Étude nationale sur les adultes non représentés accusés devant les cours criminelles provinciales (Partie 2 : rapports des études sur le terrain)

Chapitre 4 : Brandon, Manitoba (suite)

4.6 Autres effets de l'absence de représentation

Dans une section précédente, nous avons décrit les conséquences pour un accusé de ne pas avoir de représentation juridique devant une cour. Dans cette section, nous examinerons les conséquences de l'autoreprésentation sur les groupes clés intervenant dans les cours et sur le fonctionnement de la cour.

L'information est tirée des entrevues et des données spécialement recueillies pour ce projet. Toutefois, il importe de rappeler que l'information n'est pas présentée pour que soit établi un lien de cause à effet, mais seulement pour décrire les événements aux différentes étapes du processus.

4.6.1 Effets sur les fonctionnaires de la cour et autres intervenants

a. Les victimes et les témoins

Un sérieux problème survient au cours d'un procès lorsque l'accusé qui s'autoreprésente doit questionner un témoin, ou pire, la présumée victime. La ligne de démarcation est parfois floue entre l'interrogation, l'intimidation ou le harcèlement lorsqu'un accusé inexpérimenté tente de questionner une personne avec qui elle entretient des relations personnelles et tendues.

b. Le personnel et l'avocat de l'Aide juridique

Toutes les personnes interrogées ont été unanimes pour dire que la représentation juridique offerte par le personnel de l'Aide juridique était d'excellente qualité, bien que certaines aient exprimé la crainte que les tarifs payés aux avocats de pratique privée sur émission de certificat minaient l'accès aux services offerts par les avocats privés de Brandon, ainsi que leur volume.

La grande qualité de la représentation juridique par le personnel de l'Aide juridique a été attribuée à des facteurs mentionnés précédemment : grande expérience juridique et compétence des avocats internes (qui sont des avocats  de métier grandement respectés); trouver du personnel pour combler des postes s'avère un défi; structure « concurrentielle » du plan d'émissions de certificats aux avocats internes et aux avocats de pratique privée qui favorise un travail efficace et de qualité; et statut relativement semblable des procureurs de la Couronne et des avocats internes. De plus, dans la plupart des cas, les responsables de l'Aide juridique ont suffisamment de temps- quoique juste - pour étudier les cause , avant de se présenter devant la cour. D'ordinaire, le procureur de la Couronne responsable communique avec le personnel de l'Aide juridique le jour qui précède une comparution pour expliquer comment la Couronne procédera.  Le personnel de l'Aide juridique peut habituellement communiquer avec le procureur pour discuter de l'affaire à l'avance, ou peut le rencontrer tôt le jour de la comparution.

Certains membres du personnel de la cour ont fait savoir que le personnel de l'Aide juridique « était à la course » (pour utiliser les mots d'un greffier). Il y avait  parfois des retards puisque  les avocats internes avaient alors une double ou une triple tâche lors des procès, des cours du rôle  ou des entrevues avec les accusés incarcérés ou ailleurs. Un procureur se demandait si l'avocat de service avait suffisamment de temps à accorder aux causes, tandis qu'un avocat de l'Aide juridique indiquait qu'il n'y avait pas de problème, tout en admettant que les avocats internes travaillaient de très longues heures. Malgré cela, les avocats internes de l'Aide juridique semblaient très satisfaits de leur travail.

c. Les procureurs de la Couronne

Aux étapes qui précédaient un procès, les procureurs de la Couronne étaient dans une situation délicate lorsque les accusés non représentés voulaient discuter de leur cause avec eux. Certains procureurs parleraient à ces accusés, mais tous tentaient d'éviter cette situation lorsqu'ils le pouvaient. Bien que tous les procureurs n'évaluaient pas de la même manière l'ampleur des problèmes, parmi certaines des difficultés relevées, on notait :

d. Les juges

Les procureurs et les juges s'entendaient pour dire que les procès concernant des accusés non représentés prenaient plus de temps que ceux concernant des accusés représentés. Deux personnes interrogées ont estimé que ces procès étaient « deux fois plus longs », et un autre a dit : « Ajouter une journée ». Les procureurs avertiront le coordonnateur des rôles si un accusé doit comparaître sans être représenté et ils suggéreront qu'une plus longue période soit accordée avant le procès. Dans de tels procès, les juges étaient dans une situation délicate qui, de surcroît, prenait beaucoup de temps : « Ils étaient au milieu de tout cela alors qu'ils étaient censés être indépendants ». Ils devaient  :

