ALLÉGATIONS DE VIOLENCE ENVERS LES ENFANTS LORSQUE LES PARENTS SONT SÉPARÉS : DOCUMENT DE TRAVAIL

2001-FCY-4F

2.0 RÉPONSES ACTUELLES AUX ALLÉGATIONS DE VIOLENCE ENVERS LES ENFANTS

Ce chapitre porte sur la première grande question à débattre : Quelles sont les réponses actuelles aux allégations de violence envers les enfants faites par les services de protection de l'enfance et par la justice civile et pénale?  La réponse juridique et l'enquête suite à un signalement de violence envers les enfants sont brièvement décrites ci-dessous.

L'ensemble des provinces et des territoires au Canada ont des lois qui encouragent ou requièrent le signalement de violences présumées envers un enfant auprès d'une agence de protection de l'enfance (ou des policiers qui vont ensuite communiquer avec l'agence) pour qu'elle puisse enquêter et prendre les mesures pour protéger l'enfant si ce dernier est vraiment en danger.  Dans toutes les provinces du Canada, sauf au Yukon, si une personne a des motifs raisonnables de croire qu'un enfant est en danger de subir des actes de violence, elle est tenue de le signaler.  En application de ces lois, le signalement requiert seulement des « soupçons raisonnables ».  Si le père ou la mère déclare à un médecin, travailleur social ou thérapeute qu'il a des soupçons de violence faite à un enfant, ce professionnel est tenu légalement à signaler ces faits auprès d'une agence de protection de l'enfance.  Dans certaines provinces, comme l'Ontario, les législations provinciales punissent seulement les professionnels qui omettent de les signaler.  Une personne qui fait de bonne foi et avec des motifs raisonnables une déclaration relativement à des violences envers un enfant bénéficie d'une immunité contre toute action au civil même si l'on découvre par la suite que la déclaration est non fondée ce qui, dans d'autres circonstances, pourrait être considéré comme un acte diffamatoire.

2.1  Intervention de l'agence de protection de l'enfance

Quand le père ou la mère croit que son enfant a été maltraité, une agence de protection de l'enfance va probablement s'occuper du cas.  Quelquefois, le père ou la mère qui accuse communique avec l'agence; dans d'autres situations, un médecin ou un professionnel de la santé mentale est d'abord contacté; ces derniers sont alors obligés de dénoncer le cas présumé de violence en vertu de la loi obligeant à signaler les cas d'enfants victimes de violence.  Quand une agence de protection de l'enfance commence son enquête, il est probable qu'elle veut prendre des mesures pour assurer la sécurité immédiate de l'enfant.

Si, par exemple, l'allégation est contre le père ou la mère ayant le droit de visite, l'agence peut demander au tribunal la suspension du droit de visite accordé à celui qui est soupçonné de violence envers l'enfant en vertu de la législation sur la protection de l'enfance.  Généralement, sous la menace d'une action en justice si un consentement n'est pas obtenu, l'agence va « requérir » une suspension volontaire ou un accès sous surveillance.  L'agresseur soupçonné veut généralement montrer qu'il désire collaborer et un avocat peut l'informer que le tribunal va probablement au tout début « agir par excès de prudence » et peut être d'accord pour restreindre les conditions d'accès à l'enfant.

Les enquêtes de violence présumée par l'un des parents ayant le droit de visite sont souvent des cas complexes qu'il faut examiner avec soin et elles peuvent prendre des mois à terminer.  Si l'agence arrive à la conclusion que l'un des parents est l'auteur de la violence, la loi confère généralement à l'agence le droit de demander une sorte d'ordonnance du tribunal pour protéger l'enfant.

Bien que les pratiques de chaque agence puissent varier, si les parents ont déjà intenté des poursuites prévues par le droit de la famille (c.-à-d., obtenir le droit de visite ou une ordonnance accordant la garde des enfants), l'agence renonce souvent à présenter auprès du tribunal une demande de protection de l'enfant.  Plutôt, elle va compter sur le père ou la mère qui accuse pour obtenir une décision judiciaire qui va protéger l'enfant.  Dans certains cas, l'agence peut encourager celui qui accuse de faire une demande en vertu du droit de la famille.  Elle peut même menacer que dans le cas où le père ou la mère qui accuse ne réussit pas à prendre des mesures appropriées pour protéger l'enfant, l'agence présentera une demande de protection avec le résultat que l'enfant peut être mis sous la surveillance ou la garde de l'agence.  Même si l'agence n'a pas présenté une demande auprès du tribunal, les travailleurs de l'agence peuvent encore témoigner dans la cause concernant le droit de la famille ou on peut leur demander de surveiller les visites par l'agresseur soupçonné.[8]  Toutefois, il existe des cas où le père ou la mère qui accuse peut décider de ne pas intenter des poursuites prévues par le droit de la famille, habituellement pour des raisons financières ou l'agence peut avoir des préoccupations particulières et décider à intenter les poursuites prévues par le droit de la famille.[9]

