La Cour de justice du Nunavut - Évaluation formative

5. L'administration de la justice


5. L'administration de la justice

5.1. Introduction

La partie 5 traite du rôle de la Cour de justice du Nunavut dans l'administration de la justice sur l'ensemble du territoire. Les termes « administration de la justice » sont définis de manière large et font référence aux questions qui touchent à l'accès à la justice (p. ex. : la fréquence des audiences judiciaires) et la manière dont la Cour remplit sa mission (p. ex. : répondre aux besoins des collectivités d'une manière adaptée à leurs spécificités culturelles)[9]. Quoique ces questions soient directement liées à celles qui touchent à la gestion et au fonctionnement du greffe de la Cour et qui font l'objet de la partie 6, elles en sont toutefois distinctes.

Les questions telles que les retards et les délais de traitement des affaires criminelles relèvent dans une large mesure de la responsabilité de la CJN et sont importantes pour l'efficacité globale du système judiciaire. D'autres questions, comme le nombre et les qualifications des conseillers parajudiciaires, ne dépendent pas directement de la CJN. Elles ont cependant une influence sur les activités de la Cour et sur le fonctionnement global de l'appareil judiciaire et sont par conséquent étudiées dans cette partie. La présente partie se fonde essentiellement sur les entrevues avec les répondants clés et les discussions avec les résidents des collectivités, et notamment les membres des comités de justice communautaire, ainsi que sur les renseignements provenant de l'examen des dossiers de la Cour en matière civile et pénale.

5.2.  Atteinte des résultats recherchés

5.2.1. La réduction des retards et des délais de traitement des dossiers en matière pénale

La question des retards dans le traitement des affaires criminelles a été la source de préoccupations depuis la création de la Cour. La formation du nouveau tribunal avait pour objet, entre autres, de réduire les retards et d'améliorer les délais de traitement des affaires. Dans une certaine mesure, il ressort des discussions avec les répondants clés que les raisons pour lesquelles on supposait que les retards étaient un problème tenaient simplement au fait que (a) l'ensemble des juridictions canadiennes connaissent des retards et (b) la CJN est confrontée à des difficultés (telles que les intempéries) qui lui sont propres et que l'on ne retrouve habituellement pas dans les autres tribunaux, et qui sont de nature à entraîner des retards. Cependant, les entrevues avec les répondants clés ont fait apparaître que, même si des retards sont constatés au Nunavut, la majorité des personnes qui travaillent au sein de l'appareil judiciaire ne considèrent pas qu'ils posent particulièrement problème. Les membres du personnel judiciaire sont généralement d'avis que ces retards sont raisonnables en comparaison d'autres tribunaux, et qu'il est inévitable que des événements incontrôlables tels que les intempéries entraînent des retards.

5.2.2. Les circuits et les ajournements répétés

Certains répondants au sein des collectivités considèrent que les retards – entendus comme les circuits peu fréquents et les ajournements répétés – posent problème. Tout d'abord, les résidents estiment parfois que les auteurs d'infraction qui continuent de vivre dans la collectivité dans l'attente d'une date d'audience représentent potentiellement une menace pour la collectivité (bien que nombre d'auteurs d'infractions soient renvoyés à Iqaluit pour cette raison). Certains résidents pensent également que les auteurs d'infractions bénéficient d'un traitement de faveur en ayant le droit de demeurer au sein de la collectivité après avoir commis une infraction.

Du point de vie des collectivités, c'est peut-être davantage la tension que ces retards entraînent pour les victimes, les témoins, l'accusé et leurs familles qui pose problème. Cela est particulièrement vrai dans les affaires de violences conjugales, puisque le couple peut s'être réconcilié au moment où l'audience est tenue. La reconstitution de l'incident dans le contexte tendu d'une audience peut se révéler une expérience douloureuse pour toutes les personnes impliquées. La détention préventive peut également avoir des conséquences pour la famille du prévenu qui est souvent détenu loin de chez lui et incapable de subvenir aux besoins financiers ou autres de sa famille.

L'étude des dossiers en matière pénale concernant des adultes qui a été entreprise dans le cadre de l'évaluation montre que les délais de traitement des affaires ont diminué depuis 2001. En 2005, les procédures par voie sommaire pour les violences contre les personnes nécessitaient en moyenne 15,3 semaines à compter de la date à laquelle la dénonciation est faite sous serment (plus ou moins la même que la date de l'infraction et de la mise en accusation) jusqu'à la décision de la Cour. En 2001, le délai moyen était de 17,7 semaines. En 2005, pour les mêmes affaires, 7,6 semaines se sont écoulées en moyenne entre le moment où la date du procès a été fixée et la décision. Le même processus prenait 10,3 semaines en 2001. Les procès devant jury durent plus longtemps mais présentent également des améliorations en termes de délais. Dans le cas d'infractions punissables par mise en accusation, les procès devant jury prennent d'ordinaire à peine plus d'une année à partir de la fixation de la date du procès, alors que de tels procès commencés en 2001 duraient souvent près de deux ans. Le tableau 3 montre l'évolution des délais de traitement depuis 2001.

Tableau 3 : Délai moyen des procès par voie de procédure sommaire et des procès devant jury (en semaines)[10]

Type de procès et délais mesurés (moyenne en semaines) - Procès par voie de procédure sommaire pour des violences sur les personnes :
  2001 2002 2003 2004 2005
1. entre la fixation de la date du procès et la décision 10,3 10,0 9,2 8,3 7,6
2. entre la dénonciation sous serment et la décision 17,7 17,5 17,0 16,1 15,3

Type de procès et délais mesurés (moyenne en semaines) - Procès devant jury pour des infractions punissables par mise en accusation :
  2001 2002 2003 2004 2005
1. entre la fixation de la date du procès et la décision 88,6 79,2 71,4 65,9 57,4
2. entre la dénonciation sous serment et la décision 102,5 93,6 84,2 76,2 67,7

Les ajournements, en particulier en cours de circuit, ont une incidence sur la durée des procès. Le tableau 4 montre le nombre d'affaires traitées et le nombre d'affaires ajournées au cours de deux circuits pour chaque collectivité. D'après ces chiffres, 63,7 pour cent en moyenne des affaires ont fait l'objet d'un ajournement.

Tableau 4 : Affaires traitées et ajournées au cours de deux circuits[11]
Collectivité Fin du circuit Nombre d'affaires Ajournements Fin du circuit Nombre d'affaires Ajournements
Arctic Bay Juin 05 35 39 Février 06 71 71d
Qikiqtarjuaq Octobre 05 54 37 Mars 06 46 35
Cape Dorset Septembre 05 130 91 Mars 06 130 47
Clyde River Septembre 05 100 100a April 06 102 65
Grise Fiordb Mars 05 29 19 N/D    
Hall Beach Octobre 05 95 75 Février 06 95 62
Igloolik Octobre 05 120 112 Février 06 120 101
Kimmirut Octobre 05 37 22 Mai 06 43 22
Pangnirtung Août 05 253 172 Janvier 06 40 13
Pond Inlet Septembre 05 140 92 Janvier 06 135 70
Resolute Bay Juin 05 39 32 Octobre 05 73 41
Sanikiluaq Juin 05 86 41 Novembre 05 30 15
Arviat Août 05 99 84 Décembre 05 94 39
Baker Lake Août 05 93 93a Décembre 05 127 70
Chesterfield Inletc N/D 29 25 Novembre 05 36 21
Coral Harbour Septembre 05 78 38 N/D    
Rankin Inlet Août 05 193 114 Janvier '06 220 114
Repulse Bay Août 05 54 40 Décembre 05 54 43
Whale Covec Juin 04 1 1 N/D    
Cambridge Bay Octobre 05 74 52 Janvier 06 98 43
Gjoa Haven Septembre 05 157 134 Janvier 06 143 77
Kugluktuk Août 05 182 81 Décembre 05 227 120
Kugaaruk Mai 05 60 19 N/D    
Taloyoak Septembre 05 190 177 Janvier 06 204 55
Moyenne   97 70,4   104,4 56,2

Il existe de nombreuses raisons qui justifient l'ajournement d'une affaire. L'examen des dossiers de nature pénale[12] montre quelles ont été les raisons les plus courantes pour l'ajournement des procès sur les circuits de la Cour entre 2001 et 2005. Ces raisons sont exposées dans la liste qui figure ci-dessous et qui montre de manière générale la fréquence des motifs d'ajournement, par ordre décroissant. Cependant, la fréquence relative de ces motifs varie selon la collectivité. Dans certaines collectivités, par exemple, les témoins ont plus fréquemment tendance à faire défaut de se présenter devant la Cour que dans les autres collectivités. De même, les conditions météorologiques sont un facteur plus important dans certaines collectivités que dans d'autres (les conditions météorologiques varient également en tant que facteur en fonction de la période de l'année).

Les raisons qui motivent généralement les ajournements sont les suivantes (chacune de celles-ci fait l'objet de développements particuliers plus loin dans le rapport) :

Les répondants clés ont fourni d'autres raisons pour les retards (non classés) :

Les trois derniers facteurs énumérés ci-dessus posent de sérieuses difficultés à la CJN et au ministère de la Justice du Nunavut.

Les avocats interrogés (procureurs de la Couronne et avocats de la défense) s'entendaient généralement pour dire que, dans l'ensemble, les retards ne constituent pas un problème majeur pour la Cour. La plupart des avocats ont souligné que ces délais sont conformes à ceux des tribunaux du Sud, et même qu'ils sont meilleurs. La plupart des avocats étaient plutôt satisfaits du fait que la majorité des affaires ont connu de réelles avancées dès la seconde date d'audience. Plusieurs avocats ont fait remarquer que même une affaire grave d'homicide devrait normalement être réglée dans un délai de deux ans.

Bien que pratiquement aucun avocat ne considère que les retards posent en eux-mêmes un problème grave, la plupart reconnaissent qu'un certain temps peut souvent s'écouler entre les différentes étapes procédurales, en raison du délai entre les circuits, tout particulièrement dans les collectivités les plus petites. Même lorsque les parties fonctionnent à un niveau élevé d'efficacité, si la Cour n'effectue des visites que tous les six mois, comme c'est le cas dans les collectivités les plus petites, une certaine période de temps s'écoule. La Cour ne fait souvent que trois à quatre arrêts par an dans les collectivités de taille moyenne, et il n'est pas rare que l'un de ces séjours soit reporté en raison de mauvaises conditions météorologiques. Ces intervalles peuvent causer de réelles difficultés aux personnes touchées et à leurs familles. Certains répondants œuvrant au sein de l'appareil judiciaire ont souligné le fait qu'une longue période d'incertitude peut avoir des conséquences particulièrement graves sur les relations familiales, notamment lorsque les accusations portent sur des cas de violence familiale. Comme il est indiqué plus haut, les personnes interrogées au sein des collectivités se sont également dites préoccupées par ce fait.

La plupart des avocats et des fonctionnaires du domaine de la justice considèrent les délais entre les circuits comme une conséquence inévitable des conditions géographiques, de la faible population, et du coût élevé des déplacements de la Cour dans des contrées éloignées du territoire. Mis à part les délais entre les circuits, la localisation des témoins et leur comparution représentent un défi constant, étant donné la mobilité de la population à travers le Nunavut. Les fréquentes rotations au sein de la GRC peuvent également poser problème puisque l'agent qui a arrêté un prévenu doit souvent prendre l'avion pour assister au procès. Le recours aux juges suppléants peut aussi rallonger les délais avant le prononcé de la décision. Toutefois, la plupart des répondants clés ont fait remarquer que l'augmentation du nombre de circuits (de 46 en 2001[14], à 50 en 2005[15]) et de la durée des séjours au sein des collectivités depuis la création de la CJN indique que la Cour se préoccupe de la question des délais.

Naturellement, les avocats de la défense ont des opinions différentes de celles des procureurs de la Couronne au sujet de certains facteurs qui pourraient contribuer aux retards constatés. Du point de vue de la défense, les ajournements avant un plaidoyer de culpabilité peuvent être stratégiques – pour permettre à leur client de trouver un emploi, d'obtenir l'aide des services sociaux s'ils sont libres avant le procès, ou d'obtenir au bout du compte une peine plus courte en raison du temps passé en détention préventive (bien que la prise en compte des périodes de détention préventive lors de la détermination de la peine puissent varier, le calcul se fait généralement sur la base d'un ratio de 1,5 pour 1 au Nunavut)[16]. Les avocats de la défense voient le refus d'autoriser la tenue d'audiences de justification en matière de libération provisoire dans les collectivités – ce qui nécessite de transporter les prévenus et souvent les témoins jusqu'à Iqaluit – comme une violation importante des droits de leurs clients qui sont mis en péril. Les procureurs de la Couronne ont tendance à considérer que les ajournements résultent davantage du manque de préparation et de flexibilité de la défense. Un certain nombre de nouvelles pratiques ont augmenté l'efficacité de la Cour dans les collectivités – notamment celle consistant à exiger des avocats de la défense et des procureurs de la Couronne qu'ils passent au moins une journée au sein de la collectivité avant l'arrivée de la Cour (cet objectif tend à être plus difficile à atteindre dans les collectivités les plus petites lorsque la Cour siège dans deux ou trois collectivités sur un même circuit). Tant les avocats de la défense que les poursuivants ont constaté une amélioration des délais au cours des dernières années dû à une nouvelle pratique qui consiste à désigner systématiquement les mêmes avocats de la défense (de l'aide juridique) pour les mêmes circuits, ce qui favorise un règlement plus rapide des affaires.

