Le traitement accéléré des pensions
alimentaires pour enfants

Vue d'ensemble des procédures d'établissement et de modification des pensions alimentaires pour enfants dans les pays du commonwealth et aux États-Unis

Partie 1
Les régimes administratifs de pensions alimentaires pour enfants dans les pays du commonwealth (suite)

LE ROYAUME-UNI

A. Historique du régime

D'après Mavis Maclean, l'administration Thatcher des années 1980 a fait preuve d'une impatience grandissante face à la culture de dépendance créée par l'État-providence et s'est efforcée de promouvoir la valeur de l'effort individuel.[39] Par ailleurs, le nombre des familles monoparentales est passé de 6 p. 100 en 1961 à 14 p. 100 en 1987.[40]

Avant l'établissement du régime de pensions alimentaires pour enfants, les ordonnances alimentaires étaient rendues par les tribunaux. Cette approche judiciaire se caractérisait par des pensions peu élevées et des difficultés d'exécution. Selon un sondage effectué en 1989-1990, près de trois parents gardiens sur quatre ne recevaient pas de pension et presque un million de parents seuls dépendaient de l'aide gouvernementale.[41]

B. Le régime de pensions alimentaires pour enfants
La Child Support Act 1991

En réponse aux lacunes relevées dans le système antérieur, le processus d'administration des pensions alimentaires pour enfants du Royaume-Uni a vu le jour avec la promulgation de la Child Support Act 1991.[42] Ce texte législatif crée un régime administratif qui remanie complètement le rôle du tribunal dans le domaine des pensions alimentaires pour enfants. Une disposition importante de la loi, l'article 8, enlève aux tribunaux toute compétence pour procéder à des évaluations fondamentales de la pension alimentaire pour enfants dans la plupart des cas. D'après cet article, la cour peut encore être saisie dans les circonstances suivantes :

  1. le revenu du parent débiteur est élevé et le parent gardien demande que l'évaluation du bureau d'administration soit majorée;[43]
  2. les frais de scolarité doivent être réglés : le bureau d'administration n'a pas le mandat de prendre une décision à l'égard de cette dépense;[44]
  3. l'enfant en question souffre d'un handicap et il est nécessaire de fixer une allocation pour couvrir certaines des dépenses entraînées par les soins dont il a besoin;[45]
  4. dans le cas exceptionnel où une partie demande une somme forfaitaire ou une ordonnance de redressement du partage du patrimoine à l'égard des enfants;[46] ou
  5. une demande est formulée à l'encontre de la personne qui a la garde des enfants.[47]

Il a été envisagé de permettre au bureau d'administration d'exercer un pouvoir discrétionnaire dans ces cas également.[48]

Une demande d'évaluation doit être présentée au moyen du formulaire de demande alimentaire fourni sans frais par le secrétaire d'État.[49] Depuis avril 1993, tous les parents, y compris ceux qui sont en instance de divorce, doivent passer par le bureau d'administration en vue de faire évaluer et de faire fixer les pensions alimentaires pour enfants. Avant 1993, les cas de divorce relevaient du système judiciaire, et c'est le tribunal qui fixait la pension. En raison du recours accru au bureau d'administration dans tous les cas, il arrivait souvent qu'on ne respecte pas les ordonnances alimentaires prononcées par les tribunaux, et les décisions judiciaires étaient considérées comme très arbitraires.

La date d'entrée en vigueur de l'évaluation de la pension alimentaire pour enfants est généralement présumée être celle de la réception de la demande.[50] Aussitôt que possible après que le bureau d'administration des pensions alimentaires pour enfants a reçu une demande admissible, il doit communiquer avec les autres parties, notamment le parent débiteur. Cette notification s'effectue au moyen d'un formulaire de renseignements relatifs à la pension qui est envoyé au débiteur,[51] accompagné d'une demande écrite de retourner le formulaire dûment rempli dans un délai de 14 jours.[52]

Le parent débiteur a le droit de modifier l'information qu'il a fournie sur le formulaire de renseignements à n'importe quel moment avant la tenue de l'évaluation; toutefois, la modification ne peut avoir trait à un changement de sa situation survenu après la date de l'évaluation ou, en d'autres termes, la date à laquelle le bureau d'administration des pensions alimentaires a reçu la première demande de pension. Si le parent débiteur ou non gardien ne retourne pas le formulaire, une évaluation préliminaire punitive est faite, et elle équivaut à environ une fois et demie l'évaluation des besoins généraux. Dès que l'évaluation complète est terminée, les versements pour la période visée par l'évaluation préliminaire deviennent exigibles.