Si la preuve de violence est non concluante et l'agence considère le cas comme non fondé, ou les allégations de violence sont moins graves, l'agence peut décider qu'aucune autre action de sa part n'est justifiée.  Le père ou la mère qui accuse peut encore intenter une action en justice en vertu du droit de la famille et il est possible que celui qui accuse contraint les travailleurs à la protection de l'enfance à témoigner.

2.2  Participation du système de justice pénale

Si un travailleur à la protection de l'enfance est convaincu qu'il existe de forts éléments de preuve de violence grave, le travailleur, en plus de prendre des mesures de protection, va probablement contacter la police pour qu'elle puisse enquêter et déterminer s'il faut porter des accusations criminelles.  Dans de nombreuses collectivités, il existe un « protocole » à observer pour mener une enquête conjointe.  Parfois, le père ou la mère qui allègue une violence dans le contexte de parents séparés communiquera directement avec la police.  Souvent, l'enquête de la police est compliquée dans les cas résultant d'une situation de parents séparés car, du moment où l'enfant a fait sa première « divulgation » présumée, une période assez longue s'écoule avant que la police soit informée et débute son enquête.  Étant donné la nature du processus criminel, c'est seulement lorsqu'il existe des éléments de preuve très concluants que des accusations criminelles seront portées et il est relativement rare d'avoir en même temps des poursuites au criminel et au civil, quoique cela puisse arriver.

Il est beaucoup plus difficile de faire la preuve de violence dans une procédure au pénal que dans celle au civil.  Pour une condamnation au criminel, il faut établir une preuve hors de tout doute raisonnable, tandis qu'au civil, il faut seulement établir la preuve par la prépondérance des probabilités.  De plus, les règles relatives à l'établissement de la preuve au criminel et la Charte canadienne des droits et libertés peuvent exclure des modes de preuve dans une procédure qui seraient reconnus en matière civile, comme la protection de l'enfant ou le droit de la famille.  Par exemple, concernant les divulgations extrajudiciaires de violence envers des enfants, il est beaucoup plus facile au civil de recueillir une preuve d'ouï-dire.

Les juges en matière criminelle n'ignorent pas la dynamique de la séparation des parents et sont probablement sensibles à la possibilité d'allégations fabriquées ou exagérées.  Il n'est pas rare qu'un juge dans un procès criminel acquitte l'accusé, mais qu'il souligne que cet acquittement est la conséquence de l'application de normes de preuves élevées et qu'il fait part de ses préoccupations au sujet de l'enfant qui aurait pu être maltraité par l'un des parents.[10]

Si des accusations criminelles sont portées, cela sera susceptible de supplanter le règlement de la procédure sur le droit de la famille, à moins que l'on se soit prononcé sur les accusations criminelles.  Une condition habituelle d'une mise en liberté judiciaire au sein de la communauté avant le procès criminel est d'interdire tout contact avec la victime présumée ou au moins une surveillance étroite des visites.  Dans certaines causes, le juge en matière criminelle va libérer l'accusé à la condition qu'il ne rentre pas en contact avec l'enfant à moins qu'une ordonnance d'un juge en matière du droit de la famille l'autorise.  La Charte canadienne des droits et libertés garantit qu'un procès criminel doit avoir lieu dans un délai raisonnable et un tel procès se déroulera habituellement avant le règlement complet d'une instance civile.[11]

Si la personne accusée de violence a en même temps un procès au criminel et au civil, elle aura souvent des avocats distincts pour chacun des procès, bien qu'il soit hautement recommandé que ces deux avocats communiquent entre eux et coordonnent leurs efforts.[12] L'avocat de la défense dans un procès au pénal sera en règle générale tout à fait opposé à ce que la personne accusée d'une infraction criminelle soit autorisée à témoigner dans un procès civil portant sur la même affaire et va demander que la procédure civile soit ajournée jusqu'à ce que l'affaire soit tranchée au pénal.  Si l'accusé dépose un affidavit ou témoigne lors d'une instance civile (par exemple une demande d'accès provisoire), le procureur de la Couronne peut utiliser les inconsistances entre cet affidavit et le témoignage dans un procès criminel ultérieur pour attaquer la crédibilité de l'accusé.[13]  De même, si le père ou la mère témoigne dans un procès criminel, il est possible d'utiliser les inconsistances entre ce témoignage et la preuve présentée dans un procès ultérieur en matière de droit de la famille pour attaquer la crédibilité de cette personne.

