Interaction entre les capacités de développement des enfants et l'environnement d'une salle d'audience : Incidences sur la compétence à témoigner
4. La mémoire chez les enfants (suite)
- 4.3 L'âge comme facteur de mémorisation
- 4.4 Connaissances antérieures et mémoire
- 4.5 Incidence de l'anxiété sur la mémoire
- 4.6 La mémoire À long terme
4. LA MÉMOIRE CHEZ LES ENFANTS (suite)
4.3 L'âge comme facteur de mémorisation
En 1991, Ornstein et coll. ont émis l'hypothèse qu'en vieillissant, des changements interviennent chez diverses fonctions cognitives qui agissent sur l'acquisition et l'emmagasinage de l'information et sur le rappel de cette information à la mémoire. De toutes les variables qui ont été examinées dans les écrits portant sur la mémoire des enfants, la plus importante est celle qui touche l'âge des enfants. Les études suggèrent fortement que la fonction de rappel chez les enfants est différente selon l'âge, et ce tant dans le cadre des études en laboratoire qu'en milieu naturel, ce qui indique que les enfants plus âgés sont susceptibles d'emmagasiner des représentations plus fortes que les jeunes enfants, et se rappellent de plus d'informations pendant une période de temps plus longue (Ornstein, 1995; Ornstein et coll., 1992).
Ces conclusions nous aident à comprendre pourquoi une telle quantité d'information jugée pertinente par les adultes pour une situation donnée n'est pas enregistrée ni emmagasinée ou est l'objet d'une faible représentation dans la mémoire des enfants, en particulier chez les jeunes enfants. Au fur et à mesure que les enfants vieillissent et qu'ils comprennent davantage ce qui est significatif et pertinent dans un contexte social, ils ont tendance à enregistrer plus d'informations et à mieux les organiser. Comme le démontre l'exemple fourni plus haut concernant un directeur et des élèves, les jeunes enfants ne savent pas nécessairement quelle est l'information que recherche un adulte et ne trie donc pas les souvenirs de la même façon.
Si nous nous reportons au scénario de l'école, il est probable que le jeune enfant qui a été interrogé n'avait aucune idée de l'information recherchée par le directeur parce qu'il ne comprenait pas vraiment ce que l'homme faisait dans la salle de toilettes et ne savait pas qu'il s'agissait d'une information importante. Le garçon plus âgé, lui, a offert de l'information concernant l'étranger aperçu dans la salle de toilettes. Il a eu besoin de moins d'indices et avait une meilleure idée de ce que le directeur voulait savoir. Avec de l'aide, les deux enfants ont fourni des comptes rendus se corroborant l'un l'autre.
4.4 Connaissances antérieures et mémoire
Dans divers ouvrages, l'âge des enfants est présenté comme ayant une incidence sur l'enregistrement et l'emmagasinage des souvenirs car il est relié à la base de connaissance des enfants. Le savoir spécifique à un domaine est un champ important des études portant sur la mémoire. Clubb, Nida, Merritt et Ornstein (1993) ont suggéré que la compréhension d'un enfant d'un événement auquel il a été exposé a un impact profond sur ce qui est enregistré et emmagasiné dans sa mémoire. Si cette hypothèse est vraie, cela pourrait nous aider à comprendre comment les enfants plus âgés parviennent à comprendre et à enregistrer des informations mieux organisées sur un incident d'abus sexuel que les enfants plus jeunes qui n'ont pas de connaissances de base sur le comportement sexuel, les termes sexuels et l'anatomie sexuelle. Si un enfant ne comprend pas ce qui lui arrive, il se peut que plusieurs détails secondaires ne soient pas enregistrés puisque leur signification n'est pas comprise. Étant donné ce qui précède, nous devons modifier nos attentes envers les enfants lorsqu'ils témoignent devant un tribunal sur des questions d'ordre sexuel ou d'autres comportements sociaux complexes.
