Étude nationale sur les adultes non représentés accusés devant les cours criminelles provinciales (Partie 2 : rapports des études sur le terrain)

Chapitre 10: Sherbrooke, Québec

10.1 Objectifs et méthodologie

Le Ministère de la justice et le Groupe de travail permanent en matière d'aide juridique fédéral/provincial/territorial a mandaté l'équipe de faire des recherches afin de  mesurer :

Un bref aperçu de l'étude nationale complète - 9 sites de la Cour - a été présenté au chapitre précédent.  La méthodologie utilisée pour le volet Sherbrooke de l'étude nationale relativement à la collecte des données et aux visites sur les sites était similaire à celle utilisée sur les autres sites.  

La méthodologie concernait la collecte de données et des visites sur le terrain.  Les informations sur la question des accusés non représentés provenaient de trois sources : 

Pour tous les volets du projet, nous avons bénéficié d'une excellente coopération et de l'aide de tous ceux à qui nous avons demandé d'y participer.  Nous sommes aussi grandement reconnaissants de l'aide précieuse et de l'expertise fournie par les gens de Sherbrooke qui nous ont aidés  dans notre travail d'observation  de la  cour et dans la création d'un dossier des causes réglées.

10.2 Contexte de la cour et de l'aide juridique

Une des conclusions majeures - que confirme les données rapportées de toutes les visites sur le terrain - était le fait que les données sur l'étendue de la représentation juridique dans une cour en particulier ne peut être interprétée sans tenir compte (au moins) du contexte:

Tous ces facteurs, toutes ces politiques et pratiques peuvent avoir une influence importante, atténuante ou aggravante, sur les impacts de l'autoreprésentation.  Cette information contextuelle est donc essentielle pour comprendre les problèmes et les solutions potentielles aux défis que représentent les accusés non représentés.

La section suivante concernera spécifiquement les quatre premiers points mentionnés ci-dessus.  L'information sur le cinquième point se retrouve partout dans le présent rapport.

10.2.1 La collectivité

La ville de Sherbrooke est située à seulement 30 minutes de la frontière des États-Unis dans la région des Cantons de l'Est au Québec. Les grandes industries sont l'exploitation agricole, la pêche, le bois et les mines. La densité de population est de 1 305,5 habitants par kilomètre carré. Sherbrooke est fière de son taux de bilinguisme (40 pour cent ) qui est l'un des plus élevés au Québec.

Dans la ville de Sherbrooke, on a estimé  lors du recensement  de 2001 que près de 94 pour cent de la population parlait français à la maison. L'anglais était la langue parlée à la maison pour seulement un peu moins de 3 pour cent  des individus.  Au cours du recensement effectué dans la Région Métropolitaine de Recensement (RMR) de Sherbrooke, 91,7 pour cent ont cité le français et 5,5 pour cent  ont cité l'anglais comme langue parlée à la maison.

En 2001, on a rapporté que la population de la ville de Sherbrooke était de 75 916, ce qui représente 1,1 pour cent de moins que les 76 786 rapportés lors du précédent recensement (1996). La population de la RMR de Sherbrooke a été estimée à 155 790 en 2001, soit une augmentation de 3,8 pour cent par rapport au recensement de 1996, ce qui est un peu plus que l'augmentation de la province de Québec pris dans son ensemble au cours de cette période (2,35 pour cent ).

La population de Sherbrooke comprend une proportion relativement élevée de femmes de plus de 65 ans (17 pour cent ). Environ 22 pour cent  des hommes et 20 pour cent des femmes de Sherbrooke appartiennent à la tranche des 15-29 ans associée aux plus hauts taux de criminalité.

Le revenu moyen des résidents de Sherbrooke en 2001 a été de 20 931 $, ce qui correspond à un peu moins que le revenu provincial moyen de 23 198 $. Le revenu moyen des ménages dans la RMR de Sherbrooke en 2001 était de 36 700 $ et le revenu moyen per capita était de 18 100 $. Ces chiffres sont plus bas que les estimations provinciales de 46 900 $ et de 19 300 $ respectivement.

Le taux de chômage de 7,8 pour cent  à Sherbrooke en 2001 était légèrement plus bas que le taux provincial de 8,2 pour cent. Chez les 25 ans et plus,  à Sherbrooke, 20,5 pour cent ont moins de neuf ans d'études et 66,4 pour cent ont au moins un diplôme secondaire .

En 2001, dans la ville de Sherbrooke, on a estimé qu'il y avait 4 614 familles monoparentales (22 pour cent), un taux plus élevé que la moyenne provinciale de 16 pour cent.

Sur les 38 481 logements privés relevés à Sherbrooke en 2001, 13 689 étaient occupés par le propriétaire et 24 792 (64 pour cent) étaient occupés par des locataires. Ce pourcentage de logements loués est considérablement plus élevé que pour l'ensemble de la province (43 pour cent de locataires) dans la même année.

