Étude nationale sur les adultes non représentés accusés devant les cours criminelles provinciales (Partie 2 : rapports des études sur le terrain)

Chapitre 7 : St. John's, Terre-Neuve (suite)

7.5 Effets de l'autoreprésentation sur l'accusé

7.5.1 Effets d'ordre général

Toutes les personnes interrogées ont laissé entendre qu'il serait préférable que le service d'Aide juridique accepte un plus grand nombre de causes. Pour citer une de ces personnes : « L'absence de représentation constitue une alternative coûteuse ». Dans les sections suivantes, nous ferons état des coûts imposés au système judiciaire par l'autoreprésentation. Cependant, une des conséquences générales importantes, selon une des personnes interrogées, est la perception de la collectivité selon laquelle il y a un système de justice pour les riches et un autre système pour les pauvres.

Un certain nombre de personnes interrogées ont indiqué que, bien souvent, les accusés qui s'autoreprésentaient ne comprenaient pas le processus judiciaire en général, ni la teneur des décisions qui étaient prises à leur encontre. Les personnes interrogées croyaient par exemple, que les accusés non représentés ne comprenaient pas les concepts d'interrogatoire préalable, de choix, de voir-dire, de ouï-dire, ni les procédures du procès, etc. De plus, il n'était pas rare que le personnel de la cour doive expliquer à une personne qui venait d'être condamnée, les détails de la peine qui venait de lui être imposée ou doive reprendre des dossiers pour expliquer la peine à un accusé qui avait été condamné quelques temps auparavant. Et il arrivait même parfois que certains accusés soient tellement angoissés par le fait de ne pas être représentés par un avocat qu'ils se mettaient à « paniquer ».

Et en outre, de nombreux accusés non représentés ne comprenaient pas toute la portée des conséquences d'une condamnation lorsqu'il s'agissait de demander une attestation de bonne conduite, de franchir les frontières des É.-U., de s'inscrire au service militaire et de décrocher ou même de garder certains types d'emplois. Les accusés non représentés pouvaient se trouver aux prises avec des conditions de probation ou de cautionnement qu'ils ne pouvaient respecter. Bien qu'à l'occasion les accusés non représentés aient reçu une peine moins sévère, normalement, ils « ne s'en tiraient, par pour autant, pour ce qui est de la peine », parce que certains renseignements ou arguments n'avaient pas été portés à l'attention de la cour.

Ce manque de compréhension du processus et les conséquences d'une condamnation remettaient en question la capacité des accusés à prendre les bonnes décisions au sujet du déroulement de leur cause.

Le point de vue de la plupart des personnes interrogées était également que les accusés non représentés souffraient des conséquences importantes du manque de représentation.

Il n'était donc pas surprenant que le guide des procédures de l'un des groupes d'employés (non juridiques) de la cour qui devait apporter son aide aux personnes accusées commençait par les trois points suivants : 1) demander à l'accusé s'il avait un avocat et sinon de l'aviser à faire une demande au service d'aide juridique; 2) dissuader les personnes accusées de se représenter elles-mêmes; et 3) encourager les accusés à demander au juge un sursis pour trouver un avocat.

7.5.2 Erreurs stratégiques et tactiques spécifiques de l'accusé

La plupart des personnes interrogées s'accordaient pour dire que les étapes les plus importantes du processus pénal pour lesquelles les accusés demandaient un avocat étaient les premières étapes : à l'arrestation, après la mise en accusation, à la libération avant procès et lors du plaidoyer. Comme dans la plupart des cours, les procès constituaient l'exception, mais un certain nombre de personnes interrogées ont laissé entendre que les procès avec accusés non représentés posaient tellement de problèmes, notamment des erreurs susceptibles de recours et un taux excessivement élevé d'appels, que les procès aussi constituaient une priorité importante. Le prononcé de la sentence était également cité par les personnes interrogées comme une étape exigeant certaines compétences spécialisées.

