Les crimes motivés par la haine au Canada : Un préjudice disproportionné

3.0 CONCLUSIONS

3.0 CONCLUSIONS

3.1 Les crimes motivés par la haine dans d'autres pays

Tel que susmentionné dans l'introduction, les crimes motivés par la haine sont un phénomène universel et quoique notre rapport n'ait aucune visée internationale, nous examinerons quelques données relatives aux États-Unis et au Royaume-Uni afin de fournir au lecteur un aperçu de l'ampleur et de la nature du problème dans ces pays. Nous avons choisi ces deux pays en raison du fait que leur situation est semblable à celle que nous connaissons au Canada (sur le plan de la culture juridique et de l'histoire socio-culturelle), de même que parce qu'il s'agit de pays qui ont établi les statistiques les plus fiables sur les crimes motivés par la haine.

3.1.1 Les États-Unis[11]

Aux termes de la Hate Crime Statistics Act de 1990 (décrite en détail plus loin dans le présent rapport), le procureur général des États-Unis a pour mandat de compiler des statistiques sur les crimes motivés par la haine. Depuis 1990, ces statistiques peuvent être obtenues du ministère de la Justice des États-Unis. Le tableau 1 fournit une répartition des crimes motivés par la haine enregistrés par la police américaine en 1992. Ces données ont été obtenues des organismes d'application de la loi de plus de 40 États qui desservent un peu plus de la moitié de la population américaine (toutes les tables de données se trouvent à l'annexe A du présent rapport). Il appert, d'après ces données, que ce sont les menaces qui forment le plus grand nombre de crimes motivés par la haine, soit plus d'un tiers de tous les incidents enregistrés; ensuite, ce sont les méfaits et les actes de vandalisme (23 pour 100 de l'ensemble des incidents) puis, les voies de fait simples (20 pour 100). Les infractions ayant causé des blessures corporelles comptent pour plus d'un tiers des incidents. Dans l'ensemble, le Federal Bureau of Investigation a enregistré près de 9 000 incidents au cours de la dernière année pour laquelle nous disposons de données.

Le tableau 2 répartit les crimes motivés par la haine aux États-Unis selon le groupe visé. Cette analyse révèle que les groupes visés le plus souvent, soit dans près des deux tiers de tous les incidents, étaient les minorités raciales. Les trois autres catégories (groupes ethniques, groupes religieux et certaines orientations sexuelles) ont chacune été la cible d'environ le même pourcentage d'incidents (entre 10 et 15 p. 100). À l'intérieur de ces catégories, les tendances suivantes se dessinent : le groupe racial le plus souvent visé, soit dans 59 pour 100 de tous les incidents, était les Américains de race noire; les victimes américaines de race blanche ont été la cible d'un peu moins de la moitié de tous les incidents de cette catégorie. Dans la catégorie des groupes ethniques, ce sont les victimes de préjugés anti-hispaniques qui ont subi le plus grand nombre de crimes alors que, dans la catégorie religion, les actes antisémites comptent pour la plus grande partie (88 pour 100) des incidents. Près des trois quarts (72 pour 100) des incidents répertoriés dans la catégorie orientation sexuelle étaient des crimes contre les homosexuels.

Il ne faut pas interpréter ces données comme étant des indices précis de la fréquence relative des divers types de crimes motivés par la haine. Au contraire, elles reflètent probablement à la fois la fréquence réelle de ces crimes et la probabilité que les victimes les signaleront à la police. Si certaines victimes, notamment les membres des communautés gaies et lesbiennes (et tel que susmentionné, la recherche révèle que c'est le cas), sont moins susceptibles de signaler ces crimes que d'autres victimes, la fréquence relative révélée par ce tableau est probablement inexacte.

Le tableau 3 répartit par catégories de groupes visés, les crimes motivés par la haine perpétrés dans une ville importante (New York); cette ville recueille des données sur ce type de crime depuis quelques années. Comme le révèle le tableau, la répartition selon les catégories est semblable à celle pour l'ensemble du pays.

Le tableau 4 propose une répartition des divers groupes de victimes pour la ville de New York. Selon ce tableau, il existe un lien très net entre la nature du groupe visé et l'infraction commise. Les crimes motivés par la haine fondée sur la race, l'origine ethnique ou l'orientation sexuelle de la victime sont plus susceptibles d'être des crimes contre la personne (par ex., voies de fait). Ainsi, plus de 40 pour 100 des crimes motivés par la haine contre ces trois groupes étaient des voies de fait. Par contre, seulement six pour cent des crimes motivés par la haine contre les groupes religieux étaient des actes de violence physique. Dans la plupart des cas, soit dans plus de la moitié des incidents signalés, lorsque la cible était un groupe religieux, il s'agissait d'un méfait.

3.1.2 Le Royaume-Uni

Les données sur le Royaume-Uni sont particulièrement intéressantes parce qu'elles proviennent de deux sources : d'une part, une enquête sur les actes de violence et d'autre part, les actes criminels enregistrés par la police. Les données reflètent donc à la fois les crimes signalés et les crimes non signalés. Soulignons de nouveau que l'expression générale « crimes motivés par la haine » n'est pas utilisée en Angleterre et au pays de Galles[12]; les données ne s'appliquent qu'aux crimes à caractère raciste.