Si l'accusé est reconnu coupable de violence dans un procès au criminel, un juge siégeant dans un procès en matière de droit de la famille se déroulant après un procès criminel va probablement considérer la condamnation au criminel comme une preuve extrêmement forte ou concluante que la violence s'est produite.[14]  En théorie, le fait qu'une personne agresse un enfant ne détermine pas si c'est dans le « meilleur intérêt » de l'enfant de s'éloigner de l'agresseur.  En pratique, cependant, si l'accusé est reconnu coupable de violence envers un enfant dans un procès au criminel, il est peu probable d'avoir une audience en matière de droit de la famille sur la question à savoir si violence a eu lieu et l'agresseur condamné ne va probablement pas demander, du moins dans l'immédiat, un droit de visite pour son enfant.

Le fait que l'agresseur présumé ne soit pas mis en accusation, ou qu'il soit jugé et acquitté dans un procès criminel, ne lie pas un juge dans une procédure civile.  Il est courant qu'un agresseur présumé soit acquitté par un tribunal en matière criminelle et qu'on soulève ensuite de nouveau les allégations de violence dans un procès en matière de droit civil où les règles de la preuve et les normes de preuve sont plus faciles pour établir la preuve que la violence s'est produite. Quelquefois, les accusations au criminel contre l'agresseur présumé sont rejetées à cause d'une violation de ses droits par la police ou la Couronne en vertu de la Charte; cette sorte de rejet n'empêche pas un juge en matière de droit de la famille d'étudier l'allégation de violence.[15]  En outre, même si on n'a pas rendu de décision formelle en matière criminelle ou de droit de la famille déclarant que l'agresseur présumé ait agressé l'enfant, des préoccupations au sujet des aptitudes par une personne acquittée au criminel à pouvoir prendre soin de l'enfant peuvent conduire au refus de la garde de l'enfant.[16]

Bien qu'une condamnation au criminel pour violence envers un enfant ait souvent pour effet la fin du droit de visite, un juge en matière de droit de la famille doit considérer s'il est dans le « meilleur intérêt » pour l'enfant de continuer d'avoir des liens ou de les reprendre.  L'enfant agressé éprouve souvent de l'affection pour celui des parents qui l'a agressé, même s'il a été maltraité.  Un tribunal en matière de droit de la famille peut accorder un droit de visite à un agresseur condamné s'il est convaincu que cela est dans le meilleur intérêt de l'enfant.  Il convient de convaincre le juge que les enfants ne sont pas en danger, en prévoyant, plus spécialement au début, une surveillance et en justifiant de sa réhabilitation.  Il convient de convaincre le juge que les visites favorisent réellement le bien-être de l'enfant et il ne faut pas permettre les visites simplement sur la notion de droits des parents.[17]

Si l'agresseur présumé n'est pas déclaré coupable au pénal, le père ou la mère qui accuse ou les autre intervenants dans la cause peuvent avoir tendance à accepter la décision pour les besoins du procès civil.  Souvent l'agresseur présumé va trouver un réconfort psychologique de son acquittement au criminel ou de la décision de la Couronne de ne pas intenter des poursuites.  En effet, dans des causes en matière de droit de la famille, le juge a accordé à l'agresseur présumé un droit de visite provisoire en tenant compte du fait que la police n'a pas porté des accusations[18] Toutefois, en tenant compte des différences dans ces procédures, il semble contre-indiqué pour un juge en matière de droit de la famille de donner beaucoup de poids à une décision de la police de ne pas porter une accusation ou à un acquittement au criminel.