4.5 Incidence de l'anxiété sur la mémoire
L'état mental des enfants au moment de l'enregistrement d'un événement représente un domaine d'intérêt relativement nouveau pour les recherches touchant la mémoire des enfants. Il va de soi que dans les cas d'abus d'enfants, l'expérience remémorée est souvent traumatique et effrayante, et celle-ci peut entraîner une détresse extrême chez les enfants. Récemment, des vues opposées ont été exprimées quant à savoir si l'élévation du niveau d'angoisse et de stress au moment d'un événement avait un effet positif ou négatif sur la mémoire des enfants. Dans certains cas, certains ont suggéré que le niveau élevé de stress augmentait la capacité des enfants à aiguiser leur attention et, de ce fait, à enregistrer l'information (Terr, 1988), mais d'autres ont suggéré qu'un stress trop important au moment d'un événement nuisait à la remémoration de celui-ci (Ceci et Bruck, 1993; Merritt, Ornstein et Spicker, 1994; Peters, 1989 et 1991).
Si un événement est éprouvant au moment où il se produit, l'on peut concevoir qu'il est également éprouvant lorsqu'il est remémoré. La recherche sur le stress post-traumatique confirme la notion que le souvenir involontaire de traumatismes passés est susceptible de provoquer une forte angoisse. Il est possible d'expliquer le rappel peu net des détails composant les souvenirs traumatiques par le fait que ces détails sont enregistrés de telle sorte qu'il soit plus difficile de se les rappeler (Foa et Riggs, 1993). Selon ces auteurs, les souvenirs traumatiques chez les adultes victimes de viol sont souvent désorganisés et fragmentés parce qu'ils sont enregistrés à un moment où les victimes sont l'objet d'une angoisse extrême. Ils ont également émis l'hypothèse qu'un niveau de conscience plus élevé pouvait diminuer l'étendue des stimuli auxquels une personne a accès. Une situation semblable pourrait donc se produire chez les enfants traumatisés. Lors d'un incident traumatique, la détresse d'un enfant peut être tellement forte qu'il est incapable de se concentrer et de percevoir autre chose que l'action centrale.
Une autre explication plausible serait que même lorsque des détails sont enregistrés, leur rappel est empêché à cause de l'aspect négatif rattaché aux souvenirs et ils sont moins accessibles du fait que les enfants tentent sans cesse de les réprimer ou de les effacer de leur mémoire. Plus simplement, les enfants peuvent enregistrer plusieurs détails touchant des actes de violence commis à leur endroit même lorsque leur niveau d'angoisse est élevé, mais ils sont incapables d'en extraire les traces de leur mémoire. Le rappel peut être paralysé par la nature traumatique des traces mnésiques et la nécessité de protéger sa psychée. L'existence de ces facteurs alliée à la présence de structures cognitives moins développées pour organiser les souvenirs traumatiques emmagasinés rendent encore plus difficile le rappel d'un événement traumatique.
Diverses études soutiennent chacune de ces explications, ce qui laisse suggérer qu'il pourrait y avoir un niveau maximal de stress au-delà duquel l'enregistrement est inhibé et qui, ajouté aux différences individuelles de réaction au stress chez les enfants, font varier la quantité d'information qui est remémorée relativement à un événement traumatique.
4.6 La mémoire à long terme
Les ouvrages portant sur la capacité des enfants à se rappeler correctement des événements sur une période donnée sont encourageants pour ceux qui sont en faveur de la participation de très jeunes enfants à des procédures judiciaires. Étant donné les longs délais qui caractérisent souvent les affaires entendues dans une cour pénale (jusqu'à deux années), il est possible qu'on demande à de jeunes enfants de raconter des événements qui leur sont arrivés plusieurs années auparavant. La bonne nouvelle est que même les très jeunes enfants (trois ans) semblent être capables de se rappeler beaucoup de détails pertinents sur le plan judiciaire (Ceci et Bruck, 1993).
Lorsque nous passons en revue les premières études réalisées sur la mémoire à long terme, nous remarquons que la plupart des paradigmes reposaient sur des situations où les enfants fournissaient de l'information au sujet d'un événement passé dans le cadre d'un rappel libre. Fivush, Hudson et Nelson (1984) ont été parmi les premiers à étudier la mémoire à long terme des enfants pour un événement réel de date récente. Ils ont examiné les souvenirs chez un groupe d'enfants le jour, six semaines, puis un an suivant une excursion archéologique dans un musée. Ils ont trouvé que la mémoire des enfants était demeurée stable au cours des six premières semaines, et que même si moins de détails étaient remémorés un an plus tard, les souvenirs étaient remarquablement précis.