3.1.2.1 L'enquête britannique sur la criminalité (BCS)

Les données sur les actes de violence proviennent de la dernière enquête britannique sur la criminalité (BCS). Il s'agit d'une enquête détaillée portant sur un échantillon représentatif à l'échelle nationale composé d'environ 10 000 adultes d'Angleterre et du pays de Galles. L'enquête a été menée à plusieurs reprises depuis 1982 et porte sur les actes de violence perpétrés au cours des 12 mois qui précèdent celle-ci, que ces incidents aient été signalés ou non à la police (voir Mayhew, Maung et Mirrlees-Black, 1993, pour des informations supplémentaires sur le BCS). On a demandé aux membres des minorités ethniques si, selon eux, un incident en particulier était à caractère raciste. Le tableau 5 fournit une estimation du nombre d'incidents qui, selon les répondants, étaient motivés par le racisme. Il s'agit de fourchettes plutôt que de chiffres précis. Les données du BCS révèlent que plus de 100 000 crimes à caractère raciste ont été perpétrés au cours de l'année visée par l'enquête. Si une définition plus large des crimes motivés par la haine avait été appliquée, c'est-à-dire une définition qui englobe les crimes à caractère antisémite, le total du nombre d'incidents aurait été, bien entendu, encore plus élevé.

Le tableau 6 répartit les incidents signalés à l'enquête sur la criminalité (BCS) dirigés contre deux groupes minoritaires : les Antillais de race noire et les Asiatiques. Il est clair que les répondants ont affirmé qu'un pourcentage très élevé de crimes dirigés contre ces groupes étaient à caractère raciste. Par exemple, près de la moitié des menaces proférées contre les répondants asiatiques étaient perçues par la victime comme étant racistes. Près de la moitié des voies de fait perpétrées contre les Asiatiques et près de la moitié des voies de fait perpétrées contre les Antillais de race noire étaient à caractère raciste (voir Maung et Mirrlees-Black, 1994, pour plus de renseignements).

Une comparaison des données du BCS et des crimes à caractère raciste signalés à la police permet de déterminer le taux de signalement de ces incidents à la police. Fitzgerald (1995) établit le nombre d'incidents à caractère raciste signalés à la police en Angleterre et au pays de Galles entre 1988 et 1992. Deux commentaires s'imposent. Premièrement, le total des incidents à caractère raciste signalés à la police en 1992 ne représente qu'une infime partie du nombre d'incidents rapportés par l'enquête sur la criminalité (7 734). Deuxièmement, il y a eu une augmentation significative du nombre d'incidents signalés à la police au cours de cette période de cinq ans. Ainsi, en 1988, 4 383 incidents semblables ont été signalés à la police et, en 1992, ce chiffre était de 7 734, soit une augmentation de 76 pour 100.[13]

3.2 Canada

3.2.1 Statistiques sur les crimes motivés par la haine compilées par les services de police

Les méthodes appliquées par divers corps policiers du Canada aux fins de colliger des statistiques sur les crimes motivés par la haine varient tellement qu'il est impossible d'en faire une analyse globale. Par conséquent, nous résumons et analysons séparément les statistiques établies par les corps policiers qui ont participé à la présente enquête et fourni des données au ministère de la Justice du Canada. Nous tenterons de résumer nos conclusions à la fin du présent chapitre. Signalons que les services de police qui ont fait l'objet du présent rapport sont les services qui ont fourni des données empiriques, même si ces données n'ont pas toujours été présentées de manière à permettre une analyse secondaire détaillée. Certains services de police n'ont pas encore commencé à compiler des renseignements sur les crimes motivés par la haine. La Police provinciale de l'Ontario, par exemple, ne compile aucune statistique sur les crimes motivés par la haine et ne prévoit pas le faire dans un avenir rapproché, probablement en raison du fait qu'au Canada, ce type de crime constitue, en règle générale, un problème urbain. L'analyse qui suit porte sur les renseignements fournis au ministère de la Justice du Canada. Notons que d'autres corps policiers ont probablement une unité chargée des crimes motivés par la haine, même si le ministère l'ignorait au moment où il a mené son enquête. On trouvera une liste des personnes-ressources des unités chargées des crimes motivés par la haine des organismes contactés aux fins de la présente étude à l'annexe D.

3.2.1.1 Toronto

La Police de la communauté urbaine de Toronto a commencé à recueillir systématiquement des données sur les crimes motivés par la haine en janvier 1993. Cette activité s'inscrit dans le cadre d'un projet d'envergure sur les crimes motivés par la haine qui fait appel à la participation de la collectivité. En sus des enquêtes qu'elle mène, l'unité participe également à l'éducation du public dans ce domaine. Elle a notamment préparé des affiches et des brochures sur les crimes motivés par la haine et la propagande haineuse et les a distribués dans les écoles de la région de Toronto. Les membres de l'unité reçoivent également une formation supplémentaire. Grâce aux données recueillies jusqu'à maintenant par l'unité, les membres de celle-ci ont consulté des éducateurs, des groupes communautaires et d'autres agents de police aux fins d'établir un réseau de personnes susceptibles de favoriser la prévention des crimes motivés par la haine ou les préjugés et de réagir à ces crimes. Les données pour l'ensemble de 1994 n'étaient pas disponibles au moment de la rédaction de notre rapport et, par conséquent, la plupart des données sur Toronto que nous avons examinées portent sur 1993.

Le tableau 7 répartit les crimes motivés par la haine selon la nature du groupe visé. Le tableau révèle que ce sont les minorités raciales qui sont la cible du plus grand nombre d'incidents (50 pour 100), ensuite viennent les groupes religieux (35 pour 100), les groupes ayant une orientation sexuelle différente (10 pour 100), et enfin, les groupes ethniques et les diverses nationalités (5 pour 100). Il faut noter que cette répartition reflète peut-être la volonté des victimes de faire appel au système de justice pénale. Si, comme la recherche effectuée dans d'autres pays le révèle, les homosexuels sont moins susceptibles que d'autres groupes de signaler ces crimes à la police, il est possible que les statistiques ne révèlent pas l'ampleur de la menace à l'égard de la communauté gaie par rapport à d'autres minorités, notamment les minorités raciales.