2.3  Procédure en matière de droit de la famille

Au Canada, toutes les lois au fédéral et au provincial en matière de droit de la famille prévoient que les conflits sur le droit de visite et de garde soient résolus d'après l'évaluation par le tribunal du « meilleur intérêt » de l'enfant.  Seulement Terre-Neuve a des dispositions législatives qui prévoient expressément que la violence est un facteur à considérer dans les affaires de visite ou de garde d'enfants[19]  Bien que les lois ne fassent pas expressément mention de la violence, si une allégation de violence est faite, elle devient généralement le centre des débats pour les parents et le tribunal.  Les témoignages des professionnels de la santé mentale, des travailleurs sociaux et des examinateurs sont très importants dans ces affaires mais ils ne sont en aucune façon déterminants et, dans les affaires qui peuvent faire l'objet d'un procès, les professionnels et les experts peuvent différer sur la probabilité que des actes de violence ont été commis.

2.3.1 Droit de visite provisoire

Une des conséquences les plus urgentes résultant de ce genre d'allégations est de savoir s'il faut interdire tout contact entre l'agresseur présumé et l'enfant.  De la jurisprudence, il semble qu'en présence d'une allégation de violence, particulièrement dans le cas de violence sexuelle la plupart des juges ont tendance à « agir par excès de prudence » en attendant une audition.[20]  Les auditions provisoires sont généralement décidées sur la base d'affidavits des parents et d'enquêteurs ou d'autres intervenants qui ont été impliqués dans l'affaire.  À ce stade, il y a peu de chances que l'un des parents accusés puisse répondre à l'allégation, quoiqu'il soit arrivé dans quelques décisions publiées que les juges aient décidé de maintenir, même à l'audience provisoire, le droit de visite sans supervision à cause de la faiblesse de la preuve présentée pour appuyer l'allégation.[21]  Les juges sont généralement préparés à suspendre à ce stade le droit de visite sans surveillance s'il existe de « véritables préoccupations » au sujet de violence possible, sans qu'il ait eu vraiment de décision selon les normes de preuve au civil que des actes de violence ont été commis.[22]  Si une agence de protection de l'enfance intervient, elle recommande souvent une suspension immédiate du droit de visite.[23]

En règle générale, le tribunal n'autorise dans ces causes que le droit de visite avec surveillance ou, si cette mesure n'est pas possible, il met fin aux visites en attendant un procès.  Souvent, l'avocat conseille à l'agresseur présumé d'accepter un droit de visite avec surveillance sur une base provisoire, même si l'allégation n'est pas fondée.  Ce comportement réduit les possibilités que d'autres allégations soient faites, montre une juste préoccupation au sujet de l'enfant et évite de témoigner, car ce témoignage pourrait servir lors d'un contre-interrogatoire du père ou de la mère ou si l'un ou l'autre est accusé au criminel et doit témoigner.[24]  Quoique les agresseurs présumés trouvent décourageant les restrictions apportées, particulièrement dans les causes où l'allégation est finalement trouvée non fondée, il est compréhensible que les juges ne veulent pas prendre des risques avec la sécurité de l'enfant.  L'avocat qui représente une personne contre qui on a porté une allégation va essayer de s'assurer que le droit de visite le plus large possible soit maintenu en attendant le procès, avec une modalité de surveillance satisfaisante pour le tribunal.

2.3.2  La norme de preuve : prépondérance des probabilités ou est-ce que le risque certain est suffisant?

Les juges canadiens n'ont pas une approche systématique du problème d'incertitude concernant des allégations de violence dans les procès en matière de droit de la famille.  La plupart des jugements exigent que la personne faisant une allégation doive faire la preuve devant le tribunal qu'il est plus que probable que la violence a eu lieu - la norme de preuve de la prépondérance des probabilités.[25]  Toutefois, certaines causes ont porté surtout sur la question du « meilleur intérêt » de l'enfant et ont considéré les situations où il existe « de graves préoccupations » au sujet de la violence, mais le juge est incapable de conclure à l'évidence que la violence s'est produite.  Les juges qui suivent cette approche peuvent décider de ne pas arrêter les rapports existants avec un agresseur présumé et peuvent autoriser la visite sous surveillance ou peuvent décider de mettre fin aux visites si l'enfant semble craindre l'agresseur présumé, même si la violence n'est pas prouvée.[26]  Dans certaines causes, le juge conclut que même en appliquant la norme de preuve la plus faible, les faits présentés sont insuffisants pour conclure qu'il y a « un risque certain » de l'existence de violence envers les enfants par le père ou la mère accusé et accorde un droit de visite sans restriction.[27]