Il est rare de voir un accusé non représenté contre-interroger sa victime en cour. Dans les cas de voies de fait et d'agressions sexuelles, le juge interviendra et désignera un avocat qui fera le contre-interrogatoire ou désignera un avocat qui aidera la victime. La personne en charge de la défense des droits des femmes à la cour de Brandon ne se rappelait que d'un seul cas au cours des huit dernières années où un accusé a pu contre-interroger sa victime dans un cas de violence familiale.

e. Le personnel administratif de la cour

Les greffiers indiquaient qu'ils recevaient environ de dix à quinze demandes par jour de la part d'accusés qui avaient besoin qu'on réponde à leurs questions. Dans la plupart des cas, il s'agissait soit de personnes accusées de conduite avec facultés affaiblies ou de gens qui ne se rappelaient pas du nom de leur avocat ou de la date de leur comparution. Les greffiers passaient aussi du temps avec les accusés pour leur expliquer les conditions associées à leur cautionnement, bien que l'avocat de service aidait aussi dans ce cas.

f. Le personnel chargé de la sécurité à la cour

Selon le personnel du shérif au palais de justice, les problèmes associés aux accusés non représentés étaient très rares. L'avocat de l'Aide juridique parvenait d'ordinaire à parler avec les personnes détenues une heure ou deux après avoir été contacté. Le plus gros problème auquel avait à faire face le personnel chargé de la sécurité survenait lorsque, dans les causes d'accusés représentés, l'avocat de la défense ne communiquait pas efficacement avec la sécurité pour demander si, et quand, les accusés devaient être amenés en cour.

4.6.2 Effets d'ordre général sur le fonctionnement de la cour

a. Les charges de travail à la cour : durée et nature des comparutions individuelles
Durée des comparutions

Dans la plupart des cours criminelles provinciales du Canada, seulement de 4 à 10 pour cent des causes se rendent à l'étape du procès. Par conséquent, la très grande majorité des comparutions ne sont pas associées à un procès et, comme nous l'avons noté précédemment, à Brandon (comme dans d'autres cours), ces comparutions durent en moyenne de une à deux minutes par cause. Ce qui, en d'autres circonstances, semblerait être une légère augmentation du temps nécessaire pour s'acquitter d'une fonction lors d'une comparution peut donc représenter une importante augmentation de leur charge de travail pour le personnel judiciaire, le procureur de la Couronne, le personnel de l'Aide juridique, l'avocat de la défense, ainsi que les administrateurs de la cour, proportionnellement et dans l'ensemble.

Le travail d'observation de la cour ont permis de noter les commentaires des responsables de la cour et des accusés au sujet de la représentation. Le dossier ne comporte que 19 commentaires relevés à ce sujet, soit dans 4 pour cent des comparutions. Dans toutes ces comparutions, le juge a demandé à l'accusé s'il avait déjà parlé à un avocat et il l'incitait fortement à le faire ou à déposer une demande d'aide juridique. Pour certaines de ces comparutions, la Couronne suggérait aussi à l'accusé d'obtenir les services d'un avocat.

Pour créer le dossier du travail d'observation de la cour, les observateurs se sont assis dans des cours où ont lieu des comparutions non reliées à un procès et ils ont noté le temps requis pour chacune des causes/comparutions. Les résultats indiquent clairement si les comparutions des accusés qui s'autoreprésentent (dans les comparutions avant un procès) sont plus longues ou moins longues que celles pour lesquelles les accusés sont représentés autrement.

Comme le démontre le tableau BR-8, dans ces cours, pour 50 pour cent des comparutions les plus courtes, le même temps était requis, c'est-à-dire 60 secondes pour les causes des accusés autoreprésentés et 60 secondes pour les causes des accusés représentés par un avocat salarié de l'Aide juridique (dans la très grande majorité des cas, il s'agissait de l'avocat de service) ou un avocat de pratique privée. Par contre, lorsqu'on examine le temps accordé aux 75 pour centdes causes les plus courtes, il faut inclure les causes qui prennent jusqu'à 120 secondes pour parvenir à 75 pour cent des causes que les accusés soient autoreprésentés ou qu'ils soient représentés par un avocat de pratique privée. Sur le plan des ressources de la cour, ce résultat signifie que les avocats internes de l'Aide juridique (d'ordinaire un avocat de service dans les causes/comparutions observées) s'occupent des causes de manière plus expéditive que ne le font les accusés qui s'autoreprésentent. Du point de vue de l'accès à la justice, on peut percevoir positivement le fait que des cours accordent plus de temps aux causes lorsque les accusés s'autoreprésentent.

