou à l'exécution des peines, comme l'incarcération, ne sont pas compris dans l'analyse. Les services de police doivent généralement être assurés, que des accusés soient pris en charge par le système de justice traditionnel ou qu'ils soient renvoyés à des programmes de la SJA, mais l'importance de ce travail peut varier. De plus, on ne peut pas prévoir le nombre de cas pour lesquels des renvois sont faits qui mèneront à une condamnation, ni la peine qui sera imposée (p. ex. incarcération ou probation). Toutefois, on peut supposer que le coût associé à la prise en charge d'un délinquant autochtone par le système de justice traditionnel augmentera considérablement lorsque cette personne sera condamnée à certaines peines, comme l'incarcération.
- La criminalité entraîne un certain nombre de coûts sociaux bien documentés, qui n'ont pas été examinés dans le cadre de cette analyse.
En tenant compte de ces facteurs, nous pouvons en premier lieu étudier les coûts liés au renvoi d'un délinquant autochtone à un programme de la SJA, que nous estimons à 973 $ par renvoi. Puisque chaque programme de la SJA est unique, il est difficile d'estimer le coût moyen d'un renvoi. Nous avons donc analysé les rapports d'activité et les renseignements financiers de neuf programmes de la SJA mis en œuvre en Ontario, au Manitoba, en Saskatchewan et en Colombie-Britannique. Nous avons inclus les contributions versées par le gouvernement fédéral et par les provinces, et, dans la plupart des cas, nous avons tenu compte des activités et des dépenses des deux plus récents exercices. Si on divise le total des dépenses des programmes par le nombre total de renvois, on obtient un coût moyen de 973 $ par renvoi.
Quant au système de justice traditionnel, nous estimons que les coûts du traitement d'une infraction punissable par déclaration de culpabilité par procédure sommaire sont d'environ 859 $ par accusation. Ce coût moyen est calculé d'après les dépenses des cours provinciales (dépenses des tribunaux, coûts des poursuites et aide juridique) de trois administrations au Canada (Terre-Neuve-et-Labrador, Ontario et Colombie-Britannique) liées à ce type d'infractions. Cette moyenne provinciale n'englobe pas les coûts des déplacements vers une région éloignée, qui sont beaucoup plus élevés. Tel que mentionné précédemment, beaucoup de délinquants autochtones actuellement renvoyés à des programmes de la SJA habitent des régions éloignées. Il se peut que si le cas de ces délinquants est traité par le système de justice traditionnel, il faille tenir une audience dans une région éloignée, ce qui coûterait systématiquement plus cher que le coût moyen provincial de 859 $.
Même en ne tenant pas compte des coûts plus élevés que représente la tenue d'un procès dans une région éloignée, la SJA est encore un moyen plus économique de traiter les délinquants que le système de justice traditionnel. Comme le montre la figure 3 (page suivante), bien que le coût unitaire d'un renvoi à la SJA soit supérieur au coût par accusation d'un renvoi au système de justice traditionnel, le taux de récidive beaucoup plus bas chez les participants aux programmes de la SJA fait en sorte qu'en bout de ligne, le système de justice réalise des économies.
Figure 3 - Analyse des coûts (période de 4 ans)
À titre indicatif, nous avons comparé les coûts directs, sur une période de quatre ans, pour dix participants à un programme de la SJA avec les coûts associés à dix délinquants qui sont traités par le système de justice traditionnel. Les résultats de cette analyse sont fondés sur les hypothèses suivantes :
- L'infraction commise par un participant à un programme de la SJA équivaut à une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité.
- Un participant à un programme de la SJA qui récidive devra être pris en charge par le système de justice traditionnel et ne sera pas aiguillé de nouveau vers un programme de justice communautaire.
- Les participants à un programme de la SJA et les délinquants d'un groupe témoin qui récidivent ne le feront qu'une seule fois au cours de la période de quatre ans.
- Les coûts associés à chaque participant à un programme de la SJA se chiffrent en moyenne à 973 $, comme l'indique la présente sous-section.
- Les coûts associés au système de justice traditionnel se chiffrent en moyenne à 859$, comme l'indique la présente sous-section. Ils ne tiennent pas compte des coûts plus élevés que représente la tenue d'un procès dans un endroit éloigné.
Selon ces hypothèses, le taux de récidive et le coût unitaire tant pour la SJA que pour le système de justice traditionnel (moyennes provinciales), les économies nettes de coûts que la SJA permet de réaliser par rapport au système de justice traditionnel se chiffrent à 75 $ par délinquant. Lorsque l'on prend en considération les coûts associés à la tenue d'un procès dans un endroit éloigné ou les coûts associés aux options relatives à la détermination de la peine, les économies nettes sont beaucoup plus élevées.
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