Les services de police de Toronto ont précisé la nature des cibles visées au sein de certains groupes. Près de la moitié (48 pour 100) des incidents à caractère raciste visaient des personnes de race noire, puis ce sont les ressortissants des Indes orientales qui étaient visés (22 pour 100 des incidents) et enfin, les Asiatiques (8 pour 100). Dans 13 pour 100 des cas, les incidents étaient fondés sur plusieurs préjugés et, dans 8 pour 100 des cas, les crimes motivés par la haine visaient des personnes de race blanche. Si les crimes sont répartis selon l'origine ethnique plutôt que selon la race, il est clair qu'aucun groupe ethnique en particulier n'est visé plus souvent que d'autres. Presque la totalité des crimes motivés par la haine fondée sur l'orientation sexuelle de la victime (94 pour 100) ont été perpétrés contre des gais plutôt que contre des lesbiennes. Nous n'avons pas été étonnés de constater, compte tenu des données tirées d'autres sources, que la grande majorité des crimes à caractère religieux (99 pour 100) étaient des actes antisémites.

Le tableau 8 répartit les données fournies par la police de Toronto selon la catégorie d'infraction. Les méfaits (de plus et de moins de 5 000 $ combinés) comptent pour 39 pour 100 des incidents enregistrés par la police; viennent ensuite les voies de fait (un incident sur quatre).

Les données de Toronto révèlent également que les infractions qui causent des blessures corporelles sont plus souvent perpétrées contre les minorités raciales, comme en font foi les statistiques suivantes sur les deux infractions les plus fréquentes. Quant aux voies de fait signalés, plus des trois quarts (77 pour 100) ont été perpétrées contre des groupes raciaux. Les groupes religieux étaient plus susceptibles d'être victimes de crimes contre les biens : près d'un tiers des méfaits avaient pour cibles des groupes religieux alors que 7 pour 100 seulement des voies de fait ont été perpétrés contre ces groupes (voir le tableau 9).

Les données de Toronto sont également utiles parce qu'elles fournissent quelques renseignements sur le contrevenant moyen. Une majorité des contrevenants arrêtés pour des infractions motivées par la haine étaient de jeunes hommes de moins de 20 ans. Il s'agissait, dans la plupart des cas, d'une première infraction. La recherche effectuée dans d'autres pays appuient ces conclusions. Ainsi, selon Levin et McDevitt (1993), l'âge moyen du délinquant de New York qui a perpétré un crime motivé par la haine est de 18 ans, soit environ 10 ans de moins que la moyenne des contrevenants en général. En Suède, la plupart des personnes qui commettent un crime motivé par la haine ont moins de 20 ans au moment de la commission de l'infraction (voir Loow, 1995).

Les données sur les six premiers mois de 1994 révèlent une faible augmentation de la proportion de l'ensemble des crimes motivés par la haine perpétrés contre les groupes raciaux (50 à 58 pour 100) et une réduction correspondante du nombre de crimes motivés par la haine commis contre les groupes religieux. Il est important de le souligner parce que ces chiffres révèlent une augmentation du nombre de crimes motivés par la haine qui sont des crimes contre la personne; en effet, les crimes à caractère raciste sont beaucoup plus susceptibles d'être des crimes de violence (par rapport aux crimes motivés par la haine perpétrés contre des groupes religieux - voir ci-dessous).

Les données sur la première partie de l'année 1994 sont également intéressantes en ce qu'elles révèlent une augmentation du nombre absolu de crimes motivés par la haine dans la ville de Toronto. Au cours de cette période, 112 incidents ont été signalés. Il s'agit d'une augmentation de 55 pour 100 par rapport au nombre de crimes motivés par la haine signalés l'année précédente. Il faut toutefois noter qu'à l'instar des autres fluctuations des tendances en matière de criminalité, l'augmentation pourrait également résulter d'une volonté accrue de signaler de tels incidents au système de justice pénale. La police semble attribuer cette augmentation à une plus grande confiance du public à l'égard des services de police de la ville de Toronto.[14]

Il semble plus probable que cette augmentation soit due à une augmentation réelle du nombre de crimes motivés par la haine et d'une modification du type d'infraction perpétrée. La tendance observée dans les statistiques de la police confirme les conclusions tirées des données du B'nai Brith pour la même année (voir un chapitre subséquent du présent rapport). Les données de B'nai Brith sont tout à fait indépendantes de celles des services de police et, par conséquent, les attentes du public face au système de justice pénale n'ont aucune influence sur celles-ci. Il s'agit peut-être donc d'une véritable augmentation du nombre d'infractions. Quant aux types d'infractions, il est clair que le nombre de crimes motivés par la haine qui comportent des actes de violence a augmenté et, puisque les crimes qui entraînent des lésions corporelles sont plus susceptibles d'être signalés à la police que les crimes contre la propriété, les statistiques obtenues sont peut-être trop élevées.

3.2.1.2 Police de la communauté urbaine de Montréal

Ce service de police a commencé à compiler des données sur les incidents antisémites en 1988. En 1990, les crimes à caractère raciste ont été ajoutés, puis, en 1992, le service de police a créé une base de données informatisée et obligé tous les agents à y inscrire leurs rapports. Le projet sur les crimes motivés par la haine a été créé officiellement en 1994, et le service de police publie régulièrement des rapports globaux sur les crimes motivés par la haine (3 fois par année) en plus d'un rapport annuel. Les agents de police de Montréal recueillent systématiquement des données sur les crimes motivés par la haine et engagent des poursuites mais ils participent également à des conférences et à des ateliers sur les mesures à prendre à l'égard des crimes motivés par la haine. Aux fins du présent rapport, les données examinées portent sur la période entre le premier janvier 1994 et le 31 décembre 1994. Au cours de cette période, 199 crimes motivés par la haine ont été signalés à la police de la ville de Montréal. De ces 199 crimes, 79 pour 100 ont été perpétrés contre les minorités raciales : aucun autre groupe n'avait été la cible de ces crimes dans plus de 9 pour 100 des incidents signalés (voir le tableau 10).