De 1999 à 2000, le nombre de crimes violents à Sherbrooke est passé à 438 pour 100 000 habitants, une  hausse de 10 pour cent. Le nombre de crimes contre la propriété a connu également une légère hausse (0,8 pour cent), soit 3927 par 100 000 habitants. Le total des infractions au Code Criminel pour la ville de Sherbrooke est resté le même, soit  5 829 pour  100 000 habitants. Le nombre total de crimes rapportés en l'an 2000 à Sherbrooke a été de 8 913.

10.2.2 La cour

Le Palais de justice de Sherbrooke réunit à la fois les causes civiles, criminelles et de droit familial et de la Cour suprême. Les salles d'audience où sont entendues les causes criminelles sont décrites dans le tableau suivant. Quatre salles d'audience sont habituellement utilisées pour entendre les causes criminelles.  Les accusés non détenus doivent attendre environ 10 mois avant de comparaître devant le tribunal. Il n'y a pas d'attente pour les personnes qui sont détenues.

Une salle de mise en accusation/ première comparution Siège habituellement cinq jours par semaine, de 9 h 30 à 16 h 30 (à la discrétion du juge qui préside) Les salles d'audience ne traitent que les causes des adultes Pas de distinction entre drogues et CCC
Deux tribunaux de première instance Siègent habituellement cinq jours par semaine, de 9 h 30 à 16 h 30 (à la discrétion du juge qui préside)
Iune cour supérieure - affaires criminelles Siège à la discrétion du juge qui préside.  
Pas de tribunaux spéciaux    

Il n'y a pas de tribunal correctionnel qui siège au palais de justice de Sherbrooke. Deux tribunaux distincts sont consacrés aux causes des jeunes.

10.2.3 L'Aide juridique

L'Aide juridique au Québec relève de La Commission des services juridiques. La Commission supervise l'Aide juridique au Québec par le biais des centres d'aide juridique. Les accusés peuvent obtenir des conseils à l'aide de la ligne d'assistance Brydges ouverte 24 heures. Le personnel de cette ligne d'assistance est composé d'avocats qui étudient la cause avec l'accusé et le conseillent. Notons que la capacité des avocats à donner des conseils détaillés est limitée étant donné qu'ils n'ont pas accès au dossier de l'accusé. Ils doivent donc se baser sur l'interprétation de l'accusé sur les chances d'obtenir gain de cause. Cette ligne d'assistance est disponible pour tous les accusés au moment de l'arrestation.

L'Aide juridique au Québec est fournie par le biais d'un système combiné de certificats (mandats) et d'avocats de service permanents qui sont engagés sous contrat pour fournir des services d'aide juridique. À Sherbrooke, les services d'aide juridique sont sous la responsabilité d'un seul cabinet d'avocats qui supervise l'ensemble du processus pour la région, d'où provient la demande. Ceux qui ont besoin d'Aide juridique se présentent au cabinet d'avocats responsable de l'aide juridique et ils déposent leur demande. Si elle leur est octroyée, les accusés reçoivent immédiatement un certificat/mandat d'Aide juridique.  En conséquence, les membres du cabinet d'avocats «franchisé» (les «avocats de service») recevront et traiteront de la demande d'aide juridique de l'accusé, émettront un certificat/mandat et offriront leurs propres services en vertu du certificat, ou permettront à l'accusé de choisir un avocat d'un autre cabinet qui acceptera de remplir ce mandat. Les clients peuvent donc choisir dans une certaine mesure l'avocat qui les représentera.Les personnes que nous avons interviewées n'ont aucune raison de penser que les personnes bénéficiant de l'aide juridique avaient eu de la difficulté à trouver une représentation juridique.

L'octroi de l'Aide juridique est basée sur des critères financiers et sur le fait qu'il y ait ou non un risque d'emprisonnement ou de perte d'emploi suite à la condamnation. Ceux qui peuvent financièrement se le permettre participeront  aux frais occasionnés par leur défense.  Suite à la réforme de l'aide juridique, achevée en 1999, la plupart des clients sont maintenant obligés de participer aux frais et les critères sont plus sévères. À l'heure actuelle, par exemple, l'Aide juridique est gratuite pour les familles dont le revenu est de moins de 17 500 $ (pour une famille de deux adultes et deux enfants ou plus). Ceux qui gagnent plus de 24 938 $ (pour une famille de deux adultes et deux enfants) ne peuvent pas bénéficier de l'Aide juridique.

Les tarifs payés aux avocats de l'Aide juridique sont basés sur des montants fixes, il n'y a donc pas de tarif horaire et il n'est donc pas dans l'intérêt des avocats de prolonger la cause plus longtemps qu'il ne le faut.

