Projet de loi C-83 : Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi
Déposé au Sénat le 7 mai 2019
Note explicative
Le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer la conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen de la conformité d’un projet de loi avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.
Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.
Considérations relatives à la Charte
Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-83, Loi modifiant la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et une autre loi, afin d’évaluer sa conformité avec la Charte. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.
Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-83 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi. Le jugement récent de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’arrêt Canadian Civil Liberties Association v. Canada, 2019 ONCA 243, et l’analyse de la Cour, ont été prises en compte pour cette discussion.
Unités d’intervention structurée (articles 7, 12 et 15 de la Charte)
L’article 10 du projet de loi C-83 remplace les dispositions de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition qui autorisent le recours à l’isolement préventif dans des pénitenciers fédéraux. Les nouvelles dispositions permettent aux détenus d’être transférés dans des unités d’intervention structurée (UIS), un nouveau modèle d’intervention correctionnelle qui s’applique aux détenus qui ne peuvent, pour des raisons de sécurité, demeurer au sein de la population carcérale régulière. Les détenus incarcérés dans une UIS bénéficieront d’interventions structurées, de soins de santé mentale améliorés et de programmes adaptés à leurs besoins précis. L’objectif est de traiter les causes à l’origine du comportement à risque élevé, de réduire le nombre d’incidents violents dans les pénitenciers et d’améliorer les résultats correctionnels comme la réadaptation.
Articles 7 et 12 de la Charte
L’article 7 de la Charte garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Comme le transfèrement d’un détenu dans une UIS imposerait des contraintes et des conditions supplémentaires au détenu, il pourrait mettre en jeu son droit résiduel à la liberté et possiblement son droit à la sécurité de sa personne. Les dispositions autorisant l’incarcération des détenus dans une UIS doivent donc respecter les principes de justice fondamentale, y compris l’équité procédurale. À cet égard, il convient de souligner dans ce contexte que le décideur qui impose la mesure doit avoir le niveau requis d’indépendance et d’impartialité.
D’autres principes de justice fondamentale exigent que la mesure législative autorisant la limite en question ne soit pas arbitraire, excessive ou exagérément disproportionnée. Une mesure législative est arbitraire lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis par l’article 7 d’une façon qui n’a aucun lien rationnel avec l’objectif de la mesure. Une mesure législative est excessive lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis par l’article 7 d’une façon qui, bien que généralement rationnelle, va trop loin en visant un comportement qui n’a aucun lien avec l’objectif de la mesure. Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada, une mesure législative est exagérément disproportionnée lorsque ses répercussions sur les droits garantis par l’article 7 sont graves au point d’être « sans rapport aucun » avec l’objectif de la mesure.
L’article 12 de la Charte prévoit que chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. Les tribunaux canadiens ont conclu que l’incarcération n’est pas en soi cruelle et inusitée, même dans les cas où les détenus sont transférés dans des conditions qui sont plus restrictives que celles dans la population générale de détenus. Toutefois, comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada, un tel traitement peut devenir cruel et inusité dans des circonstances où ses répercussions sont « excessive[s] au point de ne pas être compatible[s] avec la dignité humaine ».
Le projet de loi C-83 comprend des dispositions qui visent à définir clairement les objectifs du transfèrement d’un détenu dans une UIS, qui exigent que des examens soient effectués périodiquement par le directeur du pénitencier (ou, dans certains cas, un autre membre du personnel de niveau approprié), par le Commissaire, et dans certains cas, par un décideur externe indépendant, relativement à l’incarcération continue d’un détenu dans une UIS, qui visent à ce que les conditions dans une UIS favorisent la réadaptation et la réinsertion des détenus, et qui accentuent le rôle des professionnels de la santé. Les considérations suivantes appuient la conformité des dispositions en matière d’UIS aux droits susmentionnés garantis par la Charte.