En ce qui concerne les affaires en droit de la famille, mis à part les situations d'urgence, le délai pour obtenir une ordonnance provisoire peut être plus long que ce qui se ferait normalement plus au sud. Même lorsqu'un dossier a été confié à un avocat de l'aide juridique (et il existe toujours des retards dans le traitement des dossiers d'aide juridique en matière familiale), un certain temps peut s'écouler avant de recevoir des instructions – notamment lorsque les avocats et les clients ne parlent pas la même langue. La principale cause des retards réside dans la difficulté à trouver un avocat adverse au vu de la petite taille du barreau local. Les avocats en droit de la famille ont fait remarquer que leurs clients, actuels ou potentiels, semblent extrêmement patients à l'égard des retards pour obtenir des services en droit de la famille. Certains répondants ont laissé entendre que les attentes de la collectivité sont moins exigeantes en matière de délais, peut-être parce qu'il s'agit d'un nouveau type de services.

En résumé, alors qu'il subsiste des retards en matière pénale, il semble que la Cour ait réussi à régler le problème de manière satisfaisante pour les avocats et le personnel judiciaire en général. Les résidents des collectivités demeurent préoccupés par les intervalles entre chaque circuit, tout particulièrement dans les affaires de violence familiale.

5.2.3. La diminution du nombre et de la durée des détentions préventives

Les contrevenants qui sont détenus de façon préventive sont placés dans des établissements correctionnels dans l'attente de leur comparution devant le tribunal. Ils ne sont pas libérés au sein de la collectivité en attendant leur comparution parce que l'on considère qu'ils risquent de se soustraire à la justice ou constituent une menace pour l'intégrité d'autrui. Une deuxième catégorie de détention concerne la détention de contrevenants qui ont été condamnés à une peine d'incarcération mais pour lesquels il subsiste des accusations qui doivent être jugées par le tribunal. Les contrevenants placés en détention préventive sont soit incarcérés au Centre correctionnel de Baffin (CCB) à Iqaluit, soit, s'ils proviennent de la région du Kitikmeot, au Centre correctionnel de Yellowknife (CCY).

En 2005-2006, quel que soit le mois considéré, il y avait environ 70 détenus du Nunavut au CCB et 20 au CCY. Dans les deux établissements, un peu plus de 50 pour cent de ces détenus étaient en détention préventive. Les juges ont fait remarquer que le manque d'établissements et de personnel au sein des collectivités afin de détenir et surveiller les contrevenants qui posent problème les oblige en fait à ordonner la détention des prévenus au nom de la protection du public.

Le placement en détention préventive n'est pas sans conséquences. En premier lieu, puisque le CCB et le CCY sont les seuls établissements disponibles pour la détention des contrevenants du Nunavut, les individus situés dans les collectivités et qui font l'objet d'une ordonnance de détention doivent être transportés par avion à Iqaluit ou Yellowknife. Les coûts de transport qui en résultent sont considérables. Ensuite, ces détenus font supporter une pression supplémentaire à ces établissements, et tout particulièrement au CCB. Cet établissement a été conçu pour accueillir 43 délinquants purgeant une peine relevant de la compétence du territoire. Cependant, avec une population tournant généralement autour de 70 détenus, dont la moitié environ est placée en détention préventive et mélangée au reste de la population carcérale, les représentants des services correctionnels du Nunavut indiquent que les pressions exercées sur le personnel et l'établissement sont particulièrement lourdes.

5.2.4. Le recours aux mesures de substitution à l'incarcération

Les répondants clés et les personnes interrogées au sein des collectivités considèrent les mesures de substitution à l'incarcération comme étant importantes pour plusieurs raisons. Tout d'abord, une peine purgée dans sa propre collectivité peut comporter moins de tension pour le délinquant et sa famille qu'une peine de prison. D'autre part, cela peut également donner au contrevenant l'occasion de se réconcilier avec la victime et la collectivité. Par ailleurs, si le délinquant subvient aux besoins de sa famille grâce à ses revenus ou à la chasse, ces formes de soutien ne lui sont pas nécessairement retirées lorsqu'il lui est permis de revenir au sein de la collectivité. Ensuite, les peines non privatives de liberté et purgées en milieu communautaire sont considérées comme étant plus appropriées sur le plan culturel que l'incarcération. De nombreux résidents des collectivités ont affirmé que les familles et la collectivité ont la responsabilité de travailler avec le délinquant, responsabilité qui est inhérente à la culture inuite. Enfin, le CCB et le CCY sont surpeuplés et n'ont pas suffisamment de programmes de réhabilitation. Les répondants clés et les personnes interrogées dans les collectivités reconnaissent que ces deux établissements sont préjudiciables pour la réhabilitation du contrevenant sur le long terme.

Il faut observer que la préférence pour les mesures de substitution à l'incarcération n'est pas universelle. Les répondants clés et les personnes interrogées dans les collectivités reconnaissent la nécessité d'incarcérer certains délinquants, en fonction de la nature et de la gravité de l'infraction, de la propension de son auteur à la récidive, et de la capacité de la famille et de la collectivité à le prendre en charge avec des résultats positifs. Dans certains cas, l'incarcération est perçue comme la seule possibilité, en particulier lorsque la sécurité de la victime et celle des membres de la collectivité sont en jeu.

Les avocats s'accordaient tous pour dire que la CJN fait de son mieux pour chercher des mesures de substitution à l'incarcération, et notamment les peines avec sursis, au vu des ressources disponibles dans les collectivités. Il est systématiquement demandé aux avocats de fournir des renseignements au sujet de possibles mesures de substitution, s'ils ne l'ont pas déjà fait dans leurs conclusions. Cependant, l'absence de tels renseignements constitue parfois un motif d'ajournement.

Les répondants clés, y compris les juges, les procureurs de la Couronne, les avocats de la défense et les juges de paix, de même que les comités de justice communautaire et les résidents des collectivités, ont exprimé de manière unanime une préoccupation majeure en matière de peines de substitution. Cette préoccupation réside dans le fait que le territoire manque sérieusement de ressources et de programmes communautaires, et notamment d'agents de probation, de travailleurs sociaux, de services en matière de santé mentale et de toxicomanie, de programmes destinés aux jeunes, et de comités de justice communautaire solidement implantés. Tous ces programmes et ces ressources sont perçus comme des mesures essentielles de substitution à l'incarcération. Comme un répondant l'a fait remarquer, la crédibilité de la Cour suppose que l'on s'assure de l'existence d'un véritable suivi des ordonnances de la Cour après que celle-ci quitte la ville. Si les heures de bénévolat ne sont pas effectuées, si les services de consultation ne sont pas fournis, ou si les conditions de la détention à domicile ne sont pas respectées, les membres des collectivités pourraient estimer que le délinquant tire injustement parti de la situation. De même, en l'absence de programmes tels que ceux qui concernent la maîtrise de la colère ou l'aide aux toxicomanes, la Cour constitue souvent le dernier recours pour la prise en charge d'un contrevenant. En termes de prévention, le manque de programmes destinés aux jeunes, tels que les programmes supervisés en matière foncière, est considéré par les résidents des collectivités comme un facteur qui contribue à la criminalité des jeunes.

La pénurie de ressources explique avant tout le manque de programmes en milieu communautaire destinés aux délinquants. Les représentants du ministère de la Justice du Nunavut reconnaissent le besoin de programmes pour aider les contrevenants, ainsi que les victimes. Cependant, les fonds ne sont généralement pas disponibles sur une base durable pour recruter et former du personnel dans les collectivités.

Le manque de programmes en milieu communautaire place la CJN dans une situation difficile. Les juges font leur possible pour s'assurer que les personnes qui font l'objet d'une ordonnance de probation ont pleinement accès aux programmes qui existent. De même, comme il est indiqué plus haut, les juges encouragent les avocats de la défense à recenser les mesures de substitution appropriées et à élaborer un projet pour leur client. Toutefois, cela est difficile pour deux raisons. En premier lieu, la plupart des avocats de la défense sont extrêmement occupés et ont peu de temps à consacrer à la recherche de programmes en milieu communautaire et à contacter le personnel de ces programmes. Ensuite, les programmes qui existent sont situés presque exclusivement dans les grands centres comme Iqaluit, Rankin Inlet et Cambridge Bay. Les répondants clés et les personnes interrogées au sein des collectivités indiquent que les collectivités plus petites ne disposent pour l'essentiel d'aucun programme destiné aux adultes ou aux jeunes.

Quelques avocats ont indiqué que la Cour rencontre également d'autres difficultés lorsqu'elle étudie la possibilité de mesures de substitution. Plusieurs répondants ont cité l'exemple d'un nombre important de contrevenants qui ont eux-mêmes subi un traumatisme grave, ou qui souffrent d'une déficience majeure, telle que des troubles causés par l'alcoolisation fœtale, qui compliquent l'évaluation de la responsabilité criminelle et de la sanction appropriée. Les juges sont conscients de la nature délicate de ces cas et affirment (ce qui a été confirmé par les avocats faisant partie des répondants clés) qu'ils essaient de trouver des solutions qui peuvent être mises en application lorsqu'ils prononcent une peine dans de telles circonstances.

Les avis étaient partagés quant à l'efficacité des mesures de substitution à l'incarcération. Quelques répondants clés ont fait remarquer qu'il existe un sentiment fort au sein des collectivités selon lequel « l'absence d'emprisonnement équivaut à l'absence de sanction ». D'autres répondants ont souligné que les délinquants vivant dans les collectivités de petite taille sont soumis à une surveillance plus importante, puisqu'ils font régulièrement l'objet de contrôle, notamment par la GRC. En outre, une peine de détention à domicile peut s'avérer particulièrement lourde si l'on tient compte des conditions de vie dans les logements surpeuplés. Alors que des études comparant l'efficacité relative des mesures de substitution en milieu communautaire par rapport à celle des peines d'incarcération ont été réalisées dans d'autres ressorts au Canada, les répondants clés n'avaient pas connaissance de celles-ci.

5.2.5. La probation et les libérations conditionnelles

La probation constitue un aspect courant de la détermination de la peine visant les contrevenants condamnés à purger des peines qui relèvent de la compétence du territoire (c.-à-d. lorsque la peine d'emprisonnement potentielle est inférieure à deux ans moins un jour). Dans les cas les moins graves et hormis les cas de récidive, la probation n'est généralement pas accompagnée d'une période d'incarcération, même s'il arrive que la peine comprenne à la fois l'incarcération et la probation. Les peines d'emprisonnement avec sursis, auxquelles il est également fait recours, entraînent la mise en liberté sous conditions, mais avec une commutation automatique en peine d'emprisonnement si les conditions ne sont pas respectées. La libération conditionnelle concerne les contrevenants condamnés à des peines de compétence fédérale (au-delà de deux ans d'incarcération) une fois que la peine de prison a été purgée.

Le tableau 5 indique le nombre de cas de probation, d'emprisonnement avec sursis et de libération conditionnelle dans les huit collectivités où leur nombre est le plus élevé, en octobre 2005[17].

Tableau 5 : Probation, emprisonnement avec sursis et libérations conditionnelles au sein de huit collectivités, octobre 2005
  Probation
(adultes)
Probation
(jeunes)
Emprisonnement
avec sursis
Libérations
conditionnelles
Total
Iqaluit 146 18 27 0 191
Cambridge Bay 55 8 24 1 88
Rankin Inlet 25 4 10 2 41
Arviat 29 8 3 0 40
Baker Lake 25 7 8 0 40
Kugluktuk 30 12 15 1 58
Pond Inlet 27 6 5 0 38
Pangnirtung 35 11 6 0 52

En octobre 2005, les services correctionnels communautaires (probation) étaient actifs dans les huit collectivités énumérées ci-dessus. Au total, le programme comptait douze employés (agents des services correctionnels), parmi lesquels deux occupaient des postes administratifs ou de gestion à Iqaluit. Outre la supervision des cas de probation, de libération conditionnelle et d'emprisonnement avec sursis dans leurs propres collectivités, les agents des services correctionnels sont chargés de la surveillance de ces mesures dans les collectivités les plus petites[18]. Ils s'acquittent de cette tâche en travaillant par téléphone avec la GRC et les travailleurs sociaux dans ces collectivités plus petites, et en s'y rendant de manière occasionnelle. Toutefois, au vu de la charge de travail des trois parties – les agents des services correctionnels, la GRC et les travailleurs sociaux – le système ne fonctionne pas toujours efficacement. Le coût du déplacement régulier des agents des services correctionnels dans les autres collectivités est prohibitif. Justice Nunavut cherche actuellement à créer de nouveaux postes à Kugluktuk, Igloolik et Rankin Inlet, même si les répondants clés affirment qu'il est peu probable que ces recrutements suffiront à répondre aux besoins.