Nous avons aussi tenté d'établir une distinction entre les causes/comparutions qui aboutissaient à un renvoi et celles qui aboutissaient à une dernière décision. Cela nous a permis de faire d'importantes clarifications quant aux résultats dont nous venons de parler.

Comme le démontre le tableau BR-8, lorsqu'on examine les 50 pour cent de causes/comparutions qui ont été réglées le plus rapidement (et qui ont résulté en un renvoi), il semble n'y avoir aucune différence entre le temps accordé aux causes dans lesquelles les accusés s'autoreprésentent et celles pour lesquelles les accusés sont représentés par un avocat salarié de l'Aide juridique ou un avocat de pratique privée. Toutefois, au moins 25 pour cent des causes des accusés qui s'autoreprésentaient ont pris 120 secondes ou plus et 75 pour cent des causes des accusés représentés par un avocat de l'Aide juridique ou un avocat de pratique privée ont pris 60 secondes ou moins. Ainsi, le mode de représentation ne semble pas jouer un rôle dans le cas des causes/comparutions les plus courtes mais il semble en jouer un dans le cas des causes/comparutions les plus longues.

Tableau BR-8. Causes/Comparutions : Répartition du temps (secondes) pour différents types de causes/comparutions en fonction du mode de représentation à Brandon

Comparution à laquelle un plaidoyer est inscrit 25e/ médiane/ 75e centile - durée des causes/comparutions par mode de représentation Tous les types de représentation*
Auto-représentation Avocat de service/Interne de l'Aide juridique Avocat de pratique privée Représentant
Toutes les comparutions 25e = *** *** *** *** ***
50e = 60 60 60 *** 60
75e = 120 60 120 60 60
(n= 52) (n= 170) (n=214) (n=79) (n= 518)
Par résultat de la comparution
Comparution à laquelle un plaidoyer est inscrit 25e/ médiane/ 75e centile - durée des causes/comparutions par mode de représentation Tous les types de représentation*
Auto-représentation Avocat de service/Interne de l'Aide juridique Avocat de pratique privée Représentant
Renvoi ou en suspens 25e = 45 *** *** *** ***
50e = 60 60 60 30 60
75e = 120 60 60 60 60
(n= 30) (n= 116) (n= 148) (n=70) (n=366)
Dernière 25e = 60 60 60   60
50e = 120 120 270 ** 120
75e = 240 450 660   480
(n=15) (n=45) (n=54)   (n=117)

Source : Dossier du travail d'observation de la cour.

On obtient des résultats contraires lorsqu'on examine les comparutions qui menaient à une dernière décision. Bien que 50 pour cent de ces causes/comparutions des accusés qui s'autoreprésentaient ou étaient représentés par un avocat salarié de l'Aide juridique étaient terminées en 120 secondes ou moins, 50 pour cent ou plus des causes des accusés représentés par un avocat de pratique privée prenaient au moins 270 secondes. Toutefois, un examen du 75e centile (p. ex. en élargissant l'analyse pour inclure des causes/comparutions plus longues) démontre que les causes/comparutions qui menaient à une dernière décision semblaient plus courtes dans le cas des accusés qui s'autoreprésentaient (75e centile de 240 secondes) que les causes/comparutions pour lesquelles les accusés étaient représentés par un avocat salarié de l'Aide juridique (450 secondes) ou un avocat de pratique privée (660 secondes). Du point de vue des ressources de la cour, cela est peut-être un résultat positif. Toutefois, du point de vue de l'accès à la justice, il y a peut-être lieu d'être inquiet du fait que les causes/comparutions des accusés non représentés qui mènent à une dernière décision prennent moins de temps que celles des accusés représentés par un avocat de service ou un avocat de pratique privée.

Un autre facteur qui pourrait permettre de gagner du temps dans le traitement d'une cause inscrite au rôle serait le processus associé à la « suspension » d'une cause jusqu'à plus tard dans la journée afin de prendre en compte de façon plus complète afin de régler d'autres affaires dans journée. En fait, les causes des accusés autoreprésentés avaient un faible risque d'être suspendues et elles risquaient moins de l'être que les causes représentées différemment. Les risque réels de voir une cause suspendue étaient de :

Charge de travail : nature des comparutions individuelles devant la cour

Comme nous l'avons dit précédemment, les procureurs de la Couronne laissaient entendre que les accusés non représentés enregistraient un plus grand nombre de comparutions car les juges tentaient de s'assurer qu'ils avaient les services d'un avocat. Notre dossier de données tirées du rôle ne permettait pas de traiter de ce phénomène, mais l'information tirée du travail d'observation de  la cour permettait de constater ce qui se passait lors des comparutions concernant des accusés non représentés et représentés.