Premièrement, les dispositions précisent les raisons de sûreté et sécurité permettant à des membres désignés du personnel de transférer des détenus dans une UIS. Ces dispositions exigent en outre le réexamen régulier du bien-fondé de l’incarcération d’un détenu dans une UIS, à la lumière de ces raisons, tout en exigeant que l’incarcération prenne fin le plus tôt possible. L’inclusion de ces dispositions évite les répercussions arbitraires et excessives sur la liberté et la sécurité de la personne, en exigeant que l’incarcération d’un détenu dans une UIS ait toujours un lien rationnel avec les objectifs du régime des UIS. Ces objectifs, qui sont liés à la sûreté, à la sécurité et à la réadaptation du détenu, sont également explicitement mentionnés dans les dispositions.
Deuxièmement, la décision de maintenir l’incarcération d’un détenu dans une UIS peut être prise d’une manière équitable sur le plan procédural. Les dispositions exigent que la décision de transfèrement initiale soit prise par un membre désigné du personnel occupant un poste de niveau inférieur à celui du directeur de pénitencier. Ce membre du personnel doit consigner le transfèrement au registre prévu à cette fin, en y notant les motifs du transfèrement et toute autre solution ayant été envisagée. Le détenu doit être informé verbalement de l’autorisation de transfèrement et de ses motifs, dans un délai d’un jour ouvrable suivant l’autorisation de transfèrement, et il doit en être informé par écrit dans un délai de deux jours ouvrables. Ensuite, le directeur du pénitencier décide, au cours de la période de cinq jours ouvrables suivant le transfèrement, si le détenu doit demeurer dans l’UIS. Les dispositions définissent les critères afférents à la décision du directeur du pénitencier (relativement à la sûreté et sécurité), ainsi que certains éléments à prendre en considération. Le processus décisionnel respecte les exigences d’impartialité et d’indépendance en veillant à ce que le directeur du pénitencier, en menant le processus de réexamen après cinq jours ouvrables, n’est ni choisi par le membre du personnel ayant pris la décision initiale de transfèrement, ni subordonné à ce membre du personnel ou soumis autrement à son champ d’influence. Les aspects procéduraux de ce processus décisionnel seront prescrits plus précisément dans un règlement du gouverneur en conseil.
Troisièmement, les dispositions énoncent plusieurs exigences quant aux conditions de détention dans les UIS et visent à assurer la responsabilisation à travers le respect de ces exigences. Les dispositions énoncent le principe général selon lequel un détenu incarcéré dans une UIS a les mêmes droits que les autres détenus, sauf ceux qui ne peuvent être exercés en raison de restrictions propres à l’UIS ou pour des raisons de sécurité. Les dispositions exigent que les détenus incarcérés dans une UIS aient la possibilité de passer au moins quatre heures par jour en dehors de leur cellule. Le temps consacré à prendre une douche n’est pas compté dans les quatre heures. Les dispositions exigent également que les détenus aient la possibilité d’avoir des contacts humains véritables : au moins deux heures par jour pour interagir avec autrui, y compris pour leur temps de loisir et dans le cadre de programmes de réadaptation. Tous les efforts raisonnables doivent être déployés pour veiller à ce que les contacts humains réels ne soient pas gênés ou limités par des obstacles physiques. Il faut tenir un registre de tous les cas où ce genre d’obstacles existe.