2.3.3  Allégations fondées

En règle générale, si un juge en matière de droit de la famille statue que l'allégation de violence est fondée, il mettra fin au droit de visite accordé à l'agresseur ou au moins une surveillance étroite sera établie.  Toutefois, dans certaines causes, un juge peut autoriser des visites sans surveillance même après avoir conclu que la violence a eu lieu, s'il est convaincu que l'enfant ne sera pas en danger à l'avenir.  Les juges reconnaissent que même dans les cas où les enfants ont subi des violences, ils peuvent vouloir maintenir certains rapports avec celui des parents qui a des antécédents de comportement violent envers l'enfant.  On accorde plus facilement le droit de visite sans surveillance au père ou à la mère ayant eu un comportement violent à la condition que cette personne reconnaisse le problème et ait subi un traitement, et que leur enfant soit plus âgé, ce qui rend plus probable un signalement par ce dernier de tout comportement inapproprié.[28] Dans certaines causes, l'agresseur est une personne qui habite avec le père ou la mère ou leur rend visite, par exemple le petit ami de la mère ou l'enfant plus vieux d'un premier mariage, et le tribunal peut accorder au père ou à la mère un droit de visite si le tribunal est convaincu que l'agresseur ne sera pas sur les lieux lors de la visite de l'enfant.[29]

Dans certaines causes, bien que toutes les allégations de violence n'aient pas pu être prouvées, le tribunal arrive à la conclusion que la preuve de violence est suffisante pour mettre fin aux relations avec l'un des parents ou les réduire.  Dans E.H. c. T.G, des témoignages d'expert confirmaient l'affirmation de la mère prétendant que ses deux enfants ont été l'objet de violence sexuelle ou physique lors des visites de leur père.  Un des enfants, alors âgé de huit ans a témoigné que leur père n'a pas agressé sexuellement les enfants et le juge de première instance a autorisé des visites sans surveillance.  La Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse a décidé qu'il y avait assez d'éléments de preuve de sévices physiques et psychologiques lors des visites pour qu'il soit mis fin au droit de visite, même si la preuve de la violence n'a pas été établie.[30]

2.4 Visite sous surveillance dans le cas de violence présumée envers les enfants

Lorsqu'une enquête est en cours relativement à des allégations de violence envers un enfant, il existe plusieurs options au sujet de l'accès auprès de l'enfant par le père ou la mère accusé.  Selon l'évaluation des dangers concernant l'enfant, si le père ou la mère accusé a la garde de l'enfant, il est alors possible que l'enfant soit pris en charge par les autorités de la protection de l'enfance.  Si le père ou la mère accusé n'a pas la garde, un tribunal agissant en vertu de la législation sur le bien-être social, la législation sur le droit de la famille ou même du Code criminel peut refuser l'accès ou le droit de visite sous surveillance, quoique dans certaines causes, aucune restriction ne limite le droit de visite.  (Une discussion en profondeur sur la façon d'évaluer les allégations de violence envers les enfants faites dans le contexte de parents séparés sort du cadre de ce rapport.  Toutefois, il existe une importante documentation sur le sujet et les lecteurs intéressés peuvent consulter la bibliographie sommaire figurant à l'annexe B.)

Il est généralement reconnu que, lorsque les parents se séparent, cela se passe mieux pour les enfants si des rapports sont maintenus avec le père et la mère dans un climat de collaboration (Wallerstein & Kelly, 1980; Macc& Mnookin, 1992).  Mais lorsqu'une allégation est faite, la sécurité de l'enfant est ce qui compte le plus.  L'accès sous surveillance est une stratégie pour maintenir les liens entre le père ou la mère accusé et un enfant tout en protégeant l'enfant contre des sévices physiques ou sexuels.

Une personne tel qu'un travailleur chargé de la protection de l'enfance, un volontaire ou un membre de la famille peut assurer la surveillance ou elle peut se faire par l'intermédiaire d'un programme administré par une agence de service social ou un centre de visites.  Une variété de services peut être offerts par un centre ou un programme, y compris :

2.4.1 Programmes de visites sous surveillance

Les centres et les programmes de visites protègent les enfants contre la violence et les enlèvements, tout en donnant aux parents violents l'accès à leurs enfants dans un cadre qui favorise d'authentiques rapports entre parents-enfants.  Les programmes de visites sous surveillance peuvent aussi avoir un rôle important en permettant le maintien des relations parents-enfants pendant le déroulement d'une enquête sur la violence.  Les programmes peuvent aussi avoir une importante fonction en cas de grave conflit entre parents sans situation de violence envers les enfants.