Voici, selon les personnes interrogées, quelques-unes des erreurs les plus graves commises par les accusés non représentés aux étapes avant procès :

Voici, selon les personnes interrogées, quelques-unes des erreurs les plus graves que pourraient commettre les accusés non représentés lors du procès :

Le travail d'observation de la cour permettait de constater que dans l'ensemble, une comparution durait en moyenne sept minutes et demie.[66] Mais de toutes ces causes, le quart des comparutions durait deux minutes au moins, et la moitié durait moins de trois minutes. Dans un tel contexte de contrainte temporelle, il n'est pas difficile de comprendre pourquoi de nombreux informateurs ont souligné qu'un accusé qui ne connaît pas très bien les procédures judiciaires pourrait faire des erreurs spécifiques et serait désorienté en général tout au long du processus judiciaire.

7.5.3 Type de plaidoyer inscrit par mode de représentation à la dernière comparution

Les sections précédentes décrivaient les perceptions des personnes interrogées sur les effets de l'absence de représentation sur les accusés. L'étude a aussi permis de recueillir des données empiriques sur ce qui se passe dans les faits (au moyen du dossier de travail de l'observation de  la cour  sur les comparutions et du dossier des causes réglées).

Il importe toutefois de préciser dès le départ que l'information n'est pas présentée pour que soit établi un lien de cause à effet, mais seulement pour décrire les événements aux différentes étapes du processus. Ainsi, l'information n'est pas présentée pour suggérer que l'absence de représentation  était  la cause d'un plus grand (ou plus faible) risque pour l'accusé non représenté d'être condamné. Mais elle indique, simplement, si des décisions importantes ont été prises ou non, et si certains dénouements sont survenus avec ou sans la présence d'un avocat et à quelle fréquence.

Tel que noté précédemment, un certain nombre de personnes interrogées se sont demandé si les accusés non représentés risquaient plus souvent ou non de plaider coupable, soit pour « en finir », soit parce qu'ils n'avaient ni les connaissances ni les ressources pour contester les accusations. Les personnes interrogées ont également identifié un groupe de personnes qui plaidaient coupable pour éviter l'humiliation publique parce qu'elles se sentaient honteuses et moralement en tort.

Le tableau St.J-7 présente le plaidoyer inscrit par mode de représentation lors de la dernière comparution (les données au sujet de la comparution au cours de laquelle le plaidoyer a été inscrit en premier  n'est pas disponible).

Tableau St.J-7. Répartition des causes réglées pour lesquelles un plaidoyer a été inscrit : Par type de plaidoyer et par mode de représentation à la dernière comparution à St. John's *
Plaidoyer Proportion de tous les plaidoyers inscrits par/ou au nom des accusés par mode de représentation Nombre de causes Proportion des causes
Autoreprésentation Aide juridique Avocat de pratique privée
Coupable 91 81 74 338 82
Non coupable 9 19 26 76 18
Total des causes 100 % 100 % 100 % 414 100 %

Source : Dossier des causes réglées.
Note :
* À l'exclusion des causes pour lesquelles le mode de représentation lors du plaidoyer n'était pas précisé au dossier.

7.5.4 Condamnation ou non en fonction du mode de représentation

Le tableau St.J-8 présente les condamnations en fonction du mode de représentation lors de la dernière comparution. Sur l'ensemble des causes réglées, 84 pour cent des causes ont mené à une condamnation.

Toutefois, lorsqu'on compare le taux de condamnation des accusés qui s'autoreprésentaient à celui des accusés représentés, il importe de prendre en compte les éventuelles conséquences de la déjudiciarisation, après une mise en accusation ou avant le processus judiciaire, sur ces statistiques concernant les décisions. Les accusés qui suivaient un programme de déjudiciarisation ont de fortes chances de ne pas être représentés par un avocat. Étant donné que réussir ce programme sous-entendrait l'une absence de condamnation. L'existence de ce programme  devrait diminuer le taux de condamnation dans les causes où les accusés s'autoreprésentaient (avec peu ou pas de répercussions sur le taux de condamnation pour les causes des accusés représentés). Malheureusement, aucune information sur les cas de déjudiciarisation, pas même le pourcentage de causes déjudiciarisées, n'était disponible. Nous ne pouvons donc pas dire quel serait le taux de condamnation chez les accusés non représentés qui ne suivaient pas un programme de déjudiciarisation. Nous pouvons toutefois affirmer que le taux de condamnation chez les accusés non représentés qui ne suivaient pas un processus de déjudiciarisation serait plus élevé que le taux de 87 pour cent présenté au tableau St.J-8.