Ces occasions quotidiennes d’interactions humaines réelles doivent avoir lieu entre 7 h et 22 h. Ces exigences sont assujetties à des exceptions définies : par exemple, lorsque le détenu refuse de se prévaloir de ces possibilités ou ne respecte pas les instructions raisonnables visant à assurer la sécurité. Toutefois, un registre de toute situation où ces exceptions sont invoquées doit être tenu. De plus, si, pendant cinq jours consécutifs ou pour un total de 15 jours sur une période quelconque de 30 jours, le détenu n’a pas passé un minimum de quatre heures par jour à l’extérieur de sa cellule ou n’a pas interagi avec autrui pendant un minimum de deux heures par jour, un décideur externe indépendant doit déterminer le plus tôt possible si le Service correctionnel du Canada a pris toutes les mesures raisonnables pour offrir au détenu les occasions requises de contacts humains réels et pour l’encourager à profiter de ces occasions. S’il détermine que le Service n’a pas pris toutes les mesures raisonnables en ce sens, le décideur externe indépendant peut faire toutes les recommandations qu’il juge raisonnables en vue de remédier à la situation. Si, dans un délai de sept jours ouvrables après avoir reçu les recommandations, le Service ne réussit pas à convaincre le décideur qu’il a pris toutes les mesures raisonnables pour offrir ces occasions au détenu, ledit décideur doit ordonner au Service de retirer le détenu de l’UIS.
Quatrièmement, les dispositions exigent que la nécessité et le bien‑fondé de l’incarcération du détenu dans une UIS soient réexaminés périodiquement. Si, à l’issue de l’examen effectué dans les 5 jours ouvrables suivant l’incarcération du détenu, le directeur du pénitencier décide de le maintenir dans une UIS, il doit réexaminer le cas dans un délai de 30 jours après le premier jour où le détenu a été transféré dans une UIS. Le directeur du pénitencier est tenu de rendre visite au détenu en question avant de prendre sa décision. Si cette visite ne se fait pas en personne ou a lieu à travers le guichet de la porte de la cellule, les circonstances particulières de la rencontre doivent être dûment notées au registre.
Par la suite, la décision de maintenir le détenu incarcéré dans une UIS doit être réexaminée tous les 30 jours. Au 60e jour, la décision est réexaminée par le commissaire ou son représentant désigné, comme le prévoit le règlement. Trente jours plus tard, si le commissaire a décidé de garder le détenu dans une UIS, un décideur externe indépendant doit à nouveau déterminer si le détenu doit demeurer dans l’UIS, et cette décision est exécutoire. Ensuite, tant que le détenu est maintenu dans l’UIS, le commissaire (ou son représentant désigné) et le décideur externe indépendant se relayent tous les trente jours pour réexaminer la situation.
Un examen du cas du détenu est aussi requis si on a autorisé à plusieurs reprises le transfert du détenu dans une UIS au cours d’une période donnée. Le cadre de ces examens, y compris le nombre requis d’autorisations pour déclencher l’examen obligatoire, sera prescrit par règlement.
Cinquièmement, les dispositions accentuent le rôle des professionnels de la santé agréés, en exigeant qu’ils effectuent un suivi régulier de l’état de santé des détenus incarcérés dans les UIS et que le directeur du pénitencier tienne compte de leur point de vue à cet égard. Les dispositions exigent qu’un professionnel de la santé agréé visite chaque détenu incarcéré dans une UIS au moins une fois par jour. Ce professionnel est précisément autorisé à recommander au directeur du pénitencier de modifier les conditions d’incarcération du détenu, et le directeur du pénitencier doit tenir compte de ces recommandations dès que possible. Le professionnel est également autorisé à recommander que le détenu ne soit plus incarcéré dans une UIS. Cette recommandation exige que le directeur du pénitencier effectue, dès que possible, un examen complet de la décision de maintenir l’incarcération du détenu dans une UIS. Le directeur de pénitencier est tenu de rendre visite au détenu avant de prendre sa décision. Si cette visite ne se fait pas en personne ou a lieu à travers le guichet de la porte de la cellule, les circonstances particulières de la rencontre doivent être dûment notées au registre.
Si, après avoir effectué cet examen obligatoire, le directeur du pénitencier ne suit pas les recommandations du professionnel de la santé, s’ensuit automatiquement le réexamen par un comité de personnes occupant un poste de rang supérieur à celui de directeur de pénitencier. Si le comité accepte les recommandations du professionnel de la santé, le directeur du pénitencier est tenu d’en exécuter la décision. En revanche, si le comité rejette ces recommandations, un décideur externe indépendant doit déterminer le plus tôt possible si les conditions de détention doivent être modifiées ou si le détenu doit être retiré de l’UIS, conformément à la recommandation du professionnel de la santé agréé, et cette décision est exécutoire.