La charge de travail des agents des services correctionnels a récemment augmenté en raison d'une hausse des demandes de rapports présentenciels provenant de la Cour. La préparation de ces rapports demande certaines compétences qui s'acquièrent généralement en suivant une formation. Certains répondants clés ont souligné que la qualité des rapports fournis ne répondait pas en règle générale aux attentes de la Cour. Dans les faits, à plusieurs reprises, l'absence du rapport demandé par le juge a conduit à l'ajournement de l'audience.

Dans de nombreux cas, la responsabilité de la probation échoit aux travailleurs sociaux qui ont déjà une lourde charge de travail et qui ne sont peut-être pas suffisamment formés en matière de contrôle de l'exécution des ordonnances. De nombreux avocats estiment que le recours aux travailleurs sociaux entraîne des conflits entre leurs différentes fonctions, une préparation insuffisante des rapports destinés à la Cour (notamment les rapports écrits tels que les rapports présentenciels), et des situations d'épuisement professionnel. Alors que ce problème est grave, il n'y a aucun travailleur social au sein de nombreuses collectivités pendant des mois et c'est la GRC qui prend en charge ces fonctions de probation. Tandis que l'intervention des membres de la GRC est censée être temporaire, le délai entre le départ d'un travailleur social et l'arrivée de son remplaçant peut prendre des mois. Il est impossible de s'attendre à ce que les contrevenants reçoivent des services de consultation ou autres dans ce contexte.

Le financement, le recrutement et la formation sont les difficultés auxquelles sont confrontés les services correctionnels communautaires (probation). Les conséquences de ces difficultés sont graves, puisqu'elles ont conduit à la mise en place d'un service de probation qu'un nombre important de répondants œuvrant au sein de l'appareil judicaire qualifient d'insuffisant. L'absence de rapports présentenciels de qualité rend la tâche des juges plus difficile en matière de détermination de la peine. Plus important encore, les ordonnances de probation et les peines avec sursis qui devraient constituer des mesures appropriées de substitution à l'incarcération sont vues comme étant inefficaces dans une large mesure, en raison du manque de supervision dans la plupart des collectivités.

La préoccupation au sujet du manque de services va bien au-delà de la question de la probation et des libérations conditionnelles. Le manque de programmes résidentiels de traitement de l'alcoolisme au Nunavut, le caractère limité des services en santé mentale et des programmes en matière de toxicomanie et de ceux qui sont destinés aux contrevenants et aux victimes dans des contextes de violences familiales, ainsi que le manque de programmes destinés aux jeunes réduisent tous en pratique la capacité de la Cour de prendre en compte la situation des contrevenants d'une manière qui soit significative pour eux, pour la collectivité et pour les victimes. En outre, les personnes interrogées se sont dites préoccupées par l'effet néfaste sur la considération de la justice territoriale que peut entraîner le manque de compréhension des conditions des ordonnances de probation et leur non-respect. Là encore, comme les fonctionnaires du Nunavut et les autres répondants clés l'ont souligné, ces problèmes sont largement dus à l'insuffisance des ressources.

5.2.6. Le recours aux enquêtes préliminaires

Au moment de la création de la CJN, il y avait une certaine inquiétude quant au fait que le recours aux enquêtes préliminaires pourrait entraîner une apparence de conflit, du fait que les juges sont membres d'un tribunal à palier unique. Aucun des avocats ou des juges interrogés n'a exprimé de préoccupation quant au fonctionnement des enquêtes préliminaires dans une structure à niveau unique. Un avocat a fait remarquer qu'il y avait eu des situations dans lesquelles un même juge avait siégé lors de l'enquête préliminaire et lors du procès, mais cet avocat a toujours donné son accord dans de telles situations et celles-ci n'ont finalement posé aucun problème. Du point de vue du personnel judiciaire, les avocats font généralement le travail nécessaire à l'avance, et les enquêtes préliminaires sont utilisées de manière responsable.

De nombreux commentaires ont été formulés – en faveur ou à l'encontre – des modifications au Code criminel qui permettent que les enquêtes préliminaires puissent se dérouler en faisant moins appel aux témoins. Si la plupart des avocats de la défense considèrent que ces changements limitent leur capacité à questionner le dossier de la Couronne, voire à éviter qu'une affaire soit inscrite pour instruction, le ministère public et les magistrats estiment dans l'ensemble que ces modifications sont utiles.

5.2.7. Un accès accru à la justice en matière civile et familiale

Les répondants clés ont constaté à l'unanimité un renforcement de l'accès à la justice en matière familiale au Nunavut depuis 1999. Ils étaient également unanimes pour déplorer le manque persistant d'accès à la justice en matière civile (dans les domaines autres que le droit de la famille) pour la plupart des résidents du territoire. Les affaires civiles tentent de résoudre des litiges non-criminels dans les secteurs tels que les contrats, les droits de propriété, le droit de la famille, et les dommages personnels et matériels.

Le développement des services en droit de la famille représente un investissement considérable en termes de ressources et d'énergie de la part de la Cour et de la Société d'aide juridique du Nunavut – on est passé d'un avocat à mi-temps pratiquant en droit de la famille à 3,5 postes à temps plein. La plupart des résidents du Nunavut ont droit à l'aide juridique en matière de droit de la famille, y compris ceux qui reçoivent des services sur la base de contributions. L'aide juridique est particulièrement importante au vu des coûts élevés pour se faire représenter en raison de la géographie et de l'absence d'avocats du secteur privé qui résident au Nunavut et qui pratiquent en matière civile et familiale. La croissance des services a entraîné une diminution sensible du retard dans le traitement des demandes d'aide juridique. Elle a également mené à une réduction importante du nombre d'affaires au sein du système. Plusieurs répondants ont souligné que la hausse des services a conduit directement à une nette augmentation de la demande – illustrée, à titre d'exemple, par le nombre de demandes d'aide juridique pour des services en droit de la famille qui est passé de 297 en 2003/2004 à 667 en 2004/2005[19]. Ainsi, tandis que le nombre d'avocats en droit de la famille a augmenté, chaque avocat s'occupe toujours de 120 à 170 dossiers[20]. Comme l'a affirmé l'un des répondants clés, on constate un effet d'entraînement – dès lors que de plus en plus de résidents des collectivités sont incités à rechercher de l'aide pour eux-mêmes, en voyant leurs amis ou leurs parents obtenir des résultats favorables dans le cadre de procédures en droit de la famille. Les résidents des collectivités ont confirmé ce fait et souligné que l'amélioration de l'accès aux services en droit de la famille a apporté un certain soulagement au sein des collectivités.

La hausse des services en droit de la famille dans le territoire a eu un effet marqué sur le rôle des causes de la Cour et le recours au système judiciaire. Tout en faisant remarquer que les juges appuient massivement le développement des services en droit de la famille, la plupart des avocats exerçant dans ce domaine ont le sentiment que les affaires familiales ne sont pas une priorité pour la Cour, qui semble davantage préoccupée par les procédures en droit criminel, dont le volume est considérable mais qui nécessitent moins de rédaction. La plupart ont dit avoir le sentiment que les affaires familiales sont les premières sacrifiées lorsque le temps fait défaut sur un circuit. Un certain nombre de facteurs structurels renforcent cette impression – et notamment le fait que le ministère de la Justice du Nunavut finance le déplacement des témoins et des prévenus dans les instances de nature pénale, alors qu'il n'assure aucun financement de la sorte en matière civile et familiale. Ce fait est perçu comme posant particulièrement problème dans le contexte des procédures relatives à la protection de l'enfance (y compris en ce qui a trait à la garde) lorsque le ministère de la Santé et des Services sociaux ne finance pas le déplacement.

Tous les avocats en droit de la famille ont exprimé une grande frustration au sujet de leur participation à certaines audiences par téléphone, en particulier lorsque la Cour se trouve dans les collectivités les plus petites qui ne disposent pas toujours d'équipements de téléconférence (ce qui conduit à des situations dans lesquelles les clients ne sont pas en mesure d'être présents – même par téléphone – lorsque leur affaire est débattue). Le manque d'équipements de téléconférence, ajouté à la mauvaise qualité des connections téléphoniques dans de nombreuses collectivités constitue une source de frustration pour toutes les personnes concernées – juges, avocats et clients – par les affaires civiles et familiales. Cependant, lorsque le système téléphonique fonctionne correctement, celui-ci est utilisé de manière efficace, surtout dans les instances civiles et familiales. La CJN a expérimenté l'utilisation des technologies de téléconférence grâce au système de télésanté, par exemple pour les causes figurant sur le rôle mensuel d'Iqaluit relativement à des questions qui ne nécessitent pas la présence de l'accusé et à certaines questions relevant des chambres civiles. Toutefois, l'accès à ce système est limité en raison des besoins en matière de santé. La Cour espère par conséquent être en mesure d'installer un système de visioconférence dans le nouveau palais de justice (alors que les services de téléconférence et de visioconférence peuvent être utiles dans les instances civiles et familiales, leur utilité est plus limitée dans les procès de nature pénale, lorsque le juge et l'accusé se trouvent dans des collectivités différentes; d'un autre côté, il existe de véritables perspectives pour l'utilisation de ces technologies lors des audiences de justification en matière de libération provisoire).

La Cour a reçu de nombreux commentaires positifs en ce qui concerne son implication dans un programme unique de médiation familiale – Inuusirmut Aqqusiuqtiit (les Éclaireurs) à Iqaluit et Cape Dorset (un projet pilote mené à Kugluktuk s'est achevé en 2005). Plusieurs avocats et résidents des collectivités ont fait part des progrès significatifs réalisés grâce à ce programme. Ce projet a été initié par Justice Canada et le ministère de la Justice du Nunavut et était financé à l'origine par les fonds du gouvernement fédéral destinés aux projets pilotes[21], par l'entremise du ministère de la Justice du Nunavut. Il était géré à l'origine en vertu du programme de soutien familial de la division des services judiciaires. Le financement fédéral ayant pris fin, le rattachement institutionnel du programme est désormais transféré de la CJN à la Division de la justice communautaire de Justice Nunavut. La viabilité du programme suscite certaines inquiétudes sans le soutien pratique qu'il recevait de la Cour, et particulièrement celui des magistrats. Parmi les autres initiatives soutenues par la Cour, on compte l'élaboration d'un programme sur l'éducation des enfants à la suite d'une séparation, que les répondants clés et les personnes interrogées au sein des collectivités trouvent également efficace.

Les avocats en droit de la famille se sont tous montrés satisfaits des avantages que la structure unifiée de la Cour leur a procurés, en simplifiant leur pratique et en leur permettant de se concentrer davantage sur les questions de fond. De même, les avocats étaient satisfaits de la souplesse des juges et du personnel de la Cour qui font tout leur possible pour permettre que les affaires soient entendues sur le fond en dépit des difficultés de la pratique du Nord. La plupart ont fait référence à la souplesse de la Cour comme étant l'un de ses meilleurs atouts.

En matière civile, il est survenu moins de changements depuis 1999. Cependant, il faut faire remarquer que la Cour tient désormais des audiences en matière civile dans chaque collectivité. Les défendeurs peuvent maintenant assister aux audiences dans leur propre collectivité dans le cadre de procédures de forclusion ou de demandes en matière de garde ou de droits d'accès ou encore de fixation de pensions alimentaires pour enfants, tout comme les parties dans les instances relevant des petites créances. La qualité du service téléphonique entre les collectivités pose toujours problème pour ces audiences dès lors que toutes les parties ne peuvent pas y assister en personne. Néanmoins, les répondants clés pensent que ces difficultés techniques pourront être surmontées.