Tableau St.J-8. Répartition des causes réglées : par type de décision, par mode de représentation à la dernière comparution à St. John's
Décision Proportion des décisions par mode de représentation Nombre de causes Proportion des causes
Auto-représentation Aide juridique Avocat de prati-que privée
Coupable* 87 85 80 391 84
Non coupable** 13 15 20 76 16
Total des causes 100 % 100 % 100 % 467 100 %

Source : dossier de causes réglées.

Pour trois catégories d'infractions en particulier, le nombre de causes du dossier étaient suffisamment important pour permettre une analyse individuelle du modèle de condamnation pour chaque mode de représentation. Cette analyse démontre que le modèle d'ensemble ne s'appliquait pas aux groupes d'infractions distinctes :

Nous avons fait précédemment une mise en garde contre l'utilisation de ces données pour suggérer un lien de cause à effet entre le mode de représentation et les taux de condamnation. Toutefois, à cause des conséquences liées au fait d'avoir un casier judiciaire (sur les possibilités d'emploi et la probabilité d'être à nouveau accusé ), ces données peuvent certainement être utilisées pour démontrer que les accusés non représentés risquent fort de subir des conséquences négatives à la suite du processus judiciaire. Que cette seule possibilité soit suffisante pour réclamer un meilleur accès à la représentation juridique est une question de politique gouvernementale.

7.5.5 Peine d'emprisonnement et mode de représentation

Le tableau St.J-9 permet de pousser l'analyse en présentant la proportion des causes aboutissant à des peines d'emprisonnement en fonction du mode de représentation disponible pour l'accusé de la dernière comparution. [67]

Ce tableau permet de constater que :

Tableau St.J-9. Causes réglées : qu'elles aboutissent ou non à une peine d'emprisonnement, par mode de représentation lors de la dernière comparution à St. John's
Peine Mode de représentation Nombre de causes Proportion des causes (%)
Auto-représentation (%) Aide juridique (%) Avocat de pratique privée (%)
Peine d'emprisonnement 18 42 31 138 30 %
Pas de peine d'emprisonnement 82 58 69 329 70 %
Total des causes 100 % 100 % 100 % 467 100 %

Source : Dossier des causes réglées.

 Nous avons également effectué une analyse des peines d'emprisonnement par mode de représentation à la dernière comparution, dans trois catégories distinctes d'infractions pour lesquelles il y avait un nombre suffisant de causes nous permettant d'établir une comparaison. Cette analyse démontre que la tendance générale indiquait que les causes représentées par un avocat salarié de l'Aide juridique étaient celles qui avaient reçu le taux le plus élevé de peines d'emprisonnement et s'appliquait à l'ensemble de ces groupes d'infractions : vols et fraudes (32 pour cent), voies de fait autres que les voies de fait simples (52 pour cent) et conduite avec facultés affaiblies (53 pour cent). Les causes de voies de fait, autres que les voies de fait graves et de conduite avec facultés affaiblies, où l'accusé s'autoreprésentait ont obtenu le plus faible taux de peine d'emprisonnement. Par contre, la catégorie vols et fraudes représentée par un avocat de pratique privée a obtenu le taux le moins élevé (18 pour cent).

Nous faisons à nouveau une mise en garde contre l'utilisation de ces données pour suggérer un lien de cause à effet entre le mode de représentation et les taux de condamnation. Toutefois, les résultats sont directement pertinents d'un autre point de vue important. Plus particulièrement, il se pourrait que l'octroi de l'aide juridique dépende (en partie) de la probabilité qu'une cause puisse aboutir à une peine d'emprisonnement. Même si l'on ne peut prédire avec exactitude qu'une cause aboutira à une peine d'emprisonnement, il importe de noter que près de deux accusés sur dix qui s'autoreprésentaient recevaient une peine d'emprisonnement.