Dans l'ensemble, les deux tiers des crimes motivés par la haine signalés à Montréal en 1994 étaient des crimes contre la personne; dans les autres cas il s'agissait de crimes contre les biens. Le tableau 11 fournit une répartition plus détaillée selon le type d'infraction. Il est clair que les voies de fait comptent pour le plus grand pourcentage de rapports de police (34 pour 100).

Il est intéressant de constater les liens entre la nature du crime et le groupe visé. Les crimes motivés par la haine perpétrés contre les gais sont beaucoup plus susceptibles d'entraîner des actes de violence. Par conséquent, près de neut sur dix des crimes motivés par la haine perpétrés contre les gais comportent des actes de violence alors que seulement 30 pour 100 des actes antisémites sont des crimes contre la personne. Les crimes de violence perpétrés contre les personnes de race noire se situent entre ces deux extrêmes : 69 pour 100 des incidents étaient des crimes contre la personne. Le rapport annuel de 1994 conclut, à partir de ces données, que les actes à caractère antisémite sont commis par des organisations racistes, alors que les deux autres catégories d'infractions sont plus susceptibles d'être des actes individuels motivés par l'intolérance raciale.

La collecte de données globales n'a commencé qu'en 1994. Il est donc difficile d'analyser les tendances historiques. Toutefois, un examen des statistiques sur les crimes antisémites révèle que ce type de crime n'a pas beaucoup changé entre 1988 et 1992, alors qu'il y a eu une augmentation assez forte au cours des deux dernières années pour lesquelles nous avons des statistiques (1992 à 1994). Les motifs de cette augmentation ne sont pas clairs même si d'autres pays ont constaté une augmentation semblable. Enfin, les données de Montréal révèlent que plusieurs quartiers ont des taux particulièrement élevés de crimes motivés par la haine. Par conséquent, alors que les deux tiers des quartiers ont des taux relativement semblables, cinq quartiers ont des taux plus de cinq fois supérieurs à la moyenne régionale.

Les données obtenues de la police de Montréal fournissent également des renseignements sur les décisions judiciaires qui ont été prises relativement aux crimes motivés par la haine. Une accusation criminelle a été portée dans 17 pour 100 des 198[15] incidents signalés. Ce pourcentage peut paraître faible, mais il faut tenir compte de deux facteurs. Tout d'abord, un nombre élevé de crimes motivés par la haine sont des crimes contre les biens et il est rare que la police porte une accusation criminelle pour ce type de crime. Par exemple, en 1993 (la dernière année pour laquelle les données sont disponibles), le nombre d'« infractions classées par mise en accusation » pour l'ensemble du Canada (total cumulatif des infractions) était de 16 pour 100 (Centre canadien de la statistique juridique, 1994). Deuxièmement, la recherche effectuée dans d'autres pays révèle qu'il est beaucoup plus difficile de classer par mise en accusation les crimes motivés par la haine. Un taux de mise en accusation pour les crimes motivés par la haine qui est légèrement supérieur au taux moyen de mises en accusation révèle que les organismes policiers ont fait des efforts supplémentaires à l'égard de cette forme de criminalité.

3.2.1.3 Ottawa

L'unité chargée des crimes motivés par les préjugés du service de police de la ville d'Ottawa est peut-être la mieux organisée de l'ensemble du pays. Elle a été créée grâce aux échanges continus entre le service de police et la population de la ville. L'expérience d'Ottawa révèle que lorsque la police et la population travaillent ensemble, elles peuvent trouver des solutions intéressantes aux problèmes spéciaux que soulèvent les crimes motivés par la haine. L'unité d'Ottawa est différente à d'autres égards, comme en fait foi un document récent :

L'unité [chargée des crimes motivés par les préjugés de la police régionale d'Ottawa-Carleton] est différente en ce qu'elle exerce une fonction d'enquête légitime. De plus, elle comporte un service de renseignements et un service responsable de l'éducation. Nous croyons que ces trois composantes sont nécessaires aux fins de s'attaquer efficacement aux problèmes que soulèvent les crimes motivés par les préjugés (Service de police d'Ottawa, 1994: 1).

L'unité chargée des crimes motivés par les préjugés de la police régionale d'Ottawa-Carleton a été créée en janvier 1993. L'unité a été calquée sur le Community Disorders Unit du service de police de Boston qui a adopté une approche communautaire au problème des crimes motivés par la haine fondée sur l'importance de consulter la collectivité. L'unité est formée de deux enquêteurs et d'un sergent. En plus de jouer un rôle en matière de renseignements, l'unité s'occupe également d'éducation communautaire. Les membres de l'unité donnent des conférences aux groupes communautaires, aux groupes minoritaires, de même qu'aux médias d'information.

Dans sa réponse à la demande du ministère de la Justice du Canada, le service de police de la ville d'Ottawa a fourni des statistiques sur les crimes motivés par la haine pour une période de deux ans, soit de janvier 1993 à décembre 1994. En 1993, l'unité spéciale de la police d'Ottawa a enregistré 176 crimes motivés par la haine. En 1994, ce taux s'élevait à 211 crimes. Au cours de la période de deux ans sur lesquels nous possédons des données, 387 crimes motivés par la haine ont été perpétrés. En conformité avec les tendances à Toronto et à Montréal, le tableau 12 révèle que les cibles les plus fréquemment visées par les crimes motivés par la haine étaient les minorités raciales, puis les groupes religieux. Le tableau 13 révèle que les personnes de race noire forment le groupe racial le plus souvent visé. Les incidents antisémites comptent pour presque la totalité (97 pour 100) des crimes à caractère religieux. Des 45 crimes perpétrés contre des individus à cause de leur orientation sexuelle, 93 pour 100 ont été commis contre des personnes de sexe masculin et 7 pour 100 contre des personnes de sexe féminin.