10.2.4 L'Avocat de service

Avocat de service n'est pas un emploi ou, sauf dans une très faible mesure, une fonctionqui existe à Sherbrooke ou ailleurs auQuébec. Cependant, les avocats de service passent une grande partie de leur temps au palais de justice et,  il est dans leur intérêt d'être visibles et disponibles pour les accusés avant ou lors de leur première comparution puisque cela leur permet d'avoir accès aux clients qui pourraient avoir besoin de l'aide juridique. Ces avocats peuvent donc, à l'occasion, donner des conseils aux accusés et/ou expliquer les options de procédures qui s'offrent à eux avant ou lors de leur première comparution, même si les accusés n'ont pas encore présenté de demande d'aide juridique. Les avocats de service n'iront pas jusqu'à donner des conseils en réponse à l'accusation, à porter assistance lors d'une enquête sur le cautionnement ou d'un engagement à ne troubler l'ordre public, ou à aider un accusé à répondre aux accusations, puisqu'ils ne peuvent représenter des clients qui ne sont pas admissibles à l'Aide juridique après la première comparution sauf en des circonstances exceptionnelles. À de très rares occasions, les avocats de service peuvent représenter un accusé après la première comparution à la demande du juge qui préside.

10.3 Fréquence des comparutions sans représentation par avocat

Dans l'ensemble, les personnes interrogées s'accordaient pour dire que le nombre d'accusés non représentés était très restreint à Sherbrooke et qu'ils ne représentaient pas un problème du point de vue du fonctionnement de la cour. Les proportions d'accusés non représentés à la première comparution se situaient généralement entre 5 et 10 pour cent.

Nous avons été informés que les avocats à Sherbrooke sentaient qu'ils avaient une obligation morale d'aider un accusé même si celui-ci n'était peut-être pas bénéficier de l'Aide juridique ou qu'il ne pourrait peut-être pas payer la note à la fin. Les avocats semblaient accepter le risque de ne pas être payés plutôt que de laisser un accusé se débrouiller tout seul - particulièrement lorsque l'aide des avocats était requis par les accusés. Toutefois, les avocats de service n'étaient pas censés représenter les accusés qui ne bénéficiaient pas de l'aide juridique.

En général, les personnes interrogées croyaient que le nombre d'accusés non représentés diminuait  de beaucoup après la première comparution. On croyait  qu'après la première comparution, l'accusé comprenait mieux les implications des accusations portées contre lui et, de ce fait,  il ne pourrait pas s'occuper lui-même de sa poursuite judiciaire. Une des personnes interrogées pensait que si un accusé n'était pas représenté à sa première comparution, il était probable qu'il ne le serait  pas tout au long du processus juridique.

10.3.1 Survol de la représentation

Selon le dossier des causes réglées, il ne semblait pas possible de décrire de manière simple la représentation tout au long d'un processus judiciaire : le mode de représentation d'un accusé changeait souvent d'une comparution à une autre. Ainsi, par exemple, un accusé pouvait être représenté par un avocat de service lors de l'enquête sur le cautionnement mais s'autoreprésenterait par la suite.

En examinant le modèle de représentation qui ressort de l'ensemble de ces comparutions, notre analyse des données des 397 causes sélectionnées aléatoirement, qui ont été réglées à la Cour provinciale de Sherbrooke à la fin de 2001, révèle ce qui suit :

Il est à noter que tout au long du présent rapport,  « avocat de pratique privée » fait référence à la fois à un avocat de pratique privée dont les services sont retenus par l'accusé, à un avocat de pratique privée rémunéré en vertu d'une recommandation ou d'un certificat d'aide juridique et à l'avocat salarié du service d'aide juridique. Aux fins de ce rapport, nous n'avons pas été en mesure d'établir cette distinction à partir de la collecte et de l'analyse des données des causes réglées ni de celles de travail d'observation de la  cour.

10.3.2 Autoreprésentation par catégorie d'infraction et aux différentes étapes du processus

D'après la plupart des personnes interrogées, on retrouvait le plus souvent des accusés non représentés lors de la première comparution. Dans la plupart des cas, les accusés non représentés qui s'étaient volontairement présentés à la cour sans représentation réalisaient rapidement le sérieux de leur situation et décidaient qu'il valait mieux être représentés lors de  la prochaine comparution. En général, les personnes interrogées clés étaient d'avis pour dire que les quelques accusés qui se défendaient eux-mêmes aux comparutions subséquentes se classaient dans deux catégories : ceux qui avaient fait une demande d'aide juridique et à qui ont l'avait refusée  et ceux qui étaient  des clients difficiles qui ne pouvait pas garder un avocat.