D'après l'article 13, le secrétaire d'État nomme les agents d'administration des pensions alimentaires pour enfants et l'agent en chef. Le personnel du bureau d'administration est indépendant même si, techniquement, ses membres sont des fonctionnaires du ministère de la Sécurité sociale.[53] Les agents effectuent, révisent ou annulent les évaluations de pensions alimentaires pour enfants.[54] Par conséquent, ils peuvent exercer un pouvoir discrétionnaire pour déterminer s'ils acceptent ou non une demande d'évaluation ou encore une demande de révision d'une évaluation.[55]

La formule

La formule de calcul de la pension alimentaire pour enfants se fonde sur des tables de soutien du revenu. Elle tient compte de la capacité des deux parents de contribuer aux soins donnés à l'enfant en s'appuyant sur le montant dont chacun dispose une fois que les dépenses quotidiennes de base sont évaluées. La formule inclut les facteurs suivants :

  1. les besoins (le coût de base de l'entretien des enfants);
  2. le revenu imposable (le revenu net moins les dépenses courantes de base);
  3. le taux de déduction (la proportion du revenu imposable qui doit être affectée au soin des enfants);
  4. un élément additionnel (s'applique seulement lorsque le revenu du parent est assez élevé pour qu'il puisse verser plus que la pension de base);
  5. un niveau de revenu protégé (pour faire en sorte que le revenu du parent débiteur reste sensiblement supérieur au revenu de base une fois déduits les versements de la pension alimentaire pour les enfants);
  6. un montant minimal (les parents sont en général censés verser ce montant pour le soin des enfants);
  7. une disposition supplémentaire visant les enfants handicapés (la cour règle cette question, car elle exige l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire); et
  8. l'inclusion des frais du parent gardien (c'est-à-dire les soins autres que la nourriture et les vêtements dont l'enfant a besoin).

La formule prévoit en outre certains cas particuliers; ainsi, si l'une des situations suivantes existe, un redressement sera apporté à la formule :

  1. les deux parents sont absents (la prime du chef de famille monoparentale est exclue);
  2. la garde est partagée (les allocations sont incluses dans le revenu exempté et le revenu protégé pour tenir compte du temps passé avec l'enfant, et le parent non gardien est présumé avoir déjà fourni une proportion du coût des soins totaux au prorata du temps qu'il passe avec l'enfant);
  3. différents enfants du parent non gardien sont à la charge de personnes différentes (la pension évaluée est partagée entre les différentes demandes d'après les besoins comparatifs de chacun); ou
  4. le parent gardien s'occupe des enfants de plus d'un parent non gardien.[56]
Le processus de révision administrative

Si un parent n'est pas satisfait de l'évaluation effectuée par l'agent d'administration des pensions alimentaires pour enfants, il peut demander une révision. La première étape du processus est conçue de manière que ce soit un agent différent qui effectue la révision.[57] Conformément à l'article 18 de la Child Support Act 1991, l'évaluation initiale est révisée s'il y a des motifs raisonnables de supposer que le refus, l'évaluation ou l'annulation en question :

  1. n'a pas tenu compte d'un fait important;
  2. s'est appuyé sur une erreur quant à un fait important; ou
  3. a constitué une erreur de droit.[58]

On informe les parties intéressées avant d'entreprendre la révision.[59] Si l'agent de révision détermine qu'il y a lieu de procéder à une nouvelle évaluation dans les circonstances, il l'effectue en conséquence.[60]

Outre ce droit de demander une révision initiale, le parent insatisfait peut contester la décision devant un tribunal d'appel des pensions alimentaires pour enfants dans les 28 jours suivant la date où il a reçu avis de la décision de l'agent d'administration des pensions alimentaires pour enfants qui a effectué la révision.[61] L'article 21 et l'annexe III de la Child Support Act 1991 énoncent la composition et les pouvoirs du tribunal. D'après l'annexe III, la même personne nommée à titre de président des tribunaux d'appel en matière de sécurité sociale, en matière médicale et en matière de handicaps en vertu de la Social Security Act 1975, est nommée d'office président des tribunaux d'appel en matière de pensions alimentaires pour enfants.[62] Ce tribunal est donc complètement indépendant du bureau d'administration des pensions alimentaires pour enfants.

Il incombe au président de combler les postes du tribunal. Chacun est constitué d'un président et de deux autres membres. Le président doit posséder une expérience générale de cinq ans ou être avocat en Écosse depuis cinq ans.[63] Les deux autres membres sont recrutés auprès de groupes d'experts, et le président doit être convaincu qu'ils connaissent, pour y avoir vécu ou non, la situation de la région géographique qui relève de leur compétence et qu'ils sont représentatifs des personnes qui vivent ou qui travaillent dans cette région.[64] Souvent, ces deux personnes ne possèdent pas d'expérience directement pertinente, mais ce facteur n'a pas été jugé problématique parce qu'elles reçoivent une aide adéquate du président, qui a une formation juridique, et du greffier à l'audience.