Il est clair que les données sur la ville d'Ottawa révèlent encore une fois qu'il existe un lien entre la nature du crime et le groupe visé. C'est-à-dire que la grande majorité des crimes motivés par la haine perpétrés contre les minorités raciales comportent des actes de violence ou une menace de violence. Les actes de vandalisme perpétrés contre ce groupe constituent un faible pourcentage des incidents. Les crimes à caractère antisémite, par contre, étaient beaucoup plus susceptibles de comporter des méfaits ou des actes de vandalisme.

3.2.1.4 Police provinciale de l'Ontario

La Police provinciale de l'Ontario croit qu'il sera nécessaire d'obtenir des renseignements sur cette question à l'avenir mais, pour l'instant, elle n'a pas encore commencé à recueillir des statistiques sur les crimes motivés par la haine. Il faut souligner toutefois que la police provinciale applique des lignes directrices en matière d'enquête sur les crimes motivés par la haine, lignes directrices qui proposent une définition de ces crimes et qui fournissent des critères précis qui permettent de les reconnaître.

3.2.1.5 Sûreté du Québec

Puisque les crimes motivés par la haine sont surtout perpétrés dans les centres urbains (du moins au Canada), cet organisme ne dispose d'aucune statistique sur ce type d'infraction.

3.2.1.6 Service de police de la ville d'Halifax

Ce service a commencé à compiler des statistiques sur les crimes motivés par la haine en janvier 1994. Le service de police de la ville d'Halifax a adopté des mesures qui assurent que tous ses membres sont conscients de l'existence des crimes motivés par la haine. Le service de police de la ville d'Halifax a nommé un coordinateur des rapports entre les races à qui elle a confié le mandat de favoriser et de promouvoir la connaissance, tant dans la collectivité que dans le service de police, du problème que constituent les crimes motivés par la haine. Ce service de police n'a enregistré que trois crimes motivés par la haine au cours de la plus récente période pour laquelle les données sont disponibles (janvier à octobre 1994).

3.2.1.7 Service de police d'Edmonton.2.1.7 Service de police d'Edmonton

Le service de police d'Edmonton recueille et compile des statistiques sur les crimes motivés par les préjugés depuis septembre 1994. Depuis cette date, tous les membres du service de police ont été formés à réagir aux crimes motivés par la haine. Selon le service de police, il y a eu trois incidents reliés aux crimes motivés par la haine entre les mois de septembre et de novembre 1994. Deux de ces crimes visaient les minorités raciales et le troisième était à caractère antisémite.

3.2.1.8 Autres organismes de police

Enfin, il vaut la peine de souligner que certains organismes de police (telle que la police de Vancouver) ont adopté une politique sur les crimes motivés par la haine et recueillent des statistiques sur ce type de crimes même s'ils n'ont pas participé à l'enquête qui a donné lieu au présent rapport.

3.2.2 Les tendances globales

Les cibles des crimes motivés par la haine diffèrent énormément selon les diverses régions. Le tableau 15 répartit donc les catégories de cibles pour tous les incidents signalés. Les pourcentages sont pondérés aux fins de tenir compte des divergences en matière de signalement et ne comprennent ni les données de B'nai Brith ni les crimes perpétrés contre les gais ou les lesbiennes (que nous examinons plus tard dans le présent rapport). On constate que 61 pour 100 des quelque mille crimes motivés par la haine signalés par la police avaient pour cible les minorités raciales. La deuxième cible la plus fréquemment visée a été les groupes religieux (presque exclusivement des incidents à caractère antisémite). Enfin, les crimes étaient fondés sur l'orientation sexuelle et l'origine ethnique de la victime. Le tableau présente également une répartition des cibles visées par les crimes motivés par la haine aux États-Unis. Il est intéressant de constater que les groupes visés sont très semblables dans les deux pays : les minorités raciales comptent pour près des deux tiers de tous les incidents signalés par la police.

L'analyse des données effectuée dans d'autres pays nous permet de faire une estimation du nombre de crimes motivés par la haine perpétrés au Canada chaque année. Bien entendu, une telle estimation sera hautement spéculative. Néanmoins, en utilisant les statistiques de la police d'Ottawa comme point de départ, nous pouvons formuler quelques théories. Il n'y a aucune raison de croire que la ville d'Ottawa compte un taux moyen plus élevé de crimes motivés par la haine. D'ailleurs, le petit nombre de résidents de cette ville qui ne sont pas de race blanche (par rapport à Toronto par exemple) nous permet de penser qu'une estimation plus large du nombre de crimes motivés par la haine fondée sur les statistiques d'Ottawa ne reflétera probablement pas toute l'ampleur du problème.

Puisque la plupart (mais pas tous) des crimes motivés par la haine sont un phénomène urbain, nous allons limiter notre analyse aux villes d'Halifax, de Montréal, d'Ottawa, de Toronto, de Winnipeg, de Regina, de Calgary, d'Edmonton et de Vancouver.

L'analyse qui suit est fondée sur les statistiques sur la criminalité publiées récemment pour ces villes (voir Hendrick, 1995). Les données portent sur 1994. Au cours de 1994, la police d'Ottawa a enregistré 211 crimes motivés par la haine. Si l'on prend pour acquis un taux de signalement d'un tiers, cela veut dire que 633 incidents vérifiés (c'est-à-dire fondés) ont eu lieu au cours de cette année. Puisqu'Ottawa compte pour 7 pour 100 de toutes les infractions au Code criminel perpétrés dans ces centres urbains, le nombre total de crimes motivés par la haine perpétrés dans ces villes serait légèrement inférieur à 60 000 (59 502). Ce chiffre se rapproche des chiffres obtenus dans d'autres pays. Rappelons qu'il a été estimé que plus de 100 000 crimes à caractère raciste ont été perpétrés au Royaume-Uni et que cette estimation était fondée sur une seule catégorie de crimes motivés par la haine. Si un taux inférieur de signalement était appliqué dans le calcul, le nombre total d'incidents estimé serait, bien entendu, beaucoup plus élevé. Certes, toute estimation devra être vérifiée au moyen d'une recherche fondée sur les enquêtes sur les actes de violence. Mais qu'elle soit précise ou non, une tendance est claire : l'application des statistiques de la police comme unique indice des activités motivées par la haine entraînera une sous-estimation importante de l'ampleur du problème à l'échelle nationale.