D'autres pays ont reconnu que les centres de visites sous surveillance sont des ressources importantes et nécessaires pour protéger les enfants contre la violence.  Ces centres interviennent généralement dans les cas où les parents se poursuivent l'un contre l'autre et, dans certains secteurs de compétence, dans les cas de protection des enfants où l'agence a retiré un enfant de la garde des parents.  De plus amples renseignements à ce sujet provenant des États-Unis et du Canada, de l'Australie, et de l'Angleterre et du Pays de Galles sont donnés ci-après.

États-Unis et Canada

Une vaste étude sur les services de visites sous surveillance par Pearson et Thoennes (1998) donne une image des services actuels de visites sous surveillance disponibles en Amérique du Nord, des besoins perçus pour les services et des questions à relever par les fournisseurs de service.  Les données ont été recueillies auprès de 94 programmes aux États-Unis et aux Canada, de 51 juges et administrateurs du tribunal de la famille, de 40 administrateurs d'agences de services de protection de l'enfance et également suite aux entrevues en profondeur de professionnels du programme dans cinq collectivités choisies des États-Unis.

Les chercheurs ont conclu que les programmes de visites sous surveillance remplissent un important besoin.  Les professionnels de la protection de l'enfance reconnaissent les bénéfices des rapports parents-enfants et les juges ont souvent le sentiment que les visites sous surveillance sont l'unique réponse adaptée aux besoins.  Toutefois, les ressources disponibles ne suffisent pas aux besoins.  Les administrateurs de la protection de l'enfance interrogés ont déclaré que la majorité des surveillances de visite sont faites par ses travailleurs en service social individualisé de l'agence (69 p. 100) et 85 p. 100 d'entre eux disent qu'ils manquent de temps pour surveiller les visites ordonnées par les tribunaux.  Les administrateurs d'agence ont aussi exprimé un besoin pour des visites faites dans un environnement en dehors des bureaux et après les heures de travail, soit en soirée et les fins de semaine.

Les juges interrogés ont dit qu'il y a un manque des ressources pour des visites sous surveillance. Tandis que plus d'un tiers (30 p. 100) déclarent qu'ils utilisent la famille et des amis comme surveillants, les trois-quarts d'entre eux ont des doutes sur leur rôle.  Les juges estiment qu'ils ordonnent des visites sous surveillance dans moins de cinq p. cent des dépôts de divorce de leur ressort, mais 60 p. 100 ont le sentiment que ces services sont requis dans au moins deux fois plus de causes.

Selon Pearson et Thoennes (1998), 67 p. 100 des administrateurs de programmes de visites interrogés ont cité le manque de fonds comme un problème majeur, plus spécialement pour les programmes qui traitent des causes sur le droit de visite et la garde des enfants en matière de droit de la famille.  Alors que les frais d'utilisation sont la principale et unique source de financement, ils ne représentent seulement que 31 p. 100 du budget du programme.  Environ la moitié (51 p. 100) des programmes visés par l'enquête offrent à la fois la surveillance pour les cas nécessitant la protection de l'enfant et les familles en instance de divorce ayant un litige portant sur les visites; un tiers (33 p. 100) s'occupe seulement des familles en instance de divorce ou de séparation et 16 p. 100 s'occupent seulement des cas nécessitant la protection de l'enfant.

Dans un cas normal, les services de visites sous surveillance sont offerts pour environ huit à neuf mois, avec une moyenne de 4, 3 visites par mois pour une durée de deux heures environ. D'ordinaire, la visite se fait dans le cadre individualisé d'un établissement prévu pour les visites. La plupart des programmes recourent aux bénévoles et les cas viennent presque exclusivement de cas déférés par les tribunaux.  Les administrateurs de programme ont fait entendre leurs préoccupations au sujet du manque de fonds et d'établissements.