Ces conclusions ont entraîné la réalisation d'autres études portant sur la capacité des enfants à se rappeler un événement réel plutôt que de simples listes de mots présentés dans des tests de mémoire en laboratoire. Plusieurs chercheurs ont ensuite examiné le souvenir à court et à long terme d'interventions médicales et dentaires brèves mais importantes (Goodman, Hepps et Reed, 1986; Peters, 1989). On espérait que ces études seraient plus valides sur le plan écologique (expérience réelle) que les recherches en laboratoire précédentes portant sur la mémoire. Dans le cadre de l'étude réalisée par Goodman et ses collègues, les souvenirs d'une intervention médicale pratiquée sur de jeunes enfants (trois et quatre ans) ont été comparés aux souvenirs de la même intervention chez des enfants de cinq et six ans. Le rappel des détails n'était pas plus faible après une période de neuf jours, mais des différences dues à l'âge ont été notées quant à la quantité des éléments remémorés. En effet, les souvenirs étaient plus nombreux chez les enfants plus âgés.
Une méthode légèrement différente a été employée par Peters (1987), qui a réalisé des études sur la mémoire de reconnaissance (dans ce cas, la capacité d'identifier la photo du professionnel qui avait procédé à l'examen dentaire des enfants participant à l'étude). On a évalué des enfants âgés entre trois et huit ans. Aucune diminution de la mémoire de reconnaissance n'a été notée entre la période à court terme (24 heures) et la période à long terme (trois semaines), de même que peu de différences dues à l'âge pour l'une ou l'autre de ces périodes. Peters a suggéré que pour ce qui concerne les exercices de reconnaissance, la mémoire à long terme reste intacte pour tous les enfants âgés de trois à huit ans.
Dans le cadre d'une étude réalisée récemment par Ornstein et coll. (1992), on a examiné les souvenirs chez des enfants de trois et six ans concernant un événement personnel significatif, en l'occurrence une visite chez le médecin. Les enfants des deux groupes d'âge se sont rappelés la plupart des détails de l'examen au test sur la mémoire immédiate, mais des différences notables ont été enregistrées entre les enfants d'âges différents pour les intervalles d'une semaine et de trois semaines, les enfants plus âgés se rappelant de plus de détails. En fait, les enfants plus âgés ont eu tendance à se rappeler davantage de détails que les enfants plus jeunes, quel que soit le moment. Ils se sont également rendus compte que pour obtenir des détails des enfants plus jeunes, il avait fallu leur poser des questions plus directes.
Dans une importante étude sur la mémoire réalisée récemment par Peterson et Bell (1996), ces derniers ont suivi et interrogé des enfants âgés de deux à treize ans, six mois après qu'ils eurent subi des blessures nécessitant des soins à l'hôpital. Ils ont noté que « même les enfants âgés de trois ans ont raconté avec précision ce qui leur était arrivé, les personnes présentes au moment de l'incident ainsi que les soins reçus à l'hôpital »
(page 3045). En fait, 80 p. 100 à 90 p. 100 des renseignements qu'ils avaient fournis étaient exacts! Cependant, ces enfants n'avaient initialement fourni que 40 p. 100 de l'information lors d'un rappel libre, le reste ayant été obtenu au moyen des questions directes. Peterson (1997) a confirmé cette étude dans le cadre d'un suivi effectué deux ans plus tard : les enfants âgés d'au moins trois ans se rappelaient avec une grande précision ce qui s'était produit ainsi que les personnes présentes à ce moment-là. Ils se rappelaient de 80 p. 100 à 90 p. 100 des détails.
Les conclusions tirées de ces trois études ont d'importantes implications sur le plan des capacités de témoignage des enfants. Elles contredisent certaines assertions voulant que les jeunes enfants (moins de cinq ans) soient incapables de fournir des comptes rendus exacts d'événements qu'ils ont vécus, particulièrement après un long laps de temps. Ces conclusions appuient également la pratique consistant à fournir des indices sous forme de questions plus directes aux jeunes enfants afin de les aider à organiser leurs souvenirs. Il semblerait que les enfants d'âge préscolaire peuvent se rappeler certaines actions principales dans un rappel libre, et que l'information fournie peut constituer une description très précise des événements qui ont eu lieu. Cela est particulièrement vrai s'ils ont eux-mêmes pris part à l'événement. Il faut leur poser des questions directes pour obtenir les détails voulus.
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