Nous l'avons mentionné dans l'introduction, les crimes motivés par la haine comptent parmi les infractions les moins signalées. Par conséquent, toute étude de ces crimes fondée sur le système de justice pénale (c'est-à-dire, fondée sur les incidents signalés par la police) entraînerait une sous-estimation importante de la fréquence de ces incidents, de même qu'une vision erronée de la nature du problème. Pour cette raison, nous allons maintenant examiner les statistiques sur les crimes motivés par la haine provenant de deux sources de l'extérieur du système de justice pénale. Ces deux sources ont été choisies parce qu'elles représentent les groupes les plus souvent visés par ce type d'infraction.

3.2.2.1 Les données de B'nai Brith

Les meilleures données disponibles sur la fréquence des crimes motivés par la haine d'une catégorie en particulier au Canada proviennent de la Ligue des droits de la personne de B'nai Brith Canada. Cet organisme compile des statistiques depuis plus de 10 ans et publie chaque année des données sur les incidents antisémites dans un document intitulé : « Audit of Anti-Semitic Incidents ». Au cours de cette période, la Ligue a toujours appliqué les mêmes définitions (les mêmes critères d'inclusion) et les mêmes mécanismes pour enregistrer les incidents. La base de données constitue donc un dossier historique de grande valeur sur les crimes motivés par la haine au cours des 13 dernières années. Il s'agit donc d'une ressource essentielle pour toute personne qui veut en apprendre davantage sur la fréquence de ces crimes. Les données recueillies portent uniquement sur les actes à caractère antisémite. Toutefois, ces actes comptent parmi les crimes motivés par la haine les plus fréquents au Canada et dans d'autres pays. Nous avons présenté les données de B'nai Brith dans une section distincte du présent rapport parce qu'elles se distinguent, qualitativement parlant, des statistiques compilées par la police (même si certains incidents signalés par B'nai Brith auront probablement également été signalés à la police).

Les incidents signalés dans la base de données sont classés comme actes de vandalisme ou comme harcèlement. La publication annuelle décrit le vandalisme en ces termes :

détérioration de biens, notamment par l'usage des graffiti, des swastikas, par la profanation des cimetières et des synagogues ou d'autres dommages aux biens, les incendies criminels et les autres actes criminels, notamment les vols et les vols avec effraction lorsqu'il peut être déterminé que l'acte était animé par l'antisémitisme (Ligue des droits de la personne, 1995: 3).

« Harcèlement » comprend notamment « la distribution de propagande haineuse antisémite, les lettres racistes et les insultes verbales ou les actes de discrimination contre les individus. Les menaces de mort et les menaces de bombes dirigées contre les individus et les biens de même que toutes les agressions physiques » (Ligue des droits de la personne, 1995: 3).

Il est donc clair que les données de B'nai Brith sont plus inclusives que les statistiques sur les crimes motivés par la haine recueillies par la police. Certains incidents enregistrés dans la base de données de B'nai Brith ne constituent pas des actes criminels même si le tort qu'ils causent à la société est aussi grave ou plus grave et que ces actes pourraient s'avérer encore plus répréhensibles du point de vue de la morale.[16] Les données de B'nai Brith fournissent un aperçu plus large des comportements motivés par la haine qu'il n'est possible d'obtenir des rapports de la police. Pour cette raison les données de B'nai Brith seront qualifiées d'incidents motivés par la haine plutôt que de crimes en soi.

Avant de décrire les tendances récentes en matière d'incidents antisémites, quelques commentaires sur les statistiques de B'nai Brith s'imposent. Tout d'abord, en règle générale, il s'agit d'incidents qui ont été signalés par les victimes elles-mêmes. Les statistiques se distinguent donc de celles de la police qui sont fondées plus souvent sur le rapport d'un témoin. Deuxièmement, tous les rapports d'incidents ne sont pas inscrits dans le rapport annuel. La Ligue des droits de la personne mène une enquête exhaustive sur chaque incident aux fins d'établir que l'acte était réellement motivé par un sentiment antisémite. Troisièmement, B'nai Brith tente d'assurer que les données qui sont obtenues chaque année puissent se comparer aux données antérieures de sorte que la base de données demeure la même quel que soit le fardeau de la preuve appliqué. Les critères d'inclusion sont les mêmes depuis que le système de vérification a été adopté en 1982. En ce sens, à l'échelle nationale, les statistiques de B'nai Brith sont plus exactes que les statistiques du système de justice pénale qui, comme nous l'avons mentionné, sont fondées sur diverses définitions de ce qui constitue un crime motivé par la haine. Enfin, soulignons qu'à l'instar des statistiques de la police, les données de B'nai Brith représentent une fraction des incidents antisémites qui ont lieu dans ce pays. Pour de multiples raisons, un grand nombre d'actes antisémites ne sont signalés ni par la police ni par B'nai Brith. Le rapport de 1994 sur les actes antisémites révèle 290 incidents, mais il faut reconnaître que ce chiffre ne représente qu'une fraction du total réel d'incidents antisémites au Canada.