Dans tous les cas susmentionnés qui font intervenir un décideur externe indépendant, le Service doit fournir à celui-ci tous les renseignements à sa disposition qui s’avèrent pertinents pour la prise de décision, et il doit lui permettre de communiquer avec le détenu en question. Quant à lui, le décideur externe indépendant doit fournir au détenu, par écrit, les renseignements à prendre en compte dans la prise de décision, ou un résumé de ces renseignements, et il doit veiller à ce qu’on donne au détenu l’occasion de présenter ses arguments écrits en vue de la prise de décision.
Enfin, les dispositions proposées dans le projet de loi C-83 seront appliquées selon le cadre des protections généralement applicables prévues par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, y compris :
- l’article 2 du projet de loi, qui modifie l’alinéa 4(c) de la Loi pour exiger que le Service prenne les mesures qui sont les moins privatives de liberté lorsqu’il s’agit d’assurer la protection de la société, des agents et des délinquants;
- le texte actuel de l’alinéa 4(g), qui exige le respect de diverses formes de différences et la prise en compte des besoins particuliers de certains groupes, et dont l’article 2 du projet de loi, qui vient élargir la portée en exigeant explicitement la prise en compte des besoins particuliers des minorités visibles et le respect des différences religieuses, de l’orientation sexuelle ainsi que de l’identité et de l’expression de genre des personnes concernées;
- l’article 69 actuel, qui interdit de faire subir un traitement inhumain, cruel ou dégradant à un délinquant;
- l’article 23 du projet de loi, qui édicte le nouvel article 79.1 (analysé en détail plus loin), lequel exige que l’historique social des autochtones soit pris en considération dans les décisions concernant un délinquant autochtone, y compris toute décision relative à une UIS (sauf les décisions portant sur l’évaluation du risque que représente le détenu autochtone);
- l’alinéa 87a) actuel, qui exige que l’état de santé du détenu et les soins qu’il requiert soient pris en considération, et qui est modifié par l’article 29 du projet de loi pour s’appliquer précisément aux décisions relatives à l’incarcération dans une UIS.
Article 15 de la Charte
En plus des considérations susmentionnées concernant les articles 7 et 12 de la Charte, les dispositions en matière d’UIS pourraient également avoir des répercussions sur les droits garantis par le paragraphe 15(1) de la Charte, qui protège les droits à l’égalité. Selon le paragraphe 15(1), la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine ethnique ou les déficiences mentales ou physiques. Les modèles d’intervention comme les UIS pourraient porter atteinte aux droits à l’égalité dans la mesure où l’incarcération dans une UIS a des répercussions disproportionnées sur les personnes correspondant aux motifs de discrimination énoncés.
Le projet de loi C-83 comprend des protections pour éviter de telles répercussions négatives. Ces protections, qui ont été décrites en détail précédemment, sont notamment les suivantes : 1) l’évaluation individualisée périodique de la situation de chaque détenu et de son expérience d’incarcération en UIS; 2) la prise en compte des circonstances uniques des détenus autochtones (historique social des autochtones); 3) le rôle bonifié des professionnels de la santé agréés; et 4) l’alinéa 87a) actuel, qui exige qu’on tienne compte de l’état de santé du détenu et des soins qu’il requiert, et qui est modifié par l’article 29 afin de s’appliquer directement aux décisions relatives à l’incarcération dans une UIS.
Élimination de l’isolement disciplinaire (article 12 de la Charte)
L’article 11 du projet de loi élimine l’isolement à titre de sanction disciplinaire, lorsqu’un détenu est déclaré coupable d’une infraction disciplinaire visée à la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition. Par conséquent, les seules sanctions qui pourront être imposées dans le cas d’une infraction disciplinaire sont celles actuellement prévues aux alinéas 44(1)a) à e) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, telles que la perte de privilèges, une amende ou des travaux supplémentaires.