Pearson et Thoennes (1998) ont constaté que les personnes interrogées sont en désaccord sur le rôle que les surveillants affectés aux visites doivent jouer dans l'évaluation et le traitement.  La plupart des juges et des administrateurs du tribunal (86 p. 100) ont souligné qu'il était « très important » ou « plutôt important » que le surveillant donne sa recommandation au tribunal sur la validité de l'allégation qui a conduit au renvoi pour aider le tribunal à déterminer les arrangements convenables pour la garde et le droit de visite.  Les surveillants affectés aux visites ont déclaré également qu'ils aimeraient jouer un rôle plus actif en donnant leurs commentaires au tribunal sur les familles (80 p. 100) et en proposant des modèles de comportement valables de rapports parents-enfants (60 p. 100).  Les directeurs de programme ont exprimé les préoccupations suivantes au sujet des surveillants ayant un rôle de conseiller auprès du tribunal au sujet de la validité des allégations de violence ou de la garde des enfants et du droit de visite en général :

  1. la compétence des surveillants pour faire des recommandations auprès des tribunaux au sujet du droit de visite ou de la garde des enfants;
  2. la crainte qu'ils perdraient leur neutralité perçue et ainsi diminueraient leur capacité de traiter d'une manière effective les parents;
  3. les questions concernant leur responsabilité.

La conclusion des auteurs est la suivante : 

Les programmes de visites sous surveillance viennent en aide au tribunal de la famille et aux agences de services de protection de l'enfance qui agissent au sein d'une faible population vraiment dans le besoin.  En l'absence de tels programmes, les rapports parents-enfants seraient inexistants ou se feraient dans un cadre sujet à caution.  Toutefois, les programmes de visites fonctionnent mieux s'ils sont complémentaires aux interventions thérapeutiques.  Beaucoup de familles soignées ont de graves problèmes de dysfonctionnement qui ne sont pas traités par de simples visites dans un environnement sécuritaire.  Ils veulent et ont besoin de traitements et d'évaluations plus élaborées par du personnel formé qui peut s'occuper des allégations qui sont à l'origine de leur participation au programme.  Généralement, ils manquent de ressources financières pour l'achat de traitements et d'évaluations coûteuses (Pearson & Thoennes, 1998: 21).

Il n'existe rien d'écrit sur les établissements canadiens (à part l'étude de Pearson et Thoennes [1998]) et cette étude ne fait pas de distinction entre les établissements canadiens et américains. Toutefois, il semblerait qu'au Canada, les programmes de droit de visite sous surveillance seraient moins axés sur les cas de protection de l'enfant et plus exclusivement sur les cas de droit de la famille.

Australie

En Australie, les « contact services  » ou les services pour faciliter les contacts avec les enfants sont exploités par des organismes sans but lucratif ou communautaires qui fournissent le transport des transferts, la surveillance des transferts sur place ou ailleurs et la surveillance d'une visite de contact sur place ou ailleurs.  Le ministère du Procureur général de l'Australie a créé dix « contact services » à travers le pays de 1996 à 1997 et a mis en place un vaste projet d'évaluation et de recherche sur deux ans qui est actuellement mené sur les « contact services » (Strategic Partners Pty Ltd., 1998).  Les conclusions du rapport intitulé « Year One Report » sont tout à fait encourageantes.  On a constaté une uniformité importante des prestations de service ainsi qu'une cohérence de la philosophie sous-jacente.  Les services à la famille et ceux de l'aide juridique fournissent la majorité des fonds pour les services (95 p. 100); les droits au client et les autres contributions non gouvernementales fournissent le reste.  La majorité des travailleurs ont des emplois temporaires (74 p. 100) et la moitié des coordonnateurs travaillent à temps partiel.  La compétence et l'expérience du personnel varient considérablement.  De janvier à juin 1997, les services ont surveillé 1 567 visites et 3 241 transferts.  Soixante-dix p. 100 des renvois proviennent du système judiciaire (quarante p. cent des avocats, vingt-deux p. cent du tribunal de la famille, et huit p. cent des centres communautaires juridiques).  Les principales raisons pour le renvoi sont :

Après avoir mené un sondage auprès des clients, on a constaté que « les parents étaient dans l'ensemble satisfaits de la qualité du service, bien que de nombreux parents auraient préféré ne pas utiliser le service et il y avait du ressentiment à l'encontre du tribunal de la famille à cet égard » (Strategic Partners Pty Ltd., 1998).  Les parents ont réclamé plus d'information et de soutien et ont suggéré que le service puisse fournir plus de soutien en les aidant comme parents ou de communiquer entre eux.  Beaucoup de parents ont fait part de leurs préoccupations au sujet du peu de souplesse des horaires ainsi que du manque de ressources et de la pauvreté de l'environnement physique.