La Cour a soutenu l'élaboration de règles applicables aux petites créances qui sont propres au Nunavut, mais celles-ci n'ont pas encore été mises en vigueur (au mois de mars 2006). En conséquence, il n'est pas possible d'évaluer leurs effets. Les cliniques d'aide juridique font état d'un nombre élevé de clients potentiels, dont les besoins en matière civile sont divers, allant de préoccupations au sujet d'une faute professionnelle médicale, aux glissades et aux chutes, aux congédiements injustifiés ou encore aux questions de succession. À titre d'illustration, un répondant clé qui travaille dans la région du Kivalliq a déclaré qu'au cours des dernières années, dans cette région, les demandes de renseignements et de conseils en matière d'affaires civiles avaient été aussi nombreuses qu'en matière de droit familial.

À Iqaluit, les répercussions du projet pilote d'aide juridique en matière de droit civil au cours des deux premières années de son fonctionnement ont été perçues comme étant limitées. Il n'existe au Nunavut aucun avocat qui exerce en affaires civiles dans le secteur privé, pour se charger des dossiers litigieux qui ont un impact direct sur la Cour ou pour fournir des conseils d'ordre juridique. Les avocats en droit civil qui représentent des clients du Nunavut sont presque tous situés à Yellowknife ou à Ottawa. Il n'existe aucun mécanisme extrajudiciaire public de règlement des conflits au sein du territoire qui pourrait être particulièrement utile dans les collectivités lorsque les parties au litige ne sont pas à l'aise avec le caractère formaliste ou adversatif du processus judiciaire. Hormis les règles relatives aux petites créances, le manque d'accès à la justice civile est particulièrement criant pour les parties au litige qui ne sont pas représentées par procureur. Selon la plupart des répondants clés qui travaillent au sein de l'appareil judiciaire, la situation des éventuelles parties non représentées pose un véritable problème au Nunavut, au vu du niveau peu élevé d'éducation des gens et des faibles connaissances qu'ils ont au sujet de leurs droits en matière d'affaires civiles.

5.2.8. La hausse du nombre de rencontres et de conférences préalables à l'instruction et de médiations

Les juges prennent part à des conférences de règlement à l'amiable, des médiations et, très fréquemment, à des réunions préalables au procès ou au circuit, tant dans le domaine du droit civil que du droit pénal. Certains des répondants clés qui sont avocats ont affirmé que la gestion de l'instance (en vertu de laquelle une affaire est encadrée par le même juge jusqu'à son règlement) n'est pas la démarche établie en matière civile et familiale et que les audiences dans ces domaines sont encore fréquemment ajournées sine die[22]. D'un autre côté, la Cour nommera un juge pour gérer l'instance sur demande d'un avocat. Du point de vue des magistrats, si seules quelques affaires font actuellement l'objet d'une gestion de l'instance, cela s'explique par le faible nombre de demandes qui ont été faites en ce sens.

Il n'est pas souvent fait appel à la médiation avec l'intervention du juge dans les affaires familiales au Nunavut. Les répondants clés qui font partie du barreau ont tous fait la remarque qu'ils travaillent durement au règlement de leurs affaires sans l'aide de la Cour. Les magistrats partagent cet avis, en ajoutant que les juges sont désireux d'apporter leur aide lorsque cela leur est demandé. Il semble qu'il y ait un niveau élevé de collégialité au barreau et un engagement fort de promouvoir le règlement lorsqu'il est juste et raisonnable, affirmation qui est également soutenue par les magistrats. La conférence préalable à l'instruction a été employée avec succès dans quelques affaires complexes. Les avocats impliqués ont exprimé leur satisfaction quant à ce processus, tout en mettant en garde à propos des difficultés des conférences lorsque les avocats et les parties ne sont pas situés au même endroit. Une autre préoccupation exprimée concernait les conséquences en termes de ressources et de temps de l'intervention précoce des juges dans les affaires de nature civile et familiale, étant donné les lourdes obligations de la Cour en matière de déplacement.

Le projet de médiation familiale Inuusirmut Aqqusiuqtiit (Éclaireurs) mis en œuvre à Iqaluit et à Cape Dorset constitue l'exception au manque de programmes de médiation formelle[23]. Au-delà d'Inuusirmut Aqqusiuqtiit, il n'existe aucun service de médiation dans le territoire visant à traiter les autres affaires civiles ou les affaires familiales qui comportent des questions complexes en droit des biens. Les quelques avocats qui sont membres du barreau n'offrent pas de services de médiation. Les répondants ont exprimé des avis divergents quant à savoir si la Cour devrait faire activement la promotion de services de médiation plus vastes dans le territoire.

5.2.9. Un accès accru aux audiences d'urgence et ex parte

On entend par audiences d'urgence et ex parte les situations dans lesquelles une ordonnance de la Cour est requise d'urgence (p. ex. : une ordonnance d'interdiction) mais qu'aucun juge n'est disponible à cet endroit. Tous les avocats se sont dits extrêmement satisfaits du service fourni par la Cour dans le contexte des situations d'urgence. Ils ont loués les efforts fructueux des juges et du personnel de la Cour pour s'assurer que les affaires urgentes soient traitées de manière rapide. Le calendrier judiciaire, qui exige qu'un juge soit disponible en permanence à Iqaluit, aide à faciliter l'accès aux audiences d'urgence, tout comme les dispositions de la Loi sur le Nunavut qui permettent aux juges de la Cour de justice du Nunavut de rendre des ordonnances lorsqu'ils se trouvent à l'extérieur du territoire. Les avocats situés hors d'Iqaluit étaient également satisfaits de l'accès dont ils disposaient en ayant la possibilité de soumettre certaines affaires par téléphone.

5.2.10. La sensibilité culturelle

La plupart des répondants clés, y compris les avocats et les juges de paix, ainsi que les personnes interrogées au sein des collectivités jugeaient favorablement la sensibilité culturelle des personnes associées à la Cour, et particulièrement celle des juges résidents. Ceci étant dit, plusieurs ont émis l'opinion que la Cour est et demeurera une institution quelque peu étrangère dans les collectivités et qu'il subsiste une interrogation fondamentale quant à la capacité de la Cour à se transformer elle-même pour s'adapter davantage sur le plan culturel, sans pour autant compromettre son identité en tant que tribunal.

Les personnes interrogées au sein des collectivités et les praticiens ont cité un certain nombre de pratiques de la Cour qui démontrent selon eux sa sensibilité sur le plan culturel. Elles vont du point symbolique – le recours aux écharpes en peau de phoque – aux questions de fond concernant le droit et le personnel. Le développement d'un service d'interprétation efficace a également été fréquemment cité à titre d'exemple de la sensibilité culturelle de la Cour.

Le plus souvent, le recours aux groupes d'aînés en matière de détermination de la peine était considéré comme une mesure importante pour prendre en compte les normes communautaires lors de la prise de décisions. Les groupes consultatifs d'aînés en matière de détermination de la peine sont actifs dans toutes les collectivités, à l'exception d'Iqaluit. La plupart des personnes interrogées se sont dites très satisfaites du recours aux aînés par la Cour, même si certaines d'entre elles ont soulevé des questions, notamment celle de savoir si les aînés étaient perçus comme partiaux dans certains cas lorsque des parents sont impliqués, ou si le fait de conférer aux aînés un statut similaire à celui des juges sans toutefois suivre leurs conseils était perçu comme respectueux (p. ex. : dans une situation où le droit exige l'incarcération alors que les aînés donnent un avis contraire).

La sensibilité des juges résidents aux ressorts communautaires et culturels et leur capacité à régler ces questions en matière de détermination de la peine ont été relevées par les répondants clés et les personnes interrogées au sein des collectivités. La volonté de la Cour de tenir compte du droit coutumier et de l'adopter a été souvent mentionnée dans le contexte du contentieux civil et familial.

Le nombre important d'employés inuits bilingues travaillant pour la Cour a été cité comme une force, même s'il a également été mentionné que tant qu'il n'y aura pas davantage d'avocats, voire de juges inuits, la représentation des Inuits demeurera limitée (la réussite de l'École de droit Akitsiraq commence à répondre à ce besoin, puisque les premiers diplômés font actuellement leur stage; la plupart d'entre eux, si ce n'est la totalité, ont l'intention d'exercer au Nunavut). La Cour a également été félicitée pour son soutien, son encouragement et son respect manifeste pour les autres intervenants inuits, notamment les conseillers parajudiciaires et les coordonnateurs des témoins à charge.

La plupart des avocats et des personnes interrogées au sein des collectivités estiment que la Cour est sensible à l'identité autochtone de ceux qui comparaissent devant elle. Comme l'un des avocats interrogés l'a fait remarquer, la Cour a intégré le besoin de prendre ce facteur en compte, de telle sorte qu'il n'est généralement pas nécessaire que cette considération soit énoncée de manière formelle. La grande majorité des avocats – avocats de la défense et procureurs de la Couronne – ont déclaré que la Cour est très bien informée de l'histoire personnelle des individus, de leurs liens avec la collectivité ou la culture, et des changements rapides sur le plan culturel auxquels sont confrontés les Inuits du Nunavut. Un avocat de la défense a fait observer que la Cour a presque toujours été plus loin dans la prise en compte de l'identité autochtone que ce à quoi l'on pourrait s'attendre en cas d'examen en appel.

5.3.  Le caractère suffisant des ressources

5.3.1. Les conseillers parajudiciaires

Le programme des conseillers parajudiciaires relève de la responsabilité de la Société d'aide juridique du Nunavut et est financé en vertu d'une entente de partage des coûts entre le ministère fédéral de la Justice et le ministère de la Justice du Nunavut. L'Étude sur les services juridiques au Nunavut, achevée en 2002, décrit le rôle idéal des conseillers parajudiciaires de la manière suivante :

[Traduction]

Les conseillers parajudiciaires constituent, ou devraient constituer, un lien essentiel entre les collectivités inuites du Nunavut et le système judiciaire qui demeure essentiellement itinérant. En étant présent en permanence au sein des collectivités, les conseillers parajudiciaires autochtones, par leur connaissance du système juridique et leur capacité à œuvrer au sein de celui-ci, jouent un rôle majeur en matière de représentation des personnes accusées devant la Cour. Leur rôle consiste souvent en des fonctions de facilitation : mettre les clients en contact avec les avocats du circuit, effectuer du travail de fond pour les conclusions, assurer des services d'interprétation, résoudre les difficultés d'ordre culturel, ou encore rassembler des ressources communautaires en vue de l'élaboration d'un plan de libération conditionnelle qui soit réalisable. Une collaboration efficace entre les avocats et les conseillers parajudiciaires renforce l'efficacité de la représentation en défense. Les conseillers parajudiciaires interviennent également de manière directe dans le processus judiciaire. En étant soutenus et formés, ils se sont révélés efficaces pour représenter les accusés lors des audiences de justification et des procès et pour organiser des activités d'information juridique, ainsi que pour fournir des renseignements et une aide inestimables aux personnes qui font l'objet d'accusations[24].

Cependant, il est important de noter que la description ci-dessus est idéalisée, selon les répondants clés interrogés pour cette étude. Le programme continue d'être miné par des problèmes de recrutement et de formation. Comme l'affirment également les auteurs de l'Étude sur les services juridiques au Nunavut (2002) :

[Traduction]

Le système des conseillers parajudiciaires est censé constituer une force essentielle des services juridiques assurés au niveau territorial. Dans les faits, en dépit du bon travail effectué par de nombreux conseillers parajudiciaires, le système semble être mal en point. La majorité des collectivités ne disposent pas de conseillers parajudiciaires, et leur nombre a beaucoup diminué au cours des dernières années. Plusieurs observateurs ont fait remarquer que les conseillers parajudiciaires se voient offrir de moins en moins de responsabilités. Aujourd'hui, contrairement à il y a cinq ans, il est plutôt rare qu'ils agissent pour leurs clients lors des procès devant la Cour de justice du Nunavut, voire même qu'ils comparaissent devant celle-ci. La capacité des différents conseillers parajudiciaires varie d'une collectivité à l'autre, en fonction de leur formation et de leur expérience, ainsi que de la confiance et du soutien manifestés à leur égard[25].

Alors que des conseillers parajudiciaires locaux travaillent actuellement au sein de 12 collectivités, les 14 collectivités restantes ne bénéficient pas de ce service. Le tableau 6 montre le nombre actuel de conseillers parajudiciaires dans l'ensemble du Nunavut, la collectivité qui leur est assignée, leur statut à temps plein ou à temps partiel, et leur lieu de résidence.