La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition et son règlement permettent actuellement l’imposition de sanctions d’isolement disciplinaire d’au plus 30 jours par infraction, pour une période totale n’excédant pas 45 jours. Dans certaines circonstances, une telle sanction peut potentiellement porter atteinte à l’article 12 de la Charte, si elle est considérée comme un traitement cruel et inusité compte tenu de ses répercussions sur le détenu en question. Éliminer l’isolement disciplinaire favorise donc les valeurs protégées par l’article 12.
Pouvoirs relatifs aux fouilles, aux perquisitions et aux saisies (article 8 de la Charte)
Les articles 13 à 21 ré-autorisent les fouilles physiques des détenus, des visiteurs ainsi que des membres du personnel dans les pénitenciers afin de protéger la sécurité des pénitenciers et des personnes qui s’y trouvent, et autorisent également le recours au balayage corporel pour procéder à ces fouilles.
L’article 8 de la Charte protège contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives. La fouille, la perquisition ou la saisie sera raisonnable si elle est autorisée par la loi, si la loi elle‑même est raisonnable en ce qu’elle établit un juste équilibre entre les droits à la vie privée et l’intérêt de l’État, et si la fouille est effectuée de façon raisonnable. Comme les fouilles autorisées peuvent entraver les droits personnels en matière de vie privée, elles peuvent potentiellement porter atteinte à l’article 8.
Les considérations suivantes appuient la conformité de ces pouvoirs à la Charte. L’objectif des divers pouvoirs en matière de fouille est de protéger la sécurité des pénitenciers et des personnes qui s’y trouvent, et non de mener des enquêtes pénales. Dans l’environnement nécessairement hautement contrôlé des pénitenciers, les personnes qui se trouvent dans un pénitencier – que ce soit des détenus, des visiteurs ou des membres du personnel – ont une atteinte réduite en matière de vie privée. Les pouvoirs en matière de fouille sont adaptés aux circonstances de manière appropriée. Par exemple, les fouilles moins intrusives exigent un fardeau de preuve plus léger (p. ex., sans soupçon individuel précis) et des protections moindres (fouille à la discrétion d’un membre du personnel), tandis que les fouilles plus intrusives exigent un fardeau de preuve plus élevé (p. ex., des motifs raisonnables de croire) et des protections plus élevées (uniquement avec l’approbation du directeur du pénitencier).
Les circonstances dans lesquelles les fouilles par balayage corporel peuvent être effectuées ne sont pas précisées dans le projet de loi C-83, mais seront prescrites par règlement. Pour être conformes à l’article 8 de la Charte, ce règlement et les dispositions concernées du projet de loi C-83 devront restreindre de manière raisonnable le pouvoir d’effectuer des fouilles par balayage corporel.
Soins de santé (article 7 de la Charte)
L’article 7 de la Charte garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Les mesures prises par le gouvernement qui créent un risque pour la santé en empêchant l’accès à des soins de santé privent toute personne de son droit à la sécurité de sa personne. Les articles 28 et 30 du projet de loi assurent une protection contre ces mesures et soutiennent les valeurs protégées par l’article 7 en exigeant que le Service correctionnel du Canada soutienne l’autonomie et l’indépendance des professionnels de la santé qui traitent les détenus, et en conférant aux détenus le pouvoir de mieux défendre leurs intérêts en matière de santé.
Historique social des autochtones (article 15 de la Charte)
L’article 23 du projet de loi exige que le Service prenne en considération l’historique social des autochtones dans les décisions concernant un délinquant autochtone, sauf les décisions portant sur l’évaluation du risque que représente le détenu autochtone. Pour prendre ces décisions, le Service doit tenir compte des « facteurs systématiques et historiques » qui touchent les peuples autochtones du Canada, qui ont contribué à la surreprésentation des autochtones au sein de la population de détenus, et qui peuvent avoir contribué aux démêlés du délinquant avec le système de justice pénale. La disposition exige aussi que l’on prenne en compte « l’identité et la culture autochtones du délinquant ».