Monsieur le juge Nahum Mushin du tribunal de la famille d'Australie, intervenant au Colloque international sur les services d'accueil du droit de visite d'octobre 1998, a déclaré : « La mise en place de centres de visites en Australie a été un événement très bénéfique.  Le tribunal est enchanté de l'annonce du gouvernement australien d'affecter un autre 16 millions de dollars pour la mise en place de 25 centres de visites sous surveillance supplémentaires dans les régions urbaines et rurales de l'Australie » (Mushin, 1998).

Les « contact services  » non financés par le gouvernement existent aussi en Australie, quoique sans l'aide du gouvernement, ils ont beaucoup de difficulté pour continuer à fonctionner.  Une étude sur les « contact services  » non financés par le gouvernement en Australie a déterminé que les besoins essentiels pour la survie des centres sont :

…une forte participation communautaire, un appui d'un centre juridique ou d'un organisme de service social, l'utilisation gratuite de locaux, un droit à verser pour le service de visites sous surveillance et un prix symbolique demandé aux parents pour le transfert, un bon marketing du produit, un bassin de population suffisant (autour de 75 000 au minimum), la possibilité d'offrir un transport et, vraiment important, un coordonnateur de formation supérieure bien connu dans la communauté (Renouf, 1998: 3).

Angleterre et Pays de Galles

Selon Furniss (1998), il existe une présomption dans le système judiciaire d'Angleterre et du Pays de Galles selon laquelle les enfants devraient garder contact avec leurs parents qui ne résident pas sur place à moins qu'il y a des raisons convaincantes pour refuser « le contact » (c'est-à-dire le droit de visite).  En 1996, les tribunaux ont émis plus de 35 000 ordonnances accordant le droit de visite.  Pour aider les familles à faire face aux problèmes concernant les visites, on a créé deux sortes de services :

  1. services de médiation familiale, pour aider les parents à prendre des décisions acceptables par les deux parents sur la façon d'élever leurs enfants;
  2. centres de visites familiales, pour fournir un endroit neutre et sûr pour les visites entre les enfants et le père ou la mère qui ne réside pas sur place.

C'est dans les années 80 que les centres de visites familiales sont créés au Royaume-Uni, mais 40 p. 100 des 250 centres et plus qui existent maintenant ont été créés depuis 1995 (Furniss, 1998).  Les centres sont établis grâce aux efforts coordonnés des professionnels qui travaillent avec les enfants et les familles (tels que les « court welfare officers », les magistrats et les juges, les avocats et les travailleurs sociaux) et le secteur bénévole.  Les professionnels reconnaissent le besoin d'un tel service, encouragent sa mise en place et renvoient les familles auprès de ce service une fois qu'il est ouvert.  La majorité des centres sont ouverts seulement les fins de semaine et les visites se font dans une salle commune avec d'autres familles.  La plupart des centres fournissent aussi les services de transfert ou d'échange sous surveillance. Habituellement, on trouve un membre du personnel (ou un bénévole) affecté à deux ou trois familles.  Il existe aussi au RU des centres qui sont tenus exclusivement par des professionnels rémunérés.  Ces centres offrent une gamme de services aux familles - tels que la surveillance intensive, l'évaluation judiciaire, la thérapie et l'assistance, l'apprentissage de compétences parentales, la médiation - et l'exploitation de ces centres revient plus cher.

Chaque centre encadre environ 50 familles par an (ou 80 enfants), ce qui signifie que chaque année au Royaume-Uni plus de 20 000 enfants se présentent à un centre de visites (Furniss, 1998).  Une controverse a maintenant lieu sur la nécessité d'évaluer les centres, de donner une forme plus définitive et une formation et des compétences meilleures pour le personnel par rapport à une surveillance accrue des organismes bénévoles.  On craint que l'imposition de ces critères bâillonne les organismes bénévoles et les projets novateurs, que les besoins locaux soient ignorés et que le caractère neutre du service soit touché.  Furniss (1998: 3) conclut que :

il est essentiel de bien préciser et comprendre ce que chaque centre peut (et ne peut pas) fournir.  Il convient de concevoir les relations entre les centres, les tribunaux et les autres travaillant avec les familles ainsi que les politiques à établir et à observer.  Cela va de l'évaluation des risques (ce qui est plus la responsabilité des professionnels travaillant avec les familles que celle de bénévoles non formés), à l'examen et également au signalement et à la confidentialité.  Si tout le monde a une bonne idée des services offerts, alors on peut tirer le meilleur parti possible de la variété des services fournis par les différents centres de service en Angleterre et au Pays de Galles, pour le bénéfice des nombreuses familles qui utilisent ces centres.