Tableau 6 : Affectation actuelle des conseillers parajudiciaires selon la collectivité[26]
  Nombre de conseillers parajudiciaires Temps plein/temps partiel Réside dans la collectivité
Baker Lake 1 partiel oui
Cambridge Bay 1 plein oui
Cape Dorset 1 partiel oui
Hall Beach 1 partiel oui
Iqaluit 1 plein oui
Kimmirut 1 partiel oui
Kugluktuk 1 partiel oui
Pangnirtung 1 partiel oui
Pond Inlet 1 partiel oui
Rankin Inlet 1 plein oui
Resolute Bay 1 partiel oui
Taloyoak 1 partiel oui

Les répondants clés, y compris les juges et les avocats, conviennent du fait que le degré de préparation devant la Cour a connu une amélioration importante dans les collectivités où l'on trouve un conseiller parajudiciaire. Lorsque le système fonctionne correctement, les conseillers parajudiciaires préparent et représentent l'accusé devant les cours des juges de paix, et travaillent avec l'avocat de la défense et l'accusé pour préparer les audiences de la CJN. Ils peuvent également aider à s'assurer que les témoins comparaissent à l'horaire prévu. Un des atouts évidents des conseillers parajudiciaires réside dans leur capacité naturelle à parler l'inuktitut ou l'innuinaqtun ainsi que l'anglais. Cependant, en raison du manque de conseillers parajudiciaires ayant une formation adéquate, il arrive souvent que des audiences des cours de juges de paix soient reportées parce que l'accusé n'est pas représenté. Dans de nombreuses collectivités, cela signifie d'autre part que l'avocat doit consacrer du temps à la préparation d'affaires dont pourrait normalement se charger un conseiller parajudiciaire local.

Les auteurs de l'Étude sur les services juridiques au Nunavut ont conclu que les conseillers parajudiciaires sont confrontés à un certain nombre d'obstacles, et notamment « le manque d'infrastructure et de ressources (comme des bureaux, des téléphones et des télécopieurs), un système de rémunération injuste et inadéquat […] et le manque de reconnaissance de leur travail[27]. »Le rapport continue en affirmant que « [l]es conseillers parajudiciaires ont néanmoins la capacité de combler bon nombre de besoins non satisfaits au sein du système de justice du Nunavut, y compris dans des domaines comme le droit de la famille, la justice pour les jeunes, la VIJ, la justice communautaire et alternative et les cours des juges de paix[28]. » Tandis que la Société d'aide juridique du Nunavut travaille actuellement à l'amélioration de la formation des conseillers parajudiciaires, d'autres difficultés – les infrastructures, les ressources et la rémunération (qui nuit au recrutement) – demeurent. Il s'agit en partie d'une question touchant à la gestion des ressources, qui concerne non seulement la Société d'aide juridique du Nunavut, mais également les ministères de la Justice au niveau fédéral et territorial, pour ce qui est d'assurer un financement suffisant et de veiller à l'atteinte des objectifs du programme.

En résumé, les conseillers parajudiciaires ont montré qu'ils peuvent avoir un impact positif sur la préparation de la Cour, du fait de leur capacité à travailler avec les accusés et les avocats. Leur capacité à s'exprimer couramment en inuktitut ou en innuinaqtun ainsi qu'en anglais constitue un précieux atout. Cependant, seules 12 collectivités sur les 26 que compte le Nunavut sont desservies par un conseiller parajudiciaire. Le programme continue d'être confronté à certains obstacles en matière de formation et de rémunération et en ce qui a trait à la reconnaissance de la contribution des conseillers parajudiciaires.

5.3.2. Les juges de paix

Actuellement, on compte 100 juges de paix en activité dans l'ensemble du Nunavut, en comparaison des 54 que l'on dénombrait en 2001[29]. La plupart sont inuits ou résident depuis longtemps dans le Nord. Les juges de paix s'occupent de la plupart des audiences de justification et de certaines questions qui se rapportent à la détermination de la peine et à la planification. Ils célèbrent également les mariages civils, participent aux cérémonies d'assermentations au sein de la collectivité et signent certains documents formels. Le programme des juges de paix relève de la responsabilité du doyen des juges, qui est assisté du doyen des juges de paix et de l'administratrice du programme. Les juges résidents prennent part à la formation des juges de paix, et apportent un soutien permanent par téléphone et sur les circuits.

Depuis la création de la CJN, le rôle des juges de paix est considéré comme un aspect important de l'administration de la justice dans le territoire. Cela s'explique par le fait que la CJN, en tant que tribunal unifié de juridiction supérieure, ne dispose pas de division équivalente à la Cour territoriale qui existait avant 1999. En conséquence, les juges de paix devraient théoriquement s'occuper d'une part importante des poursuites sommaires qui relevaient auparavant de la Cour territoriale. Cependant, tel qu'il est indiqué plus haut, les répondants clés qui travaillent au sein de l'appareil judiciaire sont préoccupés par le fait que le programme des juges de paix, même s'il fonctionne de mieux en mieux, ne répond toujours pas à leurs attentes.

Les répondants clés qui travaillent au sein de l'appareil judiciaire et les résidents des collectivités reconnaissent les efforts constants de la Cour afin de recruter et de former les juges de paix, tout en estimant que des efforts plus importants devraient être fournis à cette fin. Par exemple, certaines collectivités ne comptent qu'un seul juge de paix en activité. Certaines personnes interrogées ont souligné l'importance de disposer d'au moins quelques juges de paix dans chaque collectivité, essentiellement pour deux raisons : en premier lieu, l'éventualité d'un conflit d'intérêt (ce qui n'est pas rare dans les petites collectivités); ensuite, la possibilité qu'un juge de paix soit indisponible. Le même commentaire a été fait par les juges de paix interrogés, ainsi que par l'administratrice du programme des juges de paix qui a déclaré qu'il devrait y avoir idéalement trois juges de paix dans chaque collectivité et qu'en bout de ligne, chaque juge de paix devrait être formé au niveau le plus élevé de qualification (niveaux 3 et 4)[30]. Cette dernière a également fait observer que de nombreux juges de paix ont un autre emploi, chassent, voyagent ou se trouvent en situation de conflit d'intérêt dans leur collectivité, ce qui augmente le risque qu'aucun juge de paix ne soit disponible lorsque cela est nécessaire. Elle a également souligné le fait qu'il serait pratique que deux juges de paix siègent ensemble pour certaines audiences qui présentent des difficultés, en matière de libération conditionnelle ou de détermination de la peine, afin de pouvoir s'aider mutuellement. Cela donnerait également aux nouveaux juges de paix la possibilité d'acquérir une formation ou de bénéficier d'un mentorat.

Les avocats interrogés étaient d'avis que les juges de paix sont des personnes qui mettent généralement leur expérience et leur connaissance de la collectivité à profit lorsqu'ils s'acquittent de leurs tâches. Cependant, ils ont émis des réserves quant à savoir dans quelle mesure les juges de paix comprennent le droit dans l'exercice de leurs fonctions les plus complexes (niveaux 3 et 4). Par exemple, un répondant s'est demandé si la majorité des juges de paix comprennent véritablement les règles du renversement du fardeau de la preuve lors des audiences de justification. Les avocats ont fait remarquer que les juges de paix réagissent différemment lorsqu'il semble qu'ils ont des difficultés à appliquer le droit sur une question particulière – certains se récusent d'eux-mêmes, tandis que d'autres insistent pour poursuivre l'audience. Alors que les avocats n'étaient pas favorables à une augmentation du rôle des juges de paix, ils ont insisté sur le besoin de recruter en plus grand nombre et de mieux former les juges de paix, afin d'éviter ce genre de problèmes.

Le défi que représentent le recrutement et la formation des juges de paix dépend dans une large mesure des ressources financières disponibles. Le programme des juges de paix a dû faire face à ce problème depuis la création de la CJN. L'administratrice des juges de paix dispense actuellement, avec l'aide des juges, une certaine formation à chacun des quatre niveaux (p. ex. : en ce qui concerne les audiences de justification, la détermination de la peine et les mandats de perquisition). Des séances ont récemment été tenues à Iqaluit et dans les régions. En 2005, une formation spéciale portant sur la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA) a été financée par Justice Canada; cependant, selon l'administratrice du programme, il en faudrait davantage. L'allocation de crédits supplémentaires favoriserait l'expansion du programme de juges de paix, par la prise en charge des frais nécessaires au transport des juges de paix des collectivités à Iqaluit afin de siéger avec les juges de paix plus expérimentés d'Iqaluit pendant une semaine.

Si les juges de paix des collectivités étaient mieux formés et plus expérimentés, ils seraient plus nombreux à pouvoir s'occuper des affaires jugées par voie sommaire. En retour, cela permettrait d'alléger le rôle des poursuites sommaires présentées aux juges de la CJN. À Rankin Inlet, Cambridge Bay, Arviat et Gjoa Haven, au cours de l'année dernière, des juges de paix locaux expérimentés ont été en mesure de tenir des audiences de la cour des juges de paix en préparation des séjours de la CJN. À Rankin Inlet, par exemple, deux juges de paix s'occupent du premier jour du rôle des causes criminelles, le lundi de la semaine au cours de laquelle la Cour arrive. Les juges de paix s'occupent de détermination de la peine en ce qui a trait aux affaires les moins graves et préparent le rôle destiné au juge, qui commencera à siéger le mardi. Le procureur de la Couronne se rend en avion à Rankin Inlet pendant la fin de semaine précédant la semaine judiciaire pour travailler avec le juge de paix le lundi. L'avocat de la défense est d'ordinaire déjà présent à Rankin Inlet et, dans le cas contraire, il s'y rend également pendant la fin de semaine pour s'entretenir avec ses clients. Les juges de paix et le procureur de la Couronne s'assurent ensemble que les renseignements nécessaires sont présents et préparent le rôle des causes en vue de la tenue par le juge des enquêtes préliminaires et des procès à partir du mardi. Les juges et les avocats, aussi bien les procureurs de la Couronne que les avocats de la défense, ont fait des commentaires favorables au sujet de ce système. Il est toutefois limité par le fait que seuls deux juges de paix qualifiés sont disponibles à Rankin Inlet (il est fréquent que des conflits d'intérêt ou d'autres facteurs nuisent à leur disponibilité). Alors que le processus semble fonctionner de manière efficace, les juges de paix sont également confrontés au problème du manque de soutien administratif. Ils pourraient avoir recours aux services d'un employé de soutien pour les aider à tenir les registres de la Cour sur une base continue, à préparer les documents destinés à la CJN, et à se charger des questions administratives qui font suite au circuit de la Cour. Là encore, alors que le financement constitue la question fondamentale, le recrutement et la formation représentent également des préoccupations importantes.

Les doyens des juges de paix dans les collectivités qui sont qualifiés aux niveaux 3 ou 4 (p. ex. : à Rankin Inlet) s'acquittent souvent par téléphone de tâches de niveau 3, telles que les audiences de justification, pour le compte d'autres collectivités. Bien que cette façon de faire soit généralement efficace, elle peut présenter des difficultés à trois niveaux. D'abord, un juge de paix de niveaux 3 ou 4 n'est pas toujours disponible lorsque cela est nécessaire. Ensuite, nombreux sont les doyens des juges de paix qui ont vécu au sein de la collectivité pendant de nombreuses années et qui se trouvent fréquemment en situation de conflit d'intérêts, y compris lorsqu'ils tiennent des audiences de justification dans d'autres collectivités. Enfin, la majorité des juges de paix actuels de niveau 3 et 4 ne parlent pas l'inuktitut et les services d'interprétation ne leur sont généralement pas appropriés. Aussi, il n'est pas facile de déterminer qui assume la responsabilité de mettre en place des services d'interprétation pour les juges de paix, particulièrement pour les affaires à régler par téléphone avec les autres collectivités. Ces questions seraient en majeure partie résolues par une augmentation du nombre des juges de paixen milieu communautaire qui parlent l'inuktitut et qui ont au moins une formation de niveau 3.

En bref, les juges de paix jouent un rôle essentiel dans l'administration de la justice au Nunavut, en assumant des responsabilités diverses pour le compte de la Cour. À Cambridge Bay, Rankin Inlet, Gjoa Haven et Arviat, les juges de paix expérimentés sont en mesure de réunir une cour des juges de paix le jour qui précède l'arrivée de la CJN, et de régler de cette façon toutes les affaires qui seraient autrement traitées par les juges. Bien que des progrès aient été réalisés, le besoin de juges de paix supplémentaires se fait encore ressentir pour faire face aux demandes des collectivités. Par ailleurs, les juges de paix ont toujours besoin de suivre une formation et d'acquérir des compétences aux niveaux supérieurs (en particulier au niveau 3).

5.3.3. Le recours aux juges suppléants

Les juges suppléants, qu'ils soient encore actifs ou retraités, se déplacent depuis d'autres ressorts à destination du Nunavut, en vue de prendre en charge une partie des affaires qui doivent être entendues lors des circuits. En 2005, 16 juges suppléants provenant de différentes provinces, principalement de l'Ontario et de l'Alberta, ont siégé au Nunavut. La Division des services judiciaires estime que les juges suppléants s'occupent d'environ 23 pour cent des semaines au cours desquelles la Cour siège. Cette proportion serait plus importante si on allouait aux juges du Nunavut des semaines dédiées à la rédaction de jugements, comme cela se fait dans la plupart des autres ressorts (habituellement huit semaines par an).