Le paragraphe 15(1) de la Charte prévoit que tous ont droit au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race et l’origine ethnique. L’article 23 du projet de loi vient potentiellement accorder aux délinquants autochtones un avantage qui n’est pas offert aux autres détenus. Bien que des distinctions fondées sur la race ou l’origine ethnique puissent faire intervenir la protection conférée par le paragraphe 15(1), le fait d’obliger le Service à tenir compte de l’expérience unique des peuples autochtones dans la société canadienne et leur surreprésentation marquée dans les prisons canadiennes favorise l’égalité réelle des délinquants autochtones. Atteindre l’égalité réelle pour les groupes désavantagés exige souvent que le gouvernement fasse des distinctions. Le paragraphe 15(2) de la Charte précise que le paragraphe 15(1) n’interdit pas les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, y compris ceux qui sont défavorisés du fait de leur race ou de leur origine ethnique. Ceci est l’objet de l’article 23.
Accès à des enregistrements sonores d’audiences de la Commission des libérations conditionnelles (alinéa 2b) de la Charte)
L’article 34 du projet de loi modifie le paragraphe 140(13) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition pour autoriser la victime ou la personne visée au paragraphe 142(3), qu’elle ait participé ou non à une audience de la Commission des libérations conditionnelles, à demander d’écouter l’enregistrement sonore de cette audience une fois qu’elle est terminée. Cet article modifie également le paragraphe 140(13) pour donner à la Commission des libérations conditionnelles du Canada un nouveau motif permettant de limiter l’accès à toute partie de l’enregistrement sonore. À l’heure actuelle, la Commission des libérations conditionnelles peut limiter l’accès à toute partie de l’enregistrement sonore qui, selon elle, risquerait vraisemblablement de mettre en danger la sûreté d’une personne ou de permettre d’identifier la source de renseignements obtenus de façon confidentielle. La modification permet également à la Commission des libérations conditionnelles de limiter l’accès lorsque l’intérêt de la victime ou de la personne qui cherche à écouter l’enregistrement sonore ne justifierait pas une éventuelle atteinte à un intérêt en matière de vie privée.
L’alinéa 2b) de la Charte prévoit que chacun a la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication. L’alinéa 2b) peut également prévoir un droit d’accès limité aux documents qui sont en la possession du gouvernement. Cet accès est protégé par la Constitution seulement dans la mesure où, sans cet accès, les discussions publiques véritables et les critiques relatives à des questions d’intérêt public seraient considérablement entravées. Toutefois, même dans un cas où l’intérêt de l’accès public est établi, cet accès pourrait être refusé en fonction de facteurs défavorables.
Les considérations suivantes appuient la conformité de cette disposition à la Charte. La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition permet déjà aux observateurs d’assister à des audiences de la Commission des libérations conditionnelles en personne. La modification proposée permet à un plus grand nombre de personnes de demander accès aux enregistrements sonores après la tenue de l’audience. Cela peut améliorer l’accès des victimes aux enregistrements sonores des audiences de la Commission des libérations conditionnelles. En même temps, cela permet à la Commission des libérations conditionnelles de limiter l’accès à certaines parties de l’enregistrement, dans la mesure où cela est nécessaire pour protéger la sûreté d’une personne ou lorsque l’intérêt de la victime ou de la personne qui cherche à obtenir l’accès ne justifierait pas une éventuelle violation de la vie privée d’une personne. Dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire, la Commission des libérations conditionnelles doit mettre en équilibre les divers droits et intérêts en jeu, y compris ceux des victimes d’écouter l’enregistrement, d’une part, et les droits des délinquants à la protection de leur vie privée, d’autre part.
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