Le travail d'observation de la cour ont permis d'obtenir des informations sur le nombre des comparutions « productives » en ce sens qu'elles menaient à un ou plus des trois types de décisions, c'est-à-dire :  le cautionnement, le plaidoyer ou le choix. Le tableau BR-9 présente la répartition des événements (ou non événements) dans la cour en fonction de la représentation lors de la dernière comparution. Les colonnes situées dans la moitié gauche du tableau présentent l'information concernant les comparutions « intérimaires » (c'est-à-dire non finales). Les colonnes de droite présentent les données pour les dernières comparutions.

Tableau BR-9. Répartition du pourcentage des causes/ comparutions : par type de décision rendue et par type de comparution (intérimaires ou dernière) en fonction du mode de représentation à Brandon

En ce qui a trait aux comparutions intérimaires, l'une des observations les plus percutantes concerne le fait que, dans l'ensemble, elles avaient le plus tendance à ne pas prendre en considération un cautionnement, un choix ou à inscrire un plaidoyer (voir la colonne 2 « pas de décision ») si l'accusé n'était pas représenté.

En fait, presque toutes (97 pour cent) les comparutions intérimaires des accusés qui s'autoreprésentaient menaient à une absence de plaidoyer, de choix ou de décision quant à un cautionnement (ou la prise en considération d'un cautionnement). Cela tend à renforcer la perception des personnes interrogées clés voulant que les juges soient réticents à ce que le processus s'engage avant que les accusés aient parlé à un avocat de service ou autre. Les comparutions lors desquelles un avocat de pratique privée était présent sont celles qui risquaient le moins (85 pour cent) de mener à une décision quant au plaidoyer, au choix ou au cautionnement.

Lors des dernières comparutions (c.-à-d. les colonnes situées le plus à droite du tableau BR-9) près de la moitié (48 pour cent) des comparutions des accusés non représentés menaient à un rejet de la cause, une suspension ou autre résultat, ce qui renforce l'hypothèse voulant que nombre de ces causes soient déjudiciarisées, peut-être à la suite de l'information donnée par l'avocat et sur ses conseils. Ici aussi, seules de petites différences sont observables entre les causes représentées par un avocat salarié de l'Aide juridique et celles représentées par un avocat de pratique privée.

b. La charge de travail : nombre de comparutions par cause

Au moment de la visite de la cour, le rôle de la cour ne comportait pratiquement aucune accumulation ou retard. Toutefois, certains membres du personnel de la cour ont exprimé des inquiétudes concernant le départ imminent de certains employés essentiels qui aurait pour effet de rapidement créer des problèmes de retards qui pourraient compromettre l'efficacité du fonctionnement de la cour.

Le dossier du travail d'observation de la cour fournit de l'information permettant à tout le moins d'explorer les raisons invoquées pour les renvois (du moins dans les salles préparatoires au procès) et les résultats démontrent que seulement un faible pourcentage (moins de 3 pour cent) des raisons d'accorder un renvoi étaient liées à l'objectif d'obtenir un avocat ou de comparaître un jour lorsque l'avocat pourrait être présent. Ainsi, pour les renvois accordés dans 30 causes/comparutions concernant un accusé non représenté :

Même pour les causes des accusés représentés par un avocat de service/avocat salarié de l'Aide juridique, seulement deux pour cent des renvois ont été demandés pour des raisons liées à l'obtention de l'Aide juridique ou d'un avocat.

Si de tels résultats devaient s'appliquer à un plus grand échantillon de causes/comparutions, ils indiqueraient certainement que les renvois dans le but d'obtenir une aide juridique ne sont pas une importante cause de retard.

c. Durée des causes jusqu'à leur règlement

Étant donné la nature de la banque de données, il n'a pas été possible de savoir combien de semaines ou de mois sont nécessaires au règlement d'une cause.


[50] Bien qu'il ne s'agissait pas de l'objectif de cette étude, il vaut la peine de noter que 15 des 30 renvois accordés aux accusés autoreprésentés l'ont été parce que les accusés n'étaient pas présents pour leur comparution à la cour.  Tel que noté précédemment, dans les causes représentées par un avocat de service employé de l'aide juridique ou un avocat privé, un pourcentage important de renvois (24 % et 25 %, respectivement) a été accordé dans le but d'obtenir la communication de la preuve.