Alors que le rôle des juges suppléants est essentiel au fonctionnement de la CJN, ils peuvent représenter une charge exigeante pour le doyen des juges et le personnel judiciaire. Une grande partie des juges suppléants qui exercent au Nunavut le font depuis longtemps et connaissent bien le caractère exigeant des déplacements, les collectivités, la particularité de la culture et les difficultés logistiques qui sont propres au Nunavut. Néanmoins, d'autres juges suppléants ne connaissent pas aussi bien ces facteurs et ont besoin d'une formation intensive. La doyenne des juges assume ce rôle, en partie parce qu'elle est responsable du calendrier des circuits. Elle a préparé un manuel d'utilisation à destination des juges invités, même s'il s'agit d'une introduction relativement brève sur la conduite des audiences au Nunavut.

L'une des principales préoccupations de la doyenne des juges est d'assurer la cohérence du processus judiciaire, un objectif difficile au vu des différences entre les juges non résidents en termes de connaissances et de style, ainsi que du nombre relativement peu élevé de décisions répertoriées au niveau territorial. Lors de sa création, la Cour à palier unique avait pour objectif de permettre aux collectivités de se familiariser avec la Cour en s'assurant de la cohérence entre les juges qui se déplaçaient sur les circuits. Le succès de cette démarche a été quelque peu amoindri en raison du manque de juges suppléants. Un des répondants clés a fait remarquer que la présence de juges suppléants peut changer la dynamique de la Cour dans les collectivités car ils sont relativement peu connus des résidents. De la même manière, il a été remarqué qu'il est parfois difficile pour les avocats du Nunavut de travailler avec des juges suppléants qu'ils ne connaissent pas bien parce que les avocats ne sont pas certains de la manière dont ils doivent se préparer et de la démarche judiciaire à laquelle ils doivent s'attendre.

Tous les avocats interrogés ont également exprimé l'avis que les collectivités sont mieux desservies par les juges qui résident au Nunavut. Parmi les facteurs mentionnés qui reviennent fréquemment figure la solide compréhension qu'ont les juges résidents de la culture inuite, des attentes de la collectivité, et du parcours des individus qui comparaissent devant la Cour (p. ex. : les traumatismes subis, les déficiences graves et ainsi de suite). De nombreux avocats criminalistes étaient d'avis que les juges suppléants sont plus enclins à imposer des peines d'incarcération, et que la capacité réduite qu'ont les avocats à évaluer la peine que prononcera le juge influe sur les conseils qu'ils donnent à leurs clients. En conséquence, les avocats ont affirmé que cela pourrait entraîner une plus grande réticence de leur part à inscrire un plaidoyer de culpabilité, et qu'il serait d'autant plus probable qu'ils demandent un rapport présentenciel ou toute autre mesure qui pourrait ralentir le processus judiciaire.

Ces remarques étant faites, les juges résidents du Nunavut et la grande majorité des avocats se sont montrés en général très satisfaits de la contribution globale des juges suppléants.

En bref, les juges suppléants constituent encore une composante essentielle de la CJN dans la mesure où ils prennent en charge un important nombre de circuits. Parallèlement, ils représentent un coût pour l'appareil judiciaire. Cette question est liée au besoin de juges résidents supplémentaires au Nunavut (tel qu'abordé plus bas).

5.3.4. La disponibilité des avocats

Les répondants clés ainsi que les personnes de la collectivité interrogées ont unanimement reconnu qu'il y avait trop peu d'avocats de la défense en exercice au Nunavut. Le nombre limité d'avocats de pratique privée et l'absence de développement du secteur privé demeurent une préoccupation. En 2005-2006, on comptait 10 avocats de pratique privée pour 33 avocats du secteur public au Nunavut[31]. Alors que la situation s'est quelque peu améliorée au cours des dernières années, le fait que certains avocats fonctionnent au-delà de leur capacité, parce qu'ils s'occupent de trop nombreux circuits et gèrent de trop nombreux dossiers, suscite également des inquiétudes. En retour, on considère que cette situation entraîne un manque de préparation des dossiers, des retards et, en fin de compte, des cas d'épuisement professionnel. Les répondants clés et les personnes interrogées au sein des collectivités ont émis l'opinion selon laquelle cette question, en l'absence d'un véritable secteur privé dans la profession, a un impact direct sur la nécessité de financer la création de postes supplémentaires au sein du personnel de l'aide juridique.

Les répondants clés pensent dans l'ensemble que les procureurs de la Couronne sont en nombre suffisant, particulièrement quand le bureau de Justice Canada fonctionne à plein effectif avec 13 à 15 avocats. Cependant, il existe un certain consensus au sein de la communauté juridique pour considérer qu'il devrait y avoir un procureur de la Couronne qui réside à l'extérieur d'Iqaluit, à Rankin Inlet et/ou à Cambridge Bay. Cela pourrait favoriser des rapports plus nombreux entre le service des poursuites et les juges de paix locaux, les comités de justice communautaire et les avocats de l'aide juridique qui résident dans les régions du Kivalliq et du Kitikmeot.

La plupart des répondants clés avaient l'impression qu'il était possible de créer au moins un poste de plus en droit de la famille afin de s'occuper de la demande toujours croissante de services en droit de la famille. Les avocats gèrent une lourde charge de travail (en moyenne autour de 100 affaires) avec un personnel de soutien limité (plus important en matière de droit de la famille, en raison de la proportion plus élevée de travail de rédaction) et avec tous les obstacles logistiques qui sont typiques de l'exercice de la profession dans les régions du Nord.

Plusieurs avocats et juges ont mentionné l'absence d'avocats résidents exerçant dans le domaine du conseil comme un obstacle à l'accès à la justice.

Plusieurs personnes interrogées – des procureurs de la Couronne et des avocats de la défense – ont fait remarquer que toute évaluation de la charge de travail d'un avocat doit prendre en compte non seulement le nombre réel d'affaires dont s'occupe l'avocat en cause, mais également la nature généralement grave, voire traumatisante, d'une forte proportion des infractions et des circonstances qui les entourent, et qui rendent leur travail plus difficile et plus pénible sur le plan émotionnel.

Alors que la plupart des répondants ont laissé entendre que la pénurie d'avocats n'était pas suffisamment grave pour provoquer une crise du système, les personnes interrogées ont mentionné un certain nombre de conséquences qui découlent de cette pénurie. En premier lieu, elles sont préoccupées par les situations d'épuisement professionnel qui peuvent conduire à un important roulement du personnel ayant un impact sur les ressources et constituant une perte récurrente d'expertise. Ensuite, certains répondants clés ont indiqué que la combinaison d'une lourde charge de travail et du stress associé à la nature des infractions et aux exigences des déplacements peut entraîner des retards au niveau du traitement des dossiers. De manière relativement fréquente, les juges estiment qu'il est nécessaire d'ajourner un procès en raison du manque de préparation de l'avocat de la défense. Les personnes interrogées ont également reconnu que la préparation de l'avocat dépend dans une large mesure du bon vouloir de l'accusé à participer au processus, facteur qui est en grande partie hors du contrôle de l'avocat mais qui confirme la nécessité de disposer d'avocats de la défense et de conseillers parajudiciaires en plus grand nombre. Enfin, certaines personnes interrogées ont fait observer qu'une lourde charge de travail signifie d'autre part que l'avocat est complètement accaparé par les affaires dont il a la charge et est rarement en mesure de consacrer une partie de son énergie et de son temps à repousser les limites du droit – depuis la contestation de la législation sur la protection de l'enfance à l'expansion de la jurisprudence en matière de détermination de la peine pour les Autochtones, par exemple.

5.3.5. Les locaux

Tous les répondants et les personnes interrogées au sein des collectivités ont constaté que l'emménagement dans les locaux du nouveau palais de justice d'Iqaluit effectué en 2006 conduirait à une amélioration significative des conditions de travail, de l'accès du public et de la sécurité.

D'un autre côté, les répondants clés et les personnes interrogées au sein des collectivités reconnaissent à l'unanimité les défauts des locaux communautaires. Dans les petites collectivités, la Cour se réunit habituellement dans la salle communale. Le problème le plus couramment cité par les répondants qui travaillent au sein de l'appareil judiciaire était le manque de locaux pour recevoir les clients – plusieurs personnes ont fait remarquer que les entrevues entre les avocats et leurs clients sont fréquemment tenues dans les toilettes ou à l'autre bout de la pièce, en face de l'avocat adverse. Des inquiétudes ont été soulevées au sujet de la sécurité des victimes dans certaines affaires, et de la protection des enfants témoins (la Cour ne se déplace pas toujours avec un écran).

Les avocats et les magistrats réagissent différemment face à ces lacunes– la majorité des personnes interrogées se résignaient à accepter ces conditions, généralement au motif qu'elles étaient les meilleures que les collectivités avaient à offrir. Quelques uns s'inquiétaient du fait que la qualité des locaux puisse poser un problème pour la perception de l'administration de la justice ou pour les témoins ou autres personnes concernées par les activités de la Cour.

Les avocats situés à l'extérieur d'Iqaluit et les magistrats souhaitent qu'il y ait un deuxième palais de justice, plus modeste, dans la région du Kitikmeot ou celle du Kivalliq. Ils estiment que la présence permanente d'un palais de justice renforcerait considérablement le service dans ces régions. Une telle décision relève de la responsabilité du gouvernement du Nunavut.

La préoccupation qui est revenue le plus souvent concerne les liaisons téléphoniques avec les collectivités, comme nous l'avons mentionné plus haut dans ce rapport. Les préoccupations des avocats interrogés concernent les situations dans lesquelles la mauvaise qualité de la liaison par téléphone empêche le déroulement de l'audience ou les oblige à poursuivre en se fiant à l'intégrité de l'avocat adverse, parce qu'ils peuvent à peine entendre ce qui se dit, ou encore les situations qui ont une incidence sur les droits de leur client, alors qu'ils ne peuvent pas participer à l'audience par téléphone en raison du manque d'équipements de téléconférence. La question est beaucoup plus grave au Nunavut qu'ailleurs, en raison des vastes distances et de la faible capacité des télécommunications dans les petites collectivités, à savoir que la demande est plus importante et la capacité plus restreinte que dans les autres ressorts. Selon un répondant, il est très risqué de se fier à tout ce qui est numérique en dehors d'Iqaluit. Les membres de la Cour ont fait l'expérience d'emmener avec eux des téléphones (à la fois analogiques et numériques) lors d'un circuit, ce qui s'est avéré être un véritable fardeau pour le personnel. Il a été proposé de doter chaque collectivité de téléphones permanents destinés à la Cour, semblables aux télécopieurs qui ont été installés dans les collectivités plusieurs années auparavant. Cependant, alors que cette possibilité pourrait combler l'absence de téléphones utilisés exclusivement pour les besoins de la Cour, cela ne règlerait pas le problème de la capacité généralement faible des télécommunications dans les collectivités.

5.4.  Les effets non recherchés

5.4.1. La Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents

Relativement peu de répondants clés travaillant au sein du système judiciaire avaient un avis tranché sur les effets de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA), même si la plupart ont remarqué une diminution du nombre de peines d'emprisonnement. En 2006, environ la moitié des contrevenants purgent une peine en établissement en comparaison de la situation trois ans auparavant (8, comparé à 15) avec un recours accru aux maisons de détention et aux autres mesures de substitution communautaires. Les répondants clés estiment que les nouvelles dispositions – p. ex. : le recours aux ordonnances différées de placement – augmentent les possibilités dont disposent les magistrats. Les procureurs de la Couronne ont remarqué un accroissement marqué du nombre de jeunes qui sont renvoyés par la police avant que des accusations ne soient déposées, en affirmant qu'ils étaient plus enclins à demander aux policiers de tels renvois dans le cadre du processus d'examen des accusations.

Ceci étant dit, plusieurs répondants ont exprimé de sérieuses préoccupations au sujet des perspectives des jeunes les plus vulnérables au Nunavut – soit en raison du taux de décrochage au secondaire qui s'élève à 75 p. 100, soit des conditions telles que les troubles liés à l'alcoolisation fœtale, ou encore du manque de perspectives d'emploi ou de possibilités récréatives. Dans ce contexte, certains se disent inquiets que la LSJPA et la Cour ne soient pas en mesure de répondre efficacement aux besoins de cette population et de jouer un rôle préventif. La Cour a fait part de l'importance d'une plus grande coordination des services et des programmes pour les jeunes contrevenants, notamment par l'identification de personnes désignées au sein des organismes de services sociaux, de la défense et du ministère public. À ce jour, aucune ressource n'a été allouée pour mettre au point une telle coordination.