Le tableau 16 répartit les incidents antisémites enregistrés par la Ligue des droits de la personne depuis 1982. Ce tableau révèle plusieurs tendances. Tout d'abord, il y a eu une augmentation constante du nombre d'incidents antisémites enregistrés au cours de la décennie : en 1982, on comptait 63 tels incidents alors qu'en 1994, dernière année pour laquelle les données sont disponibles, près de 300 incidents ont été enregistrés. Deuxièmement, les actes de harcèlement comptent pour environ les deux tiers de l'ensemble des incidents au cours de cette même période. Troisièmement, il y a eu une augmentation importante du nombre d'incidents signalés au cours des dernières années. Ainsi, 196 incidents ont été signalés en 1992, alors qu'en 1994, il y en a eu 290, soit une augmentation de près de 50 pour 100 en deux ans. Les chiffres sont éloquents, l'antisémitisme constitue un réel problème social au Canada.

Le tableau 17 révèle clairement que les incidents à caractère antisémite signalés à la Ligue des droits de la personne et enregistrés par celle-ci se produisent, pour la plupart, dans trois villes : Montréal, Toronto et Ottawa. Ensemble, ces villes comptent pour plus de 80 pour 100 des incidents antisémites au Canada qui sont consignés dans cette base de données. Cette situation pourrait dépendre de plusieurs facteurs. Les trois villes comportent une population juive assez importante ce qui augmente le nombre de cibles potentielles. De plus, la cueillette de données effectuée par la Ligue des droits de la personne est peut-être plus connue dans ces villes, rendant plus probable le fait qu'une victime transmette ces renseignements à B'nai Brith.

3.2.2.2 Les crimes motivés par la haine dirigés contre les gais et les lesbiennes

Notre rapport s'inspire d'une deuxième source de données extérieure au système de justice pénale, source qui porte essentiellement sur les crimes motivés par la haine dirigés contre les gais et les lesbiennes. Selon la recherche effectuée dans d'autres pays, les gais et les lesbiennes constituent une des cibles principales des crimes motivés par la haine et ce, depuis plusieurs années. De plus, les victimes gaies et lesbiennes sont probablement moins susceptibles de signaler ce type d'infraction à la police que tout autre groupe. Par conséquent, il serait impossible de brosser un portrait global des infractions motivées par la haine au Canada sans l'apport de quelques données sur les crimes dirigés contre les gais et les lesbiennes. Les données fournies dans le présent rapport ne sont pas complètes, bien au contraire; mais elles proviennent d'organismes de deux villes importantes, Toronto et Montréal, et sont susceptibles de révéler l'ampleur du problème au sein de la communauté gaie.

Toronto

Le 519 Church Street Community Centre constitue la principale source de renseignements sur les crimes motivés par la haine à Toronto. Ce centre communautaire a pour activité notamment la création, en 1990, d'une ligne téléphonique d'urgence, le « Gay and Lesbian Bashing Hotline ». Chaque appel téléphonique fait l'objet d'un rapport confidentiel. Ces renseignements sont ensuite transmis à la police qui fait enquête. La ligne téléphonique est accessible durant les heures d'ouverture du centre. À la mi-novembre 1994, le centre a embauché un agent de formation et éducateur à plein temps chargé du programme d'aide aux victimes. Cette personne examine tous les incidents signalés par le biais de la ligne d'urgence. De plus, elle forme les bénévoles chargés de répondre aux appels téléphoniques. La ligne téléphonique est maintenant connue sous le nom de « Lesbian and Gay Bashing Reporting and Information Line ».

Deux mises en garde s'imposent dans l'examen de ces données. Tout d'abord, il est important de souligner qu'à l'instar des statistiques de la police, ces données ne reflètent pas tous les incidents anti-gais qui ont eu lieu à Toronto. Dans la plupart des cas les incidents ne sont, pour diverses raisons, signalés ni à la ligne d'urgence ni à la police.

Deuxièmement, ces données -- comme les données de l'enquête britannique sur la criminalité, (mais contrairement aux statistiques de la police) -- sont fondées sur des rapports d'incidents qui, selon la victime, étaient motivés par la haine. Il est possible que quelques-uns de ces incidents n'aient pas été motivés par la haine contre les gais et les lesbiennes, mais qu'ils aient été perçus ainsi par la victime.[17]

Plus de 90 pour 100 des appels téléphoniques à la ligne d'urgence de Toronto ont été placés par des gais de sexe masculin, mais cela ne veut pas dire que les lesbiennes sont moins susceptibles d'être harcelées ou agressées à cause de leur orientation sexuelle. Aucune preuve directe n'est disponible au Canada, mais la recherche effectuée dans d'autres pays révèle que cette différence (neuf à un) serait due au fait que les gais et les lesbiennes n'ont pas la même volonté de signaler ce type d'incidents soit à une ligne téléphonique soit à la police et qu'en fait, les lesbiennes sont presque aussi susceptibles d'être visées par les crimes motivés par la haine que les homosexuels.

Le tableau 18 présente une répartition des incidents signalés à la ligne téléphonique entre le 1er janvier 1990 et le 1er avril 1995. Il appert, d'après ce tableau, que les voies de fait sont très nombreuses : près de la moitié (46 pour 100) des incidents signalés comportent un acte de violence physique. Près d'un tiers des incidents comportent une forme de harcèlement verbale alors que 15 pour 100 d'entre eux sont des menaces quelconques. Dans moins de 10 pour 100 des incidents signalés, il s'agit d'un vol ou d'un acte de vandalisme motivé par la haine. Douze incidents qui ne sont pas inscrits au tableau 18 portaient sur des actes de violence perpétrés par des agents de police contre des gais. Le tableau 19 permet de comprendre la gravité des incidents signalés à la ligne téléphonique pour 50 pour 100 des répondants qui ont déclaré avoir subi des blessures. Tous les répondants souffraient de contusions et plus d'un sur cinq avait subi une fracture (les pourcentages sont supérieurs à 100 pour 100 à cause des réponses multiples). Le tiers des 22 blessures à la tête étaient des commotions cérébrales.Ces données permettent de penser que les crimes de violence dirigés contre les gais et les lesbiennes entraînent des blessures plus graves que la moyenne des voies de fait. L'enquête DUC révisée contient des renseignements sur la gravité des voies de fait signalées à l'ensemble des corps policiers canadiens. Les statistiques récentes révèlent que, de l'ensemble des voies de fait dirigées contre les victimes de sexe masculin, moins d'un cas sur dix signalé à la police avait entraîné des blessures graves (voir Roberts, 1994c: 83). Ces données sont également compatibles avec la recherche effectuée aux États-Unis.