On s'accorde pour dire que ceux les accusés face à de graves accusations étaient plus susceptibles d'avoir un avocat, même s'ils ne pouvaient pas bénéficier de l'aide juridique. Tout accusé faisant  face à de graves accusations et qui se présentaient devant la cour sans avocat, se voyaient fortement encourager par le juge. Notons, qu'il s'agissait en grande partie, d'une hypothèse de la part des personnes interrogées puisqu'elles toutes reconnaissaient qu'il y avait très peu de cas d'accusés non représentés au palais de justice de Sherbrooke.

Pour la plupart, ces opinions sont confirmées par notre analyse de l'échantillon de causes réglées.

L'échantillon de causes réglées indiquait les proportions des accusés non représentés à chaque étape de comparution. Le tableau S-1 présente cette information par catégorie d'infraction[89] [90]où l'on retrouve l'accusation la plus grave.

Tableau S-1. Proportion d'accusés non représentés aux différentes comparutions, par catégorie de chef d'accusation le plus grave à Sherbrooke*
Catégorie d'accusation la plus grave Proportion d'accusés non représentés lors de Nombre total de causes(tous les accusés)
1re com-parution (%) Plaidoyer (%) Choix d'une défense (%) Comparution finale (%)
Homicide *** *** *** *** 0
Agression sexuelle *** *** *** *** 3
Voies de fait (excluant simples) 6 2 7 0 47
Vol qualifié *** *** *** *** 10
Entrée par effraction 2 0 2 2 50
Conduite avec facultés affaiblies 28 26 24 26 51
Voies de fait simples 4 5 4 0 23
Drogues (excluant la possession simple) 0 0 0 0 24
Armes à feu *** *** *** *** 4
Vols et fraudes 12 5 6 5 67
Possession simple de drogues 10 7 10 7 29
Infractions à l'administration de la justice 5 1 4 3 87
Ordre public *** *** *** *** 2
Total des infractions 9 6 7 6

Notes

Le tableau S-1 montre que :

10.3.3 Caractéristiques socio-démographiques des accusés non représentés

Selon les personnes interrogées clés, ceux qui n'étaient pas représentés après leur première comparution pouvaient être classés, de façon générale, en deux catégories: ceux qui n'ont pas pu bénéficier de l'aide juridique, et ceux qui, à cause de conflits personnels, ne pouvaient garder le même avocat. Ceux à qui il n'était pas possible d'accorder l'aide juridique étaient généralement ceux qu'on appelait les «travailleurs pauvres» ; à savoir ceux juste au-dessus du revenu autorisé  pour être en droit de recevoir l'aide juridique au Québec. Ce revenu est de 24 938 $ pour un couple avec deux enfants ou plus. Même ceux qui répondaient tout juste au critère , payer la contribution de 800 $ exigée était souvent un obstacle financier difficile à franchir (selon certaines personnes interrogées).

Selon certaines personnes interrogées, les accusés qui restaient sans représentation après leur première comparution à cause de leur incapacité à garder le même avocat peuvent être décrits comme des personnes proches des cas limite de maladie mentale. En d'autres mots, il était probable que ces personnes, souvent assez intelligentes, ne souffraient pas de troubles mentaux diagnostiqué, mais avaient des difficultés dans leurs relations avec les autres.

10.3.4 Autres modes de représentation

Le tableau S-2 montre les différents mode de représentation à chaque étape du processus pénal.  Ces données indiquent que :

Tableau S-2. Répartition du type de représentation par type de comparution à Sherbrooke
Comparution Mode de représentation Nombre de causes
Auto-représentation (%) Avocat de pratique privée (%)
Première comparution 9 91 397
Plaidoyer 6 94 374
Choix d'une défense 7 93 391
Dernière comparution 6 94 396

Notes

Le tableau S-3 présente le mode de représentation lors de la dernière comparution  en fonction du degré de gravité de l'accusation et révèle que :

Tableau S-3. Répartition du mode de représentation à la dernière comparution par catégorie d'accusation la plus grave à Sherbrooke *
Catégorie d'accusation la plus grave Proportion de causes par mode de représentation Nombre de causes
Auto-représentation % Avocat de pratique privée %
Homicide *** *** 0
Agression sexuelle *** *** 3
Voies de fait (excluant voies de fait simples) 0 100 47
Vol qualifié *** *** 10
Entrée par effraction 2 98 49
Conduite avec facultés affaiblies 26 75 51
Voies de fait simples 0 100 23
Drogues (excluant possession simple) 0 100 24
Armes à feu *** *** 4
Vols et fraudes 5 96 67
Possession simple de drogues 7 93 29
Infractions à l'administration de la justice 3 97 87
Ordre public *** *** 2
Total des infractions 6 94 396

Note
*  Exclut les causes où le mode de représentation lors de la dernière comparution n'était pas spécifiée au dossier.