Après le tribunal, les appels sont entendus par le commissaire des pensions alimentaires pour enfants, qui est nommé par la Reine en application de l'article 22 de la Child Support Act 1991. Le commissaire n'est saisi que des appels qui portent sur des questions de droit et qui sont interjetés à la suite des décisions de l'agent d'administration des pensions alimentaires pour enfants ou du tribunal d'appel. Le commissaire doit posséder au moins dix années d'expérience juridique générale.[65]

La modification des ordonnances alimentaires pour enfants

Pour redresser le montant de la pension alimentaire pour enfants, le bureau d'administration doit procéder à une révision. Celle-ci peut prendre deux formes.[66]

La première consiste en une révision périodique effectuée automatiquement tous les deux ans.[67] Les parties concernées sont contactées et doivent fournir des informations à jour pour permettre une nouvelle évaluation.

Le deuxième type de révision s'applique en cas de changement de situation.[68] C'est la demande d'une des parties qui enclenche alors le processus. La partie requérante doit faire valoir qu'un changement de sa situation survenu depuis l'évaluation initiale fait en sorte que la pension exigible serait considérablement différente si elle était établie à la date de la demande de révision.[69] Pour déterminer s'il effectuera ou non la révision, l'agent d'administration des pensions alimentaires pour enfants doit décider s'il sera vraisemblablement tenu de procéder à une nouvelle évaluation de la pension alimentaire.[70] En d'autres termes, si l'agent chargé du dossier considère que le montant de la pension, à la lumière de la révision, est susceptible de changer au point d'exiger une nouvelle évaluation, la demande de révision est acceptée. Lorsqu'une telle demande est présentée, l'autre partie concernée est avisée et doit fournir des informations pertinentes à jour sur sa situation.

Une nouvelle ordonnance alimentaire découle de la révision, sauf dans les cas où l'évaluation initiale n'est plus en vigueur ou devrait être résiliée, ou encore si la différence entre le montant établi lors de la première évaluation et celui résultant de la deuxième évaluation est inférieure au montant prescrit.[71]

C. Évaluation du régime du Royaume-Uni

Le régime de pensions alimentaires pour enfants du Royaume-Uni s'est attiré bon nombre de critiques depuis son instauration, en 1991. Le principal reproche a trait à la complexité du processus, qui a engendré de longs retards dans le traitement des demandes de pension. Selon certaines critiques, le système a été établi pour encourager le personnel du bureau d'administration des pensions alimentaires pour enfants à chercher surtout à faire augmenter le montant des pensions versées par les parents non gardiens qui effectuent déjà leurs paiements de manière régulière. En d'autres termes, il n'a pas été conçu de manière à procurer des ressources considérables pour rechercher les parents qui se soustraient à leurs obligations.[72] De plus, le système en place ne tient pas compte de la situation des parents non gardiens qui ont assumé, depuis la rupture, de nouvelles obligations parentales et financières envers une deuxième famille.[73]

La législation britannique est également la cible de critiques. En 1993, l'avocate Imogen Clout a examiné l'incidence possible de la loi sur la façon dont les avocats devraient faire leur travail. Tout d'abord, il n'est plus possible durant les négociations de conclure une entente selon laquelle le parent gardien s'engage à ne pas demander de pension alimentaire en échange d'un autre avantage. Selon Clout :

[Traduction]

... par le passé, les ex-conjoints ont conclu [...] des ententes et les ont respectées. Ils ont compté sur la bonne foi de l'autre partie, et leur confiance a été justifiée dans la plupart des cas. Si le tribunal est saisi du dossier ultérieurement pour une augmentation, il est avisé de l'existence de l'intention initiale des parties et du fait que le partage du patrimoine peut avoir tenu compte de leur entente.[74]