Onze personnes sont désignées au Nunavut comme étant des juges des tribunaux pour adolescents. Parmi eux, trois dépendent de la CJN et les huit autres sont des juges de paix (niveau 4). Comme nous l'avons indiqué plus haut, les juges de paix ont reçu une certaine formation concernant la LSJPA, même si cela ne suffit pas à augmenter l'admissibilité des juges de paix pour agir à titre de juges des tribunaux pour adolescents. Un répondant clé impliqué dans le programme des juges de paix a fait savoir qu'au vu du faible nombre de juges de paix capables de traiter des affaires qui mettent en cause des adolescents, l'effet de la LSJPA sur les juges de paix de la Cour a été minime. La CJN a tendance à n'entendre les affaires mettant en cause des adolescents que lorsqu'elles présentent une nature sérieuse. La plupart des autres affaires sont transférées à la compétence des comités de justice communautaire soit par la police (avant la mise en accusation) ou par les procureurs de la Couronne (après la mise en accusation)[32].

La Cour a pris l'initiative d'impliquer des groupes consultatifs de jeunes dans le système judiciaire dans un certain nombre de collectivités. À ce jour, de tels groupes ont été constitués et sont actifs à Iqaluit, Rankin Inlet, Arviat, Cambridge Bay et Kugluktuk. Les jeunes sélectionnés ont la possibilité de s'adresser aux contrevenants et à la Cour au sujet des infractions et de la détermination de la peine, une fois que les parties ont fait leurs observations sur la peine, et le groupe a d'autre part la possibilité de délibérer en privé. Il est généralement fait appel à ces groupes dans des affaires qui impliquent des jeunes et des actes qui ne sont pas d'une nature violente grave et qui ne constituent pas des agressions sexuelles. On s'entend généralement pour dire que cette initiative renforce l'objectif de la peine pour les contrevenants et sensibilise les jeunes au processus judiciaire.

5.5. Lacunes, difficultés et obstacles à surmonter

5.5.1. La compréhension du système judiciaire du Nunavut au sein des collectivités

La plupart des répondants clés ont l'impression que la compréhension qu'ont les Nunavummiut du système judiciaire et de leurs droits est relativement limitée. Plusieurs ont déploré le peu de connaissances qu'ils ont au sujet de questions fondamentales telles que le rôle du ministère public et de la défense dans le système accusatoire, la responsabilité des juges quant à l'application de la loi, et plus particulièrement de la jurisprudence, ou encore les différences entre le droit familial et le droit pénal dans le contexte des violences familiales.

Certaines personnes interrogées ont toutefois fait remarquer que de nombreux Nunavummiut ont une bien meilleure compréhension du système de justice pénale que le grand public plus au sud. Ils ont souligné la présence de la Cour dans les collectivités ainsi que la forte affluence lorsque la Cour siège. Ils ont également fait référence au fait qu'un grand nombre de Nunavummiut ont déjà eu directement à faire avec l'appareil judiciaire, en tant qu'accusés ou victimes ou encore comme proches ou amis de personnes qui comparaissent devant les tribunaux. Selon eux, un grand nombre, si n'est la plupart des Nunavummiut ont une solide compréhension des procédures judiciaires. Quelques personnes interrogées ont fait état de l'importante différence entre les générations – les plus jeunes tendant à mieux connaître leurs droits et le fonctionnement du système.

Une véritable inquiétude est apparue quant aux connaissances très limitées que les habitants ont de leurs droits en matière de droit familial, et au fait que la plupart des membres des collectivités ont peu idée des moyens de réparation qui s'offrent à eux en matière civile. D'un autre côté, certains répondants clés ont fait remarquer que cette situation pourrait être amenée à changer à mesure que croît le nombre d'avocats en droit de la famille qui commencent à pratiquer au Nunavut et que se propage le message au sein des collectivités.

Un petit nombre de répondants clés ont fait des commentaires sur le manque général de compréhension du public au sujet du fonctionnement de la Cour en comparaison de leur connaissance du gouvernement, des organismes gouvernementaux et des organisations inuites qui exercent des responsabilités en matière de revendications territoriales. Certains ont laissé entendre que les habitants ne font généralement pas une grande distinction entre les fonctions judiciaires et les fonctions exécutives. En conséquence, de nombreuses personnes ne voient en la Cour qu'un autre démembrement du gouvernement, plutôt qu'un organe complètement indépendant qui constitue un frein à l'autorité gouvernementale. À cet égard, il appartient (du point de vue de la Cour) au doyen des juges de surveiller en tout temps la relation entre la Cour et le gouvernement afin de s'assurer du respect de l'indépendance judiciaire. Cette indépendance est considérée comme étant essentielle pour préserver la crédibilité de la Cour aux yeux des Nunavummiut.

Les personnes interrogées au sein des collectivités ont généralement reconnu le manque de compréhension parmi les Nunavummiut au sujet du fonctionnement de l'appareil judiciaire, en particulier en ce qui concerne le droit de la famille et les affaires civiles. Elles se sont dites d'avis que la présence d'un avocat à plein temps, d'un juge de paix ou d'un conseiller parajudiciaire serait utile à cet égard, en particulier si cette personne acceptait de sensibiliser les membres de la collectivité à leurs droits.

5.5.2. Vulgarisation et information juridiques

La plupart des répondants ont convenu qu'il y a relativement peu d'efforts visibles de vulgarisation et d'information juridique (VIJ) en cours sur le territoire. Cependant, le besoin accru de VIJ ne faisait pas l'unanimité parmi les avocats. Les résidents des collectivités ressentent un réel besoin de VIJ et nombre d'entre eux ont suggéré que les avocats et les conseillers parajudiciaires consacrent du temps à ce type d'initiatives au sein des collectivités.

En vertu de la Loi sur les services juridiques du Nunavut et des ententes de financement conclues entre les gouvernements fédéral et territorial, la Société d'aide juridique du Nunavut est responsable au premier chef des services de VIJ dans le territoire. Plusieurs répondants clés travaillant dans l'appareil judiciaire ont donné leur avis sur la possibilité que des comités de justice communautaire bien informés puissent avoir un rôle important en matière de VIJ. Cependant, la plupart d'entre eux estiment que les membres actuels des comités n'ont pas reçu une formation suffisante ou n'ont pas les connaissances requises pour s'acquitter de cette tâche au sein des collectivités à l'heure actuelle. D'un autre côté, l'opinion des comités sur ce point est moins tranchée. Les membres des comités bien établis ont fait savoir qu'ils seraient en mesure, à titre de comité, de participer aux programmes de VIJ. Toutefois, ces mêmes membres ont également affirmé que, dans la plupart des cas, ils n'ont pas suffisamment de temps à consacrer à ce genre d'activités, en plus du travail qu'ils fournissent déjà en s'occupant des affaires qui leur sont renvoyées.

Un peu plus de la moitié des répondants clés ont insisté sur l'insuffisance manifeste des programmes de VIJ et sur le besoin considérable d'efforts pour faire en sorte que les habitants aient accès en temps utile, dans la langue de leur choix, aux renseignements qui concernent leurs droits en matière de droit familial, de droit civil et de droit criminel. Plusieurs personnes ont insisté sur l'importance d'aller au-delà d'une simple déclaration au sujet des droits et des responsabilités au niveau juridique, en privilégiant plutôt le besoin d'information et de services qui permettrait aux gens de mettre en œuvre ces droits. La ligne d'information gratuite en droit de la famille exploitée par la Société d'aide juridique du Nunavut a été citée à titre d'exemple par les répondants clés et les personnes de la collectivité interrogées. Plusieurs membres des collectivités ont exprimé le souhait que les avocats en tournée prennent le temps de tenir des réunions d'information juridique et de répondre aux questions quand ils sont au sein des collectivités.

La CJN a été directement impliquée dans un certain nombre d'initiatives notables faisant la promotion de la vulgarisation juridique auprès des jeunes. La Cour a joué un rôle de premier plan dans la mise en place de groupes de jeunes dans plusieurs collectivités, comme cela a déjà été mentionné plus haut. Les groupes permettent aux jeunes gens de prendre part aux instances qui impliquent des jeunes et de formuler des commentaires en matière de détermination de la peine. Au cours des dernières années, les juges ont également coordonné un cours de droit au niveau du secondaire à Iqaluit.

Il faut également faire remarquer que le doyen des juges a apporté un soutien essentiel au développement et à la réussite du programme de formation des avocats inuits de l'école de droit Akitsiraq. Tandis que d'autres organismes, dont Justice Nunavut et Justice Canada, ont également soutenu activement le programme, le rôle de premier plan de la Cour a été déterminant dans le succès de cette initiative.

5.5.3. Les comités de justice communautaire

Les comités de justice communautaire jouent un rôle important dans le système judiciaire du Nunavut[33]. Les comités sont actifs dans toutes les collectivités, bien que leur capacité à traiter les affaires puisse varier d'un comité à l'autre. Le traitement de certaines affaires est renvoyé soit par la GRC si l'on se situe avant le dépôt des accusations, soit par les procureurs de la Couronne si des accusations ont déjà été portées. Les affaires qui concernent des infractions mineures commises par des jeunes à l'encontre de biens sont celles qui font le plus souvent l'objet d'une déjudiciarisation, même si les comités s'occupent également d'infractions plus graves commises par des adultes. En plus de la question de la capacité, il semble y avoir une différence dans la fréquence et le type des renvois préalables au dépôt d'accusations en fonction des opinions personnelles des membres de la GRC[34]. Les procureurs de la Couronne semblent être plus constants dans leur approche de la déjudiciarisation des affaires et ils suivent en règle générale les lignes directrices définies dans le Guide des poursuites (même s'ils ressentent une certaine frustration – voir ci-dessous). Mis à part ces variations, les répondants clés qui travaillent au sein de l'appareil judiciaire s'entendaient presque à l'unanimité pour dire que les comités de justice communautaire constituent une composante essentielle du système judicaire du Nunavut. Les personnes interrogées au sein des collectivités et les membres des comités partagent cet avis.

Les répondants clés considèrent que la Cour est favorable aux initiatives de justice communautaire et aux comités. Peu d'avocats se sont toutefois avoué convaincus que les comités s'impliquent autant qu'ils le devraient dans les affaires et sur les questions pour lesquelles leur contribution pourrait être utile. La plupart des répondants clés ont remarqué des différences entre les collectivités. Plusieurs ont fait observer que les comités étaient dans une position très faible dans certaines collectivités – en ayant du mal à obtenir des membres des comités qu'ils assistent aux réunions, à recruter et à retenir les membres, ou en n'étant pas disposé à s'impliquer dans certains types d'affaires. La rémunération peu élevée des coordinateurs des comités, l'insuffisance de leur formation et le manque de soutien à leur égard ont été mentionnés comme des facteurs susceptibles de rendre plus difficile le bon fonctionnement des comités. Selon les avis exprimés, ces difficultés proviennent du manque de soutien et de financement du gouvernement du Nunavut, ainsi que de l'épuisement professionnel des membres des collectivités engagés. Dans certaines collectivités, les avocats constatent que les comités actifs jouent un nombre important de rôles et qu'ils souhaitent avoir davantage de responsabilités.

Les avocats avaient relativement peu de choses à dire au sujet du rôle approprié des comités de justice communautaire. La plupart des répondants ont parlé de la prise en charge des renvois par les comités et de leur capacité à donner leur avis lors de la détermination de la peine et à jouer un rôle de supervision des peines en milieu communautaire (p. ex. : le contrôle des excuses faites aux victimes par les contrevenants, ou la mise au point et la supervision des travaux d'intérêt collectif). Une des personnes interrogées a fait remarquer que – avec le temps – les comités de justice communautaire devraient jouer un rôle clé dans l'implication des collectivités au sein du processus judiciaire et leur prise de conscience de leurs responsabilités dans la gestion des problèmes qui sont susceptibles d'entraîner l'intervention de la Cour. Une autre a relevé que les comités ont la capacité de faciliter le règlement concret des problèmes touchant la communauté, en citant une récente vague d'actes de vandalisme commis par des jeunes pour illustrer le besoin que la collectivité s'implique davantage. Quelques répondants clés ont parlé des comités de justice communautaire comme d'un pont culturel entre une Cour considérée dans une large mesure comme étrangère et les collectivités dans lesquelles elles travaillent. Deux des répondants ont discuté de la possibilité que les comités de justice communautaire s'impliquent dans la résolution des conflits en matière de droit civil ou de droit de la famille et un autre de leur rôle éventuel dans les programmes de VIJ.