Une majorité des incidents (53 pour 100) n'avait pas été signalée à la police. Environ 40 pour 100 des incidents avaient été signalés à la police et, de plus, trois autres personnes avaient l'intention de signaler l'incident. Ces renseignements n'étaient pas disponibles dans 14 cas (nous ne disposons d'aucun renseignement sur les raisons pour lesquelles les victimes individuelles n'avaient pas signalé l'incident). La plupart des incidents n'étant pas signalés à la police cela expliquerait le petit nombre de mesures officielles adoptées par le système de justice pénale. Le service téléphonique a enregistré 239 incidents dont seulement 104 incidents ont été signalés à la police. De ces derniers, huit ont entraîné une mise en accusation et, dans deux cas seulement, les contrevenants ont été déclarés coupables. Peu d'infractions entraînent une déclaration de culpabilité, mais les renseignements recueillis par le 519 Church Street Toronto Hotline révèlent qu'un pourcentage encore plus faible de crimes motivés par la haine entraînent ce résultat.

Les données récentes publiées par Statistique Canada révèlent qu'en moyenne, environ un crime sur vingt entraîne une déclaration de culpabilité. Le pourcentage des crimes motivés par la haine qui entraîne une déclaration de culpabilité est nettement inférieur.

Bien entendu, une analyse des appels reçus sur une ligne d'urgence ne saurait remplacer une recherche systématique. Pour des raisons évidentes, ces appels pourraient nous donner une fausse image des actes de violence perpétrés contre la communauté gaie.

Néanmoins, en l'absence d'une recherche plus rigoureuse, cette source de renseignements est la meilleure disponible. Toutefois, il sera bientôt possible d'obtenir des données plus fiables sur les incidents dirigés contre les gais à Toronto. Le 519 Church Street Community Centre a mené une enquête sur la communauté gaie et lesbienne de Toronto au cours de 1995. Le questionnaire comportait plusieurs questions détaillées sur le harcèlement et les attaques physiques et verbales. Puisqu'il s'agissait d'une enquête plutôt que d'une analyse des appels téléphoniques, les réponses seront plus susceptibles de fournir des données précises sur la violence dirigée contre les gais dans la ville de Toronto[18].

3.2.2.2 Les crimes motivés par la haine dirigés contre les gais et les lesbiennes
Montréal

Malheureusement, les seules statistiques dont nous disposons sur les crimes motivés par la haine à Montréal proviennent des services de police. Quant aux données de l'extérieur du système de justice pénale, elles proviennent d'une étude effectuée par la Table de concertation des lesbiennes et des gais du Grand Montréal. Cette étude a été effectuée au cours d'une période de trois mois en 1993 et a pris fin à cause d'une pénurie de ressources. Au cours de cette période, 54 incidents ont été signalés. Il s'agissait toutefois, dans certains cas, (comme dans d'autres enquêtes sur les actes de violence) d'incidents qui s'étaient produits avant la période à l'étude. Par conséquent, il est impossible de tirer des conclusions sur le nombre d'incidents et de préciser s'il y a plus de crimes dirigés contre les gais à Montréal qu'à Toronto. Toutefois, les données sont utiles en ce qu'elles fournissent des renseignements sur la nature des infractions. Les statistiques de Montréal confirment les conclusions tirées à Toronto. Ainsi, plus de la moitié des incidents comportaient des actes de violence. En fait, les incidents signalés le plus souvent étaient des voies de fait. Presque toutes les victimes (83 pour 100) étaient des hommes gais. Près de la moitié des incidents avaient entraîné des blessures corporelles et un quart des incidents avaient entraîné une perte matérielle quelconque.

Ces données confirment les conclusions d'autres pays qui révèlent que les crimes motivés par la haine dirigés contre la communauté gaie sont plus susceptibles d'être des crimes de violence ou de menaces de violence que les crimes motivés par la haine dirigés contre d'autres groupes.

Avant de clore cette section sur les données de Montréal, soulignons l'existence, dans cette ville, de la forme la plus extrême de crimes motivés par la haine. En décembre 1992, deux hommes gais ont été assassinés par des groupes d'adolescents et, depuis, il y a eu plusieurs autres incidents semblables. Entre 1988 et 1995, trente individus gais ont été assassinés dans des circonstances qui permettent de croire à des actes homophobes. En mars 1995, le Globe and Mail relatait le décès de l'acteur québécois, Richard Niquette, poignardé à mort par des hommes qui s'attaquaient aux homosexuels. Le Globe a souligné que Niquette était « le 19e homme gai à être assassiné dans des circonstances semblables au cours des quatre dernières années » (Globe and Mail, 3 mars 1995). Cette forme la plus extrême de crimes motivés par la haine qui peut frapper d'épouvante tous les membres d'une collectivité doit être attaquée vigoureusement par le système de justice pénale, à commencer par les services de police.

Enfin, il faut souligner que certains répondants des deux villes ont signalé des actes de violence perpétrés par des agents de police. Le bien-fondé de ces accusations n'a pas encore été établi, et jusqu'à ce que des éléments de preuve soient produits il ne serait pas prudent de juger les policiers visés. Toutefois, les actes de violence perpétrés par les agents de police sont, bien entendu, beaucoup plus graves que des crimes semblables perpétrés par les personnes ordinaires puisqu'ils minent la confiance du public et réduisent encore davantage la probabilité que ces crimes soient signalés au système de justice pénale.