La démarche générale que doit adopter l'avocat face au dossier est également touchée, et le traitement de toute autre question familiale en instance risque d'être retardé. L'avocat doit demander à son client de se rendre tout d'abord au bureau d'administration des pensions alimentaires avant que ces autres questions puissent être réglées. En d'autres termes, il n'est pas possible d'informer le client de l'issue éventuelle d'un dossier avant que la pension alimentaire soit déterminée.[75] En raison des dispositions législatives, la cour n'a plus compétence à l'égard de la plupart des dossiers de pensions alimentaires pour enfants, et les appels sont traités par les voies administratives.[76] Cette caractéristique contraste avec l'important rôle de révision dévolu aux tribunaux de la Nouvelle-Zélande et de l'Australie. En outre, on peut remettre en question l'efficacité du système lui-même. Linda Cecil, du ministère de la Sécurité sociale, estime qu'au début, le processus administratif était probablement plus lent que le processus judiciaire. Cela était peut-être attribuable à la méfiance initiale des gens envers le bureau d'administration et à leur réticence à se conformer aux demandes, particulièrement au début du processus, lorsqu'ils étaient tenus de renvoyer les documents nécessaires et de prendre une part active au traitement de leur dossier.[77]

L'avocat David Burrows affirme que les nouvelles dispositions faisant suite aux modifications de 1995 ne viendront que compliquer le système en place. D'après lui, la loi crée un système beaucoup plus complexe que celui qu'administrent les juges et les magistrats de district sous la juridiction parallèle des tribunaux de la famille. Avec le bureau d'administration des pensions alimentaires pour enfants, le résultat est atteint par des moyens plus compliqués et plus longs, et par conséquent plus coûteux.[78]

Enfin, les dispositions de la loi ont eu pour effet de réduire les possibilités de « permutations » d'ententes dont les parties pouvaient auparavant se prévaloir.[79] Le système du Royaume-Uni a été établi de telle manière que les autres questions relevant du droit de la famille ne sont pas réglées concurremment avec celle de la pension alimentaire pour enfants. Cette distinction est encore plus prononcée depuis 1993, année où le bureau d'administration assumé la compétence à l'égard de la pension alimentaire pour enfants dans toutes les situations.[80] Quelques groupes d'intérêts se sont formés en Grande-Bretagne. Les deux plus connus sont le Network Against Child Support et Families Need Fathers. Ces groupes ont souligné la nécessité d'examiner les pensions alimentaires et l'accès comme des questions connexes et de les traiter en conséquence. À ce jour, le Parlement et le bureau d'administration des pensions alimentaires pour enfants ont adopté une attitude rigide et persistent à traiter la pension alimentaire pour enfants comme une question exclusive.

Alastair Bissett-Johnson et Jonathan Fitzpatrick ont récemment examiné les inconvénients du système britannique lorsque le gouvernement canadien a envisagé de recourir à des formules administratives au Canada.[81] Ils ont constaté qu'il y a lieu de créer des formules plus simples et de réserver un rôle aux tribunaux dans les dossiers plus complexes. À leur avis, il n'est pas indiqué d'établir un système qui s'attache seulement à la pension alimentaire pour enfants et laisse de côté les autres questions familiales. Ils estiment qu'il vaut mieux recourir à une démarche globale, qui encouragerait le recours aux services de médiation.[82] S'appuyant sur ce qu'ils considèrent comme des défauts du système britannique, ils mentionnent certaines des caractéristiques à intégrer à tout système. Voici quelques-unes de leurs recommandations :

  1. s'assurer d'emblée qu'il n'y a pas un surcroît de dossiers de sorte que le personnel disponible soit en mesure de donner les conseils nécessaires aux parents;
  2. laisser intactes les ententes à l'amiable déjà conclues par la voie judiciaire;[83]
  3. prévoir, dans certains cas au moins, le calcul périodique de la pension exigible qui pourrait s'avérer nécessaire;
  4. prêter attention aux effets du système sur les deuxièmes familles ainsi qu'aux autres effets éventuels connexes et imprévus; et
  5. tenir compte du fait que les ordonnances alimentaires élevées peuvent avoir des répercussions importantes sur d'autres points, notamment le partage du patrimoine, qui seront réglés par la suite, peut-être au moyen d'un autre processus.
D. Réforme proposée du régime

En janvier 1995, le Parlement britannique a publié un livre blanc intitulé Improving Child Support (Améliorer les pensions alimentaires pour enfants), qui énonçait des propositions de réforme du régime de pensions alimentaires établi à l'origine en application de la loi de 1991. Certaines des propositions ont donné lieu à des modifications des formules prescrites par règlement. Les autres changements ont été intégrés à la Child Support Act 1995. Ils comprennent notamment une plus grande souplesse assurée non seulement par l'instauration de la dérogation administrative, mais aussi par un élément de discrétion dans l'application des formules en fonction de chaque dossier. Le système de dérogation est toujours à l'essai et devrait prendre force de loi dans le proche avenir; seulement certaines dispositions de la Child Support Act 1995 ont déjà été promulguées (ou mises en vigueur).[84]