Les magistrats sont d'avis que les comités de justice communautaire devraient recevoir davantage de renvois de la part des policiers et du ministère public, à supposer qu'ils reçoivent le soutien nécessaire au développement des capacités requises. Il a aussi été fait remarquer que les comités ont la possibilité d'intervenir de manière efficace et active en matière de médiation familiale et civile, en particulier parce que la démarche des comités pourrait être plus adaptée à la culture inuite que celles que l'on retrouve en principe dans le sud. Les membres des comités de justice communautaire partagent dans l'ensemble ce point de vue, même s'ils soulignent qu'ils voudraient recevoir une formation en techniques de médiation. Ils insistent également sur le manque de soutien administratif auquel sont confrontés en permanence de nombreux comités[35].

La responsabilité de la coordination avec les comités relève du ministère public, et non de la Cour. La pratique courante du ministère public consiste à essayer de se réunir avec les comités lors de chaque circuit pour discuter des éventuels renvois après accusation et du suivi des renvois antérieurs. Les procureurs de la couronne pensent généralement qu'ils sont limités par les lignes directrices fédérales quant aux types d'infractions qui peuvent faire l'objet d'un renvoi auprès des comités, même lorsque les comités ont la capacité et la volonté de prendre en charge davantage d'affaires. À une exception près, les avocats de la défense n'ont pas participé de manière significative aux travaux de justice réparatrice en milieu communautaire.

Les opinions des répondants clés différaient sur la question de savoir si les juges devraient en faire davantage pour se réunir directement avec les comités de justice communautaire. Certains ont déclaré que la tenue de réunions régulières à l'extérieur de la Cour constituerait une étape utile pour aider les comités à développer leurs capacités. Les mêmes répondants ont indiqué que l'instauration de communications régulières entre les comités et les juges favoriseraient la compréhension de ces derniers quant aux forces et aux faiblesses de chaque comité. Une question à été posée à propos de l'utilité et du caractère approprié de réunions régulières, en ce qu'elles pourraient faire naître des attentes irréalistes, étant donné la capacité limitée des juges à favoriser le processus de réparation et la déjudiciarisation. À cet égard, l'élément à retenir est que la justice en milieu communautaire relève de la responsabilité de la collectivité et non de celle de la Cour.

5.5.4. Les services d'interprétation

On compte peu de ressorts au Canada dans lesquels l'interprétation est aussi présente, et aucun ne fait autant de place aux langues autochtones au sein du système judiciaire. La Cour entend quotidiennement des témoignages en inuktitut et en innuinaqtun. Il arrive fréquemment que certains jurés ne connaissent que l'inuktitut et qu'un interprète doive être présent tout au long de l'instance. La Cour a recours à l'interprétation consécutive, qui permet – si cela s'avère nécessaire – de comparer la version anglaise et celle en inuktitut. La Cour parraine un cours annuel de huit semaines en interprétation judiciaire (offert au début par l'entremise du Collège de l'Arctique du Nunavut et désormais organisé par la Cour à l'interne) en vue de former des interprètes dans l'ensemble du territoire. Bien qu'il soit arrivé à une ou deux reprises que l'audience n'ait pas pu avoir lieu en raison de l'absence d'interprète, les répondants clés et les personnes interrogées au sein des collectivités affirment que la Cour s'est généralement distinguée par sa capacité à faire en sorte qu'un interprète formé soit présent lorsque cela était nécessaire. Les avocats et les juges expérimentés du Nord prennent régulièrement des mesures en vue de faciliter le processus d'interprétation, notamment en fournissant à l'avance aux interprètes un exemplaire des exposés ou des observations destinés aux jurés.

Certains avocats anglophones émettent toujours des réserves à propos de la constance de la qualité de l'interprétation. Ces répondants s'inquiètent de la possibilité que certains concepts juridiques complexes ne soient pas traduits correctement dans certains cas ou que les témoignages ne soient pas traduits de manière complète et précise. Ils se sont dits particulièrement préoccupés par la qualité de l'interprétation dans l'Arctique de l'Ouest où les différences entre les dialectes peuvent représenter un défi pour les interprètes qui se déplacent avec la Cour. En raison de l'expérience qu'ils avaient alors de l'interprétation, quelques avocats ont affirmé qu'ils conseilleraient à leurs clients ou à leurs témoins de s'exprimer en anglais, même si ces derniers sont moins à l'aise dans cette langue, afin d'éviter les éventuels pièges et incertitudes de l'interprétation.

Les personnes interrogées ont déclaré être préoccupées par le fait qu'il ne semblait pas y avoir de solution à ces problèmes d'interprétation lorsqu'ils surviennent. Toutefois, le premier groupe d'avocats bilingues (inuktitut et anglais) intègre la profession et ils pourraient être en mesure de surmonter les difficultés d'interprétation. En règle générale, les personnes interrogées au sein des collectivités sont satisfaites des services d'interprétation fournis par la Cour.

Quelques avocats ont mentionné en particulier l'utilité des interprètes judiciaires pour faciliter la communication avec les clients en dehors du cadre formel des instances judiciaires.

5.6.  Résumé : l'administration de la justice

Les délais de traitement des affaires ont diminué depuis 2001. On constate toujours autant d'ajournements, surtout dans les collectivités, pour un certain nombre de raisons. Toutefois, les praticiens sont presque unanimes pour dire que les retards ne constituent pas un défi majeur auquel serait confrontée la Cour. Les retards dans le traitement des affaires sont perçus en règle générale comme étant acceptables, voire inévitables eu égard aux facteurs qui sont hors de contrôle, tels que les conditions météorologiques. Certains membres des collectivités sont cependant davantage préoccupés par les délais de traitement des affaires, notamment en matière de violence conjugale. Les retards sont vus comme étant stressants, tant pour l'accusé et les victimes que pour leurs familles.

Les détentions préventives sont courantes au Nunavut, tout comme dans les autres ressorts. Au Nunavut, elles entraînent un certain nombre de coûts, dès lors que les contrevenants placés en détention préventive doivent être transportés par avion au Centre correctionnel de Baffin situé à Iqaluit ou au Centre correctionnel de Yellowknife. De même, la surpopulation dans ce dernier établissement génère un stress important.

On constate une pénurie importante de conseillers parajudiciaires situés au sein des collectivités. Alors qu'il existe des obstacles au recrutement de conseillers parajudiciaires supplémentaires, les praticiens et les membres des collectivités estiment qu'ils amélioreraient l'efficacité du système judiciaire en travaillant avec l'accusé et l'avocat de la défense, et en se chargeant de certains travaux préparatoires avant l'arrivée de la CJN. De même, il faudrait davantage de juges de paix, et notamment des individus qui possèdent de l'expérience et qui sont formés au moins au niveau 3. Dans les collectivités où l'on trouve de tels juges de paix en nombre suffisant, une cour des juges de paix se réunit la veille de l'arrivée de la CJN. Dans ces collectivités, la préparation du rôle des causes destiné au juge a augmenté l'efficacité du traitement des affaires.

Le manque de programmes en milieu communautaire, et notamment le manque de services en matière de toxicomanie et de santé mentale, de programmes destinés aux jeunes et de services de probation, nuit gravement à la capacité des juges d'avoir recours à des mesures de substitution à l'emprisonnement. Le manque de services de probation appropriés a plus particulièrement des conséquences négatives sur l'efficacité de la Cour, voire sur sa crédibilité. En ce qui concerne les mesures non privatives de liberté prévues par la LSPJA, l'absence de programmes communautaires et les lacunes des services de probation posent des difficultés sérieuses à la Cour.

L'accès aux services en droit familial s'est amélioré ces dernières années grâce à l'augmentation du nombre d'avocats de l'aide juridique qui pratiquent en droit de la famille, ainsi qu'aux efforts des juges visant à rendre plus accessibles les audiences et la médiation. Le nombre de demandes en droit de la famille augmente rapidement. Le développement des services en affaires civiles demeure néanmoins insuffisant, en particulier parce qu'aucun avocat pratiquant en affaires civiles ne réside au Nunavut. Tandis que les juges tiennent des audiences civiles dans toutes les collectivités, la mauvaise qualité des services téléphoniques du Nunavut représente souvent une difficulté pour les parties qui ne sont pas présentes. Les répondants clés estiment que les besoins en affaires civiles augmenteront à mesure que les affaires se développeront et que les gens auront davantage conscience des possibilités qu'offrent les affaires civiles.

Les juges prennent part à des conférences de règlement, des médiations, et très souvent à des rencontres préalables au procès et au circuit dans les domaines du droit pénal et du droit civil. Ils sont peu intervenus en matière de gestion d'instances, en raison du faible nombre de demandes provenant des avocats. Les juges ont participé aux médiations en matière familiale quand cela s'avérait nécessaire, cependant les avocats en droit de la famille au Nunavut parviennent à des règlements et n'ont recours à l'aide judiciaire que de manière exceptionnelle, dans les affaires les plus complexes. Le projet de médiation familiale lancé par la Cour à Iqaluit et Cape Dorset, intitulé Inuusirmut Aqqusiuqtiit, semble très bien fonctionner aux dires des praticiens. La procédure permettant d'obtenir une ordonnance d'urgence ou ex parte est considérée comme très efficace au Nunavut.

Les juges suppléants constituent un élément essentiel de la CJN eu égard à l'emploi du temps chargé des circuits. Tandis que le recours aux juges suppléants semble bien fonctionner dans l'ensemble, il existe certaines préoccupations concernant le manque d'expérience de certains juges invités quant aux régions du Nord et aux collectivités autochtones, le fait que les avocats et les membres des collectivités ne connaissent pas ces juges, ainsi que le temps investi dans la formation des juges suppléants, tout particulièrement par le doyen des juges et le personnel de la Cour. Les inconvénients du recours aux juges suppléants sont considérés comme autant de raisons valables pour augmenter le nombre de juges résidents, par la nomination d'au moins un juge supplémentaire.

Trop peu d'avocats de la défense pratiquent au Nunavut, que ce soit au sein du personnel de la Société d'aide juridique du Nunavut ou dans le secteur privé. Les praticiens sont préoccupés par les conséquences de cette pénurie qui a des répercussions sur les services fournis au public. Elle pourrait également entraîner des situations d'épuisement professionnel et le roulement des avocats de la défense, tout comme elle a parfois contribué aux retards judiciaires en raison du manque de préparation des avocats. Tandis que la récente hausse du nombre d'avocats de l'aide juridique pratiquant en droit de la famille a eu un effet positif dans ce domaine, il ne reste aucun avocat résident qui pratique dans les autres domaines des affaires civiles.

Les praticiens et les personnes interrogées au sein des collectivités ont indiqué de manière similaire que les Nunavummiut n'ont généralement aucune connaissance des procédures et de leurs droits dans le système judiciaire. Cela est particulièrement vrai en matière d'affaires civiles et de droit de la famille. Eu égard à la charge de travail considérable à laquelle doivent faire face l'ensemble des praticiens, aucun effort n'a véritablement été déployé pour mettre en place des programmes de VIJ. La CJN elle-même a cependant fait exception, puisque les juges ont par exemple été très actifs dans la mise au point d'un programme de vulgarisation au niveau secondaire et le recours à des groupes de jeunes dans de nombreuses collectivités. Les collectivités souhaitent bénéficier de plus de vulgarisation juridique et estiment qu'une présence accrue des avocats, des juges de paix ou des conseillers parajudiciaires au sein des collectivités aiderait à combler ce manque.

Les comités de justice communautaire sont un élément essentiel de l'appareil judiciaire au Nunavut. Cependant, pour de nombreuses raisons, leur capacité varie d'une collectivité à l'autre. De la même manière, tous ne reçoivent pas autant de renvois, en particulier au niveau des renvois effectués par la GRC avant la mise en accusation. Les procureurs de la Couronne sont plus constants dans les renvois après accusation. La plupart des praticiens du système judiciaire, ainsi que les résidents des collectivités et les membres des comités de justice communautaire pensent que les comités peuvent prendre en charge davantage de renvois et, pour nombre d'entre eux, des affaires plus complexes. On considère également que les comités devraient davantage s'impliquer dans la médiation familiale. Tandis qu'un nombre restreint de comités prend actuellement part à ce genre d'activités, les autres ont pour la plupart besoin de soutien au niveau de leur développement avant d'accroître leurs activités. En particulier, de nombreux comités ont toujours besoin de soutien sous forme d'espaces à bureaux, de formation pour les membres du comité (le plus souvent, en matière de médiation), et de coordonnateurs administratifs qui soient formés et rémunérés à un niveau raisonnable.

La CJN, et tout particulièrement les juges résidents, sont considérés par les praticiens et les résidents des collectivités comme étant sensibles à la culture inuite et aux réalités sociales des collectivités du Nunavut. La Cour manifeste cette sensibilité de diverses manières, notamment à travers les groupes d'aînés, la forte proportion de personnel inuit au sein du greffe, un service d'interprétation efficace et la prise en compte, en règle générale, du contexte familial et communautaire de la personne accusée et des victimes.